LES CPP ONT BESOIN DE VOLONTAIRES
RECHERCHE BIOMÉDICALE
JE DÉCRYPTE
DÉMOCRATIE SANITAIRE
Les comités de protection des personnes (CPP) contrôlent l’éthique des projets de recherche biomédicale sur les personnes en France. Aux côtés de professionnels, qu’ils soient scientifiques ou pas, les infirmières et les infirmières libérales peuvent y siéger et ainsi enrichir leur pratique.
J’appelle toutes les personnes qui s’intéressent à notre système de santé et à l’accès aux traitements innovants à candidater pour rejoindre les comités de protection des personnes. » La supplique du ministre de la Santé Olivier Véran(1) serat-elle entendue ? Déclinaison française des comités d’éthique de la recherche régis par des textes internationaux, les CPP, méconnus du grand public, peinent à faire le plein. Pourtant, ces comi tés indépendants sont investis d’une noble mission : garantir la protection des personnes dans tout projet de recherche visant à développer les connaissances biologiques ou médicales. Au nombre de 39 en France, les CPP sont composés de 28 membres bénévoles équitablement répartis en deux collèges : un premier, scientifique, où siègent des professionnels de la recherche, des médecins, des infirmières, des pharmaciens et des auxiliaires médi caux, et un second, censé représenter la société civile avec des spécialistes de l’éthique, des juristes, des avocats, des psychologues, des professionnels des sciences humaines ou de l’action sociale et des représentants des patients. Cette interdisciplinarité, gage de démocratie sanitaire, fait aussi la solidité éthique des avis des CPP qui sont contraignants : tout projet de recherche impliquant la personne humaine (RIPH) doit recevoir l’avis favorable d’un CPP pour pouvoir démarrer sur le territoire français. En cas d’avis défavorable, la recherche ne peut se faire.
Concrètement, chaque CPP se réunit deux fois par mois pendant quelques heures pour statuer sur quatre nouveaux protocoles de recherche, en moyenne, par séance. Pour chaque protocole à éva luer, un rapporteur est désigné dans chacun des deux collèges. Les deux rapporteurs étudient les documents fournis par les promoteurs de la recherche et présentent leur analyse en séance à leurs collègues. Les points scrutés sont nombreux : lisibilité et loyauté des informations données aux « cobayes », qualification des personnes qui réalisent et dirigent la recherche, montants et modalités d’indemnisation des participants, pertinence éthique du projet, respect des règles relatives à la protection des données personnelles, etc.
Ensuite, chaque membre du CPP, depuis son domaine d’expertise, questionne, commente et observe : cette discussion pluridisciplinaire permet au comité de formuler un avis. « Nous posons le plus souvent des questions complémentaires aux promoteurs », note Catherine Cornu, médecin déléguée au Centre d’investigation clinique des Hospices civils de Lyon, membre et exprésidente du CPP Sud-Est II. « Le but, c’est que la décision émane du collectif et pas seulement des deux rapporteurs », insiste Maxime Sordillon, membre du même CPP. Cet IDE de 29 ans, faisant fonction de cadre au centre hospitalier Le Vinatier, spécialisé en psychiatrie, a rejoint le collège 2 du CPP Sud-Est II après un diplôme interuniversitaire d’éthique appliquée à la santé « parce qu’il manquait des membres » et « par curiosité ». Pour sa collègue Isabelle Gimenez, 60 ans, depuis dix-huit ans dans le collège scientifique, le moteur a été les questions qu’elle se posait en tant qu’infirmière en réanimation confrontée « à la souffrance, à la mort ». Aurélie Pourrez, quant à elle, a rejoint en 2013 le CPP Est I, à Dijon, dans le cadre d’un pro jet de thèse. D’abord membre du collège scientifique, cette infirmière qui a exercé dix ans en centre de lutte contre le cancer se voyait logiquement attribuer beaucoup de protocoles en cancérologie. Passée depuis au collège 2 avec une casquette éthique, elle évalue désormais « un peu de tout ». Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine depuis septembre 2021, elle apprécie, à travers le CPP, « de garder contact avec la réalité des soins » et « de consolider son souci du respect de l’éthique », qui n’est « pas toujours aussi incontournable qu’on pourrait l’espérer dans la recherche », regrette-t-elle. Et de confier sa révolte en découvrant que, pour interroger des patientes, « certains chercheurs ou journalistes n’hési tent pas, sur des forums, à se faire passer pour des malades souffrant d’un cancer du sein… »
Si l’enthousiasme des membres des CPP transpire le plus souvent de leurs témoignages, il ne doit pas faire oublier les difficultés de recrutement. Et pour cause, la charge de travail est importante et la rétribution minime. Si les porteurs de projet sont obligés de fournir au CPP un résumé du protocole de recherche en français (parfois excessivement mal traduit par Google…), les rapporteurs, pour effectuer un travail de qualité, doivent prendre connaissance du protocole lui-même, lequel peut faire plusieurs centaines de pages, souvent en anglais. « Pour qui ne maîtrise pas bien l’anglais, c’est dur au début, admet Isabelle Gimenez, mais ensuite, on constate que certains termes reviennent souvent. » Il n’empêche, le temps à y consacrer peut être dissuasif. D’autant qu’aucune indemnisation n’est prévue pour la participation aux séances, sauf pour les professionnels libéraux qui ferment leur cabinet pour y assister. Seuls les rapporteurs touchent de 67,50 € à 135 € par protocole selon le type de RIPH (lire l’encadré cidessous). « On s’adapte aux possibilités de chacun », tient à relativiser Virginie Rage Andrieu, viceprésidente d’un CPP occitan et présidente de la Conférence nationale des CPP (CNCP), qui les regroupe : « On peut confier aux membres les plus actifs, parmi lesquels des retraités, des protocoles à pres que toutes les séances, et seulement un tous les trois mois à des membres moins disponibles. »
En 2020, au plus fort de la crise sanitaire, les CPP ont répondu présent. Par ordonnance du 22 avril 2020, une procédure accélérée a permis de déroger à la règle du tirage au sort pour l’attribution des protocoles aux CPP(2) : les comités volontaires se sont organisés pour étudier des protocoles dans des délais bien plus courts qu’habituellement, au moyen de séances supplémentaires, en distanciel, y compris le week-end. « Des bénévoles ont siégé sept jours sur sept ! », salue Catherine Cornu, qui fait partie du conseil d’administration de la CNCP. Entre le 4 février et le 27 septembre 2020, 559 protocoles liés à la Covid19 ont été soumis aux CPP, dont 23 % de type 1, avec un pic de 80 la semaine du 13 au 19 avril. Au cours de ces quelques mois, les protocoles relatifs au SarsCoV2 ont représenté jus qu’à 57 % des projets étudiés. En temps normal, les comités doivent rendre leur avis au bout de 45 jours, 60 jours en cas de questions complémentaires adressées aux porteurs de projet. Pour les dossiers Covid examinés pendant l’état d’urgence sanitaire, les délais médians ont été respectivement ramenés à quatre et douze jours, une véritable prouesse. Mais cette procé dure d’évaluation exceptionnelle ne saurait perdurer, alerte Virginie Rage Andrieu. Même hors Covid, la masse de travail devient trop lourde pour 39 CPP, comme l’a conclu un audit externe commandé par la Direction générale de la santé (DGS). Selon les chiffres de la CNCP, le nombre de recherches examinées augmente en moyenne de 8 % chaque année, et celui des nouveaux protocoles a doublé en dix ans pour tutoyer les 4 000 en 2020. Ailleurs en Europe, observe Catherine Cornu, les comités d’éthique de la recherche sont plus nombreux : 53 en Allemagne, 85 au Royaume-Uni et 180 en Belgique, même si les périmètres des instances ne sont pas comparables d’un pays à l’autre.
Pour faire face à l’inflation de dossiers, la CNCP a réclamé une augmentation du nombre de membres par CPP : un décret en préparation doit prochainement le porter de 28 à 36 afin de répartir la charge de travail sur davantage de bénévoles. Mais encore fautil trouver des volontaires… D’autant que les ambitions de la France en matière de recherche clinique sont grandes. Fin juin 2021, les travaux du Conseil stratégique des industries de santé ont débouché sur le lancement, par le prési dent de la République, du plan « Innovation santé 2030 » prétendant notamment « faire de la France le pays leader en Europe sur les essais cliniques » par le biais d’un « réinvestissement massif » dans la recherche(3). Dans la foulée, le gouvernement a annoncé l’alignement de l’indemnisation des membres des CPP « au niveau des autres agences » du champ de la santé et un « double ment des moyens financiers alloués » à ces comités. « Nous ne sommes pas encore alignés, mais nous avons été augmentés », rectifie Virginie Rage Andrieu. Et les CPP ont obtenu 0,5 équivalent temps plein (ETP) administratif supplémentaire, ce qui porte le total à 1,5 ETP par comité.
Pour les « soulager », la DGS veut par ailleurs retirer aux CPP l’évaluation des protocoles de type 3, censés être dénués de risques pour les participants (un gros tiers du total en 2020). Un amendement en ce sens du député LREM Cyrille Isaac Sibille a été adopté avec le soutien du gouvernement dans le cadre du PLFSS pour 2022, mais le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions comme n’ayant pas leur place dans cette loi de financement de la Sécurité sociale, au grand soulagement des CPP qui se félicitent du répit obtenu (lire l’encadré p. 15). Mais pour combien de temps ? Nul doute en effet que la mesure trouvera bientôt à se concrétiser(4). Lors de l’appel à candidatures pour le renouvellement des membres des CPP fin 2021, le gouvernement évoquait des travaux en cours afin de délester les comités de plus de 1 000 dossiers dès 2022. Un empressement qu’explique l’entrée en vigueur, depuis le 31 janvier, du règlement européen sur les essais cliniques de médicaments(5). « La DGS est focalisée sur les délais et la compétitivité de la France dans les essais cliniques », observe Catherine Cornu : aujourd’hui, si un CPP ne rend pas d’avis dans le délai imparti, la recher che ne peut démarrer. À l’inverse, avec l’application du règlement européen, un dépassement de délai vaut avis favorable.
Mais gare à ne pas céder aux « fausses polémiques sur les délais », temporise Virginie Rage Andrieu : « Ce n’est pas un souci pour nous. Les CPP sont tirés au sort en fonction de leur date de séance et globalement, un mois après, l’avis est rendu ; un peu plus tard s’il y a des questions aux promoteurs, mais on reste dans les clous. » Surtout depuis qu’un décret de mars 2021 a imposé un délai maximum de douze jours aux porteurs de projet pour répondre aux questions du CPP. Avec l’entrée en vigueur de cette disposition, à ce jour, sur 348 dossiers, 232 demandes ont dépassé le délai de douze jours et ont donc été réputées caduques, peut-on lire dans le rapport d’information sénatorial. La véritable raison de la nervosité gouvernementale réside plutôt dans l’enjeu concurrentiel majeur que constitue l’accueil d’essais cliniques : « La mise en œuvre en France d’essais précoces est déterminante pour inciter un industriel à poursuivre le développement clinique et la production d’une thérapie innovante sur notre territoire », liton dans un rapport d’information sénatorial daté de juin 2021. Or, la France peine à se positionner en première ligne pour attirer des essais de phase précoce. Selon les données du Leem [Les entreprises du médicament, NDLR], au premier semestre 2019 elle n’accueillait que 5 % des essais de phase 1, au cinquième rang européen.
L’objectif du gouvernement est donc « d’augmenter le nombre d’essais cliniques en France et le nombre de patients inclus », ce qui passe par « une réduction significative des délais d’autorisation ». Pour Virginie Rage Andrieu, cette approche concurrentielle ne doit pas nuire au « positionnement éthique » des CPP. En attendant, les CPP, qui ont renouvelé mi-novembre leurs membres nommés par les directeurs d’agences régionales de santé pour trois ans renouvelables, vont bientôt devoir regarnir leurs rangs à la faveur du prochain élargissement de leur péri mètre… Avis aux amateurs ! Pour candidater, il suffit d’adresser un CV et une lettre de motivation au comité le plus proche de chez vous(6). Une formation d’une journée à l’École des hautes études en santé publique sur les enjeux et le fonctionnement des CPP sera dispensée aux nouveaux membres, promet la DGS.
1. Communiqué de presse du ministère des Solidarités et de la Santé, 29 octobre 2021. En ligne sur : bit.ly/3tdIOfU
2. Introduit dans la loi en 2018, le tirage au sort a pour objectif de réduire le risque de conflit d’intérêts avec les équipes de recherche locales.
3. Conseil stratégique des industries de santé, « Innovation santé 2030, faire de la France la 1re nation européenne innovante et souveraine en santé », 29 juin 2021. Sur : bit.ly/3tdy1lx
4. Elle est également défendue par le rapport d’information sur l’innovation en santé remis à la Commission des affaires sociales du Sénat le 23 juin 2021.
5. Voté en 2014. Depuis le 26 mai 2021 s’applique déjà le règlement européen relatif aux dispositifs médicaux voté en 2017.
6. Les coordonnées des CPP sont disponibles sur : bit.ly/3ncFaPo
Lorsque la CNCP a sondé les CPP sur l’externalisation des RIPH 3, l’écrasante majorité des répondants (86 %) a dit son hostilité à une telle réforme. « Nous y sommes farouchement opposés », confirme Catherine Cornu, du conseil d’administration de la CNCP. Plusieurs raisons à cela : d’abord, le fait que toute RIPH soit soumise au CPP rend le système lisible pour les porteurs de projet. Ensuite, la classification des RIPH en trois catégories n’est pas une science exacte, il arrive assez régulièrement « que nous requalifiions une RIPH 3 en RIPH 2 », note Catherine Cornu. Certains projets de type 3, bâclés, sont très éloignés des standards attendus. Or, il y a toujours un enjeu éthique, notamment sur le plan des données personnelles, dont les industriels sont friands. Les CPP font œuvre d’utile pédagogie envers des promoteurs qui sont parfois des étudiants en médecine, jeunes pousses de la recherche de demain. Enfin, la diversité des protocoles rend l’activité d’un CPP plus intéressante, donc plus attractive car les protocoles médicaments, très standardisés, sont parfois difficiles à appréhender pour les membres des collèges non scientifiques.
L’article L 1121-1 du Code de la santé publique classe les Recherches impliquant la personne humaine (RIPH) en trois catégories définies par arrêté :
→ les recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle (par exemple tester un nouveau médicament) ;
→ les recherches interventionnelles qui ne comportent que des risques et des contraintes minimes (par exemple un prélèvement capillaire pour suivre la glycérolémie pendant l’effort) ;
→ les recherches non interventionnelles qui ne comportent aucun risque ni contrainte dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle (par exemple soumettre un simple questionnaire ou collecter des données).
Être membre d’un CPP n’est certes pas lucratif au regard de l’investissement demandé. Mais cette activité bénévole peut être valorisée autrement. La CNCP a listé les compétences que l’on développe au sein d’un CPP : perfectionnement en anglais, exercice de la pensée critique par la confrontation à divers points de vue, formation au travail de groupe (écoute, respect, non-jugement). Et, bien sûr, « si l’on veut promouvoir la recherche en sciences infirmières, obtenir un financement dans le cadre du PHRIP, par exemple », la participation à un CPP « valorise une certaine connaissance du monde de la recherche », plaide Aurélie Pourrez, IDE docteure en sciences de l’information et de la communication.