CONCILIATION MÉDICAMENTEUSE, L’ANTIDOTE AUX ERREURS - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

JE ME FORME

PHARMACO

Typhaine Poinsat  

pharmacienne hospitalière au CHI Poissy/Saint-Germain-en-Laye (Yvelines)

En permettant de détecter et corriger les erreurs à des moments clés, la conciliation médicamenteuse sécurise la prise en charge du patient.

DÉFINITION ET OBJECTIF

En mars 2015, la Haute Autorité de santé a défini la conciliation médicamenteuse comme un « processus formalisé qui prend en compte, lors d’une nouvelle prescription, tous les médicaments pris et à prendre par le patient. Elle associe le patient et repose sur le partage d’informations et sur une coordination pluriprofessionnelle. Elle prévient ou corrige les erreurs médicamenteuses en favorisant la transmission d’informations complètes et exactes des médicaments du patient entre professionnels de santé aux points de transition que sont l’admission, la sortie et les transferts(1) ».

La conciliation médicamenteuse doit aboutir à une liste exhaustive de tous les médicaments que prend le patient, et notamment les traitements sans ordonnance, ou qu’il devrait prendre (observance) en termes de molécules, dosages et posologies. Pour cela, elle associe des « sources » variées telles que le patient, son entourage et ses aidants, ainsi que l’ensemble des professionnels de santé qui prennent en charge la personne, que ce soit en ville ou à l’hôpital.

Cette démarche a donc pour objectif de sécuriser la prescription médicamenteuse et la continuité du traitement du patient tout au long de son parcours, et plus particulièrement à des points de prise en charge qui sont considérés comme à risque d’erreur plus élevé.

En France, les problèmes concernant le traitement médicamenteux représentent 22 % des cas d’hospitalisation chez les personnes âgées et sont le premier motif de réhospitalisation au sein de cette population. La conciliation présente ainsi un intérêt de santé publique puisqu’elle contribue à diminuer le nombre d’hospitalisations. Elle constitue également un temps d’échange qui participe à l’amélioration des connaissances du patient et son entourage sur le traitement médicamenteux, et à favoriser le bon usage des produits de santé. Elle permet en outre un décloisonnement ville-hôpital puisqu’elle repose sur la transmission d’informations des soignants des deux secteurs.

MISE EN ŒUVRE

La conciliation médicamenteuse peut être réalisée aux points de transition du parcours patient en établissement de santé que sont l’admission, la sortie ou le transfert.

À L’ADMISSION

La conciliation peut être réalisée de façon proactive, en dressant la liste des traitements pris et à prendre par le patient avant la rédaction de la primoprescription. Dans ce cas, elle permet de prévenir les erreurs médicamenteuses. C’est le processus à favoriser. Cependant, selon l’organisation, la conciliation peut aussi être faite de manière rétroactive : la liste des traitements est établie après la rédaction de la primoprescription. La conciliation rétroactive conduit à corriger les erreurs et doit être effectuée au plus tôt après l’admission du patient. Elle se déroule en trois étapes.

Étape 1 : listing exhaustif des traitements. Il s’agit de rassembler toutes les informations concernant les traitements du patient afin d’établir une liste exhaustive de ce que celui-ci prend (historique médicamenteux) ou devrait prendre. Il est important de prendre en compte les traitements prescrits, ceux sans ordonnance (compléments alimentaires ou phytothérapie) ainsi que l’automédication pour obtenir un aperçu complet. La recherche des traitements peut amener à retrouver des médicaments prescrits mais partiellement ou non pris, ce qui permet de détecter les problèmes d’observance et d’adhésion au traitement.

La recherche d’informations repose sur la consultation de plusieurs sources :

– entretien avec le patient, dans la mesure de ses capacités cognitives et physiques ;

– entretien avec l’entourage, dans la mesure où celui-ci s’implique habituellement dans la prise en charge du patient ;

– contact avec les soignants prenant habituellement en charge le patient (médecin traitant, pharmacien, spécialistes, Idel, etc.) ;

– ordonnances valides, dossier pharmaceutique, courriers des médecins, compte-rendu d’hospitalisation, dossier médical partagé ;

– traitements apportés lors de l’hospitalisation.

Cette recherche d’informations peut être réalisée par tout professionnel de santé : médecin (senior, interne, externe), pharmacien (senior, interne, externe) ou infirmière, lesquels pourront ensuite établir le bilan médicamenteux optimisé (BMO).

Étape 2 : bilan médicamenteux optimisé. Le BMO conduit à dresser la liste exhaustive des traitements pris et à prendre par le patient. Pour chaque molécule, celui-ci indique : le dosage, la posologie et les sources d’informations confirmant ce traitement. Afin que le BMO soit au plus proche de la réalité, il est recommandé d’avoir au minimum trois sources concordantes pour chaque traitement pris (lire plus haut). Dans le cas d’une conciliation rétroactive, le BMO permet d’identifier des écarts, les divergences avec la primoprescription. Ce bilan est ensuite validé par un pharmacien ou un médecin – plus rarement par un interne –, le rendant officiel et permettant son utilisation durant le parcours de soins du patient.

Étape 3 : qualification des divergences et actualisation de la prescription. Chaque divergence est discutée avec le médecin en charge du patient. Une divergence peut être :

– intentionnelle, lorsque la modification est volontaire (exemple : arrêt d’un traitement à base de potassium chez un patient entrant avec une hyperkaliémie). Il peut s’agir d’un ajout/arrêt de traitement ou d’une modification de posologie. Ce changement doit alors être documenté dans le dossier patient. Dans le cas contraire, il constitue un risque d’erreur médicamenteuse ;

– non intentionnelle, si la modification n’est pas volontaire (exemple : non-connaissance d’un traitement). Il peut également s’agir d’un ajout/arrêt de traitement ou d’une modification de posologie. Cette divergence doit être corrigée, d’autant qu’elle peut conduire à un événement indésirable pour le patient.

La conciliation médicamenteuse correspond donc à la rédaction d’une prescription tenant compte du BMO (conciliation proactive) ou à la correction des divergences avec une modification de la prescription en cours (conciliation rétroactive). Celle-ci est optimisée puisqu’elle se base sur l’historique médicamenteux adapté à l’état du patient au moment de son admission. Le BMO doit être intégré au dossier du patient et sera réutilisé lors de la conciliation de sortie ou de transfert.

À LA SORTIE

En complément du courrier de sortie ou de la fiche de liaison, la conciliation de sortie permet de transmettre des informations justes et validées sur le traitement du patient aux professionnels de santé qui vont prendre le relais. Selon les capacités cognitives du patient, cette conciliation peut lui être transmise. Elle peut être réalisée de façon proactive (avant la rédaction de l’ordonnance de sortie), à privilégier, ou rétroactive (après l’ordonnance de sortie), mais avec un risque que le patient parte avec une ordonnance comportant des erreurs.

Il faut rechercher les informations concernant les traitements. Plusieurs sources peuvent être consultées : le BMO à l’admission, les traitements en cours d’hospitalisation, le courrier et l’ordonnance de sortie (conciliation rétroactive).

Un nouveau bilan médicamenteux reprend tous les traitements à poursuivre après la sortie. Il indique les modifications de prescription intervenues au cours de l’hospitalisation, comme les ajouts/arrêts de traitement et les changements de posologie, et peut mentionner des informations complémentaires pour permettre une meilleure compréhension des modifications apportées (exemple : indication d’un traitement ajouté).

Des divergences intentionnelles et non intentionnelles peuvent être détectées entre le traitement à poursuivre, la dernière prescription au cours de l’hospitalisation et l’ordonnance de sortie si elle a déjà été rédigée. Ces divergences doivent être discutées avec le médecin et justifiées ou corrigées. Le bilan médicamenteux peut ensuite être validé et servira de base à la rédaction de la prescription de sortie (conciliation proactive).

Selon les capacités cognitives du patient, le document peut lui être remis à l’occasion d’un entretien pour lui expliquer les changements.

DANS LE CADRE D’UN TRANSFERT

La conciliation de transfert permet de transmettre aux professionnels de santé d’une autre structure les informations nécessaires sur le traitement à poursuivre. Cette conciliation de transfert est également constituée de trois étapes, très proches de celles de la conciliation de sortie.

RÉFÉRENCES

Note

Haute Autorité de santé (HAS), « Mettre en œuvre la conciliation des traitements médicamenteux en établissement de santé. Sécuriser la prise en charge médicamenteuse du patient lors de son parcours de soins », février 2018. En ligne sur : bit.ly/3urSjbW

Outre ce guide, la Haute Autorité de santé met à disposition, sur son site Internet, une palette d’outils pour faciliter la conciliation médicamenteuse : Fiche de recueil des informations pour concilier ; Guide d’entretien du patient à l’admission en établissement de santé pour l’obtention du bilan médicamenteux optimisé ; Fiche de conciliation des traitements médicamenteux à l’admission ; Le volet médicamenteux de la lettre de liaison à la sortie ; Exemple de fiche de liaison ville-hôpital, etc.

Autres sources

• Omedit Grand Est, « Conciliation médicamenteuse », 16 août 2021. Sur : bit.ly/3sfltrS

• Ministère des Solidarités et de la Santé, « La conciliation médicamenteuse », 5 novembre 2021. Sur : bit.ly/3Gz78Mg

• Haute Autorité de santé, Institut national du cancer, « La conciliation des traitements médicamenteux en cancérologie », mars 2019. Sur : bit.ly/3BccRXj

• HAS, « Mettre en œuvre la conciliation des traitements médicamenteux en établissement de santé : évaluation de son implémentation », validé le 18 mars 2020. Sur : bit.ly/3J1NTfD

• Société française de pharmacie clinique, fiche mémo « Préconisations pour la pratique de la conciliation des traitements médicamenteux », décembre 2015. En ligne sur : bit.ly/3sxXpAK