À L’HOPITAL DE NANTES, UNE UNITE DÉDIÉE AUX ENFANTS VICTIMES DE SÉVICES - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

MALTRAITANCES

J’EXPLORE

COORDINATION

Éléonore de Vaumas  

Parmi l’un des premiers à s’être doté d’une unité d’accueil des enfants en danger, le centre hospitalier universitaire de Nantes est particulièrement à la pointe dans le repérage des mineurs victimes de maltraitance. Chaque année, entre 400 et 600 y sont accueillis, écoutés et orientés.

Installée dans l’un des fauteuils en Skaï de cette petite pièce dotée d’une vitre sans tain permettant de suivre l’entretien discrètement, Cassandra Aubry fait le bilan des auditions qu’elle a menées ce matin-là : l’une concerne une jeune fille de 15 ans qui a subi des attouchements de la part d’un jeune homme fréquentant le même centre spécialisé qu’elle ; l’autre une adolescente de 14 ans entendue pour des faits de viol par le demi-frère de son père. Bien qu’éprouvée par ces deux longues heures d’audition, l’enquêtrice à la brigade de gendarmerie de Vertou, près de Nantes, en Loire-Atlantique, affiche un visage détendu. « Normalement, je ne fais pas plus d’une audition par jour, mais le nombre de dossiers augmentant, il nous arrive d’en caler plusieurs à la suite pour éviter d’avoir à nous rendre plusieurs fois par semaine au CHU de Nantes », témoigne la jeune femme. Là réside en effet l’une des particularités de l’unité d’accueil des enfants en danger (UAED) installée dans le centre hospitalier : la possibilité d’entendre les mineurs victimes de maltraitance au sein de l’établissement. Dans une petite salle située au fond d’un long couloir orange du rez-de-chaussée de l’hôpital, gendarmes et policiers viennent recueillir la parole des victimes. Et personne pour s’étonner de la présence d’uniformes bleus au milieu des blouses blanches. « Depuis qu’elles ont lieu dans l’enceinte de l’hôpital, ce sont les forces de l’ordre qui s’adaptent à l’enfant et non l’inverse. Cette démarche est bénéfique à plus d’un titre. Cela permet de ne plus ballotter la jeune victime entre le commissariat, le tribunal et l’hôpital, et, par conséquent, lui éviter d’avoir à raconter plusieurs fois son histoire, mais surtout de pouvoir évaluer ses besoins en soins et les amorcer dès que possible parce qu’il est prouvé que quand une audition se déroule à l’hôpital, c’est déjà un début de soins pour l’enfant », explique Catherine Échelard, puéricultrice à temps plein dans cette unité depuis 2010, année de la mise en place des auditions filmées.

PIÈCES À CONVICTION

Bienfaisante pour l’enfant ou l’adolescent, cette démarche renforce également l’alliance médico-judiciaire. « Le fait de venir à l’hôpital et de pouvoir bénéficier des compétences des soignants pour tout le travail de mise en confiance, de leur expertise sur l’observation de l’enfant et de son entourage, représente un vrai plus pour faire avancer nos enquêtes. De cette manière, on gagne forcément du temps », confirme Cassandra Aubry. Pièce maîtresse de l’échiquier de l’UAED, c’est à la puéricultrice que revient la mission de mettre la victime en confiance avant l’audition. À elle aussi de s’entretenir avec l’accompagnant – le plus souvent les parents, mais cela peut aussi être un éducateur, les grands-parents ou un assistant familial – dans son bureau qui jouxte la pièce dédiée aux auditions. « Qu’il ait 3 ou 18 ans, je prends le temps d’expliquer à l’enfant pourquoi il est là, l’intérêt de filmer l’entretien. Je lui parle de la notion de mensonge et de vérité en lui précisant que la vérité est souvent difficile à dire. Avec son accompagnant, en revanche, j’aborde les aspects plus pratiques du quotidien à la maison, en classe, avec ses pairs ou les adultes. Ces éléments nous donnent des indications sur son état de santé », détaille Catherine Échelard. L’audition terminée, c’est à nouveau à elle que les enquêteurs s’adressent pour faire un résumé des faits rapportés. Éléments qu’elle se charge ensuite de transmettre à ses collègues médecins et psychologues qui vont procéder à l’examen médical sur réquisition judiciaire, lequel est généralement effectué dans la foulée. « Il ne s’agit pas de rompre le contrat de confiance avec l’enfant, prévient Juliette Fleury, l’une des pédiatres de l’unité, mais de pouvoir dire si ce que nous constatons lors de l’examen est compatible ou non avec ce que l’enfant a raconté. Et pour cela, nous devons savoir ce qu’on va chercher. »

L’ÉQUIPE EN APPUI

La consultation, elle, s’opère toujours en binôme. Quelle qu’en soit la combinaison, pédiatre/psychologue, pédiatre/puéricultrice, pédiatre/assistante sociale, le concours de deux professionnels aux compétences complémentaires se révèle être une véritable valeur ajoutée pour ce type d’examen. « Avoir des grilles d’observation différentes nous permet de recueillir davantage d’informations pour être au plus près de la réalité vécue par l’enfant, puis pour poser le bon diagnostic. Ainsi, en tant que psychologue, nous nous attachons au retentissement psychique des violences tandis que le pédiatre, lui, va se concentrer sur l’état de santé physique. La combinaison de nos expertises est un atout pour mettre en lumière les imbrications entre le somatique et le psychique. Sans compter que, pour nous, avoir nos collègues en appui est indispensable », explicite Alice Pluvinage, l’une des deux psychologues à mi-temps du dispositif. Autre intérêt d’agir en duo : pouvoir compter sur l’appui de l’autre face à des situations plus complexes. Une cohésion qui se vérifie aussi au-delà des consultations. À l’échelle de l’unité, des staffs se tiennent toutes les semaines où l’ensemble de l’équipe, composée de cinq pédiatres, un interne en pédiatrie, une puéricultrice, deux psychologues, une assistante sociale à mi-temps et une secrétaire, se réunit pour évoquer les situations qui demandent une réflexion plus approfondie. « À part la secrétaire et moi, tous les soignants sont rattachés à un autre service de l’hôpital au sein duquel ils occupent une activité dédiée. Nous savons toutefois que nous pouvons solliciter leur aide, notamment lorsque nos collègues dans les étages ou les couloirs voisins nous appellent pour avoir un avis sur un enfant qui les inquiète », décrit Catherine Échelard.

DÉPISTAGE RAPIDE

C’est là en effet une autre des forces de l’UAED nantaise, l’une des premières à avoir ouvert en France, en 2001. L’implantation de cette unité transversale au cœur de l’établissement hospitalier lui permet d’intervenir dans les autres services au moindre tableau clinique suspect. « Ça fait plus de vingt ans que l’unité existe et qu’il y a des chefs de service concernés par la question de la maltraitance. En pédiatrie, la prise en charge des enfants victimes de violences est notre quotidien. Si bien que quand un jeune arrive avec une fracture, une hémorragie cérébrale, suite à une intoxication médicamenteuse volontaire ou qu’il présente une grosse souffrance psychique, il y a forcément quelqu’un qui va nous alerter pour qu’on puisse poser ce diagnostic ou l’éliminer », témoigne Juliette Fleury. Des spécialistes par ailleurs régulièrement sollicités par téléphone hors les murs de l’hôpital. Ici, un médecin généraliste qui requiert de l’aide pour rédiger une information préoccupante, là une infirmière scolaire qui s’interroge sur la marche à suivre pour faire une demande de protection au parquet. « Ils savent que nous sommes leurs personnes-ressources s’ils ont des inquiétudes sur un enfant ou besoin d’être guidés pour entamer une démarche. C’est un soutien que nous accordons volontiers aux praticiens libéraux qui sont souvent isolés face à ce type de situation. Notre contribution avec les institutions est en revanche plus limitée, mis à part avec l’aide sociale à l’enfance avec qui nous travaillons beaucoup quand les violences concernent un enfant protégé », poursuit la pédiatre.

ÉCOUTE BIENVEILLANTE

Faute de pouvoir réaliser les accompagnements au sein de l’UAED, des orientations sont fréquemment proposées vers des services de pédiatrie, des professionnels de santé libéraux ou des dispositifs de droit commun compétents sur cette question. Même si la prise en charge de l’enfant reste suspendue à la bonne volonté de sa famille. Pour la puéricultrice de l’équipe, cela suppose d’être en capacité de convaincre celle-ci de l’importance d’entreprendre ce type de démarche, notamment psychologique. « Quand un jeune vient révéler des choses, si les parents ne le croient pas ou ne souhaitent pas aller plus loin, forcément il ne va pas avoir le même développement qu’un autre dont les parents vont prendre les choses en main et l’éloigner de son agresseur. L’attitude et l’implication de la famille sont donc primordiales parce que c’est elle qui va permettre que l’enfant aille mieux une fois sorti de l’hôpital. C’est pour cela que je fais systématiquement une amorce de ce qu’il est possible de leur proposer dès le moment où je les reçois en entretien ; cela leur laisse le temps de cheminer », abonde Catherine Échelard. Victime dont la parole est de plus en plus considérée depuis quelques années. Au sein de l’unité, elle est en tout cas toujours prise au sérieux et ce, quel que soit le type de violence révélée. « On a beaucoup de mineurs entendus dans le cadre de violences conjugales. C’est bien, ça veut dire qu’on commence à reconnaître l’impact que cela a sur le développement de l’enfant, se réjouit la gendarme Cassandra Aubry. Les auditions concernant des cyberviolences sont également en augmentation, tout comme on reçoit de plus en plus de jeunes filles autour de 14 ans qui dénoncent des faits de non-consentement sexuel avec leur petit ami. Sur le plan légal, même s’il est très difficile de caractériser cela comme un viol, nous prenons toujours le même soin à écouter la victime, sans jugement. »

Voilà peut-être le signe que, grâce à de telles unités spécialisées dans l’accueil des jeunes victimes de violence (lire l’encadré « Les enfants protégés aux petits soins » p. 57), mais aussi grâce à la multiplication des actions de sensibilisation et de prévention dans les lieux fréquentés par les enfants et les adolescents, la prise en compte progresse en France. « Je ne sais pas quelles en sont les raisons précises, mais ce qui est sûr, c’est que le nombre d’auditions que nous réalisons au sein de l’unité va crescendo d’année en année, note la puéricultrice. Pour preuve, entre 2020 et 2021, ce chiffre est passé de 400 à environ 600, et je ne pense pas qu’il soit la seule conséquence du confinement. »

Les enfants protégés aux petits soins

À l’instar des départements de la Haute-Vienne et des Pyrénées-Atlantiques, la Loire-Atlantique a été désignée pour une expérimentation concernant les mineurs faisant l’objet d’une mesure de protection administrative ou judiciaire. Au centre hospitalier universitaire de Nantes, elle est coordonnée par le service de la pédiatre Nathalie Vabres, au même titre que l’unité d’accueil des enfants en danger (UAED). Sous l’appellation « santé protégée », son objectif est d’améliorer la santé globale de ces jeunes en facilitant leur accès aux soins, leur suivi et sa coordination pendant toute la durée de la mesure de protection. À cette fin, il s’agit de fédérer un réseau de professionnels de santé de ville (médecins généralistes, pédiatres, psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes) en proposant, si besoin, une prise en charge financière de soins habituellement non remboursés. « L’idée est que tous les enfants concernés puissent bénéficier d’un suivi médical régulier organisé autour d’un bilan de santé annuel. Ce bilan, théoriquement prévu par la loi, est en réalité peu suivi. Aussi, à chaque fois que l’on reçoit un enfant dans ce cas de figure, on adresse un mail au réseau pour l’y inclure. C’est ainsi l’occasion de le raccrocher à un parcours de soins coordonnés pour l’aider à bien grandir », signifie Catherine Échelard, puéricultrice au sein de l’UAED nantaise. En Loire-Atlantique, 80 professionnels de santé ont déjà répondu à l’appel.

Un exemple à suivre ?

Certains livres font date. La Familia grande*, de Camille Kouchner, en est un. Paru en janvier 2021, il a eu un écho sans doute bien supérieur à celui escompté par l’autrice.

Au niveau gouvernemental, il a notamment donné lieu, quelques jours après sa sortie, à la création de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, ndlr), une commission d’experts indépendants chargée de formuler des recommandations pour mieux prévenir les violences sexuelles faites aux mineurs. À court terme, celle-ci s’est fixée pour mission d’aller à la rencontre des victimes. À cette fin, elle a prévu de se rendre chaque mois dans l’une des principales villes françaises. Un tour de France qui a démarré en octobre dernier à Nantes, en présence des deux coprésidents : Édouard Durand, juge des enfants, et Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru. Lors de ce déplacement, la commission a profité d’une visite dans l’UAED pour annoncer la création de nouvelles unités d’accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED) sur l’ensemble du territoire. Objectif : une centaine d’unités de ce type à l’horizon 2022. Le dispositif nantais a d’ailleurs projeté de changer d’intitulé « en vue de l’harmoniser avec les autres unités », précise Catherine Échelard qui y officie en tant que puéricultrice depuis 2010. Une nouvelle dénomination qui ne modifiera en rien ses missions qui restent centrées sur l’accueil et l’écoute des mineurs victimes de sévices.

* Collection « Cadre Rouge », éditions Seuil, 2021.

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