L'infirmière n° 015 du 01/12/2021

 

ENQUÊTE

JE DÉCRYPTE

LE MOIS EN BREF

Éléonore de Vaumas  

Dévoilée en novembre dernier, une enquête de l’Irdes s’intéresse au quotidien des infirmières libérales, aides-soignantes et aides à domicile intervenant dans les soins à domicile. L’occasion, rare, de mettre en lumière leur travail et d’analyser la nature de leurs relations interprofessionnelles.

Dans un contexte de transformation des soins primaires, le rôle des acteurs dits « de ville » ne cesse de se renforcer. Parmi eux, les infirmières libérales (Idels), les aidessoignantes (AS) et les aides à domicile sont, avec les médecins généralistes, en première ligne dans la prise en charge globale et le maintien des patients à domicile. Mais si cette place est essentielle, elle est aussi tributaire de nombreux facteurs susceptibles d’en modifier ses contours, tels le vieillissement de la population, la chronicisation des pathologies ou encore la diminution du nombre de médecins généralistes. C’est là l’un des constats dressés par les auteurs d’une enquête sociologique(1), commanditée par le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie et publiée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) en novem bre dernier. Son objectif ? Comprendre comment travaillent ces trois groupes professionnels à travers une plongée dans leur quotidien. Et de là, identifier les relations professionnelles qu’ils entretiennent entre eux. Combien sont-ils ? Comment s’organisentils ? Quelles sont leurs missions et comment se les répartissentils ? Telles sont les principales questions auxquelles les auteurs ont cherché à répon dre en s’appuyant sur une revue de la littérature et l’analyse quantitative d’une trentaine d’entretiens qu’ils ont réalisés entre mars et juillet 2020.

CHEFFES DE FILE

Les résultats montrent en premier lieu une grande hétérogénéité de l’offre de soins sur les territoires. Il apparaît notamment que le travail des paramédicales et des services d’aide à domicile dépend fortement de la façon dont les soins à domicile sont structurés sur un territoire donné. Une structuration qui, ellemême, est conditionnée par des aspects matériels et financiers qui diffèrent selon les organisations auxquelles sont rattachées ces professionnelles. À cela s’ajoute, selon le rapport, une diversité dans la répartition des missions, lesquelles sont non seulement méconnues d’un groupe de métier à un autre, mais aussi fluctuantes. Si certaines, très techniques (dialyses, pansements complexes, soins postchirurgie), relèvent du travail propre des Idels, d’autres, telles que les soins de nursing (soins d’hygiène, toilettes) ou de maintien à domicile (courses, préparation des repas, etc.) peuvent « glisser » entre les soignantes et les aides à domicile… Or, ce « glissement » agit directement sur les relations interprofessionnelles. En effet, plus l’offre de soins est importante, plus les rapports risquent de se complexi fier, car concurrentiels. Une situation qui n’épargne pas les Idels, mais dont elles semblent toutefois sortir gagnantes. Dotées de compétences propres pour réaliser des soins techniques, elles bénéfi cient d’une position qui leur confère une forme d’autorité implicite sur leurs collègues aidessoignantes, constatent les auteurs. De leur côté, les aides à domicile, appréhendées comme des presta taires de services par les professionnelles de santé comme par les patients, souvent reléguées au bas de l’échelle hiérarchique, ont intériorisé cet état de fait, et adoptent des attitudes de prudence envers les deux autres groupes qui interviennent au domicile.

VOLONTÉ COMMUNE

C’est donc un panorama de l’offre de soins primaires marqué par une grande diversité de pratiques, de représentations, d’organisation mais aussi de modes de financement que rapportent les auteurs de cette enquête. Autant d’éléments qui compliquent la possibilité d’un exercice collectif et coordonné. Le mode de rémunération est, par exemple, source de tensions entre les Services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et les infirmières libérales, et à l’origine de réticences à travailler ensemble, les conventions passées entre les premiers et les secondes étant jugées moins avantageuses que si l’infirmière libérale prenait en charge le patient en direct (impossibilité de coter le diagnostic infirmier et la majoration de coordination, notamment). En outre, les conventions passées avec l’hospitalisation à domicile (HAD) peuvent, dans certains secteurs, « être plus avantageuses, et si les soins ne sont pas forcément les mêmes, cela rend les Ssiad moins attractifs pour les infirmières », notent encore les auteurs de l’étude.

Cependant, lorsqu’il existe, l’exercice coordonné entre Idels, AS et aides à domicile permet d’articuler les services dans une approche globale des prises en charge des patients à domicile. Les auteurs ont notamment étudié le cas d’un centre de soins infirmiers adossé à un Ssiad, situé dans une commune en zone périurbaine où vivent 10 000 personnes. La structure a, de plus, tissé des partenariats avec les professionnels d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), se concrétisant par des projets de soins communs.

Mais pour être enrichissante pour les professionnelles, cette démarche doit s’inscrire dans une « réflexion sur la gouvernance, la coordination et le degré de centralisation des services » ; ce qui suppose pour les organisations concernées, notent les auteurs, de créer « une culture commune », en mettant notamment « des espaces et des temps qui mixent les appartenances professionnelles ». Reste que, malgré un intérêt croissant pour ces nouvelles formes de collaboration dans le secteur du domicile, leur mise en œuvre effective demeure délicate.

RÉFÉRENCE

1. Suchier M., Michel L., Fournier C., « Des tensions entre dynamiques professionnelles et interprofessionnelles dans le travail des aides à domicile, des aidessoignantes et des infirmières en soins primaires », Questions d’économie de la santé, n° 263, novembre 2021. En ligne sur : bit.ly/3ofTYhj

TROIS QUESTIONS À…

Matti Suchier, coauteur de l’enquête et doctorant en sociologie au Centre Max Weber, à Lyon (Rhône).

Pourquoi les tâches glissent-elles entre professionnelles ?

L’exemple de la toilette, normalement dévolue aux aides à domicile, est assez parlant. Sur un territoire avec une forte concentration de cabinets infirmiers, par exemple, certaines Idels ne font que de la toilette. Preuve que la division du travail est dictée, non pas par la nature de la tâche, mais par la structuration de l’offre de soins.

Quels services favorisent un exercice coordonné ?

Il s’agit plutôt d’organisations d’implantation ancienne qui ont une professionnelle dédiée à la coordination. Son rôle est central pour développer une culture commune à l’ensemble des actrices du domicile, mais cela suppose une volonté de la gouvernance.

Pourquoi la professionnalisation est-elle un frein à la coopération ?

Pour les aides à domicile, qui sont actuellement dans cette démarche de professionnalisation, ce qui compte avant tout, c’est d’obtenir de meilleures conditions de travail à l’échelle de leurs propres organisations. Dans ce contexte, la coopération passe au second plan.