L’IDEL, UN PREMIER RECOURS POUR LE PATIENT ADDICT
PRISE EN CHARGE
J’EXERCE EN LIBÉRAL
PRATIQUE
Au décours d’un soin, les infirmières libérales peuvent être amenées à constater l’addiction de l’un de leurs patients. Quelle posture adopter ? Comment en parler ? Quelles premières actions mettre en place ?
À l’heure actuelle, notre objectif est de faire en sorte que les soignants, les éducateurs et les assistants sociaux affichent des compétences identiques pour la prise en charge des patients souffrant d’addiction, pour ainsi travailler dans la transversalité », fait savoir Nicolas Bonnet, directeur du Réseau de prévention des addictions (Respadd) et pharmacien de formation. Les infirmières libérales (Idels) sont les premières concernées par ces méthodologies d’intervention communes à mettre en place auprès des patients. « Les consommateurs de drogues (alcool, tabac, cannabis, etc.) sont tellement nombreux que l’ensemble des professionnels de santé doivent participer à leur prise en charge », ajoute-t-il. D’autant plus que ces consommations sont à l’origine de nombreuses pathologies, lorsqu’elles n’en aggravent pas d’autres : diabète, maladies cardiovas culaires, anxiété, dépression, maladies respiratoires, pour n’en citer que quelques-unes.
Lorsqu’elle intervient au domicile d’un patient pour une réfection de pansement, un suivi de diabète, des soins de nursing, etc., et qu’elle constate l’addiction de son patient à un produit, « la soignante ne peut pas, selon moi, rester sans rien faire, soutient Dorothée Nguyen Van Suong, Idel exerçant dans le cadre de consultations infirmières en tabacologie et addictologie, et membre de l’Association francophone des infirmières en tabacologie et addictologie (Afit&a). Il relève de son rôle propre de questionner son patient dès lors qu’elle a un doute. » « Nous devons semer la petite graine de la prévention, confirme Sandrine Chérubin, infirmière en pratique avancée au sein de l’asso ciation Asalée et dans une mai son de santé pluriprofessionnelle du XIe arrondissement de Paris, et titulaire d’un diplôme universitaire en tabacologie. C’est d’autant plus important que l’Idel est généralement amenée à voir son patient quotidiennement. »
Elle peut ainsi intervenir à différentes étapes de la prise en charge en fonction de l’engagement qu’elle souhaite y consacrer. Ainsi, elle peut commencer par une intervention brève qui consiste, dans un premier temps, à simplement aborder le sujet avec le patient. Ce repérage précoce et cette intervention brève reposent sur « des compétences qui se fondent sur un savoir-faire relationnel se résumant par la stratégie des 5A », rapporte Nicolas Bonnet : Ask, pour demander à la personne si elle consomme des drogues ; Advice, pour conseiller l’arrêt ou du moins la réduction de la consommation ; Assess, pour évaluer cette consommation grâce à un questionnaire ; Assist, pour proposer une aide ou un accompagnement ; Arrange, pour s’assurer de la possibilité qu’a la personne d’être suivie. Cette stratégie de repérage précoce peut être mise en œuvre sans être formé, et ce, d’autant que « nous savons par des études(1) que l’intervention brève affiche une réelle efficacité concernant la diminution de la consommation », indique le directeur du Respadd. Si l’Idel se « contente » de demander à son patient s’il boit ou s’il fume, le taux de modification du comportement après un an n’est que de 13,4 %. Toutefois, une formation courte, d’une journée, permet d’acquérir des bases, de travailler sur les idées reçues et de participer à des mises en situation pour développer des savoir-faire opérationnels. « Ce schéma est le plus efficace », assure Nicolas Bonnet.
Lorsqu’une soignante se trouve face à un patient consommateur de drogue, Dorothée Nguyen Van Suong conseille de s’appuyer sur des questions types pour aborder le sujet. Par exemple, pour un patient fumeur, elle peut lui demander s’il a déjà parlé de son tabagisme, si son médecin lui a déjà donné des conseils, s’il aimerait être aidé. Pour un patient alcoolisé, elle peut lui mentionner avoir constaté ses difficultés à répondre à ses questions puis lui demander s’il a bu au déjeuner, s’il boit à tous les déjeuners et le soir. Quant au patient ayant consommé du cannabis, si elle observe une forme d’excitation ou de lenteur, le regard dans le vide, elle peut lui signifier qu’elle le trouve plus nerveux ou plus lent que d’habitude, lui demander s’il a consommé et s’il souhaite en parler. Si le patient refuse, « il faut simplement lui laisser la possibilité d’en parler lorsqu’il se sentira prêt, soutient-elle. Face à un patient sur la défensive, qui est dans le déni de son addiction, il ne faut pas insister sur le moment, sans pour autant abandonner. » L’infirmière peut prendre l’initiative de réaborder le sujet la semaine suivante, en lui communiquant des numéros de téléphone de structures d’aide, car le patient peut vouloir en parler anonymement. De cette manière, la soignante préserve le lien et fait comprendre au patient que face à son problème, il peut se confier à quelqu’un.
De nombreuses professionnelles disent ne pas vouloir s’impliquer dans la prise en charge des personnes dépendantes par crainte d’essuyer des refus de prise en charge. « En réalité, ces personnes représentent une minorité, souligne Nicolas Bonnet.
Et surtout, l’impasse relationnelle peut être surmontée en répondant au patient qu’il était important de lui dire qu’il y avait une inquiétude concernant sa consommation et sa santé. Cette person nalisation permet de sortir de l’échange en ajoutant qu’il ne doit pas hésiter à lui en reparler, toujours en adoptant une posture bienveillante. »
Outre les questions directes, l’infirmière libérale peut proposer un questionnaire permettant au patient d’autoévaluer sa dépendance à l’alcool (Alcohol Use Disorders Test ou Audit), à la cigarette (Cigarette Dependence Scale ou CDS) et au cannabis (Cannabis Use Disorder Identification Test - Revised ou Cudit-R-Fr).
La finalité de l’Idel est d’accompagner son patient au changement. Cependant, après cette première phase de questionnement, son engagement peut varier. Dans le domaine de la tabacologie, elle peut prescrire des substituts nicotiniques en vente libre, « il n’y a donc pas trop de limites à l’engagement des soignantes dans le domaine, soutient Sandrine Chérubin. Mais dans tous les cas, si elle ne se sent pas à l’aise avec la prescription, mieux vaut ne pas la faire car il est vrai qu’il est important d’avoir des connaissances minimales sur les dosages. » Il convient d’ailleurs de prêter une attention particulière au sousdosage, lequel peut entraîner un manque et une reprise de la consommation.
S’il est possible d’aider à traiter la dépendance physique, il faut également travailler sur la dépendance psychique et comportementale pour démêler l’enchevêtrement de la dépendance. Ce qui implique pour les soignantes de bien connaître leurs limites. Dans ce cas précis, si elles estiment ne pas avoir les compétences pour accompagner leurs patients, leur rôle peut être de les aider à trouver la personne-ressource avec laquelle échanger sur leur addiction pour être le mieux accompagné. « En fonction du degré de dépendance, modéré ou intermédiaire, l’Idel peut agir en toute autonomie, mais si le niveau de dépendance est fort, il vaut mieux orienter », indique Nicolas Bonnet. Et de préciser : « Entre 20 et 30 % des patients ne vont pas être réceptifs aux interventions brèves. L’étape suivante consiste donc à orienter vers des spécialistes. » Et pour les personnes en situation de dépendance à l’alcool et au tabac, il faut directement orienter, sans chercher à entreprendre une prise en charge car ce serait une perte de temps. Il en va de même concernant les drogues dures.
« L’idéal serait de pouvoir solliciter l’ensemble des professionnels de santé qui gravitent autour du patient pour croiser leurs observations et ainsi déterminer les interventions à mettre en place, soutient Dorothée Nguyen Van Suong. C’est notamment possible à l’échelle d’une Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), où nous pouvons porter des projets et obtenir des financements dédiés. L’objectif est de ne pas se sentir seule dans la prise en charge mais d’en parler pour pouvoir échanger des conseils et s’informer. » « Même si le patient est suivi par un professionnel de santé, il est important pour l’infirmière de rester concernée, de s’intéresser, d’encourager et de motiver, conclut Sandrine Chérubin. Cela permet de valoriser les progrès de la personne et de l’aider à surmonter la situation. »
Note
1. Métaanalyse réalisée par Fiore M. C. et coll.
Les bonnes adresses
• Les Idels peuvent utiliser des outils élaborés par le Respadd (bit.ly/3ExaL57), l’Afit&a (bit.ly/3DD6hbD) ou encore la Haute Autorité de santé (bit.ly/304ZdHe) pour la prise en charge des patients.
• Les sites dédiés : Alcoolinfoservice.fr ; Tabacinfoservice.fr ; Droguesinfoservice.Fr
Aucune cotation dédiée à la prise en charge de la dépendance à la drogue n’est prévue. Pour intervenir auprès d’un patient dans ce domaine, elles doivent déjà le prendre en charge, sur prescription, pour un autre type de soin. « Elle ne peut que prescrire des substituts nicotiniques pour les patients pour lesquels elle se rend déjà au domicile, regrette Nicolas Bonnet. Nous avons pointé du doigt ce côté limitant, mais les tutelles ne nous ont pas entendus. » « Certaines collègues me disent qu’elles ne vont pas au bout de l’accompagnement dans l’arrêt du tabac, qu’elles font simplement du conseil minimal, car la consultation n’est pas prise en charge par la Sécurité sociale, confirme Dorothée Nguyen Van Suong. Elles voudraient une cotation spécifique pour pouvoir s’impliquer davantage auprès des patients qui en ont besoin. » Lorsqu’un lien de confiance s’est créé, l’idéal serait que la soignante puisse suivre son patient plutôt que de l’orienter vers un autre professionnel. De son côté, Dorothée Nguyen Van Suong reçoit en consultation des personnes qui ont été adressées par leur médecin. « Pour les prendre en charge, je réalise une démarche de soins infirmiers (DSI), comme une petite dizaine d’infirmières libérales en France. Mais avec la suppression de la DSI au profit du Bilan de soins infirmiers (BSI), je ne sais pas encore comment la prise en charge que je propose va évoluer. »
• Les Idels peuvent suivre des formations Développement professionnel continu (DPC) et Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIFPL) sur la prescription de substituts nicotiniques et le conseil minimal. Ces formations sont certifiantes mais non diplômantes.
• Des Diplômes interuniversitaires (DIU) en addictologie et en tabacologie permettent, eux, d’approfondir la question de la prise en charge.
[Cotation]
DSI, BSI, où en est-on aujourd’hui ? Pour quels patients, quels âges peut-on faire une DSI ou passer au BSI ? Avec les informations que nous avons reçues, voici un éclairage !
En conformité avec l’avenant n° 8 signé le 9 novem bre 2021, à partir du 1er janvier 2022, pour toute personne nécessitant des soins liés à sa dépendance et ce, quel que soit son âge, l’Idel devra élaborer un BSI. Si vous avez une DSI en cours pour un patient de moins de 90 ans, le BSI sera fait à l’issue des 3 mois de validité de la DSI qui s’éteindra définitivement au 1er avril. En revanche, la tarification des soins en forfait BSI pour les moins de 90 ans évoluera progressivement. Dans l’immédiat, les soins continueront d’être facturés en AIS (en AMX pour les actes techniques et en IFD pour les déplacements). Dès le 1er septembre, la facturation se fera avec les forfaits BSI pour les patients dépendants de 85 ans et plus. Pour les moins de 85 ans, poursuite de la facturation en AIS. Au 1er avril 2023, quel que soit l’âge du patient, la facturation se fera en forfait BSI. Pour mémoire : BSI initial : DI 2,5 (25 €) ; BSI renouvelable (après 12 mois) : DI 1,2 (12 €) ; BSI intermédiaire en cas d’évolution de l’état clinique : (facturable 2 fois par an) : DI 1,2 (12 €).
[À propos de…]
« AUTONOME » DANS LE PLFSS 2022
Dans le PLFSS 2022, certaines professions de santé acquièrent davantage d’autonomie. Ainsi, les orthoptistes pourront réaliser sans ordonnance, sous leur propre responsabilité, des bilans visuels simples et prescrire des lunettes ou des lentilles de contact pour les corrections faibles. Les kinési thérapeutes et les orthophonistes exerçant en structures de soins coordonnées (MSP, ESP, CPTS…) vont expérimenter, durant trois ans, dans six départements, un accès direct à leurs soins pour les patients. Concernant les IPA, une expérimentation dans trois régions va leur permet tre de réaliser des primoprescriptions dans le cadre de la prise en charge des pathologies chroniques stabilisées nécessitant des soins et un suivi. L’objectif étant de fluidifier les parcours de soins, notamment des patients vivant dans des zones sous-dotées en médecins généralistes. Toutes ces mesures doivent être précisées par décret. Dans le même temps, le rôle « autonome » des infirmières libérales est toujours aussi peu reconnu et elles continuent de se voir prescrire les soins infirmiers liés à ce rôle par un médecin. Dommage !