Depuis 2018, des équipes de soins primaires (ESP) coordonnées localement autour du patient sont expérimentées dans les Pays de la Loire. Un modèle qui pourrait bientôt être étendu au niveau national.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, la coordination entre professionnels de santé a un impact décisif sur la qualité de la prise en charge des patients, rappelle Ghislaine Meillerais, infirmière libérale et présidente de l’association ESP Clap (Équipes de soins primaires coordonnées localement autour du patient) Pays de la Loire. Forts de cette conviction, en 2016 nous avons entamé une réflexion sur la manière de développer les soins coordonnés autour du binôme essentiel médecin-IDE. » Deux ans plus tard, le concept d’ESP Clap était né, soit un modèle très souple, permettant une coordination efficace sans les contraintes administratives habituelles et offrant aux professionnels une grande autonomie. Moins de pape rasse, c’est le rêve de tout soignant. Il faut dire que le cahier des charges a été défini avec l’Agence régionale de santé (ARS) et la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), suite à une enquête qualitative menée auprès des professionnels de la région pour déterminer leurs besoins. « Cette enquête a révélé qu’ils ne souhaitaient pas investir trop de temps dans une organisation lourde, car la démographie médicale est plutôt tendue sur notre territoire, rapporte Ghislaine Meillerais. Par ailleurs, ils estimaient que la coordination équivaut à un temps de soin, et qu’il devrait donc être indemnisé en tant que tel. » En réponse à ces attentes, l’association régionale ESP Clap voit le jour en 2018 pour décharger les soignants de certaines tâches administratives liées à la coordination. Elle assure par exemple l’interface entre les équipes et leur financeur, l’ARS. Celle-ci alloue à chacune un budget annuel de 10 000 euros pour rémunérer les réunions de coordination, les visites conjointes au domicile des patients ainsi que l’élaboration de plans personnalisés de santé et de protocoles inter professionnels. Les ESP sont également accompagnées dans la rédaction de leur projet de santé par l’association, laquelle leur fournit une trame et une boîte à outils.
Expérimentées depuis trois ans, les ESP Clap connaissent déjà un beau succès : 66, comprenant en moyenne 12 membres, sont en activité. Et une cinquantaine de contacts ont été pris avec des professionnels. Mais « l’ARS a mis le holà, déplore Ghislaine Meillerais. Désormais, il ne peut s’en créer que dans les zones prioritaires du zonage médecin défini par l’ARS. Nous le regrettons car cela crée des inégalités géographiques. »
Dans la mesure où elles dépendent des besoins et problématiques repérés sur la patientèle de chaque territoire, les projets de santé sont très variés. La plupart tournent autour de la prise en charge de personnes vulnérables (âgées, précaires, handicapées, etc.), du maintien à domicile ou des soins palliatifs. En février dernier, un audit externe a évalué le dispositif. Si le bilan est globalement « très positif », dixit l’association, quelques suggestions d’ajustement ont d’ores et déjà été prises en compte. Car l’association affiche des ambitions plus larges. En effet, l’Assurance maladie a annoncé le lancement d’une expérimentation nationale sur les ESP. L’ESP Clap travaille déjà sur la coconstruction d’un cahier des charges à présenter, dans l’espoir que son modèle soit retenu. « Vu notre antériorité, nous sommes convaincus de la pertinence de notre organisation, sourit, confiante, Ghislaine Meillerais. Nous mettons tout en œuvre pour remporter la palme. Et si c’est le cas, notre modèle pourrait être généralisé au niveau national dès 2023. »
Clémence Pinier et Adélaïde Drouet, infirmières libérales, travaillent plus efficacement avec les médecins grâce à l’ESP Clap de Chemillé* (Maine-et-Loire).
« Sur notre territoire, la démarche a été initiée par un médecin qui voulait uniformiser nos pratiques. Bien que nous travaillions ensemble depuis longtemps, la coordination n’était pas toujours optimale. Nous dérangions souvent les médecins car les ordonnances ne comprenaient pas toutes les mentions utiles, notamment sur les pansements. L’ESP Clap nous a permis de prendre le temps de nous rencontrer pour créer une ordonnance-type. Aujourd’hui, les généralistes ne nous font plus de prescription pour des actes hors nomenclature, ce qui arrivait régulièrement avant ! L’ESP Clap nous a aussi fourni un outil de communication efficace, la messagerie MSSanté, que nous utilisons pour partager des comptes-rendus et des photos. Par ailleurs, auparavant, les médecins avaient de vraies interrogations sur notre mode de fonctionnement et il nous était difficile de prendre le temps de nous rencontrer pour leur répondre. Désormais, on se retrouve chaque trimestre pour échanger sur un thème différent : la vaccination, le Mois sans tabac, l’amélioration des pratiques avec l’hôpital de proximité… Et afin de ne pas allonger nos journées déjà bien chargées, nous programmons ces réunions de concertation sur nos horaires de travail. Sur la vingtaine de professionnels de l’ESP Clap, nous sommes surtout en rapport avec les généralistes, que nous avons appris à connaître. Mais nous avons aussi noué des liens avec les pharmaciens : nous avons choisi ensemble un type unique de set à perfusion. Ainsi, ils n’ont plus besoin de nous appeler pour vérifier quel modèle délivrer. »
* Mise en place en janvier 2019, elle réunit dix médecins généralistes, sept infirmières et quatre pharmaciens.
Teddy Pierre-Duplessix, infirmier libéral, témoigne d’initiatives innovantes menées de concert avec l’ESP Clap de Jallais* (Maine-et-Loire).
« La coordination ne m’était pas vraiment inconnue car je travaille en maison de santé pluridisciplinaire (MSP).C’est pourquoi, quand il y a deux ans un coordinateur envoyé par l’ARS est venu nous parler des ESP Clap, tous les professionnels de la MSP ont décidé d’adhérer. Puis nous avons été rejoints par la pharmacie. Cette structure encadre plusieurs activités : la création de plans personnalisés de soins, l’organisation de réunions de concertation, la mise en place de protocoles (nomenclature et hors nomenclature). Chaque année, nous pouvons participer à douze réunions autour du patient et dix sans patient, lesquelles sont défrayées 60 euros pour les paramédicaux et 75 euros pour les médecins et les pharmaciens. Récemment, nous avons ainsi organisé au CHU d’Angers une réunion avec une quinzaine de professionnels autour d’une petite fille handicapée que nous suivons sur le long cours. Cela nous a permis de redéfinir le rôle de chacun car nous, infirmiers à domicile, ne recevions pas toujours les retours de l’hôpital… La possibilité de mettre en place des protocoles, y compris hors nomenclature, permet par ailleurs de proposer de nouvelles prises en charge que nos patients ne pouvaient pas financer. Par exemple, l’ESP Clap a proposé une consultation avec une ergothérapeute (rémunérée par l’association), gratuite pour le patient. Sur ce même modèle, nous pouvons aussi faire de la prévention de l’obésité avec l’intervention de la diététicienne. Il suffit d’envoyer le protocole avec les critères d’inclusion des patients à l’association qui nous aide à le peaufiner. Nous en avons déjà élaboré trois et avons été accompagnés durant tout le processus. Ce mode d’organisation nous fournit aussi un socle qui renforce le collectif. Les comptes-rendus de réunion sont envoyés systématiquement aux absents par l’association. Avec mes collègues, nous sommes tellement satisfaits de cette coordination renforcée que nous avons décidé de nous constituer en association, et nous répondons aux appels à projets de l’Agence régionale de santé. Nous avons déjà proposé un atelier culinaire autour de la réduction du gras et du sel dans l’alimentation, des ateliers mémoire à l’Ehpad… Pour nous, c’est un prolongement naturel de l’ESP Clap. »
* Créée fin 2019, elle comprend un psychologue, un orthophoniste, deux médecins, trois infirmiers, une sage-femme, un ostéopathe, un podologue, un naturopathe, une ergothérapeute et une diététicienne.