L'infirmière n° 015 du 01/12/2021

 

ACCÈS AUX SOINS

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Éléonore de Vaumas  

À Saint-Nazaire et à Brest, l’association À vos soins, pilotée par une infirmière et son conjoint, n’a qu’un seul leitmotiv : lutter contre les inégalités d’accès aux soins. Et pour cela, elle multiplie les actions de prévention auprès des populations locales grâce à deux unités mobiles.

De loin, ce sont d’abord les motifs enfantins peints avec des couleurs bariolées que l’on repère, puis un logo en forme de marsouin, animal dont est dérivé le nom du camion. Chaque fois que le MarSoins se poste quelque part, que ce soit au pied d’un immeuble, aux abords des maisons de quartier, devant un lycée professionnel, sur la place d’un marché ou sur une aire d’accueil pour les gens du voyage, son apparence ne manque pas de piquer la curiosité du chaland. « Surprendre, c’est exactement l’effet que nous voulions produire en lui donnant ce look flashy. Lorsqu’ils sont intrigués, les gens se laissent plus facilement aborder par nos bénévoles et embarquer dans le camion pour rencontrer nos professionnels de santé », explique Nicolas Blouin, grand gaillard de 36 ans, cofondateur de l’association À vos soins située à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Créée en 2014 dans le but de réduire les inégalités d’accès aux soins, la structure a d’abord ouvert un centre de santé infirmier dirigé par sa compagne infirmière, Noëmie Brégeon. En 2017 s’y est ajouté un camion itinérant, le MarSoins, qui va à la rencontre des habitants des différents quartiers de Saint-Nazaire et d’autres communes du département, comme Rezé ou Nantes ouest. En novembre 2020, la famille des MarSoins s’est agrandie avec l’arrivée d’un autre véhicule, le MarSoins du Bout du Monde, qui parcourt les communes rurales du Finistère, comme Crozon et Landerneau, entre autres. Comme son grand frère de Loire-Atlantique, le MarSoins du Bout du Monde va au contact des populations locales pour leur proposer des actions de prévention. Accessibilité, proximité et réduction des inégalités en termes d’accès aux soins, tels sont les trois objectifs visés par ces deux dispositifs. « Au plan national, le non-recours aux soins concerne trois millions de Français, et une personne sur trois déclare avoir déjà renoncé à se soigner par manque de moyens financiers. Sans compter que certaines zones sont carrément sous-dotées en professionnels de santé, poursuit le responsable associatif. Autant de freins que nous tentons de contourner grâce à ces unités mobiles qui se déplacent plusieurs fois par semaine à la rencontre des habitants afin de les inciter à se faire soigner. »

CHECK-UP COMPLET

Si le MarSoins n’est pas le premier relais de santé itinérant à se mettre en place en France, il est néanmoins pionnier au regard de la diversité et du nombre d’actions de prévention qu’il propose. Dépistage visuel, dentaire et VIH, bilan auditif, infos tabac et autres produits, check-up santé… Sur chaque territoire, ce sont 1 000 dépistages réalisés et 3 000 personnes sensibilisées par an. Des temps d’échange avec une sage-femme sont également proposés pour les femmes qui souhaitent parler contraception, prévention des cancers, fertilité ou encore ménopause. « L’idéal est de pouvoir proposer un check-up complet dans le camion, puis d’orienter les personnes vers les professionnels de santé compétents pour qu’elles puissent recevoir les soins adaptés », explique Maïna Houssier, responsable du MarSoins de Saint-Nazaire depuis 2018. Spécialement aménagé dans ce but, l’intérieur du véhicule se divise en deux espaces distincts auxquels on accède par une petite échelle située à l’arrière. Dans le premier, une grande banquette en L a été installée pour faire office de salle d’attente. C’est là que les bénévoles de l’association font entrer les usagers pour leur faire remplir un formulaire d’inscription, tout en leur servant une boisson. C’est là aussi que se tiennent les « Mardis au féminin », où l’on parle enfants, éducation sexuelle ou encore violences familiales, en toute bienveillance et discrétion. « Pour certaines femmes, c’est l’occasion de sortir de l’isolement, d’avoir une vie sociale. D’autres viennent nous voir avec des histoires personnelles lourdes, rapporte Axelle Michel, 25 ans, l’une des six infirmières qui se relaient dans le camion. C’est important de pouvoir leur offrir un lieu de discussion et d’échanges où elles peuvent se sentir en sécurité et recevoir une oreille attentive. Parfois, cela suffit à les rebooster. » Au fond de l’espace d’accueil, une petite porte s’ouvre sur une autre pièce, plus petite, dédiée aux consultations. Là interviennent successivement et gratuitement dentistes, sages-femmes, opticiens, assistantes sociales, médecins généralistes, audioprothésistes, psychologues, socio-esthéticienne… tous bénévoles. À l’issue de la consultation, les patients repartent systématiquement avec une fiche de préconisations et une liste des professionnels de santé du secteur. « Si nous ne sommes pas habilités à dispenser des soins dans le camion, nous le sommes pour donner toutes les clés aux personnes pour qu’elles puissent enclencher un parcours de soins à la suite de leur visite », appuie Axelle Michel. Pour s’en assurer, un bénévole d’À vos soins les appelle un mois après la rencontre. Résultat : 60 % d’entre elles passent à l’action après avoir consulté un professionnel du MarSoins, « ce qui est énorme », tient à préciser Nicolas Blouin.

UN PROJET RONDEMENT MENÉ

Actuellement, l’association compte une trentaine de bénévoles par territoire (particuliers et professionnels détachés par des institutions ou des associations sur des actions ponctuelles) qui se rendent disponibles au moins une ou deux fois par mois pour intervenir dans l’un des camions. Même mode opératoire pour les salariés de l’association qui, dans leur emploi du temps, ont un ou deux créneaux par mois réservés aux sorties en véhicule. « C’est un vrai plaisir pour moi d’aller au contact des gens. Les problématiques qu’on rencontre sont très larges, et ça permet aussi d’aborder le volet social. Ça me change des actes techniques que je réalise d’habitude, confie l’infirmière. D’autant que j’y retrouve aussi des collègues, ce qui permet de recréer une dynamique entre nous. » Si l’expérience hors les murs est bénéfique aux professionnels de santé, elle l’est aussi pour les usagers. À Brest, par exemple, des files d’attente d’une heure se forment à chaque passage du camion. Et ce, alors que l’unité mobile bretonne vient à peine de souffler sa première bougie. Mais pour qu’une telle initiative trouve son public, il faut soigner sa méthode d’approche. « On ne décide pas de lancer un camion qui va faire de la prévention en santé du jour au lendemain. Il y a toute une série d’étapes incontournables à franchir pour s’assurer de la viabilité d’un tel projet, à commencer par une étude du territoire donné », prévient Nicolas Blouin. De quel ordre sont les difficultés rencontrées dans l’accès aux soins ? Comment se compose le territoire et quelle dimension faut-il garder ? Quels sont les acteurs de santé sur place ? Telles sont les questions essentielles à se poser avant d’aborder le volet matériel avec l’achat et l’aménagement du véhicule. Autre impératif : savoir s’entourer des partenaires institutionnels et associatifs locaux. À l’association, cette approche a donné du fil à retordre aux deux fondateurs, se souvient Noëmie Brégeon : « Au début, on nous a mis pas mal de bâtons dans les roues, notamment de la part de certains professionnels de santé qui pensaient que nous allions faire des soins dans le camion, alors que notre but est d’orienter les gens qui ne consultent pas. »

ENRACINEMENT

Cette alliance territoriale avec les acteurs en place est pourtant indissociable de la réussite d’une démarche d’aller vers. « Je ne suis pas sûr qu’il y aurait autant de gens à nos permanences si nos partenaires ne faisaient pas régulièrement notre promotion à travers des campagnes d’affichage et la distribution de flyers dans leurs locaux, reconnaît Nicolas Blouin. C’est dans l’intérêt de tous de collaborer pour qu’il y ait le moins de trous dans la raquette possible. » Avec le temps, l’association est cependant devenue un maillon essentiel de la chaîne sanitaire à Saint-Nazaire et ses alentours. Une place qui s’est récemment affirmée avec le transfert du centre de soins infirmiers historique vers un centre de santé polyvalent. Inauguré en octobre dernier, ce dernier est implanté dans une ancienne ferme entièrement réhabilitée. Située au cœur d’un quartier populaire de la cité portuaire où vivent près de 6 000 personnes, dont une majorité sous le seuil de pauvreté, la structure a permis de réunir dans un même lieu les 17 salariés de l’association, soit six infirmières, un médecin généraliste, ainsi que toute l’équipe en charge de la coordination et du développement des unités mobiles. Si l’adresse a changé, les enjeux restent toutefois les mêmes : « Tous nos efforts et nos moyens sont tournés vers un seul objectif, celui d’offrir un accès universel aux soins, tout en conservant un regard particulier sur les personnes éloignées de notre système de santé, insiste Noëmie Brégeon. Aussi, à l’instar du centre de soins infirmiers que j’ai piloté pendant presque sept ans, nous avons opté pour la généralisation du tiers payant sans avance de frais. » Grâce à un roulement entre les infirmières, qui assurent en duo trois jours de travail suivis de deux jours de repos, le centre de santé est accessible tous les jours, de 7 à 21 heures, avec parfois des permanences de nuit pour les urgences. Conséquence : les demandes de soins affluent de toute la ville et le centre de santé affiche déjà complet, en attendant qu’un deuxième praticien arrive au printemps prochain. Côté MarSoins, un nouveau camion itinérant viendra gonfler la flotte des véhicules d’ici la fin de l’année. Cette fois, le cap a été mis sur le territoire de Châteaubriant, à une soixantaine de kilomètres de Nantes. Dans le viseur de l’association également, la ville de La Roche-sur-Yon, qui coche un certain nombre de critères lui permettant de bénéficier de ce type de dispositif. « On essaie de s’étendre en cercles concentriques pour limiter les grands déplacements et éviter de nous éparpiller », justifie Nicolas Blouin. Car, conclut ce diplômé d’une école de management qui a appris à dompter le jargon médical, « rien ne serait pire, dans notre démarche d’aller vers, que de mettre au point des actions déconnectées des besoins de la population ».

Les (des)sous du MarSoins

Un camion comme le MarSoins représente un budget d’environ 100 000 euros », dévoile sans filtre Nicolas Blouin, cofondateur de l’association À vos soins, à l’initiative de deux, bientôt trois, unités mobiles de santé dans l’ouest de la France. Pour rassembler ces fonds, le trentenaire n’écarte aucune piste, misant aussi bien sur des partenaires privés (fondations, donateurs particuliers) que des subventions publiques (ARS, État, bailleurs sociaux, etc.). Si, à Saint-Nazaire et à Châteaubriant, le budget a été bouclé avec des financements privés et publics, dans l’agglomération bretonne, en revanche, le projet n’a pu voir le jour que grâce à des fonds privés. « On s’est heurtés à de nombreux freins liés à l’origine des porteurs de projet. On m’a limite demandé mon passeport breton, ironise le responsable associatif. Finalement, c’était plus simple de garder notre liberté d’action. » Quel que soit leur modèle économique, tous les projets de MarSoins ont un même point de départ : l’achat du camion par un financeur privé. « Pour nous, c’est toujours l’élément déclencheur », poursuit Nicolas Blouin. Forte de son expérience dans la création d’antennes mobiles, l’équipe d’À vos soins est aujourd’hui sollicitée pour faire de l’ingénierie et du conseil aux collectivités désireuses de s’impliquer dans une démarche d’aller vers. En mars 2021, elle a ainsi accompagné l’ARS corse dans la réalisation d’une étude sur l’opportunité de mettre en place un bus itinérant de santé-social.

Un jardin qui a du sens

Impliquée dans la prévention à tous les niveaux, l’association nazairienne À vos soins s’intéresse aussi spécifiquement aux personnes âgées. En 2019, elle a ainsi mis sur pied un jardin participatif, l’Arbre aux Sens, situé dans un quartier prioritaire de la ville, au milieu des barres d’immeubles. Dans ce coin de verdure, outre le jardinage, les plus de 60 ans peuvent participer à des activités gratuites, comme des séances de sophrologie ou des ateliers d’art-thérapie, animées d’avril à octobre par Gildwen, salarié de l’association et ex-logisticien reconverti dans la construction de mobilier urbain. Si l’objectif de ces rendez-vous à ciel ouvert est de prévenir la perte d’autonomie des seniors en stimulant tous leurs sens, ils sont avant tout des prétextes pour faire intervenir des professionnels de santé (ergothérapeute, kinésithérapeute, infirmière, psychologue) et proposer une autre approche de la relation patient-soignant. En somme, bien plus que du jardinage ! « L’activité générée par le fait d’entretenir un jardin ralentit la perte des capacités physiques, mais elle permet aussi, lorsqu’elle est partagée, de favoriser le lien social et de rompre l’isolement des personnes », confirme Nicolas Blouin, codirecteur de l’association À vos soins. À ce jour, l’association comptabilise quelque 1 500 bénéficiaires.