IDE ET AS INVESTIGUENT SUR LE RÉTABLISSEMENT DES PATIENTS
CARDIOGÉRIATRIE
JE RECHERCHE
PARCOURS
Une dizaine de paramédicaux mènent une recherche pour affiner la mesure de la diurèse des patients hospitalisés pour une insuffisance cardiaque. Un travail au long cours coordonné par la cadre du service. L’objectif : améliorer la qualité des soins et valoriser les compétences paramédicales.
Lors de leur réunion hebdomadaire, les soignants du service de cardiogériatrie du CHU de Poitiers soulèvent une nouvelle fois la question. Sont-ils obligés d’avoir recours au sondage urinaire pour adapter le traitement diurétique des insuffisants cardiaques qu’ils prennent en charge ? Dirigés vers le service après un passage aux urgences, les patients suivent un traitement dont l’efficacité dépend de la précision de la mesure de leur diurèse. « On connaît le risque infectieux que représente la sonde, précise Sophie Pajoux, cadre du service. Mais c’est aussi une gêne supplémentaire. Certains patients l’arrachent durant la nuit. Elle peut également occasionner une dépendance. » Ce jour-là, ce questionnement débouche sur un défi : recueillir des données objectives pour proposer une alternative. La cardiogériatre du service soutient le projet qui sera porté par Sophie Pajoux, et mené par une dizaine de soignants, prêts à se lancer dans l’aventure.
La cadre constitue des binômes aides-soignantes/ infirmières. « Au départ, il y avait toute la bibliographie à explorer. Avec les travaux de fin d’études, les infirmières ont un peu acquis cette démarche, ce qui n’est pas le cas des aides-soignantes », explique Sophie Pajoux. Le CHU propose alors des ateliers de soutien à la recherche qui s’avèrent précieux, notamment pour aborder la littérature scientifique en anglais. Rapidement, l’équipe de chercheurs se tourne vers la pédiatrie où, pour mesurer la diurèse, on pèse les protections des nouveau-nés. « Des membres du groupe se sont rendus en pédiatrie pour voir comment se passait cette pesée, poursuit la cadre. Nous avons été étonnés, même en demandant à des services de pédiatrie d’autres centres, de ne jamais avoir obtenu de procédure ou de protocole. » Dans la littérature, peu de données sont disponibles, mais une thèse datant de 1971(1) apporte une base scientifique. Peu à peu, le projet s’affine et l’écriture d’un protocole de recherche débute. L’IDE du CHU en charge du soutien de la recherche paramédicale fournit les trames sur lesquelles s’appuyer pour formuler le projet. Le travail de rédaction, long et prenant, permet d’avancer. Lydie Maillochon, qui est aide-soignante, est l’un des piliers du groupe : « Dans notre quotidien, nous avons peu recours à l’écrit. Nous sommes dans un métier “tactile”. C’était bien de fonctionner avec une infirmière, car nous écrivions, elle reprenait, puis nous transmettions le tout à madame Pajoux. » La cadre soumet la relecture du projet à la cardiogériatre du service. L’IDE qui accompagne l’équipe oriente également les chercheurs vers un médecin de la plateforme de soutien méthodologique. La relecture complémentaire de médecins experts en méthodologie de la recherche permet d’avancer dans la bonne direction. Et l’idée s’impose de se concentrer sur les patients incontinents, porteurs de protection. Il s’agira d’évaluer une technique non invasive de recueil urinaire pour l’« Adaptation du traitement diurétique chez le patient incontinent insuffisant cardiaque de plus de 75 ans en phase aiguë » (Atiica). L’étude sera comparative et non interventionnelle. Ceux qui s’amusent à s’appeler les “Atiiciens et Atiiciennes” voient se dessiner une entrée en lice pour les appels à projets.
En 2019, une première version d’Atiica présentée pour le PHRIP n’est pas sélectionnée. Mais le moral des Atiiciens n’est pas entamé. Les commentaires apportés par le jury permettent de mieux cerner les passages imprécis du protocole. « Nous formulions nos pratiques et nous étions tellement dedans qu’on ne pouvait pas s’apercevoir que par moments, nous n’étions pas compréhensibles. Un mot, pour nous, c’est tellement évident, mais pour un lecteur extérieur, c’est différent », analyse Lydie Maillochon. La même année, l’équipe essuie un nouveau refus. La demande de financement auprès du fonds de dotation Aliénor, lié au CHU de Poitiers, est rejetée. Ce nouveau coup dur est mal vécu. Les chercheurs ont engagé beaucoup de temps personnel dans un projet qu’ils n’imaginaient pas durer aussi longtemps, et la motivation s’essouffle. « Le professeur de la plateforme de soutien méthodologique qui nous suivait a tenu à nous rassurer, relate Sophie Pajoux. Il nous a expliqué que sur tous les projets qu’il voyait passer, seulement un sur dix remportait un appel à projet. Il fallait persévérer. » Cet apprentissage du temps long est complexifié par l’arrivée de la pandémie. La vie du service est bousculée, les équipes mélangées. Mais la cadre tient le cap. Le protocole peut être présenté à un nouvel appel à projet publié par le Groupement interrégional de recherche clinique et d’innovation Sud-Ouest outre-mer hospitalier (Girci Soho). Alors que tout est prêt, la date butoir de réception des dossiers est repoussée de six mois. Une nouvelle déception mais une possibilité de peaufiner le projet. En avril 2021, enfin la bonne nouvelle : Atiica est retenu par le Girci Soho.
Trois ans de travail enfin récompensés. Un soulagement et un passage à l’étape supérieure que Lydie Maillochon salue : « Pour l’équipe, ce que nous faisions n’était pas concret. C’était du temps perdu. Maintenant, leur regard a changé. » « Nous sommes satisfaits d’arriver dans le concret, renchérit Sophie Pajoux. On va pouvoir évaluer ce qu’on a écrit. Nous avons fait cela parce que nous pensons que ce sera bénéfique pour les patients. Et cela va peut-être nous amener ailleurs. » Le bénéfice attendu de l’étude est de raccourcir la durée de traitement intraveineux. Si la pesée des protections apporte une mesure précise de la diurèse, l’adaptation du traitement pourra être plus rapide. De plus, une perfusion retirée plus tôt signifie un retour à l’autonomie facilité. Or, le facteur temps est capital pour les patients âgés. « Durant l’hospitalisation, nous prenons en compte l’alimentation, la peur du retour à domicile…, précise Lydie Maillochon. Il y a tout un processus pour amener les gens à reprendre confiance en eux, qu’ils ne se dévalorisent pas. L’autonomie qu’ils avaient hier, ils la retrouveront après-demain. Durant la phase aiguë, ce sont des personnes très angoissées, très demandeuses de soutien. » En moyenne, le séjour en cardiogériatrie dure une dizaine de jours. Ensuite, certains patients peuvent être transférés en soins de suite et de réadaptation liés au service. Le regard des aides-soignantes est central pour évaluer l’évolution de leur état de santé. Le projet de recherche est donc une manière de valoriser leur travail et d’élargir leurs compétences. « Avec Atiica, nous sommes dans le pratique, au cœur du métier, souligne la cadre du service. L’aide-soignante doit être mise en avant au même titre que l’infirmière. Elle a un rôle capital auprès du patient. Je leur dis “Vous êtes à même de prendre les constantes, de dire, de notifier, de tracer, vous en avez les compétences.” À travers ce protocole de recherche, ce qui se joue, c’est la mise en écriture de compétences. » Une mise en écriture qui nécessite un travail de réflexion, de revisualisation et de mise en mots de ses actes en étant le plus précis et le plus juste possible. Mais les peurs ont été levées. « Nous sommes un groupe de travail, tous collègues, souligne Lydie Maillochon. Ça renforce la communication, on apprend à mieux connaître l’autre, ce qu’il fait. Maintenant, quand on est dans les soins, on n’a pas besoin de se parler, on va se comprendre, on anticipe. »
Le projet vient de recevoir l’accord du Comité de protection des personnes. Les inclusions vont donc bientôt pouvoir commencer. L’ensemble du personnel du service d’oncogériatrie sera formé à la pesée des protections, qui nécessitera l’utilisation d’un chariot dédié, l’obser vation de normes d’hygiène découlant des protocoles mis en place dans le CHU. Les passages seront réguliers auprès des patients et une grille de données spécifiques devra être remplie. Si les chercheurs ne se projettent pas plus dans l’avenir, ils espèrent pouvoir réévaluer les pratiques et les faire évoluer, aussi bien dans d’autres services qu’à domicile.
Avec l’obtention du financement du Girci Soho, la coordination des soins a demandé aux chercheurs de présenter leur projet devant les médecins et les cadres du pôle gériatrie. Après l’écriture, la prise de parole est un nouveau cap à franchir. « Les gens s’intéressaient et posaient des questions, c’est valorisant, témoigne Lydie Maillochon. Ils portent de l’intérêt pour ce que l’on va faire. À notre niveau d’aidessoignants, c’est gratifiant. » L’équipe a également retrouvé le fonds Aliénor, qui organise la Nuit des chercheurs. Lors de la dernière édition, Atiica a fait partie des quatre projets présentés aux côtés de travaux médicaux. Pour l’occasion, un poster scientifique a été réalisé. Une manière de diversifier et d’enrichir le quotidien des personnels soignants. Pour Sophie Pajoux, la présentation d’Atiica auprès d’autres professionnels de santé et du public est également l’occasion de promouvoir un exercice soignant mal connu : « Avant, notre structure n’était qu’un soin de suite qui est devenue médecine, s’est spécialisée. Les personnes pensent que nous ne faisons pas d’examens. Mais ici, nous sommes aussi dans la technicité. Le projet Atiica permet de montrer que nous sommes devenus experts, de promouvoir ce que sont capables de mettre en place les aides-soignantes et les infirmières auprès des patients de plus de 75 ans. »
Note
1. Mullens W., Damman K., Harjola V.-P. et al., “The use of diuretics in heart failure with congestion - aposition statement from the Heart Failure Association of the European Society of Cardiology”, European Journal of Heart Failure, 2019 Feb;21(2):137-55.
Autres sources
• Cudennec T., « Les troubles génito-urinaires ne sont pas une fatalité », Soins gérontologie, septembre 2014;19(109):19.
• Société française d’hygiène hospitalière, « Prévention des infections liées aux cathéters périphériques vasculaires et sous-cutanés », mai 2019. En ligne sur : bit.ly/3lLnGsE
• Delahaye F., « Utilisation des diurétiques dans l’insuffisance cardiaque congestive », Réalités cardiologiques, 9 juillet 2020. En ligne sur : bit.ly/3EHt3Ar
• Société française de cardiologie, Société française de gériatrie et de gérontologie, « Recommandations pour le diagnostic et la prise en charge de l’insuffisance cardiaque du sujet âgé », Archives des maladies du cœur et des vaisseaux, août 2004;97(7-8):803-22. En ligne sur : bit.ly/3pArgXy
• Bootsma A. J., Buurman B. M., Geerlings S. E., de Rooij S. E., “Urinary incontinence and indwelling urinary catheters in acutely admitted elderly patients: relationship with mortality, institutionalization, and functional decline”, Journal of the American Medical Directors Association, 2013 Feb;14(2):147.e7-12.
• Moustafa F., Macian N., Giron F. et al., “Intervention study with Algoplus: a pain behavioral scale for older patients in the emergency department”, Pain Practice, 2017 Jun;17(5):655-62.
Juin 2018 Proposition d’engager un projet de recherche.
2019 Lettre d’intention déposée pour le PHRIP non retenue. Financement auprès du fonds de dotation Aliénor refusé.
Septembre 2020 Envoi du dossier pour l’appel à projet Apires du Groupement interrégional de recherche clinique et d’innovation Sud-Ouest outre-mer hospitalier (Girci Soho).
Avril 2021 Financement accordé par le Girci Soho.
Novembre 2021 Accord du Centre de protection des personnes.
Atiica est une étude-pilote monocentrique comparative de type « avant/après » menée sur sept mois avec 80 patients de plus de 75 ans insuffisants cardiaques incontinents. Elle vise à comparer la durée du traitement diurétique IV entre deux groupes.
Durant les trois premiers mois, période “avant”, la mesure habituelle de la diurèse sans sondage urinaire sera effectuée sur un premier groupe. Les trois mois suivants, “après”, cette même mesure sera effectuée par pesée des protections des personnes du groupe expérimental.
Les objectifs secondaires visent à comparer, entre les deux groupes :
→ le taux de complications cutanées (périnéales et au point de perfusion) liées aux deux techniques d’évaluation de la diurèse ;
→ le confort du patient, avec recours à une échelle de douleur ;
→ le taux de recours au sondage vésical en cours d’étude ;
→ le taux de mortalité ;
→ la durée moyenne de séjour.
Dans le groupe expérimental, il s’agira de décrire la faisabilité de la réalisation de la pesée des protections.
Le critère d’évaluation principal de l’étude est le délai, en jours, entre l’administration du traitement diurétique en IV et le relais oral. Ce délai sera comparé entre la période “avant” et la période “après”.
Les critères de jugement secondaires résultent de la comparaison entre les deux groupes :
→ du taux de complications au point de perfusion, du taux de dermite irritative du siège, du taux de globes vésicaux ;
→ du confort du patient par l’échelle d’évaluation de la douleur Algoplus lors des soins quotidiens ;
→ du nombre de sondages urinaires ;
→ du nombre de patients décédés en intrahospitalier ;
→ du nombre de jours d’hospitalisation dans l’unité de médecine gériatrique/ cardiogériatrie. Dans le groupe expérimental, le nombre de sujets pour lesquels les mesures n’ont pas pu être réalisées et le nombre de patients exclus seront évalués.
Investigatrice principale du projet, Sophie Pajoux coordonne le travail de recherche collectif. « Il est important de missionner et de fixer des délais », estime la cadre de santé. Le projet progresse au fil des versions et des relectures. La mise en commun des connaissances et l’écriture en binôme se font à l’hôpital, dans la bibliothèque du service. « Sur les plannings, il y a la possibilité de décompter des heures, précise-t-elle. C’est une organisation souple. Je préviens les intéressées peu de temps en avance. » Ainsi, le fonctionnement infirmière/aide-soignante de coupure permet de libérer du temps. Les soignantes sont sur place, avancent sur le projet et peuvent intervenir en cas d’entrée ou de sortie de patient. Ce temps, reconnu par l’institution, est un réel soutien pour les chercheurs. « C’est peut-être pour cela que nous avons continué malgré les difficultés, suppose Lydie Maillochon. Comme Mme Pajoux nous ménageait du temps, on anticipait chez nous. Il y avait une partie recherche personnelle et quand on arrivait sur notre temps “atiicicien”, on avançait sur la partie rédactionnelle. » Quant à la cadre du service, elle ne compte pas ses heures pour suivre le projet.