La survenue d’une plaie chez un patient diabétique est due à une association de facteurs mécaniques externes sur un terrain associant perte de sensibilité cutanée et, de plus en plus souvent, insuffisance de la perfusion cutanée. Mais ces facteurs externes sont le plus souvent évitables par des mesures de prévention bien observées.
En 2016, parmi les plus de 3,3 millions de personnes traitées pour un diabète, plus de 26 700 ont été hospitalisées pour une plaie du pied et plus de 8 400 pour une amputation de membre inférieur(1).
DÉFINITION
Le « pied diabétique » désigne toute infection, ulcération ou destruction des tissus profonds du pied survenant chez un sujet diabétique, en lien avec une neuropathie et/ou une artériopathie diabétique. L’ensemble du pied est concerné mais, dans environ la moitié des cas, la plaie survient sur la face plantaire, orteils compris.
« Les troubles trophiques, ou ulcérations, du pied diabétique concernent de la même manière les diabètes de type 1 et de type 2 car ils sont liés aux complications de la maladie que sont la neuropathie, l’artériopathie des membres inférieurs et les déformations du pied, précise le Dr Sophie Schul diner, endocrinologue au centre hospitalier universitaire Carémeau de Nîmes (Gard). Le risque de neuropathie étant lui-même lié à la durée d’évolution de la maladie, aggra vé en cas de diabète déséquilibré sur une longue période. »
Trois mécanismes sont associés dans la survenue de plaies du pied diabétique : la neuropathie, l’artériopathie et l’infection. Sachant que(2) :
– une neuropathie est retrouvée dans au moins 60 % des plaies du pied diabétique ;
– une artériopathie sans neuropathie est observée dans 15 % des cas ;
– une artériopathie est associée à une neuropathie dans 25 % des cas (plaies neuro-ischémiques).
« À l’origine de la perte de sensibilité, la neuropathie est le principal facteur de risque d’ulcérations au niveau du pied », souligne le Dr Schuldiner. Définie comme la présence de signes d’une dysfonction des nerfs périphériques, la neuropathie, ou « neuropathie diabétique », peut associer :
– une atteinte sensitive, la plus fréquente, qui correspond à une diminution de la sensibilité à la douleur, à la température et à la vibration, induisant un risque de plaie car les hyperappuis ou les blessures ne sont plus perçus. Cette perte de sensi bilité est révélée par un « test au monofilament de 10 g », lequel est réalisé par un médecin ou un pédicure-podologue ;
– une atteinte motrice, responsable d’un déséquilibre entre muscles fléchisseurs et extenseurs à l’origine de déformations du pied, par exemple d’orteils « en griffe ou en marteau », créant des zones propices à la survenue d’ulcérations ;
– une atteinte neurovégétative responsable d’anomalies de la sudation à l’origine d’une sécheresse cutanée locale et de l’apparition de crevasses ou de fissurations favorisant la formation d’ulcérations.
L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs est plus fréquente et de localisation plus diffuse et plus distale chez les personnes diabétiques. Souvent indolore et sans claudication intermittente, du fait de la perte de sensibilité due à une neuropathie, elle peut se révéler à l’occasion d’une ulcération.
L’infection fait la gravité de la plaie du pied diabétique. Elle est plus fréquente chez les patients diabétiques du fait d’un déficit des défenses cellulaires et des nombreuses anomalies des polynucléaires aggravées par l’hyperglycémie.
L’infection aggrave le pronostic de la plaie quand elle se propage aux muscles, aux tendons, aux articulations ou à l’os. Des symptômes généraux comme une fièvre, des frissons, une hyperleucocytose importante ou des troubles métaboliques majeurs sont rares mais reflètent une infection plus sévère associée à un risque pour le membre, voire pour la vie du patient(3).
La prise en charge du risque de trouble trophique chez la personne diabétique commence par la gradation du risque podologique. Cette gradation, effectuée par les médecins et les pédicures-podologues, permet d’évaluer le risque de survenue d’une ulcération chronique pour :
– établir le grade du risque podologique (voir le tableau ci-dessus) ;
– proposer des mesures de prévention ciblées au patient.
Tout patient atteint de diabète doit bénéficier d’au moins un examen annuel des pieds à la recherche d’éven tuels facteurs de risque (lire l’encadré page suivante).
Les prises en charge des soins de prévention :
– antécédent d’ulcération chronique du pied ou d’amputation ;
– neuropathie périphérique au moyen du test au monofilament de 10 g ;
– artériopathie par la palpation des pouls périphériques et la mesure de l’index de pression systolique ;
– déformations des pieds.
Il n’y a pas de mesure spécifique mais un rappel des conseils d’hygiène de base. « Grade 0 ne signifie pas risque 0, prévient le Dr Schuldiner. Il a été démontré que le risque d’ulcération du pied associé à un risque d’infection est majoré par un diabète déséquilibré. Il convient donc d’assurer une bonne hygiène et de ne pas mettre ses pieds en danger dès un grade 0. »
À faire chaque jour
• Laver et bien sécher les pieds.
• Éviter les longs bains de pieds.
• Changer de chaussettes.
• Choisir des chaussures confortables en cuir souple.
• Faire des mouvements d’assouplissement des pieds de type flexion/extension au niveau de l’avant-pied, de la cheville et des orteils.
• Hydrater les pieds secs car la corne favorise les fissures. Par exemple, appliquer une à deux fois par jour, en cou che mince, une crème à base de glycérol/vaseline/paraffine (générique de Dexeryl DM). Bien sécher les espaces interdigitaux avec du papier absorbant.
• Proscrire l’utilisation d’instruments en fer sur les pieds (lame, ciseaux pointus, râpe métallique…) ainsi que tout coricide (pansement ou solution).
En cas de plaie superficielle
• Laver la plaie à l’eau et au savon.
• Couvrir d’un pansement gras (ex : Tullegras, Jelonet) et d’une compresse fixée par une bande.
• Prévenir le médecin traitant en cas de plaie inflammatoire ou dont l’origine est inconnue, ce qui pourrait révéler une perte de sensibilité.
• Veiller à être à jour dans la vaccination antité tanique.
« Le fait que chaque soignant autour du patient diffuse le même message contribue à améliorer la prévention. La communication entre les professionnels joue un rôle important à ce niveau », souligne l’endocrinologue. En cas de difficultés pour réaliser les soins préconisés, orienter le patient vers un pédicure-podologue.
À faire chaque jour
• Examiner ou faire examiner les pieds en recherchant la présence de cor, durillon fissuré ou gonflé sur les orteils ou sous les pieds, de rougeur autour des ongles, de fissures ou de macération entre les orteils, et de plaie.
• Ne pas marcher pieds nus ni sans chaussettes dans les chaussures (même en été).
• Glisser toujours la main dans les chaussettes et les chaussures avant de les enfiler à la recherche d’un corps étranger ou d’une aspérité.
En prévention des facteurs déclen chants
• Éviter les hyperpressions répétitives lors de la marche :
• prudence avec les chaussures neuves, trop serrées ou ouvertes, voire usées ;
• éviter les coutures saillantes ou les plis de chaussettes qui peuvent blesser un pied fragilisé ;
• choisir des chaussures adaptées en cas de déformation du pied (hallux valgus, orteils en griffe…).
→ Conseil : acheter des chaus sures fermées plutôt en fin de journée. Privilégier le cuir souple sur le dessus et rigide à la semelle, ainsi que les chaussures à lacets.
• Soigner l’hyperkératose qui favorise l’ulcération :
– la corne qui se forme au niveau des points d’appui ou de frottement est retirée avec un instrument non agressif (pierre ponce). Au niveau des talons, la corne entraîne fissures et crevasses à risque d’infection ;
– hydrater la peau.
• Ongles blessants et ongles incarnés sont coupés à angle droit et pas trop courts avec des ciseaux à bouts ronds. Ils peuvent être raccourcis et désépaissis régulièrement avec une lime en carton.
• En prévention des mycoses interdigitales, sources de fissures et donc d’un risque d’infection :
– éviter les bains de pieds prolongés (risque de macération) ;
– bien sécher les pieds après lavage ;
– changer quotidiennement de chaussettes, privilégier le coton.
• Préférer les chaussons fermés aux mules pour les déplacements au sein du domicile.
• Chasser les corps étrangers qui peuvent se glisser dans les chaussures, même fermées.
• Ne pas marcher pieds nus.
• Porter des chaussons en caoutchouc à la plage et pour se baigner.
• Les sources de chaleur et de froid pouvant ne pas être perçues, pour prévenir les brûlures d’un pied neuropathique insensible :
– éviter d’utiliser des objets chauffants sur les pieds (bouillotte, radiateur soufflant, cataplasme…) ;
– prudence avec les sources de chaleur (cheminée, radiateur…) ;
– au moment de la toilette, avant de mettre les pieds dans l’eau, vérifier la température à l’aide d’un thermomètre ou avec la main.
Chaussures thé ra peutiques et orthèses
Les orthèses et les chaussures thérapeutiques visent à diminuer ou répartir la pression sur les zones plantaires à risque, concourant ainsi à prévenir la survenue d’ulcérations et leur récidive. Prescrite après la réalisation d’un bilan podologique, l’orthèse plantaire est réalisée sur mesure.
En cas de blessure
À partir du grade 1, la survenue d’une plaie doit faire adresser le patient dans un délai inférieur à 48 heures :
– soit à une équipe multidisciplinaire spécialisée(2) ;
– soit pour une hospitalisation immédiate en présence de signes d’une infection étendue ou de signes systé miques(4).
L’orientation vers un centre spécialisé permet, en plus de la prise en charge locale de la plaie, de faire entrer les patients dans un parcours de prévention. À l’hôpital, la découverte d’une plaie du pied chez une personne diabétique doit faire adresser cette dernière à un service de diabétologie.
« L’Idel, qui connaît les mesures de prévention, a une position privilégiée auprès du patient », remarque le Dr Schuldiner. Elle peut dépister une évolution défavorable, conseiller le patient (lire la partie prévention page précédente), orienter vers le généraliste ou un spécialiste du diabète, le cas échéant. « Il est possible de prescrire une surveil lance infirmière après la cicatrisation de la plaie, en général deux fois par semaine, ou une toilette pour le patient ayant des difficultés pour entre tenir ses pieds seul. La soignante peut d’ailleurs signaler cette incapacité, laquelle n’est pas toujours évaluée », ajoute le médecin.
1. Santé publique France, « Le diabète en France en 2016 : état des lieux », novembre 2018. En ligne sur : bit.ly/3l8WBj1
2. Haute Autorité de santé, Guide parcours de soins « Diabète de type 2 de l’adulte », mars 2014. En ligne sur : bit.ly/3nsHna4
3. Recommandations du Groupe international de travail sur le pied diabétique, 2011. En ligne sur : bit.ly/3cp0nQh
4. Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés, Direction de la Sécurité sociale, « Dépistage et prise en charge préventive des complications podologiques chez le patient diabétique », septembre 2014. En ligne sur : bit.ly/3nt6o4Y
De couleur jaunâtre et de forme circulaire, le cor au pied correspond à une hyperkératose souvent retrouvée sur les orteils ou la plante du pied. Sa survenue chez un patient à risque podologique montre que les mesures de prévention ne sont pas acquises
Deux forfaits de prévention sont pris en charge par l’Assurance maladie. « Depuis le 15 mai 2021, tout patient, quel que soit son grade, bénéficie d’un bilan annuel remboursé chez le pédicure-podologue », informe le Dr Schuldiner, endocrinologue au CHU de Nîmes (Gard). Sont pris en charge, sur prescription médicale* :
La séance initiale
Il s’agit de la séance prévue dans les forfaits prévention qui est désormais prise en charge une fois par an même si, après ce bilan-diagnostic podologique initial, le patient relève d’un grade 0.
Les forfaits annuels de prévention des lésions
– Patients à risque de grade 2 : 5 séances de soins par an.
– Patients à risque de grade 3 : 8 séances de soins en cas de plaie du pied en cours de cicatrisation, et 6 séances pour un patient sans plaie du pied.
* Décision du 4 mars 2021 de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie relative à la liste des actes et prestations pris en charge par l’Assurance maladie