DES ÉVOLUTION NÉCESSAIRES POUR VIABILISER ET CLARIFIER LA PRATIQUE AVANCÉE
PROFESSION
JE DÉCRYPTE
LE MOIS EN BREF
L’Igas a rendu public le 5 janvier son très attendu rapport « Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé »*, faisant notamment un premier bilan sur l’exercice des IPA. Des pistes d’évolution sont proposées par la mission, qui a rencontré plus de 200 interlocuteurs.
Dans un contexte de revendication croissante d’autonomie des professionnels paramédicaux et d’inquiétude de la population sur l’accès aux soins, le ministre de la Santé a confié à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) « une mission d’évaluation des dispositions visant à reconnaître et développer les compétences des professionnels non médicaux pour les mettre en capacité d’intervenir dans des champs en principe réservés aux médecins ». Elle a choisi d’intégrer dans ses réflexions une appréciation large de la situation des coopérations et partages de compétences, « s’efforçant à la fois de répondre aux attentes urgentes des professionnels rencontrés, notamment les infirmiers en pratique avancée (IPA) et les infirmiers anesthésistes (Iade), et d’identifier les sources profondes des difficultés constatées ». L’Inspection note d’ailleurs que dans ce contexte d’émergence des nouveaux partages de compétences, « le modèle, qui perpétue le principe d’une intervention des professionnels de santé non médicaux comme dérogatoire au monopole d’exercice des médecins, n’a pas su accorder à ces professionnels toute la reconnaissance des compétences qu’ils demandent ». Elle entend ainsi proposer un certain nombre de pistes pour y parvenir.
Du côté du terrain, les représentants des IPA se félicitent de la publication d’un tel rapport car « de longue date, nous alertons sur les difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans le cadre de notre exercice », rappelle Ludivine Videloup, présidente de l’Association nationale française des IPA (Anfipa).
Parmi les points d’évolution mentionnés par l’Igas, l’épineux sujet du modèle économique de la pratique avancée en France. Deux axes sont notamment évoqués.
Tout d’abord, la revalorisation de la rémunération des IPA hospitaliers et libéraux. « Cela fait longtemps que nous la demandons, rappelle Julie Devictor, présidente du Conseil national professionnel (CNP) IPA. Certes, malgré un salaire peu élevé au regard de leurs compétences, les IPA hospitaliers peuvent tout de même travailler. En revanche, pour les IPA libéraux, le modèle actuel rend leur installation et la pérennité de leur activité difficiles. » La mission propose une meilleure rémunération des libéraux avec une redéfinition du dispositif conventionnel mis en place et les conditions d’octroi du for fait installation. Pour l’hôpital, elle suggère de créer un régime indemnitaire pour les IPA, avec un objectif d’harmonisation pour l’ensemble des auxiliaires médicaux de grade Master. « À ce jour, les nouvelles grilles salariales de la fonction publique hospitalière suscitent de nombreuses interrogations sur la reconnaissance de la pratique avancée, indique Ludivine Videloup. Il est impératif de mener une réflexion sur le sujet avec l’ensemble des parties prenantes. » Car de la question de la rémunération et du modèle économique dépendent l’attractivité de la profession et sa pérennité. « Actuellement, lorsqu’ils constatent le salaire qui découle de la fonction, les infirmiers s’interrogent sur l’intérêt de suivre la formation IPA qui requiert un grand investissement personnel et professionnel, regrette-t-elle. À titre d’exemple, j’ai gagné 20 euros par mois en devenant IPA… »
Outre ce « modèle économique inadapté et sous-dimensionné », l’Igas constate que l’essor de la pratique avancée a notamment été contrarié par la dépendance des infirmiers aux médecins. « Nous sommes très contents que l’Igas soulève cette problématique de la dépendance des IPA à l’adressage médical, reconnaît Julie Devictor. En ville, les IPA ne disposent pas de leur propre patientèle, et si les médecins arrêtent leur activité ou ne souhaitent plus collaborer avec les IPA, ces derniers se retrouvent sans rien. Ils sont en posture de précarité. »
D’autres mesures « rapides » sont « impératives » pour l’Igas, toujours dans le but de viabiliser et assurer l’attractivité de l’exercice en pratique avancée. Parmi elles, l’élargissement du périmètre d’intervention des IPA par la correction des textes leur interdisant de primoprescrire certains traitements (antalgiques, soins infirmiers ou de rééducation…) ou prestations (avis d’arrêt de travail, prescriptions de transport…) nécessaires à l’accompagnement des patients. Cette évolution « nous paraît elle aussi essentielle, appuie Ludivine Videloup. Il ne faut pas oublier que le patient est au cœur du système. Tout ce que nous souhaitons, c’est une simplification des modèles pour les patients, ce qui repose notamment sur cet élargissement de notre périmètre d’intervention. » « Constater que le rapport met en avant des besoins supplémentaires montre bien que le modèle doit être repensé très vite pour que nous puissions y répondre, soutient Jérémie Montauban, viceprésident de l’Anfipa. Nous devons travailler à ce que le parcours du patient soit plus fluide. C’est ce que nous attendons des IPA mais que nous ne pouvons pas mettre en place pleine ment en raison de cette liste d’actes qui nous limite. »
Certaines mesures soutenues par l’Igas suscitent toutefois l’incompréhension des représentants des IPA, parmi lesquelles la proposition d’élargir la notion de pratique avancée en distinguant deux types : les infir miers en pratique avancée spécialisés et les infirmiers praticiens en pratique avancée. « Cette double distinction risque d’ajouter de la confusion, s’inquiète Julie Devictor. Nous soutenons davantage la création d’une nouvelle mention car nous sommes très attachés à un socle commun de formation et à une identité professionnelle commune. » « On a l’impression que la pratique avancée est considérée comme l’unique solution à la reconnaissance de l’expertise infirmière en France », renchérit Ludivine Videloup. Et Jérémie Montauban de compléter : « Il est vrai que le modèle français des IPA est un mélange entre les infirmiers cliniciens et les infirmiers praticiens, ce qui laisse peu de place à un autre modèle à appliquer aux autres IDE. »
De son côté, le Syndicat national des infirmiers anesthésistes (Snia) se réjouit que l’Igas plaide pour la reconnaissance de la pratique avancée aux Iade. Néanmoins, il n’est pas non plus favorable à cette double distinction proposée par la mission. « Nous avons abordé le sujet lors de notre échange avec le ministre de la Santé, Olivier Véran, le 10 janvier, indique Christophe Paysant, président du Snia. Le ministre n’a pas encore tranché sur le modèle qui va s’appliquer, mais il soutient la nécessité de créer un espace statutaire adapté à la profession des Iade, qui exercent historiquement en pratique avancée. » Une évolution statutaire qui devrait se traduire, dans les prochains mois, par une modification législative des textes portant sur les auxiliaires médicaux en pratique avancée afin d’y intégrer les infirmiers anesthésistes. Ces derniers ne souhaitent pas pour autant être assimilés au modèle des IPA tel qu’il existe en France, car cela impliquerait d’intégrer le même cursus de formation universitaire. « Étant une profession à haute technicité, notre formation doit demeurer principalement technique », réclame Christophe Paysant, précisant vouloir également conserver l’appel lation « Iade ». La formation pourrait toutefois être amenée à changer car « nous allons profiter de cette reconnaissance statutaire pour faire évoluer, sur le plan réglementaire, les compétences des Iade et ainsi travailler à un élargissement de l’exercice, notamment sur le périinterventionnel ». Mais « il faut être vigilant sur la façon dont le statut va être identifié, prévient Ludivine Videloup. La pratique avancée doit être préser vée pour que cela soit clair pour tous : les patients, les médecins et les autres professionnels paramédicaux avec lesquels nous sommes tous amenés à travailler ».
Autre point qui pourrait être générateur de confusion d’après les représentants des IPA : la proposition de l’Igas d’étudier des modalités de validation des acquis personnels et/ou professionnels (Vapp) partielle, permet tant à l’ensemble des infirmiers Asalée d’accéder de façon facilitée au diplôme d’État IPA et envisager la fusion, à terme, des dispositifs.
La définition et l’évolution des statuts et des compétences de chacun devrait avoir lieu dans les prochains mois. D’autant plus qu’Olivier Véran multiplie les rencontres. Ainsi, le 10 janvier dernier, il a également échangé avec les représentants des infirmiers de bloc opératoire (Ibode) et acté la mise en place d’un groupe de travail sur les pratiques avancées de cette spécialité, lesquelles permettraient d’augmenter leur champ de compétences vers plus d’autonomie. En attendant, de leur côté, les représentants des IPA se disent « en alerte » sur l’échéancier prévu pour la mise en œuvre des mesures, surtout dans le contexte des élections présidentielles à venir.
* Le rapport de l’Inspection générale des affai res sociales est disponible sur : bit.ly/3HXSZsK
Mis en place en 2009, les protocoles de coopération (lire notre article « Protocoles de coopération explicités par la DGOS », dans L’Infirmièr.e n° 15-16, décembre 2021-janvier 2022) visent à autoriser des transferts d’activités entre professionnels, dérogatoires aux décrets d’actes en vigueur, sans toutefois conférer aux délégataires une réelle autonomie décisionnelle. « Tels qu’ils ont été utilisés depuis leur création, les protocoles ont non seulement permis de régulariser des glissements de tâches déjà existants, mais aussi d’expérimenter de nouvelles formes de coopération et d’organisation », rappelle l’Igas. Pour la mission, il est nécessaire d’assurer une cohérence entre les protocoles de coopération et les compétences des IPA « en différenciant à l’avenir les protocoles destinés aux IDE de ceux destinés aux IPA, le périmètre des dérogations accordées aux premiers s’efforçant de ne pas excéder les compétences et autorisations accordées par la loi aux seconds ». Il est également nécessaire de prévoir une représentation des IPA dans le Comité national des coopérations interprofessionnelles pour assurer la cohérence entre les protocoles de coopération et les mentions de la pratique avancée. Une mesure soutenue par le CNP IPA.
La mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) considère qu’une réflexion est incontournable sur la refonte de la structuration des professions de santé dans le Code de la santé publique, dans le contexte de l’essor des coopérations interprofessionnelles et de la montée en compétences des paramédicaux. Une réflexion qui devra notamment s’intéresser aux périmètres d’intervention qui doivent être revus pour passer d’un système de cloisonnement à un système de partage, et à la place des professionnels de santé dans le parcours de soins, laquelle doit être optimisée pour répondre au mieux aux besoins des patients. Concernant plus particulièrement les infirmiers en pratique avancée, au-delà de la question juridique et formelle, leur constitution en profession interroge en réalité surtout leur positionnement par rapport aux infirmiers et aux médecins à double titre. Tout d’abord par rapport aux catégories juridiques du Code de la santé publique, celles-ci apparaissant aux yeux de l’Igas de plus en plus désuètes au regard des qualifications actuelles des professionnels. Puis dans le parcours de soins, avec la question de l’accès direct en premier recours. La mission propose d’expertiser la tenue d’une convention citoyenne sur la refonte de l’organisation du système de santé et des professions.