Pour Alexandre Robert, infirmier de formation, prendre soin des individus, des sociétés et du vivant n’est qu’une seule et même chose. Une approche qu’il cherche à insuffler dans la société et qui apporte une meilleure compréhension du déploiement du Sars-CoV-2. déploiement du Sars-CoV-2.
Alexandre Robert : Il y a d’abord eu un déclic professionnel, en 2014. Après quatre années d’exercice en tant qu’infirmier (en soins intensifs, gériatrie, et psychiatrie de crise), j’ai travaillé pour l’Orga nisation internationale pour les migrations, sur l’évaluation des systèmes de surveillance aux frontières en Afrique de l’Ouest, dans le cadre de la riposte à la maladie à virus Ebola. À cette époque, les chercheurs expliquaient que l’augmentation de la fréquence et de l’échelle des épidémies était liée à la pression des activités humaines sur les forêts (déforestation) et la globalisation des mouvements toujours plus rapides des populations et des biens. Une évolution qui crée les conditions pour qu’une épidémie apparue dans un lieu reculé atteigne les capitales et se propage à l’échelle globale.
Cette prise de conscience m’a poussé vers de nombreuses lectures (Jeremy Rifkin, Vandana Shiva, le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent) très inspirantes. En parallèle, en 2015, en France, il y avait une certaine effervescence autour de ces sujets avec la tenue de la Cop21, à Paris.
A. R. : Devant leur gravité et leur ampleur, j’ai ressenti ce que l’on appelle « l’écoanxiété ». C’est un peu le déclic négatif qui permet de prendre conscience des problèmes qui nous menacent. Mais le point positif, c’est que je me suis fait la promesse que pour bien vivre avec cela, j’allais m’engager. J’étudiais à la London School of Hygiene & Tropical Medicine et je suis devenu ambassadeur du Planetary Health Network, un réseau de jeunes chercheurs et étudiants intéressés par la santé plané taire. En parallèle, j’ai participé aux grèves pour le climat initiées par Greta Thunberg et au mouvement Extinction Rebellion qui a débuté à Londres et dans la région.
A. R. : Le but de la santé planétaire est de comprendre les liens qu’il y a entre les activités humaines qui modifient l’environnement et leurs conséquences sur la santé des humains et des écosystèmes. C’est une approche interet transdisciplinaire qui permet de rassembler diverses compétences autour de la résolution d’un problème et de répondre aux enjeux de santé. C’est une boussole qui peut guider nos actions individuelles et collectives. Cette approche vise à avoir le plus haut niveau possible de santé, de bienêtre et d’équité, dans le respect des limites plané taires, au nombre de neuf(1), qui ont été définies en 2009 par une équipe internationale de 26 chercheurs, menée par Johan Rockström, du Stockholm Resilience Centre, et Will Steffen, de l’Université nationale australienne.
A. R. : En Ifsi, nous avons des enseignements de santé publique mais ils sont très mineurs. Dans les modules de cardiologie ou de pneumologie, nous pouvons aborder les expositions à des toxiques ou à des facteurs environnementaux, mais elles ne sont pas liées à une éducation sur les processus qui soustendent ces problèmes. De même, nous allons expliquer les actions à mettre en place pendant les canicules sans faire le lien avec le changement climatique. Il y a de toute évidence un déficit d’éducation à la santé publique environnementale. De plus, il faudrait clairement de meilleures conditions de travail pour les infirmiers afin qu’ils disposent d’un temps dédié pour faire de la prévention. Actuellement, ils n’ont pas la possibilité d’exercer dans des conditions dignes, c’estàdire bien formés aux problèmes de santé environnementale et rému nérés à la hauteur du bénéfice social qu’apporte leur profession dans la société.
A. R. : L’important est de faire prendre conscience aux patients des liens qui existent entre la santé des écosystèmes et leur propre santé afin que cela donne du sens à leurs actions individuelles. Pour cela, nous parlons beaucoup des cobénéfices santéenvironnement. Par exemple, un soignant peut expliquer qu’utiliser les transports en commun pour réduire la sédentarité permet de prévenir certaines mala dies chroniques, tout en réduisant la pollution de l’air, les maladies qu’elle génère et la mortalité liée aux expositions. Et, de manière plus large, entraîner une réduction des émissions de gaz à effet de serre qui favorisent le changement climatique.
A. R. : Oui, bien sûr. En tant que professionnels de santé, nous avons un rôle de promotion de la santé et de diffusion des mesures préventives. Nous ne pouvons pas être uniquement au bout de la chaîne, sur les conséquences et le soin à la maladie. Nous nous devons d’instiller la prévention au sein de nos sociétés et auprès de nos patients pour qu’ils puissent prendre en charge leur santé. C’est vraiment au cœur des soins infirmiers, qui visent à l’autonomisation du patient. Si nous ne transmettons pas les messages et les bons comportements, comment les patients peuvent être autonomes face à leur santé ?
Nous voulons être une plateforme de mobilisation, de participation et d’éducation à la santé planétaire pour les professionnels de tous les secteurs. Nous investissons beaucoup dans la sensibilisation en intervenant dans des colloques. Nous copilotons également la traduction, qui sortira en 2022, de l’ouvrage Planetary Health : Protecting Nature to Protect Ourselves, de Samuel Myers et Howard Frumkin. Nous avons aussi des projets de Mooc sur la santé planétaire dans les soins de santé primaires. Et personnellement, je collabore, au titre de l’association, au Nurses Climate Challenge(2) organisé au niveau européen. Dans ce cadre, nous allons traduire les ressources éducatives destinées aux infirmiers sur le changement climatique et la santé.
A. R. : Créer une réserve sanitaire (française ou européenne) avec des soignants qui feraient de la prévention et de la promotion de la santé dans les territoires pour prévenir et agir sur les causes délétères à la santé (changement climatique, perte de la biodiversité, pollutions diverses…). Lors d’une crise, comme celle de la Covid19, ces professionnels, formés à la gestion des épidémies, viendraient en renfort au système de soins en apportant une compréhension globale de ce qu’il se passe. Prendre soin de soi, des autres et du vivant, c’est la même chose. Car tout est lié et ne forme qu’un. Notre santé est planétaire.
1. Le changement climatique ; les pertes de biodiversité ; les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore ; l’usage des sols ; l’acidification des océans ; la déplétion de la couche d’ozone ; les aérosols atmosphériques ; l’usage de l’eau douce ; la pollution chimique.
Spécialiste de la santé globale, Alexandre Robert s’intéresse aux liens entre les activités humaines et les conséquences sur la santé des humains et des écosystèmes. En janvier, il a cofondé l’association Alliance Santé Planétaire, membre francophone de la Planetary Health Alliance. À ce jour, l’association, qui est apolitique et ouverte à tous, compte 80 adhérents. Elle regroupe notamment des soignants qui adoptent une approche inter- et transdisciplinaire pour guider leurs choix et mieux comprendre le vivant. https://alliancesanteplanetaire.org
2010 Diplôme d’État infirmier à Dinan (Côtes-d’Armor).
2014 Chef de projet pour l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pendant la réponse Ebola en Afrique de l’Ouest.
2019 Valide un master en sciences de la santé publique à la London School of Hygiene & Tropical Medicine (Grande-Bretagne).
b
Travaille pour le programme des Nations Unies en République démocratique du Congo comme spécialiste des crises Ebola et Covid-19.