UN TEMPS POUR SE RETROUVER AU-DELÀ DU CANCER - Ma revue n° 017 du 01/02/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 017 du 01/02/2022

 

INSTITUT RAFAËL

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Laure Martin  

Depuis fin 2018, l’Institut Rafaël - l’ange de la guérison -, à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, prend en charge des patients avant, pendant et après le traitement de leur cancer. La finalité ? Leur proposer une médecine intégrative pour ne pas seulement être guéris, mais aussi se reconstruire.

Allongée sur une table de massage, Nafissa se détend sous les doigts de Marie Alavoine, onco-esthéticienne et coordinatrice au sein de l’Institut Rafaël. Musique d’ambiance, lumière tamisée. « Je suis suivie ici depuis septembre 2020, confie-t-elle. C’est ma fille qui a trouvé l’Institut. J’ai eu un cancer du sein il y a sept ans et une récidive il y a deux ans avec des métastases osseuses. Je suis arrivée à l’Institut vraiment “morte”. Je me demandais ce qu’on pourrait faire de plus pour moi. Et j’ai ressuscité grâce aux thérapeutes et à tous les soins dont j’ai pu bénéficier, comme la danse-thérapie, le yoga, les cours de nutrition, la sophrologie, le suivi psychiatrique. Quand on rencontre les thérapeutes, on a l’impression qu’ils sont tous liés entre eux. »

UNE MÉDECINE INTÉGRATIVE

12 médecins, 70 thérapeutes pour 32 disciplines, 2 800 patients pris en charge gratuitement (soit environ 200 par jour) et 36 000 soins prodigués depuis l’ouverture : les champs d’intervention de structure, un oncologue, le Dr Alain Toledano. « L’idée de l’Institut est née en écoutant les patients », livre-t-il en mangeant sa salade après une matinée de consultations. L’histoire, c’est celle de la santé émotionnelle, psychosociale, sexuelle… « Il faut écouter, donner du temps au patient, porter et véhiculer les valeurs d’une santé globale, soutient-il. Car on tente de soigner au mieux, ce qui a un coût sociétal, mais on ne propose pas pour autant de suivi complet. Il n’est pas efficient que la société investisse tant de ressources pour des traitements permettant d’espérer guérir une personne de son cancer, mais qu’elle ne prenne pas en charge les quelques dépenses moindres d’un suivi psychologique, parfois indispensable au regard de la situation que le malade vient de traverser. C’est ce que nous proposons ici, car si on ne s’occupe pas de ces patients, on les fait mourir deux fois. » Et d’ajouter : « À l’Institut Rafaël, nous avons un devoir de non-abandon, d’accueil, d’accessibilité, et nous souhaitons favoriser la résilience. L’objectif est de passer d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine intégrative axée sur l’individu et son projet de vie, grâce à une approche transdisciplinaire qui associe médecine conventionnelle et approches complémentaires. »

UN PREMIER ENTRETIEN CONÇU PAR LES IDE

Les patients qui passent la porte de l’Institut sont soit suivis par l’un des oncologues du secteur, soit pris en charge au sein d’une structure extérieure plus lointaine qui sollicite l’établissement pour un accompagnement complémentaire. « Dans ce deuxième cas, nous avons besoin d’un certificat médical pour un complément de prise en charge », indique Ayala Elharar, responsable de la coordination à l’Institut Rafaël. Ensuite, le parcours commence par un rendez-vous avec l’une des coordinatrices, au nombre de six, dont deux infirmières. Initialement, elles ne réalisaient une évaluation du patient que par téléphone, lequel se rendait ensuite directement auprès des thérapeutes. « Mais très rapidement, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas suffisant et qu’il fallait un temps de rencontre pour faire le bilan et créer un lien de confiance », souligne Mathilde Terzioglu, qui était infirmière en cancérologie avant de rejoindre l’Institut comme coordinatrice. Avec Émilie Butaye, également coordinatrice et ancienne infirmière en cancérologie puis en libéral, elles ont formalisé l’entretien de consultation en s’inspirant du projet de soins infirmiers. « C’était très intéressant à élaborer et pour ce faire, je me suis appuyée sur ma formation d’infirmière et sur celles que j’ai suivies en programmation neurolinguistique et en hypnose », fait savoir celle-ci. « La vision de l’infirmière est vraiment importante, soutient le Dr Toledano. Elle est formée en physiologie, en anatomie, elle sait intervenir auprès des familles, elle est une actrice majeure de la santé. » Pour construire le premier rendez-vous de coordination, elles ont repris du projet de soins infirmiers l’anamnèse (l’histoire de la maladie) du patient, son contexte familial et professionnel, la symptomatologie et les traitements. « Nous avons rédigé le guide d’entretien de la consultation pour les coordinatrices en nous basant sur notre expérience pour structurer le parcours de soins et les orientations vers les thérapeutes, rapporte Mathilde Terzioglu. Ce guide reprend également l’ensemble des symptomatologies. Nous n’aurions pas pu l’écrire si nous n’avions pas eu les connaissances nécessaires sur les traitements et leurs effets secondaires que nous ont apportées nos expériences en cancérologie. »

UN PARCOURS PERSONNALISÉ

Lors du premier rendez-vous, la coordinatrice, qui reste la référente du patient tout au long de sa prise en charge, cherche à rassembler un maximum d’informations le concernant. « Il doit également remplir un questionnaire, que nous appelons les “cinq santés”, qui l’amène à évaluer sa vie affective, sa santé sportive, sa vie sociale, sa vie sexuelle et son équilibre psychologique, en attribuant à chaque thème une note entre 1 et 4, détaille Émilie Butaye. Il est important de faire parler le patient et de lui demander quels sont ses besoins. » Ce questionnaire, qui permet d’engager la conversation et d’aller en profondeur sur les sujets, offre à la coordinatrice la possibilité de repérer les domaines dans lesquels le patient va avoir besoin de soins. Au cours de ce rendez-vous, la personne se fixe certains objectifs, comme penser à une vie plus sereine, se sentir en confiance, atteindre un certain poids pour s’estimer en santé, repenser sa place dans sa cellule familiale, dans son travail. « La consultation se termine par cette définition des objectifs, ce qui lui permet d’être dans une vision positive de son avenir », se félicite la soignante. « L’éducation thérapeutique part du principe que le patient est acteur de son parcours, rappelle Mathilde Terzioglu. En déterminant lui-même des objectifs par ordre de priorité, avec notre aide si besoin, il peut se projeter dans ce qu’il souhaite de son après-cancer. Cela permet de donner de la valeur aux soins. »

C’est sur la base de cet échange que la coordinatrice peut organiser un parcours cohérent et personnalisé. « Les patients peuvent bénéficier d’une prise en charge dans cinq domaines, à savoir un axe psychoémotionnel, de l’activité physique, un suivi nutritionnel, du bien-être et un retour à l’emploi », détaille Ayala Elharar. Dans chacun de ces champs, plusieurs disciplines coexistent, et dans le cadre d’une prise en charge, la coordinatrice va en moyenne en retenir cinq. Ensuite, la personne aura accès à plusieurs séances par discipline en fonction de sa fragilité et de l’étape de son traitement. Après trois mois, le patient et sa coordinatrice référente se retrouvent pour faire un bilan de suivi. En parallèle, des réunions de concertation transdisciplinaires se tiennent tous les quinze jours pour permettre à l’équipe d’échanger et de réajuster les prises en charge proposées.

DES ATELIERS ENCADRÉS ET ENCADRANTS

Comme tous les patients de l’Institut Rafaël, lorsque Nafissa a passé la porte, elle a d’abord été reçue par une coordinatrice. Dans son parcours, elle a pu bénéficier de soins d’onco-esthétique. « Nous proposons des soins du visage qui s’adaptent à la peau des patients, laquelle est amenée à évoluer avec les traitements », indique Marie Alavoine, tout en dispensant un soin. Au même moment, au deuxième sous-sol, Ghislaine Achalid termine une séance d’activité physique adaptée (Apa). « Dans le parcours des patients, nous leur proposons un cours par semaine, sur environ dix semaines, pour agir sur leur transformation métabolique, explique-t-elle. Pendant une séance, les patients apprennent à faire une activité sans se blesser, à bien réaliser un geste ou encore à prendre confiance dans leurs mouvements. » En tant que responsable de l’Apa, elle organise des petits groupes de trois à quatre personnes présentant des objectifs thérapeutiques communs. « Que le soin soit individuel ou collectif, il est important que le patient se sente comme chez lui et non dans un lieu impersonnel », insiste Ghislaine Achalid. Jenifer, qui vient d’assister au cours, a été orientée vers l’Institut par son cancérologue. « C’est lui qui m’a proposé de faire partie de la famille, confie-t-elle, assise sur son tapis de sport. Lors de mon rendez-vous avec la coordinatrice, elle m’a posé de nombreuses questions sur ma vie. Puis, j’ai émis l’envie de pratiquer une activité sportive et de m’occuper de moi pour retrouver une forme physique en général mais aussi par rapport à mon intervention, pour me sentir mieux. » « Jenifer est arrivée au début de sa chimiothérapie, et nous nous sommes fixé comme objectif qu’elle reste en forme pendant la durée de son traitement », poursuit Ghislaine Achalid, précisant que l’Apa permet de réduire la fatigue liée aux traitements de 30 %. Philippe, lui, a eu un cancer de la peau il y a onze ans. « À cette époque, il n’y avait pas d’accompagnement patient. J’avais l’impression d’être considéré comme un numéro et non comme un être humain. J’ai découvert l’Institut il y a six mois. Je n’ai jamais été passionné de sport, mais j’ai ressenti le besoin de m’entretenir. On n’est pas infaillible. Cela me fait vraiment du bien et me permet de prendre soin de moi, de panser la plaie. J’en ai besoin pour enfin fermer la porte sur tout cela. »

Pour accompagner la charge émotionnelle des patients, ces derniers ont également la possibilité de suivre des ateliers d’art-thérapie (dramathérapie, écriture, musicothérapie, danse-thérapie). « L’art-thérapie permet de symboliser cette charge émotionnelle par les formes, les couleurs, le modelage et tous les processus psychiques qui vont se rattacher à ce travail, rapporte Ayala Elharar, également responsable des arts thérapeutiques. Dans ce processus, on ne s’attache pas à ce qui est produit mais à ce qui se produit séance après séance. » Dans ce cadre, elle met en place des protocoles personnalisés en fonction du parcours des patients, de leur maladie. Les objectifs thérapeutiques peuvent évoluer au fur et à mesure des séances (entre cinq et huit). « Le développement personnel étant sans fin, on doit poser un cadre », précise-t-elle.

La prise en charge des patients se conclut par un bilan de fin réalisé environ six mois après leur arrivée. « Nous travaillons sur des passerelles afin qu’ils ne quittent pas l’Institut du jour au lendemain, sans aucun suivi ensuite », fait savoir Ayala Elharar. « Aujourd’hui, j’ai des difficultés à quitter l’Institut, confie Nafissa, les yeux remplis de larmes, dans la salle d’accueil. Cela m’a vraiment fait du bien d’être ici, notamment pour accepter ma maladie. On m’a parlé, on m’a massée, on m’a considérée. »

Une formation pour les Idels

Au sein de l’Institut Rafaël, Émilie Butaye est aussi référente de la formation pour les infirmières. « Nous proposons une formation agréée Développement professionnel continu à destination des infirmières libérales, sur le vécu du patient atteint d’un cancer », explique-t-elle. Au cours de cette formation interviennent un médecin pour l’aspect médical et les traitements, un hypnothérapeute pour la communication thérapeutique, une diététicienne pour l’alimentation, notamment la nutrition entérale et parentérale, et enfin un prestataire pour l’organisation de la prise en charge du patient et la remontée d’informations. « Notre but est de faire en sorte que les professionnelles de santé disposent de bases pour la prise en charge des patients à domicile, indique Émilie Butaye. Ces derniers seront ainsi rassurés de constater que leur infirmière peut leur apporter des réponses concernant leurs questionnements. » L’Institut travaille également au développement d’une deuxième formation pour les Idels afin d’approfondir l’axe « prise en charge psychologique du patient ».

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