L’ÉVALUATION DE LA DOULEUR : DÉMARCHE ET OUTILS
JE ME FORME
BONNES PRATIQUES
Sylvie Gervaise* Pascale Wanquet-Thibault**
*cadre supérieure de santé
**cadre supérieure de santé
*** consultante et formatrice
****autrices de l’ouvrage Fiches techniques de soins infirmiers
L’évaluation de la douleur est une priorité fondamentale de la démarche interdisciplinaire et infirmière : elle constitue l’étape-clé de la prévention et de la prise en charge de la douleur du patient. C’est un soin à part entière qui fait partie du rôle propre infirmier.
• L’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP, International Association for the Study of Pain) définit la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire potentielle ou réelle, ou décrite en les termes d’une telle lésion ». La douleur est un phénomène subjectif, propre à chaque individu, et vécue dans une dimension sensorielle, émotionnelle et comportementale.
• La démarche d’évaluation initiale et continue consiste à utiliser des critères précis, connus de tous les partenaires (patient, entourage, professionnels de santé) et reproductibles par l’ensemble des soignants. Elle doit répondre aux questions suivantes afin de déterminer la stratégie thérapeutique :
- quel est le type de douleur ?
- quel en est le mécanisme générateur ?
- quelle en est l’intensité ?
- quelle(s) localisation(s) ?
- à quel moment survient-elle ?
- est-elle permanente, intermittente ?
Pour s’aider, on peut retenir l’acronyme Tilt pour type, intensité, localisation et temporalité.
La démarche d’évaluation commence dès l’accueil du patient par :
- le recueil de données : écoute du patient, observation de son comportement, mesure de l’intensité de la douleur (interrogatoire, échelle visuelle analogique ou autres échelles d’évaluation…) et des symptômes associés ;
- la mise en commun des informations recueillies par les membres de l’équipe inter disciplinaire pour décider des objectifs thérapeutiques ;
- la mise en œuvre des thérapeutiques associée à une réévaluation/surveillance continue de leurs effets secondaires ;
- la recherche de la collaboration active du patient et de son entourage pour favoriser le retour à l’autonomie et la réinsertion rapide dans le milieu familial et socioprofessionnel.
• Identifier et préciser la douleur du patient (qualité, intensité, modalités, etc.).
• Avoir un langage commun au sein de l’équipe pour rechercher, transmettre et analyser l’information relative à la douleur.
• Fixer les objectifs de soins réalisables, mesurables et réajustables.
• Améliorer la qualité et l’efficacité de la prise en charge initiale et continue.
• Répondre au plus près de l’étiologie, parfois complexe, de la douleur.
• Favoriser le retour à l’autonomie de la personne dans la mesure du possible.
Les soignants ont à leur disposition trois types d’outil de mesure leur permettant de quantifier et de qualifier la douleur du patient en fonction du degré d’autonomie et de participation de ce dernier. Pour cela, il est recommandé d’employer des outils d’évaluation validés. Leur utilisation se fait au cours de l’entretien avec le malade. Cet entretien d’évaluation consiste à rechercher, chez la personne douloureuse :
- depuis quand existe la douleur (circonstances d’apparition) ;
- sa ou ses localisations ;
- ses causes initiales, d’après le patient ;
- son évolution ;
- si elle a déjà été traitée et si oui, quel en a été le résultat ;
- la fréquence actuelle, la durée moyenne des cri ses, l’horaire ;
- son intensité (échelle visuelle analogique, échelle numérique) minimale/maximale ;
- ce qui la soulage, l’augmente (positions, mouvements, traitements…) ;
- son retentissement sur la vie quotidienne (familiale, professionnelle) ;
- le ressenti du patient ;
- les symptômes douloureux ou d’inconfort associés (troubles du sommeil, perte d’appétit…) ;
- le niveau acceptable de « douleur » qui deviendra l’objectif de la prise en charge.
Deux grandes catégories d’échelle validées sont utilisées pour une autoévaluation de la douleur.
Les échelles unidimensionnelles évaluent une seule dimension de la douleur : l’intensité. À partir des outils proposés au patient, celui-ci, en fonction de son âge et de sa compréhension, cote lui-même sa douleur. Quatre échelles sont disponibles.
• Échelle visuelle analogique (EVA). À l’aide d’une réglette, le patient place un repère (trait ou curseur) sur le niveau qui correspond à l’intensité de sa douleur sur le moment. Les chiffres situés au dos de la réglette renseignent le professionnel de santé sur le niveau de douleur(1).
• Échelle numérique (EN). Il est demandé au patient de situer l’intensité de la douleur en indiquant un chiffre situé entre 0 à 10 (0 ne représentant aucune douleur, 10 correspondant à une douleur maximale, extrêmement intense)(1, 2). Avec un patient aphasique lucide, il est possible d’utiliser doigts de la main.
- Échelle verbale simple (EVS). Il est demandé au patient de caractériser en un mot sa douleur en lui posant la question « Quel est le niveau de votre douleur au moment présent ? » : faible, modérée, intense, extrêmement intense. L’échelle verbale simple permet un mode d’évaluation accessible, en parti culier chez les personnes en capacité de donner leur avis, mais à condition de simplifier les mots utilisés pour le codage :
- pas de douleur = 0 ;
- douleur faible = 1 ;
- douleur modérée = 2 ;
- douleur intense = 3 ;
- douleur extrêmement intense = 4.
Cette échelle verbale simple est tout à fait adaptée à l’autoévaluation pour les personnes âgées(1).
• Échelle des visages. Cet outil, qui présente six visages, est utilisée chez l’enfant âgé de 4 à 10 ans. L’évaluateur demande au jeune patient de lui indiquer le visage qui correspond le plus à sa douleur sur le moment(1).
Ces différentes échelles permettent d’analyser plusieurs aspects de la douleur.
• Échelle verbale qualitative d’évaluation de la douleur, aussi appelée questionnaire douleur Saint-Antoine (QDSA)(3). Elle permet d’apprécier qualitativement l’intensité de la douleur en utilisant le « vocabulaire » de la douleur, ainsi que la tonalité émotionnelle et psychologique de celle-ci. Cet outil n’est pas à utiliser de façon systématique et répétée. Il est adapté pour un suivi de la douleur chronique et l’évaluation de l’action des traitements antalgiques en place, à long terme.
• Schéma de la silhouette(1, 4). Avec cet outil, il s’agit d’élaborer une topographie de la douleur : le patient hachure les zones qui sont douloureuses et utilise des couleurs différentes en fonction de l’intensité.
• Le DN4. Indiqué pour la douleur neuropathique, il se décompose en deux temps, l’inter rogatoire puis l’examen du patient :
- le score est calculé en comptant 1 point par réponse « oui » et 0 point par réponse « non » ;
- un total supérieur à 4 indique qu’il y a une composante neuropathique à la douleur.
L’évaluation à l’aide de grilles d’observation est réalisée par une tierce personne (soignant ou proche, parfois), voire, pour certains outils, par au moins deux personnes.
Il existe de nombreux outils adaptés à l’âge et à la situation (voir le tableau page ci-contre).
Trois outils sont validés chez la personne âgée de plus de 65 ans.
• Algoplus(1) : échelle d’évaluation comportementale de la douleur aiguë chez la personne âgée ayant des troubles de la communication verbale.
• Doloplus 2(1) : évaluation comportementale de la douleur de la personne âgée qui présente des difficultés d’expression, des troubles de la mémoire ou des troubles cognitifs, et qui s’articule autour de trois axes :
- le retentissement somatique ;
- le retentissement psychomoteur durant les activités de la vie courante ;
- le retentissement psychosocial.
• ECPA (évaluation comportementale de la douleur de la personne âgée)(1) : échelle d’évaluation de la douleur avant et pendant les soins.
• DESS (douleur enfant San Salvadour)(1) pour l’évaluation de la douleur chez l’enfant et l’adulte porteurs de poly handicap.
• GED-DI (grille d’évaluation de la douleur - déficience intellectuelle)(6) pour évaluer la dou leur chez le patient dès 3 ans jusqu’à l’âge adulte, ne pouvant pas communiquer verbalement, et se trouvant donc dans l’incapacité de s’autoévaluer, en relation avec un handicap cognitif, essentiellement dans le cadre du polyhandicap.
• FLACC (face, legs, activity, cry, consolability)(7) pour l’évaluation de la douleur aiguë postopératoire ou provoquée par les soins, chez l’enfant polyhandicapé de la naissance jusqu’à 18 ans.
• EDAAP (évaluation de l’expression de la douleur chez l’adolescent ou l’adulte polyhandicapé)(8).
L’échelle comportementale de douleur BPS (behavioral pain scale) est utilisée en service de réanimation pour le patient adulte sédaté et ventilé.
• Lorsque le patient est capable de s’exprimer et souffre par exemple de dépression, utiliser préférentiellement les outils d’autoévaluation.
• Lorsque le patient souffre de troubles psychotiques, privilégier l’EVS, l’échelle des visages ou l’hétéroévaluation.
• En cas d’impossibilité totale d’évaluer la douleur, privilégier le test thérapeutique : noter les éléments qui font penser que le patient est douloureux, mettre un traitement en place et réévaluer les mêmes éléments. S’ils ont disparu, il s’agissait certainement de signes de douleur.
• Chez les enfants présentant des troubles de la sphère autistique, un outil d’évaluation est en cours de validation.
La traçabilité des actes de prévention et de prise en charge de la douleur doit être permanente et effective par tous les professionnels de santé qui sont impliqués dans le parcours du patient. Elle vise à transmettre des informations pertinentes à tous les acteurs de la prise en charge et à mener une évaluation fiable avec le patient.
L’ensemble des écrits (recueil de données, dépistage et évaluation de la douleur, entretien d’évaluation, etc.) est regroupé dans le dossier de soins infirmiers ou sur un support spécifique intégré dans le dossier du patient.
* Extrait de l’ouvrage Fiches techniques de soins infirmiers. De la réalisation à l’évaluation, Sylvie Gervaise et Pascale Wanquet-Thibault, 2e édition, Éd. Lamarre, 2021, 672 pages.
Notes
1. Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), « Outils d’autoévaluation ». En ligne sur : bit.ly/3GpKab9
2. Hôpitaux universitaires Genève, « Échelle numérique », avril 2016. En ligne sur : bit.ly/3GFDZzT
3. Questionnaire douleur Saint-Antoine. En ligne sur : bit.ly/3zWWBc4
4. SFETD, « Schéma corporel ». En ligne sur : bit.ly/3qkJTR4
5. Institut Upsa de la douleur, « Questionnaire DN4 ». En ligne sur : bit.ly/3fjCGdw
6. Pédiatol, « Échelle GED-DI ». En ligne sur : bit.ly/33vd5Mm
7. Pédiatol, « Échelle FLACC ». En ligne sur : bit.ly/3FjjpUp
8. Coordination mutualisée de proximité pour l’appui et le soutien, « Échelle EDAAP ». En ligne sur : bit.ly/3flBExQ
Autres sources
• Article R 4311-5 du décret n° 2004-11-28 du 29 juillet 2004 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier
• Site du Centre national de ressources de lutte contre la douleur (CNRD) : www.cnrd.fr
• Site de la Haute Autorité de santé : www.has-sante.fr
• Institut Upsa de la douleur (IUD), publications disponibles sur : bit.ly/3Gr8g5e
• Site de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) : www.sfetd-douleur.org
• Ministère des Solidarités et de la Santé, Parcours de santé, vos droits « Fiche 17 : la prise en charge de la douleur », mis à jour le 5 mars 2019. En ligne sur : bit.ly/3fn78Uq
Source : SFETD. www.sfetd-douleur.org
1 PAR TYPE
• Douleur aiguë : douleur par excès de nociception, liée à une atteinte organique, de courte durée, d’intensité variable. Elle répond en général bien aux traitements antalgiques.
• Douleur chronique : douleur qui persiste au-delà de trois mois et ne répond pas aux traitements habituellement disponibles pour la soulager. Elle altère la qualité de vie du patient.
• Douleur neuropathique : douleur associée à une lésion ou une maladie affectant le système somato-sensoriel. Elle est liée à une lésion d’origine traumatique, infectieuse, tumorale, médicamenteuse d’un ou plusieurs éléments du système nerveux (nerfs, moelle épinière, centres supérieurs, synapse, etc.).
• Douleur idiopathique : douleur persistante en l’absence de cause organique identifiable. Le mécanisme physiopathologique n’est à l’heure actuelle pas connu.
• Douleur liée à un trouble somatoforme : douleur qui ne correspond à aucune atteinte organique mais qui repose sur des éléments de psychopathologie confirmés. Elle peut être reliée à des symptômes comme l’hystérie, l’hypocondrie ou encore la dépression. Elle fait l’objet d’une classification dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux* et de réponses thérapeutiques spécifiques et adaptées.
• Douleurs mixtes : « situation complexe » dans laquelle, à des niveaux divers, le patient souffre de manière concomitante de plusieurs types de douleurs aiguës, chroniques, prolongées, neuropathiques ou provoquées par les soins.
2 PAR ORIGINE
• Douleur inflammatoire : lors d’une lésion tissulaire ou d’une stimulation nociceptive, l’organisme produit un ensemble de réactions qui entraîne la sécrétion de substances chimiques provoquant une réaction inflammatoire qui génère des douleurs à différents niveaux.
• Douleurs postopératoires : douleurs qui font suite à une intervention chirurgicale. Elles sont, dans les premiers jours qui suivent, liées essentiellement à la réaction inflammatoire des tissus à la suite de l’intervention. Ce sont, à cette étape, des douleurs aiguës pour lesquelles les traitements antalgiques habituels sont le plus souvent efficaces. Elles disparaissent en règle générale en 48-72 heures.
• Douleurs provoquées, induites par les soins, iatrogènes : elles constituent l’ensemble des douleurs liées aux interventions des professionnels de santé. Elles concernent les actes invasifs à visée diagnostique ou thérapeutique (piqûre, sondage, pansements, etc.), les manipulations et les soins de confort (toilette, habillage, mise au fauteuil) ainsi que les actes de rééducation, en particulier lors de la kinésithérapie.
Dans tous les cas, il est important d’identifier le type de douleur car de cela dépend la proposition d’un traitement adapté.
* American Psychiatric Association, DSM-IV-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 2e édition, éditions Masson, 2004.
Le soulagement de la douleur est reconnu comme un droit fondamental par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002 (loi no 2002-303). Selon l’article L 1110-5 du Code de la santé publique, « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée ».
En 2016, dans le cadre de l’évolution de la loi sur les droits des malades en fin de vie (loi dite Leonetti-Claeys), cet article évolue en ces termes : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. […] Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. » L’amélioration de la prise en charge de la douleur des personnes malades est un axe prioritaire de la politique de santé comme indicateur de la qualité des soins puisqu’elle est identifiée comme une pratique exigible prioritaire (PEP 12) dans le cadre de la certification des établissements de santé dans la version 2014. Elle fait désormais partie des mesures susceptibles d’être tirées au sort lors de l’évaluation de l’établissement. Les experts évaluent la politique de la structure de soins à l’égard de la prise en charge de la douleur.
La mise en œuvre du raisonnement clinique infirmier se fait selon les étapes suivantes :
- identifier le type de douleur ;
- évaluer la ou les douleurs du patient sur les plans quantitatif et qualitatif ;
- mettre en œuvre les traitements non médicamenteux et médicamenteux ;
- réévaluer l’efficacité des traitements ;
- transcrire l’ensemble de la démarche de prise en charge.