L'infirmière n° 015 du 01/12/2021

 

JE ME FORME

BONNES PRATIQUES

Hervé Menaut  

infirmier de secteur psychiatrie, cadre de santé chargé de formation en Ifsi/Ifas, à l’Aigle (Orne)

Parfois, il arrive que les patients que nous accueillons n’aient pas l’attitude que nous attendons d’eux : ils crient, ils déambulent, ils sont agressifs, ils refusent les soins… Nous qualifions alors ces comportements de troubles du comportement et leur donnons un caractère pathologique, car ne devant pas exister, et sont considérés comme dérangeants, inquiétants, incongrus. Ces troubles viennent bousculer notre organisation, notre façon de vivre la relation et notre métier. Ils sont tellement déconcertants qu’ils nous arrivent même d’en faire le reproche au patient en lui renvoyant ses mauvaises intentions : « Vous le faites exprès. » Notre façon d’envisager les troubles du comportement va foncièrement influencer nos pratiques de prise en charge. Un changement de point de vue pour les observer et de paradigme pour les expliquer peuvent nous permettre de modifier notre façon d’intervenir auprès de la personne.

QU’EST-CE QU’UN TROUBLE DU COMPORTEMENT ?

Même si la notion de comportement ne fait pas consensus, on peut dire a minima qu’il s’agit d’une manière d’agir, de se conduire dans un contexte donné. Cette notion de contexte est importante dans la mesure où tous les comportements ont une double origine :

→ externe, qui correspond aux simulations envoyées par l’environnement ;

→ interne, qui correspond aux motivations conscientes ou inconscientes du sujet.

Les troubles du comportement répondent à cette même logique. Avant de qualifier un comportement, il est donc indispensable de faire l’effort de comprendre le contexte interne et externe de la personne : ce qui peut nous paraître comme un comportement aberrant peut être rationnel aux yeux de la personne dans un contexte particulier. Crier lorsque l’on a peur, déambuler lorsque l’on s’ennuie, être agressif lorsque l’on se sent menacé, ou refuser les soins lorsque nous ne les comprenons pas ne sont pas des comportements problématiques. Tout au plus, ils sont dérangeants, théâtraux, exagérés… Ce n’est donc pas uniquement la nature du comportement, son écart avec la norme sociale ou les désordres qu’il crée qui induit la notion de trouble mais tout un faisceau de critères, à savoir :

→ des critères quantitatifs du comportement : en excès (agitation, logorrhée, errance…) ou en défaut (repli, mutisme, perte d’appétit…) ;

→ des critères qualitatifs du comportement que l’on peut nommer déviance, inadaptation ou bizarrerie (rumination cognitive, compulsions, désinhibition…) ;

→ la fréquence et l’ancienneté du comportement, car il n’y a pas de troubles du comportement sans notion de répétition et d’inscription dans le temps.

À cela s’ajoute le fait qu’un trouble du comportement induit des conséquences pour la personne et/ou son environnement : risques pour sa santé physique et/ou psychologique, pour son inclusion dans son environnement social ou ses capacités d’apprentissage, etc. Parfois, ces risques font que nous souhaitons supprimer le trouble au plus vite et à tout prix. Il faut rappeler qu’un risque s’évalue à partir de sa probabilité (de très improbable à très probable) et de sa gravité (de faible à très grave). Pour les troubles du comportement, nous pouvons ajouter le délai d’apparition du risque (d’immédiat à différé). Cela nous donne alors trois niveaux d’urgence pour intervenir :

→ possibilité de différer ;

→ nécessité d’intervenir rapidement ;

→ plus rarement, nécessité d’intervenir immédiatement.

DES TROUBLES RÉVÉLATEURS D’UNE MALADIE MENTALE ?

Il arrive très souvent que nous associions troubles du comportement et pathologie mentale mais c’est une double erreur. Premièrement parce qu’il n’y a pas que les personnes souffrant de troubles mentaux qui peuvent présenter des troubles du comportement. Deuxièmement parce que les troubles du comportement ne sont pas les témoins de la maladie mais des vulnérabilités que celle-ci entraîne. Qu’il s’agisse de pathologies mentales, somatiques, cognitives ou de troubles neurodéveloppementaux, les troubles du comportement sont les signes d’une perte de contrôle, de maîtrise des dynamiques internes et externes du comportement du fait de la présence de vulnérabilités :

→ communicationnelles, qui entraînent une difficulté ou une impossibilité à exprimer des demandes, des ressentis, des avis… La mise en acte (déambulation, agressivité, refus…) vient alors compenser cette mise en mots insatisfaisante. On retrouve ce cas de figure dans certains troubles neurologiques entraînant des aphasies (maladie d’Alzheimer, certaines formes de schizophrénie) ;

→ sensorielles, qui induisent chez la personne des difficultés à percevoir son environnement et à en traiter les informations utiles. Les troubles auditifs et visuels, par exemple, sont propices à l’apparition de troubles du comportement. Il en va de même chez la personne atteinte de troubles psychotiques et qui est sujette aux hallucinations ;

→ physiques, qui impliquent souvent une dépendance plus ou moins importante et plus ou moins durable. Faire le deuil de sa vie d’avant, de son autonomie, devoir renoncer à son indépendance peut générer des troubles, comme le refus de soins, qu’il faut comprendre comme une tentative de reprise en main de sa vie et un rejet de l’idée de devenir un simple objet de soins. Sans oublier le rôle joué par la douleur dans la survenue des troubles de comportement. Qu’elle soit aiguë, chronique, neurogène ou psychogène, la douleur va exacerber les autres vulnérabilités et rendre l’agir comportemental incontrôlable ;

→ cognitives, qui provoquent une difficulté à donner du sens à ce que vit la personne. C’est notamment le cas de la personne âgée atteinte de troubles de type Alzheimer qui, faute d’avoir pu traiter rapidement et correctement les informations, devient agressive au moment de la toilette, notamment, par surprise, incompréhension, mauvaise interprétation ;

→ émotionnelles, qui génèrent un court-circuitage de la pensée par une charge émotionnelle trop importante. Le trouble du comportement vient alors jouer le rôle de soupape à ce trop-plein d’émotions ou à une émotion trop intense. La maladie, l’hospitalisation, les soins, la situation de dépendance favorisent cette charge émotionnelle importante. On retrouve également cette situation dans les troubles dépressifs, de la personnalité ou anxieux.

À ce panel pourrait s’ajouter la vulnérabilité sociale. Notre monde du soin n’est pas forcément adapté à celui qui vit différemment par choix ou par contrainte. Il reste bien des efforts à fournir dans l’accueil du SDF, du marginal, du migrant…

UN REGARD DIFFÉRENT POUR INTERVENIR DIFFÉREMMENT

Ne plus voir et considérer les troubles du comportement uniquement comme quelque chose d’irrationnel ou intentionnel visant à nuire à l’organisation, aux soins, aux soignants mais les aborder par le prisme des vulnérabilités de la personne prise en charge, nous permet de repenser nos interventions. Une autre vision qui permet d’éviter l’écueil de vouloir “éteindre” le comportement qui nous amène à mettre en place des pratiques contestables comme la sédation, la contention ou la contrainte, entre autres. Bien entendu, ce changement nous demande de prendre le temps d’observer (identifier les facteurs prédisposants et déclenchants, les conséquences possibles, le niveau de dangerosité…), d’écouter la personne (que dit-elle de son trouble, de son environnement, de ses désirs ? Que cherche-t-elle à verbaliser pendant son agitation, ses déambulations, ses cris ?) et d’analyser en équipe pluridisciplinaire l’ensemble de ces informations.

Ce changement de temporalité n’est ni une perte de temps ni une perte d’efficience dans la mesure où vouloir réagir vite nous amène souvent à surréagir et à limiter nos interventions pour empêcher le comportement. Ces temps d’observation et d’analyse offrent l’opportunité d’ouvrir de nouveaux champs d’intervention pour agir sur les causes et sur les conséquences, et pour permettre l’apparition d’un comportement alternatif.

UNE VISION SALUTAIRE POUR LES SOIGNANTS

Envisager les troubles du comportement autrement, sous un autre angle, c’est aussi se donner la possibilité de retrouver le cœur de son métier et de ses engagements en tant que professionnel de santé. C’est ne plus se focaliser uniquement sur le problème pour se recentrer sur la personne soignée. Mais c’est également mettre en avant le « prendre soin » dans toutes ses dimensions : étayage, maternage, pare-excitation… En cela, ce changement de regard est salutaire. Par pression liée au résultat, au respect des procédures, par manque de temps, d’effectif, de formation, de temps d’analyse des pratiques, les soignants sont trop souvent amenés à faire ou à dire des choses qui les heurtent. À long terme, cette souffrance éthique, cette absence de sentiment d’empowerment, ce découragement de ne pouvoir être soi sont délétères pour les prises en charge des patients et l’engagement des soignants.

RÉFÉRENCES

• Argenty J., Précis de soins relationnels, éditions Lamarre, 2018.

• Brioul M., Comprendre et gérer la violence en institution médico-sociale, Esf Éditeur, 2019.

• Charazac P., Soigner la maladie d’Alzheimer, éditions Dunod, 2012.

• Ciccone A., Bonnefoy C., Bonneville-Baruchel E. et al., La Violence dans le soin, éditions Dunod, 2014.

• De Hert M., Raisonner la déraison, éditions Frison Roche, 2000.

• Dejours C., Souffrance en France, éditions Seuil, 1998.

• Demoures G., Strubel D., Prise en soin du patient Alzheimer en institution, éditions Masson, 2006.

• Einfeld S., Emerson E., Les comportements-défis, éditions De Boeck Supérieur, 2016.

• Ferey J.-M., La gestion de l’agressivité en institution, éditions Chronique Sociale, 2013.

• Landreville P., Rousseau F., Vézina J., Voyer P., Symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, éditions Maloine, 2005.

• Laxer G., Trehin P., Les troubles du comportement, éditions Autisme France Diffusion, 2008.

• Pellissier J., Ces troubles qui nous troublent, Éditions Érès, 2019.

• Magerotte G., Willaye E., Intervention comportementale clinique, éditions De Boeck Supérieur, 2010.

À lire

Troubles du comportement, guide pratique d’intervention non médicamenteuse pour les soignants, Hervé Menaut, éditions Lamarre, 2021. Cet ouvrage, illustré de situations cliniques, décrit et analyse huit troubles du comportement fréquents. Un guide pour accompagner les soignants au quotidien.

En libéral ou en HAD

Ce travail de changement de regard sur les troubles du comportement ne peut se faire sans une collaboration avec les familles. Celles-ci sont souvent déroutées et très insécurisées par le trouble du comportement et ses conséquences. Il paraît donc nécessaire d’associer les proches à l’observation des troubles en leur donnant des outils. Ainsi, ils peuvent retrouver une part active dans une situation qui leur échappe. Reste la notion de temporalité : ne pas avoir de solution immédiate et efficace à proposer à la famille demande de bien expliquer notre démarche. L’impossibilité du « tout, tout de suite », qui n’est pas synonyme du « rien, toujours », nécessite parfois de prévoir des modalités de décompression pour les familles.

Cas clinique

Une résidente en Ehpad agressive lors du repas

Madame N., âgée de 87 ans, est en maison de retraite depuis deux ans. Son admission fait suite à un accident vasculaire cérébral qui lui a laissé de nombreuses séquelles, parmi lesquelles un déficit dans la compréhension et l’expression verbale. La résidente a reçu des visites tout l’après-midi et le réfectoire dans lequel sont pris les repas est bruyant. Madame N., qui n’a pas choisi ses voisins de table, est désagréable et agressive, voire insultante, avec les résidents ainsi qu’avec le personnel. Tout le monde évite donc de lui adresser la parole. On note que le comportement peut avoir pour but d’éviter un échange verbal dans un environnement peu adapté, et après un après-midi ayant demandé des efforts et entraîné de la fatigue. Une analyse des éléments en amont et en aval du trouble du comportement permettra de mieux le comprendre et de saisir sa fonction dans la dynamique du patient.

Savoir +

QUELQUES OUTILS

Pour pouvoir analyser les troubles du comportement, il est important de se doter d’outils permettant d’avoir une observation à la fois descriptive, mesurable et précise. Dans ce cadre, des grilles et des échelles sont disponibles : inventaire neuropsychiatrique (NPI) ; échelle d’évaluation des troubles du comportement pour adultes avec autisme (ETCAA) ; Positive behavior support (PBS) ; échelle d’agitation de Pittsburgh ; échelle d’agitation de Cohen-Mansfield ; évaluation des personnes âgées difficiles qui épuisent (Epade) ; Nurses’ Observation Scale for Geriatric Patients (Nosger) ; échelle révisée de déambulation d’Algase ; échelle d’évaluation des comportements sexuels inappropriés St Andrew’s Sexual Behaviour Assessment (Sasba).