LA COORDINATION DES SOINS AU CŒUR DU PROCESSUS DE CICATRISATION D’UNE PLAIE
JE ME FORME
PRISE EN CHARGE
infirmière au Centre de soins infirmiers ADN Santé Bordeaux (Gironde) et titulaire d’un DU Plaies et Cicatrisation
Les cicatrices chéloïdes sont des lésions cutanées à la fois complexes et douloureuses, parfois récidivantes. Leur prise en charge de l’hôpital au domicile est fortement conditionnée par une bonne coordination tout au long du parcours de soins. Démonstration à travers un cas clinique.
La cicatrisation représente bien plus qu’une définition qu’un concept, c’est avant tout une réflexion. Durant le cursus en institut de formation en soins infirmiers, quelques notions sont abordées sur les grandes étapes de la cicatrisation, les facteurs qui interagissent sur ce phénomène, les différentes plaies (fibrineuses, nécrotiques, bourgeon nantes, etc.) et la classe des différentes familles de pansement. Si sur le papier tout paraît simple, la réalité est parfois bien plus complexe.
La cicatrisation repose sur des facteurs internes, certains, propres au patient, l’amènent à cicatriser, mais également sur des facteurs externes. Ainsi, un pansement non adapté et/ou une mauvaise coordination entre les professionnels peuvent entraîner une augmentation du délai du processus de cicatrisation voire une aggravation de la plaie, allant jusqu’à des complications ou une réhospitalisation. Aussi, un suivi régulier du patient et de l’évolution de la plaie au domicile, tel que nous le pratiquons au Centre de soins infirmiers ADN Santé de Bordeaux, est essentiel. Ceci afin de pré venir le médecin en cas de retard de cicatrisation. Dans ce cadre, la compétence infirmière ne se résume pas à un renouvellement d’ordonnance ou à une simple réfection. Il s’agit de faire le lien entre nos connaissances et les prescriptions médicales. À domicile, l’infirmière est l’un des maillons de la chaîne de la coordination des soins.
Rappelons ce qu’il faut entendre par coordination. La Haute Autorité de santé la définit comme « l’organisation délibérée des activités de soins à un patient entre plusieurs acteurs du système de santé. Elle implique la mobilisation de personnels et d’autres ressources nécessaires à la prise en charge du patient et est souvent gérée par l’échange d’informations entre les participants responsables de différents aspects des soins(1) ».
En reprenant cette définition, on peut en conclure que la coordination des professionnels de santé passe d’abord par la communication, qui commence dès le retour du patient à son domicile après une consultation et/ou une hospitalisation. Mais sur le terrain, elle n’est pas toujours optimale. Toute infirmière libérale intervenant à domicile a déjà expérimenté la difficulté à obtenir les informations exhaustives (contexte social, médical, paramédical), en l’absence de courrier de sortie. Le cas clinique développé ci-après, concernant un patiente prise en charge par le Centre de soins infirmiers, met en évidence les écueils et la conduite à adopter.
Comment mener à bien une coordination des soins à domicile ? Dans le cadre d’une première prise en charge, le Centre de soins infirmiers réserve un créneau d’une heure pour réaliser le recueil de données de la personne soignée, prendre en compte les courriers de sortie, les ordon nances et/ou les consignes postopératoires. Ce temps dédié permet de s’assurer que le patient dispose de tout le matériel nécessaire à ses soins et de planifier avec lui les éventuels examens complémentaires et/ou les rendez-vous pour la suite de sa prise en charge. Les données récoltées sont ensuite consignées dans le dossier patient avec son consentement : dimensions de la plaie (longueur, largeur, capacité volumétrique), photo graphie, contexte de survenue, protocole de soins, traitements en cours et évaluation de la douleur via l’échelle numérique (EN). Ainsi, à l’approche de la consultation médicale ou chirurgicale, une fiche de liaison est transmise évoquant le suivi du patient, les problématiques rencontrées et les actions entreprises. En cas de problème, nous n’hésiterons bien entendu pas à contacter le secrétariat du médecin prescripteur.
Le Centre de soins infirmiers a été contacté par un service de dermatologie pour une réfection de pansement chez une patiente de 42 ans ayant bénéficié d’une reprise de cicatrice chéloïde (lire l’encadré « Les cicatrices chéloïdes » page 26) au sein gauche. Elle est rentrée à son domicile avec ses ordonnances, et le matériel nécessaire aux soins a été récupéré à la pharmacie. La prise en charge débute le 8 avril. Un rendez-vous avec le service de dermatologie est prévu le 14 avril.
Lors de l’entretien, d’une durée d’une heure, ayant pour objectif de faire un point global avec la patiente, celle-ci explique que sa reprise de cicatrice s’est faite sur une lésion de grattage sur un poil incarné, a priori après échec d’injections de corticoïdes (information non confirmée par le service de dermatologie). Elle présente une ordonnance de pansements, une prescription médicale pour la réalisation de soins infirmiers quotidiens ainsi qu’une prescription d’antalgiques de paliers 1 et 2 (paracétamol et tramadol). Le protocole demandé par le service est une réfection quotidienne avec mèche alginate humidifiée (Algostéril), découpée au niveau de la plaie et imbibée de sérum physiologique, avec compresses et sparadraps.
Situation personnelle : madame V. vit seule dans un appartement dans le quartier de Bordeaux nord. Elle a deux fils âgés de 13 et 16 ans. La patiente est souriante mais très discrète.
Le centre de soins infirmiers ne dispose pas d’autres informations émanant de l’hôpital. Devant cette plaie, l’absence de courrier de sortie et de compte-rendu opératoire ou médical a laissé l’équipe perplexe avec de nombreuses questions sur le devenir de la patiente. Elle en fait alors part dans un mail envoyé au secrétariat du service hospitalier : s’agi-t-il d’une reprise de cicatrice par voie chirurgicale ? D’une intervention au laser ? Quel est l’objectif de la cicatrisation ? Une cica tri sation dirigée avec des pansements ? Une greffe à l’avenir ?
Une reconstruction ?
La connaissance de la plaie et de son historique est fondamentale dans la prise en charge de la patiente. Ces éléments permettent :
→ d’optimiser la prise en soins ;
→ d’orienter le protocole de soins en fonction du type de plaie (aiguë ou chronique), de ses caractéristiques, et des souhaits de la patiente ;
→ de créer une relation de confiance avec la personne prise en charge.
En outre, la chronicité de la plaie peut être un facteur de gravité.
Dans le cas clinique de madame V., le diplôme universitaire (DU) Plaies et Cicatrisation a constitué un apport de connaissances sur cette cicatrisation pathologique et a permis une réflexion soignante plus approfondie pour cette prise en charge.
Pendant la période du 8 au 14 avril, date de la consultation médicale, et en l’absence de renseignements complémentaires, les infirmières du Centre de soins infirmiers ont été confrontées à plusieurs problématiques :
→ la persistance de la douleur malgré la prise des antalgiques et l’application de mesures non médicamenteuses (lire les actions mises en place dans la fiche de liaison page suivante) ;
→ la dégradation de la plaie : peau périlésionnelle (PPL) sèche, progression de la fibrine sèche (voir les photos dans la fiche de liaison) ;
→ la précarité financière de la patiente (les pansements et les sets de pansements ne sont pas remboursés par la mutuelle). Elle est en attente de la validation de ses dossiers de demande pour le revenu de solidarité active (RSA).
À l’approche de sa consultation, une première fiche de liaison a été réalisée à l’attention du service (lire page ci-contre).
À la suite de son rendez-vous en dermatologie, aucun retour n’est parvenu au Centre de soins infirmiers. Madame V. a expliqué que le service a retiré la fibrine à l’aide d’une curette et que le protocole en cours devait être maintenu. Pendant trois jours une détersion douce a été tentée, mais la patiente restait trop douloureuse malgré la prise d’antalgiques. La détersion mécanique n’était donc pas réalisable et le protocole s’est avéré inefficace. Par ailleurs, madame V. se replie sur elle-même et elle nous explique qu’elle ne peut plus régler les frais liés aux soins (en dehors de la part Sécurité sociale). Face à la dégradation de la plaie, l’équipe s’est réunie pour exposer les problématiques et réfléchir à un nouveau protocole. Les connaissances et expériences de chaque professionnelle ont pu être mobilisées (DU Douleur, DU Plaies et Cicatrisation, certificat de stomathérapie, diététicienne, référente en urologie).
Concernant la douleur : le service de dermatologie a été contacté pour la prescription d’un anesthésique local (le gel de Xylocaïne avec une durée d’action de 510 minutes). La patiente ayant été volontaire pour se l’appliquer elle-même avant notre passage, une éducation lui a été dispensée sur le temps d’application.
Protocole de soins : si l’on reprend le stade de la plaie, son lit est fibrineux et plutôt sec, la peau périlésionnelle est sèche (tiraillements visibles sur le cliché du 16 avril 2021), et un bout de mamelon s’est arraché lors du retrait du pansement simple (Cicaplaie). L’option retenue est donc la suivante :
→ pansement primaire : UrgoClean compresse (hydrodétersive) ;
→ pansement secondaire : bords siliconés, adhésif. Mepilex Border forme ovale ;
→ crénothérapie pour la peau périlésionnelle : lait corporel de la patiente ;
→ tentative d’une détersion mécanique (curette) en début de soin après le temps d’application de gel de Xylocaïne.
Le choix de la famille des pansements hydrodétersifs absorbants a été effectué après observation de la plaie. Il s’agit d’une plaie aiguë fibrineuse avec une périphérie sèche et fragile. Les propriétés recherchées avec cette classe de pansements sont :
→ l’absorption des exsudats avec drainage des tissus fibrineux durant la phase de détersion ;
→ le maintien d’un milieu humide au contact de la plaie (favorable à la cicatrisation des zones détergées) ;
→ le retrait atraumatique et indolore, et qui respecte la peau périlésionnelle déjà fragilisée.
Le pansement utilisé, en l’occurrence UrgoClean, est composé de fibres polyabsorbantes de polyacrylate qui se gélifient et se fixent aux résidus fibrineux, les absorbent et les drainent afin d’en faciliter l’élimination (détersion autolytique). Ce type de pansement est indiqué dès la phase de détersion des plaies exsudatives chroniques et des plaies potentiellement fibrineuses.
Par ailleurs, le fait de disposer de quelques échantillons de pansements au Centre de soins infirmiers a permis d’éviter à cette patiente en difficulté des coûts supplémentaires. Ainsi, ce nouveau pro to cole a été mis en place durant une semaine.
Face à l’évolution positive de la plaie, décision est donc prise de maintenir le protocole en place. Cependant, rappelons-le, la troisième problématique de la patiente est sa précarité sociale et financière. Dès lors, afin d’atténuer le coût de ses soins, l’équipe a :
→ réalisé des devis de pansements auprès de deux pharmacies situées à proximité de son domicile (l’ensemble du matériel laissait 30 à 50 euros à sa charge). Il lui était impossible de financer ses soins ;
→ sollicité madame Y, représentante d’Urgo, pour la fourniture d’échantillons, qui a volontiers accepté de nous aider dans cette prise en charge ;
→ utilisé le stock des pansements non utilisés par les patients.
Au fil du temps, la cicatrisation s’est parfaitement déroulée et la patiente s’est davantage ouverte. La fréquence des réfections du pansement a pu être espacée, passant d’une réfection quotidienne à une réfection tous les deux jours.
À chaque consultation médicale, une fiche de liaison papier a été remise au service de dermatologie qui, de son côté, a mentionné le changement ou le maintien du protocole en cours ainsi que la date du prochain rendez-vous. Madame V. a été suivie par le centre de soins infirmiers pendant trois mois et demi, et les soins ont pris fin début juillet 2021. La situation sociale de la patiente était toujours en cours à la fin de la prise en charge.
Ce cas clinique permet aux différents soignants (médicaux, paramédicaux, étudiants, etc.) de prendre conscience que la coordination dans le cadre du suivi d’une plaie et d’une réfection de pansement à domicile débute dès l’entrée du patient dans un service de soins ou en consultation et qu’elle se termine dès la cicatrisation complète. Elle accompagne la personne prise en charge tout au long de son parcours de soins.
Une coordination optimale est basée sur la communication entre les différents acteurs qui entourent le patient. Et elle peut être décisive en matière de cicatrisation. Il est important de communiquer à l’aide de supports papiers, PDF, par emails sécurisés ou bien oralement. La communication demande peu de frais, juste un peu de temps. Elle ne doit pas omettre de mentionner les informations intrinsèques et extrinsèques du patient : vie sociale, professionnelle et antécédents, tout en veillant à respecter le consentement de la personne prise en charge.
Malgré ce sentiment de solitude que l’on peut ressentir lorsque l’on fait du soin à domicile, nous ne sommes pas seules : les pharmacies, les prestataires, les services de consultations de plaies, les médecins et autres professionnels sont disponibles. Dès lors, il ne faut pas hésiter à s’entourer d’acteurs pluridisciplinaires.
Note
1. Haute Autorité de santé, Note méthodologique et de synthèse documentaire « Coordination des parcours. Comment organiser l’appui aux professionnels de soins primaires ? », septembre 2014. En ligne sur : bit.ly/30JNEpf
Outils en ligne
• www.plaiexpertise.fr Une plateforme numérique qui propose un accompagnement pratique et des savoirs théoriques aux soignants pour aider à la prise en charge des plaies complexes.
• Les événements annuels dédiés :
- Journées Cicatrisations & EWMA 2022, du 1er au 3 février prochain, au Palais des Congrès de Paris. bit.ly/3HA5YRs
- Journées Aquitaine cicatrisation. www.lesjac.fr
- Journées armoricaines plaies cicatrisation. www.japc.fr
Début de la prise en charge : 08/04/21
Madame V…………………… Médecin/chirurgien : Dr……………………
Histoire de la maladie : Patiente opérée d’une cicatrice chéloïde sur le sein gauche
Rendez-vous médicaux de suivi : Le 16/04 à 11 h Dr ……………………
Examen clinique :
Depuis le début de sa prise en charge par le CSI, la patiente reste douloureuse au niveau de son sein. Cette douleur est persistante pendant et en dehors de la réfection du pansement. Elle évalue sa douleur à 7/10 pendant le soin et à 4/10 au quotidien (échelle numérique). Nous avons convenu avec elle l’alternance entre le paracétamol et le tramadol pour qu’elle puisse être couverte sur toute la journée. Afin de « prévenir » et de diminuer son algie induite par le soin, nous avons instauré :
• l’heure H-1 avant le soin pour la prise du tramadol
• l’autorisation de se doucher pour faciliter le retrait du pansement secondaire
• si nécessaire, l’utilisation d’un spray antiretrait
• l’humidification de l’alginate ++++ afin de favoriser son retrait
• la mise en place d’un pansement secondaire aux bords siliconés pour ses propriétés atraumatiques (la patiente nous a mentionné la fragilité de sa peau).
• éventuellement, si elle le souhaite, le port d’une brassière pour éviter le frottement du soutien-gorge
Malheureusement, nos actions restent insuffisantes et à ce jour, madame V. reste algique et anxieuse.
Vous trouverez ci-joint les photographies de sa plaie lors de sa prise en charge.
De ce fait, nous demandons votre avis afin de mener à bien la cicatrisation de la plaie tout en veillant au confort de madame V. lors du soin.
Le protocole de soins :
• Détersion mécanique possible ? : tissu riche en terminaisons nerveuses = risque de saignement et de majoration de la douleur avec risque de lésions supplémentaires.
• Utilisation soit d’une interface type UrgoTul/UrgoStart plus tulle : maintenir un milieu humide (effet antalgique des terminaisons nerveuses) ou utilisation d’un pansement irrigo-absorbant.
• En pansement secondaire : utilisation d’un pansement aux bords siliconés pour être atraumatique ou non adhérent avec un maintien type filet (bandes peu adaptées au niveau de la poitrine).
Mais également, dans la mesure du possible, de réévaluer son traitement antalgique.
Cordialement,
L’équipe ADN Santé Bordeaux
Une cicatrice chéloïde est « une cicatrisation pathologique par le volume de la cicatrice : il s’agit d’une lésion cutanée proliférative bénigne faisant généralement suite à une agression mineure du derme. La persistance de l’inflammation du derme va entraîner une surproduction de collagène et des fibroblastes qui vont être responsables d’une cicatrice rigide, irrégulière, hyperpigmentée qui donne un aspect pseudotumoral et qui va s’étendre au-delà de la lésion d’origine. » La génétique, le phototype foncé, l’âge, la localisation (oreilles, épaules, thorax) et la tension cutanée constituent des facteurs de risque. Ces cicatrices sont responsables de douleurs, de prurit, de paresthésies de contact ainsi que de sensations de tiraillements. Elles peuvent être sujettes à des infections ainsi qu’à des ulcérations favorisées par des lésions de grattage, des inclusions de poils ou encore par un défaut d’hygiène. Les cicatrices chéloïdes ne cicatrisent jamais spontanément.
La pressothérapie, la protection solaire, les injections de corticoïdes dans la cicatrice, la chirurgie, la cryothérapie, la radiothérapie, la crénothérapie et les pansements compressifs constituent des traitements qui permettent d’éviter une aggravation et/ou une stabilisation.
Source : Diplôme universitaire Plaie et Cicatrisation, cours de cicatrisation pathologique, Professeur Pelissier, Bordeaux 2020.
Remerciements à mon binôme de tournée Ambre, mes collègues du Centre de soins infirmiers ADN santé, la pharmacie de ville de madame V. pour sa disponibilité, et enfin madame V. qui nous a autorisées à présenter son cas clinique.