L'infirmière n° 017 du 01/02/2022

 

JEUNES EN DANGER

JE DÉCRYPTE

COLLOQUE

Laure Martin  

Fin novembre, le département des Hauts-de-Seine a proposé une semaine de colloques dédiés à la lutte contre le risque prostitutionnel des jeunes. L’occasion de mieux cerner le profil des victimes pour mieux les prendre en charge.

Le secteur associatif évalue entre 7 000 et 10 000 le nombre de mineurs prostitués. Et depuis cinq ans, le phénomène est en constante augmentation. D’où l’annonce, le 15 novembre dernier, d’un plan gouvernemental pour lutter contre ce fléau (lire l’encadré « Un plan de lutte contre la prostitution des mineurs » page ci-contre). Une lutte qui doit commencer par une meilleure connaissance des victimes. Ces jeunes, issus de tous les milieux sociaux, ont souvent comme point commun d’être en situation de vulnérabilité, d’avoir vécu des traumatismes liés à des placements ou à des problématiques intrafamiliales. « La prostitution résulte de nombreux facteurs, a expliqué Reda Karroume, directeur de la Mission d’orientation spécialisée et d’accueil individuel de cas complexes (Mosaicc), lors de l’un des colloques sur le sujet(1). Parfois, ce n’est pas l’argent qui les intéresse. C’est surtout une forme de suicide, ils veulent vivre au jour le jour et se moquent du lendemain. »

Pour les aider, « il faut amener le jeune à tourner ce regard vers lui-même, lui montrer qu’on a confiance en son intelligence, et qu’il peut être acteur de sa protection et de la compréhension de ses actes, a ajouté Fanny Berrido, travailleuse sociale du Service de solidarité territoriale (SST) 13. D’autant plus que ces jeunes ne sont parfois plus connectés à leur corps, ils deviennent des objets. Il faut donc travailler à faire en sorte qu’ils adoptent une posture de sujet qui a un corps, des envies, des attentes. »

UN TRAVAIL AUTOUR DU STATUT DE VICTIME

L’un des points fondamentaux est de leur faire prendre conscience de leur statut de victime. D’ailleurs, souvent, ils parlent de michetonnage et non de prostitution. « Notre travail consiste donc à disqualifier les réseaux et à les accompagner à devenir victimes, a rapporté Reda Karroume. Lorsqu’ils le reconnaissent, il ne faut plus les lâcher et même être à leurs côtés pour déposer plainte. » Face à ces jeunes en mouvance perpétuelle, la clef de la prise en charge repose sur la continuité et la complémentarité des différents professionnels afin de pouvoir disposer d’un réseau réactif au moment où il faut agir. Car l’objectif est d’accueillir et d’accompagner ces jeunes vers une réparation physique et psychique avec des partenaires du secteur juridique, sanitaire et social.

Lorsqu’ils sont pris en charge au sein d’une structure sociale, ils peuvent bénéficier de consultations de sexologie. « Nous allons beaucoup discuter de leur première sexualité, de la puberté, indique Claude Giordanella, infirmière de formation et sexologue au sein de l’association Charonne Oppelia. Ils vont parfois parler des difficultés autour de leur sexualité, qui a déjà pu être abîmée. » Et de poursuivre : « Il est important, dans un premier temps, de créer du lien, d’apprendre à connaître le jeune, mais aussi de lui donner la possibilité de reprendre la maîtrise et de décider de revenir. » Lorsqu’elle les reçoit, elle oriente généralement la conversation autour de la prise de risque, des éventuelles activités de prostitution et « je travaille avec eux sur la notion de consentement, pour qu’ils réalisent qu’ils ne l’ont pas toujours donné et qu’ils se sont retrouvés dans cette situation parce qu’ils sont sous emprise. En tant que professionnel, il faut être prêt à entendre l’indicible car ils peuvent parler des activités sexuelles que leur demandent les clients. » Mais il est important qu’ils sachent aussi qu’ils peuvent le dire, et « pour nous, professionnels, il est nécessaire de savoir comment se déroule ce qu’ils vivent, les souffrances qu’ils ont vécues à travers ces activités sexuelles qui les ont abîmés. » Ces consultations peuvent avoir un effet bénéfique, car certaines victimes suspendent les activités de prostitution et d’autres s’en sortent totalement. Mais globalement, elles restent fragiles.

De son côté, Valérie Guyaux, sexologue consultante et formatrice infirmière territoriale, propose des consultations dans le cadre du Centre de planification et d’éducation familiale (CPEF) dans les Hauts-de-Seine, un endroit où peuvent être abordées les questions de sexualité, de contraception, de violence. « Dans ces lieux, différents professionnels collaborent, notamment des gynécologues, des infirmières, des conseillers conjugaux, explique-t-elle. Nous mettons en place des ateliers auprès des collégiens et du public en situation de difficulté dans le cadre d’une approche globale. »

DES REPÈRES POUR LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Cette consultation de sexologie vient également en appui aux professionnels du territoire. « Il est important pour eux d’avoir des repères sur leur territoire, de connaître des réseaux et de disposer de moyens dédiés pour prendre en charge ce public », indique Valérie Guyaux. L’objectif est de répondre aux besoins évoqués par les professionnels en lien avec l’analyse de leur pratique, afin d’avoir une prise de recul sur leurs actions. « Tous les soignants doivent s’intéresser à cette prise en charge car l’éducation sexuelle constitue un moyen de prévention et de lutte contre ces violences », soutient-elle, précisant qu’elle comprend la difficulté qu’ils peuvent ressentir à aborder cette question. Lorsqu’elle met en place des groupes de parole, les professionnels font part de leurs freins, comme la peur d’évoquer le sujet, la crainte de gêner, d’être gênés, de mettre en lumière le manque de formation, le manque de repères sur la norme, le comportement, l’absence de vocabulaire. « Ils disent ne pas avoir les mots et donc, ils ne veulent pas perdre la face, souligne la sexologue. Certains n’ont pas de réseau et ne veulent pas s’y aventurer, tandis que d’autres ne s’estiment pas légitimes pour en parler. Notre rôle est donc de leur apporter des repères. » « Je pense que tous les soignants sont outillés pour aborder ces questions, mais c’est enfoui en eux car la sexualité reste taboue », soutient Claude Giordanella. Il existe des formations qui permettent de repenser la manière de travailler sur la sexualité ainsi qu’un certain nombre de supports comme le « Michetomètre » (lire l’encadré page ci-contre), un outil de sensibilisation à destination des jeunes élaboré pour lutter contre les comportements pré- et prostitutionnels, et encourager les victimes à s’engager dans un parcours de sortie. Cet outil utilise des termes simples utilisés par les adolescents afin d’aborder la question de façon plus légère et invite à une prise de conscience des risques liés aux conduites prostitutionnelles (miche tonnage, escorting…).

RÉFÉRENCE

1. Colloque « Visualiser et comprendre la problématique de la prostitution des jeunes » du 19 novembre 2021, organisé dans le cadre de la semaine départementale de lutte contre le risque prostitutionnel des jeunes, qui s’est tenue du 19 au 26 novembre.

Le « Michetomètre », un outil de sensibilisation

• Ce document ludique nommé « Michetomètre » (dans le langage argotique, un micheton est le client d’une prostituée) a été conçu par l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) pour clarifier dans l’esprit des adolescents ce qui relève de la prostitution et du proxénétisme, leur permettre de s’autotester et leur faire prendre conscience des risques qu’ils encourent.

• Exemples de situations évoquées dans la partie « prostitution » : « Je séduis des personnes pour obtenir des cadeaux » ; « J’accepte ce que me demande mon copain ou ma copine parce que j’ai peur qu’il.elle me quitte » ; « J’envoie des “nudes” en échange de cadeaux », etc. Et dans la partie « proxénétisme » : « J’ai donné des conseils à des personnes qui débutent » ; « J’ai prêté mon téléphone, pris des photos ou écrit des annonces pour les autres » ; « J’ai présenté quelqu’un à celui.celle qui me gère ».

• L’association propose aussi deux guides pratiques, l’un à destination des parents, l’autre pour les professionnels de santé, à télécharger sur son site Internet : bit.ly/3F1Id3L

Un plan de lutte contre la prostitution des mineurs

Le gouvernement a présenté, le 15 novembre 2021, un plan pour lutter contre la prostitution des mineurs, qui s’articule autour de cinq axes :

→ améliorer l’information sur le sujet (création d’espaces d’informations sur l’ensemble du territoire pour les mineurs et leur famille, sensibilisation du grand public…) ;

→ renforcer le repérage (développement de la formation des professionnels en contact avec les mineurs ; amélioration de la procédure de signalements de comportements suspects, en particulier dans les hôtels et sur les plateformes d’hébergement locatif ; intensification des actions sur les réseaux sociaux concernant le repérage, la modération et le signalement de situations prostitutionnelles ; meilleure prise en charge des fugues par les professionnels…) ;

→ protéger les victimes en leur reconnaissant le statut de mineur en danger, en créant, dans chaque département, un dispositif d’accompagnement et d’hébergement, et en structurant une offre de soins spécifiques ;

→ réprimer plus efficacement les clients et les proxénètes ;

→ organiser un pilotage national relayé, au niveau territorial, par un partenariat entre l’ensemble des professionnels concernés (santé, Éducation nationale, jeunesse, police et gendarmerie, justice…).