L'infirmière n° 017 du 01/02/2022

 

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JURIDIQUE

Gilles Devers  

avocat à la Cour de Lyon

Défaut de surveillance d’une cure de chimiothérapie, défaut d’information dans le contexte de l’urgence ou encore mauvaise réalisation d’une trachéotomie. Voici trois décisions de jurisprudence évoquant la notion de responsabilité*.

EXTRAVASATION : FAUTE INFIRMIÈRE ET DE SERVICE

Une IDE qui néglige la surveillance d’une première cure de chimiothérapie commet une série de fautes qui engagent la responsabilité (CAA de Paris, 8e chambre, 23 septembre 2021, n° 20PA01902).

Faits

Une patiente atteinte d’un adénocarcinome du sein avancé, diagnostiqué en mai 2014, a reçu, le 27 mai, dans un centre hospitalier, une première cure de chimiothérapie palliative durant laquelle une extravasation s’est produite. La toxicité du produit a causé des douleurs et une nécrose des tissus affectés qui a nécessité douze interventions chirurgicales, dont une greffe de peau. La patiente est décédée le 16 janvier 2015 des suites de son cancer. Le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné le centre hospitalier à verser des indemnités.

Analyse

La chimiothérapie prescrite était adaptée à la maladie. La mise en place du site implantable et la pose du cathéter la veille de la cure, et les vérifications préalables à l’injection des produits le lende main ont été réalisées dans les règles. Ainsi, lorsque la cure a débuté à 14 h 15, le dispositif était bien en position intracavitaire et perméable. Alors que la première cure est la plus délicate avec un risque important d’allergie, la patiente n’a pas bénéficié d’une surveillance appropriée pendant l’injection des produits, ce qui a conduit à ce que trente minutes s’écoulent entre le début de l’injection de l’épirubicine à 15 h et le diagnostic d’extravasation posé par une infirmière à son arrivée au chevet de la patiente, après avoir été alertée par son mari. En outre, la perfusion n’a pas immédiatement été arrêtée par la soignante, comme cela aurait dû l’être, un délai de 15 minutes s’étant encore écoulé entre ce constat et l’arrêt de l’injection. L’infirmière n’a pas tenté non plus de retirer le maximum de produit résiduel de la chambre du dispositif intraveineux ni effectué une injection de 5 à 10 ml de chlorure de sodium isotonique pour diluer les produits toxiques. Or, ces actions immédiates auraient permis d’atténuer la toxicité des produits en tentant d’en retirer un maximum ou de les diluer dans les tissus alentour. Il ressort également du rapport d’expertise que, au moment des faits, il n’existait pas de procédure particulière pour la prise en charge d’une extravasation, alors que l’injection d’un produit de chimiothérapie via un cathéter nécessite une surveillance spécifique avant et pendant le traitement, que le risque d’extravasation est la toxicité aiguë la plus redoutée survenant dans 3 % des cas et qu’il convient, si cela se produit, d’agir immédiatement pour limiter la gravité des lésions de nécrose cutanée. Par suite, ces manquements dans le diagnostic et la prise en charge sont constitutifs d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

DÉFAUT D’INFORMATION DANS L’URGENCE

Une information insuffisante du patient est une faute, mais celleci n’engage pas la responsabilité lorsque, dans un contexte d’urgence, l’intervention chirurgicale s’imposait (CAA de Bordeaux, 2e chambre, 13 juillet 2021, n° 19BX02007).

Faits

Un homme victime d’un malaise le 3 janvier 2016 a été conduit par le Smur vers un centre hospitalier. Une coronarographie a été réalisée en urgence, suivie d’une angioplastie de la circonflexe moyenne, de la coronaire droite proximale et de la coronaire droite distale avec implantation de trois stents actifs. Reprochant au centre hospitalier l’implantation de ce matériel sans son accord, le patient demande l’indemnisation pour cette faute.

Droit applicable

L’article 163 du Code civil précise : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne […]. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. » Aux termes de l’article L 11114 du Code de la santé publique, « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables ». Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. » Aux termes de l’article R 412736 du Code de la santé publique, « le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. » « Hors les cas d’urgence ou d’impossibilité de consentir, la réalisation d’une intervention à laquelle le patient n’a pas consenti oblige l’établissement responsable à réparer tant le préjudice moral subi de ce fait par l’intéressé que, le cas échéant, toute autre conséquence dommageable de l’intervention » (Conseil d’État, 5e et 4e sous-sections réunies, 24 septembre 2012, 336223).

Analyse

Le consentement n’a pas été recueilli par les médecins avant l’implantation des stents au cours de l’intervention, ce qui constitue une faute. Toutefois, la pose de ces stents était urgemment requise par l’état de santé puisque le patient présentait un infarctus du myocarde avec oblitération d’une artère coronaire entraînant une hypoxie des tissus puis, potentiellement, leur nécrose, et impliquait des troubles du rythme cardiaque d’une extrême gravité. Au vu de la persistance de douleurs thoraciques au moment de la prise en charge, d’un syndrome coronaire aigu avec sus-décalage persistant du segment ST, de la complication du tableau clinique par un miroir à l’ECG et de la présence de lésions tritronculaires, il fallait intervenir immédiatement pour poser les stents et permettre une désoblitération artérielle la plus précoce possible, et ainsi limiter la zone du myocarde en souffrance et prévenir les troubles potentiellement mortels du rythme cardiaque. Dans ces conditions, l’urgence commandait l’intervention contestée, de sorte que la responsabilité médicale ne saurait être engagée.

TRACHÉOTOMIE HORS BLOC

Pratiquer une trachéotomie en réanimation et non au bloc opératoire a conduit à une mauvaise réalisation de l’acte avec des effets délétères. Une faute engageant la responsabilité (CAA de Versailles, 4e chambre, 12 avril 2021, n° 19VE02839).

Faits

Le 5 octobre 2012, un homme de 27 ans a été hospitalisé pour une trachéotomie visant à pallier une insuffisance respiratoire causée par une myopathie à un stade avancé. L’intervention, sans difficulté, a été suivie de plusieurs expulsions de la canule, d’une inflammation de la trachéotomie, de douleurs, d’un pneumothorax, d’un pneumomédiastin et, le 14 octobre, d’une hémorragie brutale au niveau de la trachée et des poumons. Le patient a été transféré le 15 octobre en réanimation où il est décédé.

Analyse

L’intervention, prévue de longue date, s’est déroulée dans le service de réanimation et non au bloc. Le centre hospitalier soutient que pratiquer une trachéotomie au lit du patient est admis et validé dans la littérature médicale. Il n’en demeure pas moins qu’une intervention au bloc, dans des conditions de sécurité maximale, aurait permis de bien définir la hauteur de l’ouverture de la trachée à la base du cou afin d’éviter les complications. Les décanulations successives, associées au caractère inflammatoire de la trachéotomie et aux douleurs dont s’est plaint le patient, traduisent une mauvaise adaptation de la canule à la trachée, notamment en raison du niveau de la trachéotomie. Le patient a rapidement présenté une atélectasie de la base pulmonaire droite résultant du fait que la canule ne ventilait qu’un seul poumon.

Selon les experts, une telle situation est exceptionnelle avec une canule de trachéotomie qui n’est en principe pas assez longue pour aller jusque dans la bronche, et ne s’explique que par le fait que la trachéotomie a été réalisée trop bas sur la trachée, à proximité anormale de la bronche.

Cette intervention chirurgicale, qui n’a pas été conforme aux règles de l’art, est donc une faute qui engage la responsabilité.

* Sources : Objectif Soins & Management, n° 282, août-septembre 2021, n° 283, octobrenovembre 2021, et n° 284, décembre 2021-janvier 2022