L’ATTACHEMENT, UN CONCEPT ESSENTIEL À TOUT ÂGE
JE ME FORME
SCIENCES HUMAINES
cadre supérieur de santé, puéricultriceresponsable de formation continue et rédactrice en chef d’Objectif Soins & Management
La connaissance et la compréhension de la théorie de l’attachement sont fondamentales pour tout professionnel de sa nté. Mieux en appréhender les principes essentiels et leurs conséquences permet d’améliorer l’analyse des manifestations comportementales des patients et de leurs proches, et dès lors pou voir adapter les réponses soignantes.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation mondiale de la santé octroie au psychiatre John Bowlby, alors président de la Société britannique de psychanalyse, une subvention pour étudier les effets biologiques et psycho affectifs de la carence en soins maternels en lien avec les conséquences du conflit (1, 2). Son travail constituera les fondations de la théorie de l’attachement (et de son corollaire, à savoir la capacité de l’humain à se détacher) qui s’est, depuis, enrichie de multiples recherches ainsi que des apports des neurosciences et de la génétique. Le développement de ces travaux a rencontré de nombreuses résistances, particulièrement en France où la théorie psychanalytique a été prédominante durant la seconde partie du XXe siècle (1, 2). Pour autant, depuis les années 1980, les études se sont multipliées dans de nombreux champs, lesquelles permettent de mieux compren dre l’impact de l’attachement de l’être humain à ses semblables ainsi que son évolution tout au long de l’existence.
Après les premières publications de Bowlby et de ses collaborateurs, les prises de conscience ont entraîné d’importantes modifications concernant les conditions d’hospitalisation des enfants, et ont eu un retentissement essentiel sur l’accueil et l’implication des parents dans les services de pédiatrie. Car jusque dans les années 1980, dans les pays occidentaux l’enfant était hospitalisé seul et était parfois isolé, avec des conséquences sur les liens familiaux (augmentation des risques de maltraitance) ainsi que sur le développement affectif du jeune patient.
La théorie de l’attachement décrit l’importance des liens affectifs entre les êtres humains, et plus particulièrement la manière dont ces liens s’installent puis se développent dès la naissance entre le bébé et les autres personnes qui prennent soin de lui, le plus souvent la mère. L’étude de l’établis sement de ces liens permet d’en identifier les impacts tout au long de la vie, à différents moments clefs, en fonction de la manière dont ils se sont établis dans les premiers mois de vie.
Contrairement à nombre de théories linéaires pour lesquelles « une cause provoque un effet », celle de l’attachement s’inscrit dans une vision systé mique : le bébé, la personne qui prend soin de lui nommée « figure d’attachement principale », leurs interactions et l’environnement. Celuici est constitué d’éléments activateurs internes à l’enfant (douleur, fatigue, faim, etc.) et externes (stimulus effrayant, présence d’inconnus, absence de la figure d’attachement, etc.).
Cet attachement commence dès la grossesse et se développe dans les mois qui suivent la naissance, voire les trois premières années de l’enfant. Cette étape de développement initial aura un retentissement sur la façon dont l’individu sera en lien avec les autres. Dans la majorité des cas, à l’âge adulte, l’individu peut avoir de multiples relations, mais il a en général trois à six figures d’attachement, lesquelles se situent prioritairement dans son environnement familial (conjoint, parents, certains frères et sœurs) puis amical.
Au début de la vie, pour se développer le bébé a besoin d’une proximité physique, d’une personne sécurisante qui répond à ses besoins. Le plus souvent, il s’agit de sa mère biologique, puis, progressivement, d’autres personnes vont intégrer le cercle de relations de l’enfant. Au fil du temps et de son évolution, l’enfant intériorise la manière dont l’adulte a répondu à ses besoins. Si cette intériorisation s’est développée dans la confiance, c’estàdire que l’adulte a répondu de façon sécurisante à ses besoins, l’enfant peut continuer à explorer le monde en toute tranquillité parce qu’il sait qu’il peut revenir vers l’adulte en cas de besoin. C’est la base de sécurité (1, 3).
À partir des travaux réalisés par John Bowlby, puis par Mary Ainsworth, l’une de ses collaboratrices, plusieurs types d’attachement ont pu être identifiés (2, 5).
L’attachement sécure. Le parent répond de façon adaptée aux besoins de son enfant et aux signaux qu’il utilise pour attirer l’attention.
L’attachement insécure. L’adulte apporte une réponse inadaptée, incohérente aux signes que l’enfant utilise pour manifester ses besoins. Dans ce contexte, l’enfant va donc mettre en place des stratégies d’adaptation. On distingue plusieurs types d’attachement insécure, qui dépendent à la fois du comportement parental et de la manière dont l’enfant y réagit :
→ l’attachement insécure ambivalent : les interactions mère/enfant se font sans heurts, mais sans partage affectif. La mère a tendance à imposer ses choix, sans respecter les envies de son enfant qui ne se sent aimé qu’en cas de réussite. Ce type d’attachement est pourvoyeur d’anxiété ; l’attachement insécure détaché : la figure d’attachement principale est peu sensible aux signaux d’appel de son enfant tels que la détresse ou encore la douleur. L’enfant développe alors un comportement dans lequel il maîtrise ses émotions, devient indépendant. Il a peu d’interactions avec sa mère, et elles ne sont pas d’ordre affectif. Il est indifférent très précocement (dès l’âge de 12 mois) à sa figure d’attachement principale. Ultérieurement, il évitera les états émotionnels et les manifestations affectives, et présentera des inhibitions affectives ;
→ l’attachement insécure désorganisé a été décrit en 1991 par la psychologue Mary Main. Dans ce contexte, l’attachement est désorienté, l’individu développe un comportement chaotique, instable. L’enfant présente une perte de liens avec ses émotions et sa vie affective. Il ne parvient pas à développer de stratégie d’adaptation, en particulier face à des situations de stress.
Quel que soit le type d’attachement développé, il est intriqué à d’autres éléments tels que la personnalité, l’environnement et les événements de vie que l’individu sera amené à traverser.
Les impacts, multiples, se retrouvent au niveau :
→ des liens avec les autres humains et en particulier le rôle de protection. L’enfant développera un attachement d’autant plus sécure à l’égard des autres qu’il aura bénéficié lui-même de l’installation d’un attachement sécure. À l’âge adulte, il pourra à son tour développer son rôle parental et répondre de façon adaptée aux besoins de son enfant ;
→ de la confiance. Comme le met en évidence l’identification des types d’attachement, chaque personne développe une confiance en soi qui dépend de la confiance qu’elle a pu trouver chez l’adulte qui s’est occupé d’elle dans les premières années. Plus l’enfant a développé un attachement sécure, plus il a la capacité d’établir ultérieurement des relations de confiance ;
→ de l’estime de soi. La manière dont le sentiment de sécurité s’est développé chez le jeune enfant agit directement sur l’estime que l’enfant, puis l’adolescent et l’adulte, a de lui-même. Ainsi, plus l’attachement est sécure, plus l’individu est capable de développer une estime de soi de façon autonome. Ceci a un retentissement dans de nombreux domaines : relations avec les autres, réalisation de soi, confiance en soi dans la vie professionnelle comme personnelle ;
→ de la régulation des émotions. Lorsque l’attachement est sécure, l’enfant développe en grandissant des stratégies pour faire face à ses émotions négatives en dehors de la présence de sa ou ses figures d’attachement. Il est capable de trouver de meilleures stratégies pour gérer le stress et s’appuie davantage sur les autres (place de la confiance) en cas de besoin. On constate pour ces enfants une meilleure attention et un développement d’affects plus positifs. Ils sont également plus curieux, plus autonomes lors des jeux libres et pour explorer leur environnement. Ils présentent de meilleures interactions avec les autres, enfants comme adultes ;
→ du stress. Pour Guédeney, « la théorie de l’attachement s’intéresse à ce qui influence le bien-être émotionnel et les interactions sociales du sujet lorsqu’il est dans un contexte de stress, d’alarme et, de manière générale, d’émotions négatives(1) ». En effet, plus l’individu développe un attachement sécure dans les premières années de sa vie, plus il sera autonome pour mettre en place des stratégies dans les situations de stress qu’il rencontrera ultérieurement ;
→ de l’anxiété. Comme cela a déjà été signalé, un attachement insécure, en particulier ambivalent, fait le lit de l’anxiété, en raison des difficultés de l’enfant, puis de l’adulte, à développer des stratégies d’adaptation (coping) et à rechercher du soutien social dans son environnement lors de la confrontation à des situations stressantes.
Comme le mettent en évidence les recherches effectuées depuis plus de soixante ans, le concept d’attachement a énormément d’incidence sur les comportements humains, ce qui intéresse au plus haut point tous les professionnels de santé, dans de multiples circonstances. On peut citer, de façon non exhaustive :
→ la compréhension des réactions du patient et des personnes proches (caregiver) : en fonction de la sécurité de base du malade, du rôle joué par un proche pour la protection de celui-ci ;
→ le maintien du lien : la connaissance de la théorie de l’attachement entraîne la question de la place des proches auprès de la personne malade. Ceci a été particulièrement questionné au cours de la crise sanitaire. Les réponses apportées ont été très diverses, certains services parvenant à maintenir des possibilités de visites quand d’autres les ont totalement interdites(6) ;
→ la prévention et l’identification des situations de maltraitance : favoriser et évaluer les liens d’attachement permet d’identifier les situations de maltraitance ou de risque de maltraitance ;
→ la connaissance de soi : une meilleure identification de ses propres processus d’attachement et de leurs conséquences contribue, pour le soignant, à une meilleure connaissance de lui-même, dont on reconnaît qu’elle est nécessaire pour établir des relations professionnelles adaptées. Mais cela est également contributif de la reconnaissance de ses propres ressources, limites et aspirations.
On ne peut que regretter que, en dehors des professionnels de santé formés à la prise en charge des enfants, cette théorie soit encore méconnue de beaucoup de personnels soignants.
Comme on peut le constater, la compréhension des mécanismes de mise en place des liens établis par chaque être humain dès sa naissance a une incidence sur la manière dont il se développe, sur sa confiance en lui, ses relations aux autres, ses choix, ses capacités à gérer et surmonter les étapes difficiles et les situations de crise de l’existence. Ces moments sont souvent partagés avec les soignants qui, lorsqu’ils ont connaissance de cette théorie et la maîtrisent, parviennent à mieux comprendre, et donc à mieux accompagner le patient et son entourage. Mais quel que soit le type d’attachement, peu de situations sont définitivement figées. Toute difficulté dans l’établissement des liens précoces peut être corrigée. Tenir compte de cela est essentiel dans la relation de soins, et pas uniquement dans le champ de la santé mentale et auprès des populations pédiatriques. Les apports actuels des neurosciences mettent en évidence que la plasticité neuronale permet de reconfigurer le schéma initial, à condition évidemment que cette prise en charge se fasse lorsque cette configuration n’est pas encore figée.
Notes
1. Guédeney N., Guédeney A., L’attachement : approche théorique. Du bébé à la personne âgée, 3e édition, éditions Masson, 2010.
2. Dugravier R., BarbeyMintz A.S., « Origines et concepts de la théorie de l’attachement », Enfances & Psy, 2015/2 (n° 66), 1422. En ligne sur : bit.ly/3tfYjDL
3. Guédeney N., Guédeney A., Tereno S., L’attachement : approche clinique et thérapeutique, 5e édition, coll. « Les âges de la vie », éd. Elsevier Masson, 2021.
4. Wiart Y., L’attachement, un instinct oublié, éditions Albin Michel, 2011.
5. « La théorie de l’attachement : les 3 types d’attachement construits dans l’enfance et leurs répercussions à l’âge adulte », sur Apprendre à éduquer : bit.ly/3Gj0lqn
6. Dossier « Rompre l’isolement », Objectif Soins & Management, n° 282, août-septembre 2021.
Sources utiles
• Hélie S., Clément M.È., « Effets à court et à long terme de la maltraitance infantile sur le développement de la personne », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 2627 « La maltraitance pendant l’enfance et ses conséquences : un enjeu de santé publique », 15 octobre 2019, 5205. En ligne sur : bit.ly/3KgUNPV
• Boris Cyrulnik, « Créer un attachement sécure pour son enfant », vidéo du 14 avril 2021. En ligne sur : bit.ly/3HTnz73
• L’université de médecine Bichat propose un diplôme universitaire « Attachement : concepts et applications ».
Le caregiver est la personne qui prend soin, qui protège, qui se soucie de l’autre. Pour l’enfant, il s’agit en général du parent. Certaines conditions permettent d’identifier ce rôle : il s’agit d’une personne qui prend soin de l’enfant sur le plan physique et émotionnel, de façon régulière et importante, et qui investit l’enfant sur le plan émotionnel.
Le caregiving system est un système de classification des comportements d’attachement du caregiver . Sont pris en compte cinq éléments : le regard, l’organisation de la proximité et du contact, la qualité du discours, la régulation émotionnelle et la structuration du comportement de l’enfant (voir notes 1 et 3 dans les références). Le caregiving system se met en place quand le parent sent son enfant en danger. Ce système existe également entre adultes, par exemple dans un couple ou entre enfant et parent en fin de vie, lorsque le caregiver sent son proche en danger (maladie, accident, fin de vie).
Si, de façon générale, la théorie de l’attachement présente un intérêt pour tout professionnel de santé, qu’il soit médical ou paramédical, tant cette connaissance lui donne des clefs de lecture concernant l’établissement des relations qui peuvent être établies avec le malade et son entourage, certains secteurs et certaines situations méritent d’être spécifiés, sans être exhaustif.
En pédiatrie. Pour les professionnels de la petite enfance, en maternité, en néonatologie et en réanimation néonatale, ce concept fondamental guide les soins relatifs à l’établissement du lien parents-enfant. L’ensemble des membres de l’équipe soignante de ces services se mobilisent pour favoriser ce lien : présence des parents, portage du bébé, installation en peau à peau, etc., y contribuent. Ces professionnels sont également confrontés, plus particulièrement en service de réanimation néonatale, à la question du détachement et du travail de deuil, d’autant plus épineux que l’attachement est récent et faiblement établi.
En gériatrie. Chez les personnes âgées en institution, la présence des proches s’avère tout aussi essentielle que les soins de base pour l’existence humaine, le sens donné à la vie dans cette étape ultime.
En situation d’urgence, et plus généralement pour toute personne malade, en phase aiguë de la maladie, lors de l’arrivée aux urgences, par exemple : mieux connaître et comprendre la théorie de l’attachement permet aux professionnels de santé d’adapter leur comportement, de réfléchir à l’impact de décisions de séparation du patient d’avec son ou ses proches.
En clinique de la douleur. La théorie de l’attachement apporte un éclairage sur les capacités de recours des patients douloureux chroniques à des stratégies de coping, en particulier à la recherche de soutien social(1).
En soins palliatifs ou en fin de vie. La théorie de l’attachement et le travail initié par Bowlby sur la perte sont essentiels dans la compréhension du travail de détachement au cours des périodes de fin de vie, tant du point de vue du patient que de celui des différentes personnes qui lui sont proches.
En psychiatrie. Dans le contexte de la santé mentale, il est évident que la théorie de l’attachement trouve toute sa place. Elle permet à la fois de mieux comprendre la manière dont cet attachement s’est développé pour le patient, ce qui permet d’analyser les comportements et les réponses qu’il donne, et d’y apporter des éléments thérapeutiques adaptés.
1. Henry F., « S’attacher aux autres quand ça fait mal : bonne ou mauvaise idée ? », Douleurs, octobre 2018. En ligne sur : bit.ly/34GMIUb