TROUBLES ET SOINS DU PATIENT PARAPLÉGIQUE - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Thierry Pennable*   Dr Jonathan Levy**   Stéphanie Hamonic***   Ronny Laffilez****  


*respectivement médecin et infirmière du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches (Hauts-de-Seine),
**infirmier libéral à Caumont-sur-Durance (Vaucluse).

À côté du handicap très visible que représente la paralysie des membres inférieurs, les patients paraplégiques souffrent de nombreuses déficiences. Elles concernent plusieurs organes et fonctions physiologiques, et altèrent la qualité de vie de la personne, parfois de façon plus importante que la paralysie elle-même. C’est le cas des troubles anorectaux qui concernent la quasi-totalité des patients paraplégiques, dont la prise en charge est incontournable et relève de soins infirmiers souvent méconnus des professionnels.

LA PATHOLOGIE

INTRODUCTION

La paraplégie correspond, au sens strict, à la paralysie plus ou moins complète des membres inférieurs. Elle résulte d’une atteinte de la moelle épinière dont l’origine peut être traumatique ou médicale. Les nombreux troubles médicaux associés dans la paraplégie, principalement sensitifs et moteurs, dépendent du niveau du segment de la moelle épinière lésé et de l’intensité de l’atteinte médullaire (voir le schéma « Organisation longitudinale de la moelle épinière » page ci-contre). Le niveau neurologique d’une lésion de la moelle épinière étant défini comme le dernier niveau sain du point de vue sensitif et moteur. Selon les chiffres de l’Assurance maladie, en 2019, 97 600 personnes, à raison de 42 100 femmes et 55 500 hommes, ont été prises en charge pour une paraplégie avec un âge moyen de 54 ans.

Grande variabilité des situations : les paraplégies présentent des tableaux cliniques complexes et extrêmement variables, caractérisés par une grande diversité des symptômes. Ainsi, une paraplégie peut s’accompagner localement d’une perte de la sensibilité à la douleur alors qu’il existe une sensibilité au toucher dans la même zone corporelle (voir « Les dermatomes » p. 20). De fait, parler de paraplégie sans en préciser les caractéristiques est réducteur pour décrire la situation médicale de chaque patient.

CLASSIFICATION, FORMES DE PARAPLÉGIE

HAUTES OU BASSES

Les paraplégies ont été classées en deux catégories en fonction du niveau de la lésion médullaire(1). Chaque catégorie regroupe plusieurs niveaux neurologiques qui nécessitent des modalités de prise en charge proches :

– les paraplégies hautes regroupent les atteintes médullaires comprises entre les vertèbres thoraciques T1 à T9, aussi appelées vertèbres dorsales D1 à D9 ;

– les paraplégies basses concernent les atteintes au niveau des vertèbres thoraciques T10 à T12 (ou D10 à D12), des cinq vertèbres lombaires L1 à L5 ou des cinq vertèbres sacrées S1 à S5. Lorsque la lésion médullaire se situe en dessous de L2, elle entraîne un « syndrome de la queue de cheval » (lire plus loin).

COMPLÈTE OU INCOMPLÈTE

• La paraplégie est dite complète en l’absence de toute sensibilité ou motricité volontaire.

• La paraplégie est dite incomplète (paraparésie) si une sensibilité ou une motricité volontaire est conservée. Elle se manifeste par une diminution de la force musculaire des membres inférieurs. Elle est parfois considérée comme une forme atténuée de paraplégie, mais ses conséquences n’en sont pas moins graves pour le patient.

CENTRALES OU PÉRIPHÉRIQUES

• Les paraplégies centrales sont consécutives à une atteinte de la moelle épinière.

• Les paraplégies périphériques sont liées à une atteinte des racines nerveuses à l’extérieur de la moelle épinière (31 paires de nerfs spinaux relient la moelle épinière au reste de l’organisme).

SPASMODIQUES OU FLASQUES

Les symptômes et leur prise en charge divergent selon que la paraplégie est spasmodique ou flasque.

• Les paraplégies spasmodiques sont toujours d’origine centrale. Elles sont marquées par une spasticité à l’origine de contractures qui sont des mouvements anormaux automatiques parfois pris pour des mouvements involontaires. Les muscles sont durs et raides lors des contractures, et les réflexes ostéotendineux sont vifs et diffusés. La mobilisation passive des muscles est difficile à cause de la contraction réflexe du muscle étiré caractéristique de l’hypertonie spastique. La vessie est hyperactive avec des contractions mal coordonnées avec le sphincter urinaire (dyssynergie vésicosphinctérienne).

• Les paraplégies flasques sont généralement d’origine périphérique, mais elles peuvent survenir dans le premier temps d’une paraplégie centrale, phase du « choc spinal », avant la réapparition des réflexes ostéotendineux et l’installation d’une spasticité. Elles sont caractérisées par la disparition de la tonicité musculaire (état de flaccidité ou d’hypotonie) et des réflexes ostéotendineux. La paraplégie flasque peut être complète ou incomplète. La mobilisation passive des membres se fait facilement, sans résistance. La « vessie flasque » est hypotonique : elle ne se contracte pas et se remplit jusqu’à ce qu’elle regorge.

SYNDROME DE LA QUEUE DE CHEVAL

Ce syndrome est dû à une atteinte bilatérale des racines lombaires et sacrées comprises entre L2 et S5, situées en dessous de la terminaison de la moelle épinière. Le syndrome de la queue de cheval, ainsi nommé car les racines nerveuses ont l’aspect d’une queue de cheval, relève de l’extrême urgence neurochirurgicale. Il est caractérisé par :

– un déficit sensitif de la région du périnée au niveau des organes génitaux externes et de la marge anale (« anesthésie en selle ») ;

– un déficit moteur de type paraplégie flasque lorsque le syndrome est complet.

Symptômes de la forme complète(2) :

– sciatalgies et/ou cruralgies des deux membres inférieurs ;

– paralysie flasque, hypotonique et complète des deux membres inférieurs ;

– absence de réflexes ostéotendineux lors de la percussion du tendon d’Achille ou du tendon rotulien ;

– anesthésie en selle, caractéristique du syndrome de la queue de cheval ;

– troubles sphinctériens (incontinence urinaire et anale ou rétention des urines) ;

– abolition du réflexe anal et béance anale.

Les formes incomplètes(2) correspondent :

– aux atteintes des racines lombaires et sacrées L5 à S5, mais sans atteinte de L3 et L4 ;

– aux formes sacrées qui se limitent à des troubles sphinctériens ainsi qu’à une anesthésie en selle, et pouvant déborder sur la face postérieure des cuisses ;

– aux formes unilatérales dites « syndrome d’une hémi-queue de cheval ».

ÉTIOLOGIE

TRAUMATISMES DU RACHIS

Lorsque la paraplégie consécutive à une lésion de la moelle épinière est d’origine traumatique, les causes les plus fréquentes sont les accidents de la route, les accidents de sport ou du travail (chutes, lésions par explosion, électrocutions, etc.), les tentatives de suicide, les lésions par arme à feu ou par arme blanche, etc.

CAUSES MÉDICALES

Les paraplégies d’origine médicale peuvent s’expliquer par :

– une compression de la moelle due à une hernie discale ou une arthrose rachidienne très importante, une tumeur maligne ou bénigne, une infection (du tissu épidural, par exemple) ou encore un hématome épidural ;

– une inflammation du système nerveux central, comme dans la sclérose en plaques ou la polyradiculonévrite (syndrome de Guillain-Barré) ;

– une malformation : dans la syringomyélie, les cavités contenant du liquide cérébrospinal présentes à l’intérieur de la moelle épinière peuvent comprimer la moelle.

DIAGNOSTIC

CLINIQUE

Les fonctions contrôlées par les segments de la moelle épinière situés en dessous de la lésion peuvent être complètement ou partiellement perdues, et celles contrôlées par les segments situés au-dessus des lésions non touchées.

Les symptômes présentés, notamment des muscles paralysés et/ou des parties du corps manifestant une perte de sensation, permettent :

– d’évoquer une atteinte de la moelle épinière ;

– de déterminer à quel niveau de la moelle épinière se situe l’atteinte car chaque vertèbre possède une paire de racines nerveuses rachidiennes et chaque racine nerveuse correspond à un dermatome (voir le schéma ci-contre).

L’échelle de déficience Asia (American Spinal Injury Association) permet de classifier la gravité d’une blessure médullaire (lire l’encadré « Classification Asia » page ci-contre).

IRM OU MYÉLOSCAN

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est l’examen le plus précis pour observer la moelle épinière, ainsi que :

– les anomalies au niveau des tissus mous situés autour de la moelle (abcès, hématomes, tumeurs, hernies discales) ;

– les anomalies dans les os (tumeurs, fractures).

Si l’IRM n’est pas réalisable, il est possible d’effectuer une myélographie par tomodensitométrie, ou « myéloscan », après injection d’un produit de contraste dans l’espace sous-arachnoïdien. Cet examen combine les techniques de la myélographie et du scanner.

PRINCIPAUX SYMPTÔMES

Dans la paraplégie, les nombreux symptômes liés à l’atteinte de la moelle épinière sont très variables d’un patient à l’autre.

TROUBLES MOTEURS

L’atteinte de la motricité volontaire se manifeste par :

– une impossibilité à réaliser des mouvements (atteinte complète = paralysie) ;

– des mouvements possibles mais de faible puissance (atteinte incomplète = parésie). L’intensité des symptômes peut être variable selon les zones corporelles concernées. Par exemple, intensités différentes entre le côté droit et gauche.

L’atteinte de la motricité réflexe, qui règle le tonus musculaire, peut se manifester par :

– une augmentation de la réflectivité musculaire se traduisant par une raideur, ou hypertonie, aussi appelée spasticité (paraplégie spastique ou spasmodique) ;

– une disparition de la tonicité musculaire, flaccidité ou hypotonie, laquelle peut être transitoire ou définitive (paraplégie flasque). L’amyotrophie est plus importante qu’en présence de spasticité, et le risque d’escarres et de phlébite est très élevé.

TROUBLES SENSITIFS

Les troubles sensitifs sont évalués cliniquement à partir des dermatomes.

La sensibilité superficielle concerne toutes les sensations cutanées au toucher fin ou profond, à la douleur, au chaud et au froid. Sa perte totale correspond à l’anesthésie, sa diminution à l’hypoesthésie. Différents degrés d’atteinte de la sensibilité superficielle peuvent coexister chez un même patient. Par exemple, il peut conserver une sensibilité au toucher mais présenter une anesthésie à la douleur.

La perte totale de sensibilité expose le patient à un fort risque d’escarres ; la perte de la sensibilité à la douleur à un risque de blessures.

La sensibilité profonde, ou proprioceptive ou encore arthrokinétique, est relative aux mouvements du corps, aux attitudes, aux postures, à l’équilibre. Elle informe en permanence sur la position exacte du corps. Ces troubles :

– obligent les personnes atteintes à observer leurs jambes et leurs pieds pour savoir où ils se trouvent mais aussi pour repérer les pressions et les cisaillements qui peuvent s’exercer sur la peau, avec un risque accru d’escarres ;

– rendent difficile l’équilibre du tronc lorsqu’ils s’accompagnent d’une paralysie des muscles abdominaux ;

– provoquent des sensations de « vertige » et de peur du vide chez de nombreux patients(3).

TROUBLES SPHINCTÉRIENS, VÉSICAUX ET INTESTINAUX

Les troubles vésicosphinctériens, anorectaux et génitosexuels concernent la quasi-totalité des patients et se manifestent différemment selon le niveau et la forme de l’atteinte médullaire. « Ils sont toujours associés chez les patients paraplégiques car ils correspondent aux mêmes niveaux de la moelle épinière et à des centres de commande liés », explique le Dr Jonathan Levy, médecin du service de médecine physique et de réadaptation (MPR) de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches (Hauts-de-Seine).

TROUBLES NEUROVÉGÉTATIFS

Ils sont observés dans la paraplégie en cas de lésion médullaire dorsale au-dessus de la vertèbre T6 (ou D6)(3) :

– l’hyperreflectivité autonome (HRA) provoque des élévations de la tension artérielle brusques et intenses qui s’accompagnent de fortes céphalées, de sudation avec érythème et de frissons. Plusieurs causes peuvent déclencher l’HRA, les plus fréquentes étant d’origine urinaire (globe vésical, sondage, infection urinaire), cutanée, rectale (fissure anale, hémorroïdes), viscérale, etc.

– l’hyper et l’hypothermie sont dues à l’absence de régulation de vasomotricité et de sudation dans le territoire corporel sous-lésionnel.

DOULEURS

Les douleurs sont dues à une hyperstimulation ou à une levée d’inhibition. Elles peuvent se situer au niveau de la lésion, au-dessus ou au-dessous (douleurs lésionnelles, sus- ou sous-lésionnelles).

Douleurs par hyperstimulation

• Douleurs sus-lésionnelles d’origine musculaire, articulaire ou osseuse dans une zone où la sensibilité est a priori normale.

• Douleurs lésionnelles dues à des atteintes des racines secondaires à la lésion vertébrale (radiculalgies) ou à une algodystrophie réflexe (aussi observée après des traumatismes de type chirurgie, fracture ou entorse).

• Douleurs sous-lésionnelles de type viscéral, vasculaire ou musculaire.

Douleurs par levée d’inhibition

Le contrôle de la douleur implique une inhibition totale ou partielle du message douloureux qui s’exerce au niveau de la moelle épinière pour les douleurs au niveau du tronc et des membres. Les douleurs par levée d’inhibition se manifestent :

– au niveau lésionnel : douleurs au niveau d’un territoire hyperesthésique renforcées par le moindre contact externe ou douleurs anesthésiques souvent à type de brûlure ;

– au niveau sous-lésionnel : sensations de broiement, de décharges électriques ou d’éclairs pour les douleurs de type cordonal postérieur dues à une atteinte des cordons postérieurs de la moelle. Les sensations de brûlure dues à des atteintes des voies de la sensibilité superficielle sont très pénibles pour les patients.

TROUBLES GÉNITOSEXUELS

Ces troubles, qui diffèrent d’une personne à l’autre, justifient une information du couple sur les possibilités génitosexuelles du conjoint blessé.

Chez l’homme

En fonction des lésions, l’érection réflexe après une stimulation des récepteurs sensitifs du gland de la verge peut être absente. Cette érection est nécessaire pour avoir des rapports sexuels. L’érection psychogène, secondaire au désir sexuel et aux fantasmes, peut cependant être possible. Des stimulations et des manœuvres appropriées existent pour permettre l’érection.

L’éjaculation, indispensable au recueil du sperme en cas de désir de procréation, est également possible en fonction des atteintes. Des techniques peuvent être mises en œuvre lorsque l’éjaculation est impossible.

Chez la femme

Lorsque les troubles de la sensibilité périnéale sont complets, ils empêchent la perception lors des rapports. L’orgasme reste possible à condition que les voies réflexes lombosacrées soient intactes. En cas de lésion traumatique, après une période sans règles la patiente est à nouveau féconde et peut mener à bien une grossesse sous surveillance médicale (infection urinaire ou rénale).

Le choix d’une contraception dépend du bilan général, notamment en raison du risque accru de phlébite et d’infections.

TROUBLES RESPIRATOIRES

Les troubles respiratoires dépendent du niveau de la lésion de la moelle épinière :

– lésion au-dessus de T12 : l’atteinte des muscles abdominaux affecte la toux ainsi que la respiration forcée ;

– lésion au-dessus de T7 : les muscles intercostaux sont aussi affectés. La fonction de la toux peut être beaucoup plus diminuée, associée à une diminution de la capacité vitale (volume d’air contenu dans le poumon entre une inspiration et une expiration maximum). Le port d’une sangle abdominale est indispensable, au moins durant les premiers mois, pour compenser le déficit musculaire.

UNE PRISE EN CHARGE SPÉCIALISÉE

UN SUIVI STANDARDISÉ

Le suivi médical d’une paraplégie est standardisé et effectué par un service de médecine physique et de réadaptation spécialisé dans les atteintes médullaires. Les patients sont vus une fois par an en consultation pour le suivi et le dépistage d’éventuelles complications liées à la paraplégie. Certains examens sont réalisés une fois par an, voire une fois tous les deux ans si le patient est stabilisé, notamment les examens d’imagerie concernant le rein et la vessie, les contrôles radiologiques du matériel d’ostéosynthèse mis en place lors de la chirurgie du rachis, les bilans sanguins particuliers ou les bilans urodynamiques qui sont des examens spécifiques de la fonction urinaire. « Dans l’idéal, toute complication directement attribuable à la paraplégie, au premier rang desquelles les escarres, les infections urinaires ou encore certains types de fracture, devrait être directement confiée à un centre expert », précise le Dr Jonathan Levy. C’est pour cette raison qu’un service « urgences handicap », qui n’est pas un service d’urgences au sens strict du terme mais un service de consultation rapide, a été mis en place à l’hôpital Raymond-Poincaré. Une infirmière est disponible toute la semaine pour répondre aux appels des patients ou des professionnels de santé intervenant à domicile et conseiller soit une orientation vers un service hospitalier, soit l’accueil du patient dans le service spécialisé de l’établissement dans un délai de 48 à 72 heures si le problème est lié à la paraplégie. « De nombreuses infirmières appellent aussi pour des problématiques liées au handicap des patients », observe le médecin. « D’une manière générale, lorsqu’un problème médical survient chez un patient paraplégique à domicile, il est pertinent de s’adresser soit à l’équipe de MPR spécialisée qui le suit, soit à un centre de MPR référent de la région. »

L’OBJECTIF DU RETOUR À DOMICILE

« Le suivi à domicile est possible pour l’immense majorité des patients paraplégiques », souligne le spécialiste, que ce soit dans le lieu de vie antérieur à l’accident s’il peut être aménagé, ou dans un nouveau logement adapté à la situation médicale. « Le retour à domicile est un objectif constant pour les spécialistes qui, pour cela, travaillent en collaboration permanente avec les assistants sociaux. » Néanmoins, dans certains cas, pour les handicaps les plus lourds, les personnes isolées ou lorsque l’accès aux aides ou aux soins à domicile fait défaut, ou encore si le domicile ne peut être adapté, le patient peut être orienté vers des lieux de vie du secteur médico-social, principalement les maisons d’accueil spécialisées (Mas) ou les Ehpad pour les patients les plus âgés.

PRISE EN CHARGE DES TROUBLES ANORECTAUX

LES TROUBLES ANORECTAUX

D’un point de vue neurologique, le fonctionnement de l’appareil colorectal dépend :

– du système nerveux végétatif, ou autonome, qui contrôle le côlon, le rectum et le sphincter anal interne ;

– du système nerveux somatique qui contrôle la défécation, et plus précisément les muscles périnéaux striés.

PHYSIOPATHOLOGIE

Selon le niveau de l’atteinte

La physiopathologie de la dysfonction colorectale dépend du niveau de la lésion médullaire.

Une lésion suprasacrée, c’est-à-dire au-dessus de la vertèbre L1, supprime le contrôle volontaire du sphincter anal et la coordination anorectale. La défécation est alors réduite à un simple réflexe médullaire associé à un défaut de relaxation de l’appareil sphinctérien lors de la défécation. Cette dyssynergie anorectale est à l’origine d’une difficulté à l’évacuation des selles (dyschésie ou constipation terminale).

Les lésions de la queue de cheval entraînent une interruption du réflexe de défécation expliquant la dyschésie et une hypotonie anale à l’origine de l’incontinence fécale, lesquelles sont aggravées par les troubles sensitifs(4).

Atteinte neurologique centrale(5)

Dans le cas d’une paraplégie centrale, la constipation est principalement due à :

– un trouble de la motricité colique ;

– une absence de réponse colique postprandiale ;

– un trouble de la perception du besoin ;

– une dyssynergie rectosphinctérienne, ou anisme, définie par une incapacité à relâcher le sphincter strié de l’anus lors de la défécation (absence de relaxation ou contraction paradoxale).

Atteinte neurologique périphérique(5)

Dans le cas d’une atteinte du système nerveux périphérique, la constipation est due à :

– une hypocontractilité colique gauche et rectale ;

– un trouble de la perception du besoin.

LA CONSTIPATION

La constipation est le symptôme le plus fréquent des troubles anorectaux associés à la paraplégie, qui peuvent également se manifester par des ballonnements et/ou une gêne abdominale et/ou une incontinence fécale.

On parle de constipation dès lors qu’il y a moins de trois selles par semaine sur plusieurs semaines. La constipation est la cause la plus fréquente de l’incontinence fécale. Elle est principalement due aux altérations du contrôle nerveux de l’appareil anorectal, mais la perte de mobilité et d’autonomie, la prise de médicaments et l’âge des patients entrent également en compte. Que la paraplégie soit centrale ou périphérique, la constipation est le plus souvent mixte, associant :

– un ralentissement de la progression des matières dans le côlon (constipation de transit) ;

– des difficultés d’exonération des matières (constipation distale).

PRISE EN CHARGE DE LA CONSTIPATION

En fonction de la situation

La prise en charge de la constipation est adaptée à chaque patient et effectuée par une équipe spécialisée. Elle dépend :

– de son impact sur la qualité de vie du patient ;

– du type de lésion neurologique ;

– du type de constipation (de transit ou distale) ;

– de sa gravité ;

– des capacités physiques du patient ;

– du mode de vie du patient et de son entourage.

De façon systématique

Les troubles anorectaux doivent toujours être pris en charge car :

– ils entraînent un handicap majeur à la fois au niveau social, affectif, sexuel et psychologique, parfois plus important pour le patient que la perte de motricité elle-même(5) ;

– ils peuvent majorer un dysfonctionnement de l’appareil vésicosphinctérien (incontinence, rétention ou infection urinaire).

Troubles associés

• Toute pathologie organique de type obstacle mécanique ou troubles métaboliques ou endocriniens susceptible de contribuer à la survenue des troubles anorectaux doit être éliminée.

• La prise en charge d’une maladie hémorroïdaire, de fissures anales, d’une éventuelle pathologie colique et des troubles vésicosphinctériens associés est indispensable.

TRAITEMENTS MÉDICAUX

RÈGLES HYGIÉNO-DIÉTÉTIQUES

Dans la mesure du possible :

– enrichir l’alimentation en fibres alimentaires qui retiennent l’eau, stimulent la croissance des bactéries coliques et augmentent le poids des selles. Dans ce cadre, céréales, légumes et fruits secs sont à privilégier ;

– éviter la déshydratation, tout en sachant qu’une augmentation importante de la ration hydrique dans le but d’améliorer le transit n’est pas non plus recommandée(4) ;

– éviter l’alitement prolongé. Une activité physique régulière, dans la mesure du possible, diminue le temps de transit colique sans augmenter la fréquence des selles(4). Elle contribue plus généralement à améliorer la qualité de vie ;

– permettre un accès régulier aux toilettes lors de la perception d’un besoin exonérateur mais également après un repas en présence d’un réflexe gastrocolique ;

– éviter les médicaments susceptibles d’aggraver la constipation (morphiniques, antidépresseurs, anticholinergiques, etc.).

TOUCHER RECTAL STIMULATEUR OU ÉVACUATEUR

En fonction des situations, deux types de toucher rectal sont préconisés (lire « Le toucher rectal stimulateur et évacuateur en pratique » p. 25).

En l’absence de réflexe d’exonération, le toucher rectal évacuateur a pour objectif une évacuation digitale des selles contenues dans l’ampoule rectale.

En présence de réflexe d’exonération, le toucher rectal stimulateur vise à induire une onde péristaltique réflexe à l’origine de l’évacuation des selles. Il stimule le réflexe d’exonération qui agit sur la motricité colorectale et sur la relaxation des sphincters anaux.

Un soin intime

« L’exonération digitale des selles est un soin touchant particulièrement l’intimité du patient, dans lequel la dimension relationnelle du soin prend tout son sens », souligne Stéphanie Hamonic, infirmière au service de MPR de l’hôpital Raymond-Poincaré. La distraction, le fait de parler « de tout et de rien » aide autant le patient que le soignant à surmonter la gêne qui peut être ressentie par l’un et par l’autre. L’autonomie reste un objectif prioritaire de la prise en charge des personnes paraplégiques et nombre d’entre elles arrivent à réaliser l’exonération des selles elles-mêmes. Toutefois, une partie d’entre elles, à cause des répercussions de l’atteinte médullaire ou de leur morphologie, ne peuvent se passer de l’intervention d’un soignant, principalement lorsque l’accès à leur anus s’avère impossible (lire l’encadré « Soin mal connu : les conséquences pour le patient » p. 24).

MASSAGE ABDOMINAL

Le massage débute sous le nombril en suivant le sens des aiguilles d’une montre et en exerçant une pression modérée. « Il convient de s’enquérir d’une douleur ou d’un désagrément ressenti par le patient, surtout lorsque le massage abdominal est pratiqué le matin après le petit déjeuner », avertit Stéphanie Hamonic. Le massage abdominal va stimuler le côlon descendant et permettre :

– d’augmenter la fréquence des selles ;

– de favoriser la progression des selles lors de l’évacuation digitale et de limiter le risque de fuites incontrôlables de matières fécales.

TRAITEMENTS LAXATIFS

Dans le cadre d’une paraplégie, la constipation est le plus souvent mixte, c’est-à-dire de transit et distale. Les traitements médicamenteux incluent :

– les laxatifs oraux, qui agissent sur les facteurs du transit colique (constipation de transit) ;

– les suppositoires et lavements préconisés pour rétablir un rythme de défécation programmé (constipation distale).

Laxatifs oraux

Administrés à une posologie adaptée à chaque patient, ils permettent d’agir sur les dysfonctionnements coliques à l’origine d’une constipation de transit. Les laxatifs de lest et osmotiques sont les plus utilisés(5). À noter que tout traitement laxatif doit être instauré de façon progressive pour éviter la survenue d’épisodes diarrhéiques qui pourraient entraîner des accidents d’incontinence fécale, voire un arrêt du traitement.

Les laxatifs de lest agissent en augmentant la masse fécale. Ils ont une action sur le volume du contenu colique et, par effet de lest, sur le péristaltisme intestinal.Psyllium, ou ispaghul, et sterculia doivent leurs propriétés laxatives au mucilage qu’ils contiennent. Le mucilage est une substance visqueuse extraite des végétaux qui gonfle au contact de l’eau et donne des selles visqueuses.

→ Vigilance : les laxatifs de lest ne doivent jamais être administrés avant le coucher.

Spécialités : Psylia, Psyllium Langlebert, Normacol, Transilane, Agiolax, etc.

Les laxatifs osmotiques attirent l’eau vers les selles en favorisant leur hydratation et l’augmentation de leur masse. La posologie du macrogol, lactitol, lactulose, mannitol, pentaérythirtol et sorbitol doit être adaptée à chaque patient pour éviter des selles pâteuses difficiles à exonérer ou à l’origine de fuites anales.

Spécialités : Importal, Duphalac, etc.

Les laxatifs lubrifiants (ou émollients) contiennent de l’huile de paraffine qui enrobe les selles et retarde leur perte en eau. Ils facilitent le transit en lubrifiant la paroi intestinale.

Spécialités : huile de paraffine, Lansoÿl, etc.

Les laxatifs stimulants (ou irritants) augmentent les sécrétions et la motricité de l’intestin. Mais ils sont aussi dits irritants car ils irritent la muqueuse intestinale et stimulent le plexus nerveux entérique. Ils peuvent être utilisés pendant des périodes aiguës de constipation et sur une durée ne dépassant pas 8 jours(4).

Spécialités : Dulcolax, Contalax, Boldoflorine, Dragées Fuca, etc.

Laxatifs par voie rectale

Les suppositoires et les lavements stimulent la muqueuse par leur effet osmotique ou par dégagement de gaz. Ils sont recommandés chez les patients neurologiques afin de faciliter le déclenchement et la réalisation de l’exonération(4).

Les suppositoires à la glycérine provoquent une évacuation rapide du rectosigmoïde en déclenchant le réflexe de la défécation. Celle-ci se produit dans un délai de 5 à 30 minutes après la prise(6). Posologie : 1 à 2 suppositoires par jour pour un objectif d’une selle par jour.

Spécialité : suppositoires à la glycérine.

Les suppositoires de tartrate acide de potassium et bicarbonate de sodium. Les principes actifs contenus dans ces suppositoires vont libérer environ 100 ml de gaz carbonique au niveau du rectum et ainsi permettre de reproduire le mécanisme de déclenchement du réflexe exonérateur en augmentant la pression intrarectale sur les muqueuses sensibles(6).

Posologie : 1 suppositoire quelques minutes avant le moment choisi pour l’exonération, si possible après un repas pour une évacuation « mécanique » 10 à 30 minutes après administration(4).

Spécialité : Éductyl suppo effervescent adulte.

Les microlavements. Cette solution hypertonique permet généralement d’avoir une exonération dans les 5 minutes après l’administration.

Posologie : 1 lavement 5 à 20 minutes avant le moment choisi pour l’exonération(6). Leur utilisation doit être limitée aux épisodes aigus de constipation terminale en raison de leurs effets secondaires (rectite, brûlures)(4).

Spécialité : Normacol lavement adultes.

TRAITEMENTS CHIRURGICAUX

Les traitements chirurgicaux peuvent être envisagés en cas d’échec des irrigations transanales et des traitements médicaux, en particulier s’il existe une incontinence fécale.

La neuromodulation des racines sacrées : il s’agit de stimuler des nerfs situés au niveau du sacrum avec un léger courant électrique afin d’agir sur toute la zone du petit bassin (anus, rectum et sphincter) et de diminuer immédiatement l’incontinence fécale.

L’intervention chirurgicale de Malone : ce type d’intervention consiste en la réalisation d’une néo-appendicectomie iléale permettant des lavements coliques antérogrades. L’efficacité de la technique a été démontrée dans le traitement de l’incontinence fécale et de la constipation chez les patients neurologiques.

Cæcostomie percutanée par voie endoscopique : l’intervention consiste à réaliser l’abouchement du cæcum à la paroi abdominale et à mettre en place une sonde souple multiperdorée, appelée sonde de Chait, pour permettre les irrigations coliques antérogrades. Une cæcostomie percutanée par voie endoscopique est une alternative mini-invasive à l’intervention de Malone.

Colostomie : la réalisation d’une colostomie est un traitement potentiel de second recours en cas d’échec des autres traitements.

RÉFÉRENCES

Notes

1. Albert T., Beuret Blanquart F., Le Chapelain L. et al., « Parcours de soins en médecine physique et de réadaptation (MPR) : “le patient après lésion médullaire” », Annals of Physical and Rehabilitation Medicine, 2012. En ligne sur : bit.ly/3GkMbEC

2. Collège des enseignants de neurologie, « Syndromes périphériques ». En ligne sur : bit.ly/32NE6uf

3. Docteur Jean-François Désert, « Les lésions médullaires traumatiques et médicales (paraplégies et tétraplégies) », éd. APF, 2002. En ligne sur : bit.ly/3riRH6s

4. Bonniaud V., « Constipation dans les maladies neurologiques », La Lettre du Neurologue, octobre 2014;18 (8):297-302. En ligne sur : bit.ly/3HmtotJ

5. Leroi A.-M., « Pathologie anorectaleau cours des maladies neurologiques », Association française de formation médicale continue en hépato-gastro-entérologie, 2015. En ligne sur : bit.ly/3GiiDHM

6. Base de données publique des médicaments.

Autres sources

• Dossier « Paraplégie et tétraplégie d’origine traumatique », Neurologies, volume 5, novembre 2002. En ligne sur : bit.ly/3AOTKSF

• Sohlbank D., Alves M., « L’accompagnement infirmier du patient paraplégique dans son processus d’adaptation du concept de soi », travail de Bachelor of science HES-SO en soins infirmiers soutenu en 2012, Haute École de santé Vaud. En ligne sur : bit.ly/3ufOC8S

• Haute Autorité de santé, Actes et prestations – affection de longue durée « Paraplégie », avril 2014. En ligne sur : bit.ly/3HnnTLi

• Le site d’APF France handicap propose une information globale portant sur les aspects médicaux ainsi que sur les éléments concernant le « vivre avec ». www.paratetra.apf.asso.fr

Organisation longitudinale de la moelle épinière

La moelle épinière s’étend de la première vertèbre cervicale à la deuxième vertèbre lombaire. Un faisceau de nerfs continue au-delà de la terminaison de la moelle épinière. Il est appelé « queue de cheval » à cause de son aspect (cauda equina, en latin). Les nerfs de la queue de cheval sont responsables de la motricité et de la sensibilité des membres inférieurs, des sphincters et du périnée.

Les dermatomes

Les dermatomes correspondent à des zones de la peau dont les nerfs sensitifs :

– proviennent tous d’une seule racine nerveuse rachidienne ;

– transmettent vers la moelle épinière des informations relatives au toucher, à la douleur, à la température et aux vibrations qui viennent de la peau.

Classification Asia

La classification American Spinal Injury Association (Asia) permet un examen neurologique simple, précis et le plus complet possible pour évaluer le retentissement sensitif et moteur d’une blessure médullaire.

→ Score Asia moteur pour les membres inférieurs (hors tétraplégie) : évaluation de la flexion de la hanche (L2), l’extension du genou (L3), la dorsiflexion de la cheville (L4), l’extension du gros orteil (L5) et la flexion plantaire de la cheville (S1).

Chaque fonction est cotée sur 5 points : paralysie totale = 0, contraction visible ou palpable = 1, mouvement actif sans pesanteur = 2, mouvement actif contre pesanteur = 3, mouvement actif contre résistance = 4, mouvement normal = 5.

→ Score Asia sensitif : évaluation des sensibilités au toucher et à la douleur (piqûre) sur l’ensemble des dermatomes afférents à chaque racine nerveuse, notées 0 point pour des sensibilités absentes, 1 point pour des sensibilités diminuées et 2 points pour des sensibilités normales.

→ La recherche de la contraction et de la sensibilité anales complète l’examen neurologique.

→ Le niveau neurologique de la lésion est défini comme le dernier métamère, c’est-à-dire le territoire d’innervation motrice ou sensitive qui dépend d’un nerf rachidien présentant une motricité et une sensibilité bilatérales normales.

→ Résultats

• Asia A = incomplet sensitif. Aucune motricité ou sensibilité conservée dans les segments sacrés S4-S5.

• Asia B = incomplet moteur. La sensibilité est préservée au-dessous du niveau lésionnel, en particulier dans le territoire S4-S5 mais pas la motricité.

• Asia C = incomplet moteur. La motricité est préservée au-dessous du niveau lésionnel (plus de la moitié des muscles testés a un score à < 3).

• Asia D = incomplet moteur. La motricité est préservée au-dessous du niveau lésionnel (au moins la moitié des muscles testés a un score ≥ 3).

• Asia E = normal. La sensibilité et la motricité sont normales chez des patients avec antécédent de blessure médullaire.

L’AVIS DU SPÉCIALISTE

“La blessure initiale peut entraîner des complications au niveau du tissu nerveux”

Docteur Jonathan Levy, médecin du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches (Hauts-de-Seine).

« Lorsque la paraplégie est consécutive à une lésion traumatique de la moelle épinière, celle-ci est en souffrance. Des années après l’accident, la blessure initiale peut entraîner des complications au niveau du tissu nerveux. En l’absence de lésion, le liquide cérébrospinal qui baigne la moelle épinière s’écoule d’une façon très caractéristique encore mal identifiée. Après un traumatisme, la présence de fibrose au niveau de la blessure perturbe l’écoulement physiologique normal du liquide cérébrospinal. Si dans la plupart des cas les altérations de cet écoulement ne posent pas de problème, il arrive que le liquide cérébrospinal s’accumule au-dessus ou en dessous de la lésion. Ces accumulations vont à leur tour entraîner des modifications des paramètres neurologiques par compression intrinsèque de la moelle épinière. Quand ces accumulations de liquide se situent au-dessous de la lésion, elles peuvent modifier des troubles déjà présents, comme la spasticité ou les troubles urinaires, et sont parfois difficiles à repérer. En revanche, les accumulations au-dessus de la lésion peuvent faire apparaître de nouveaux troubles. Ces accumulations de liquide cérébrospinal correspondent à une syringomyélie secondaire* à l’origine de la plus importante aggravation des troubles neurologiques qui peut survenir sur une paraplégie initiale. La fréquence de ces syringomyélies secondaires est difficile à évaluer. Elles concerneraient jusqu’à 30-40 % des patients mais elles ne sont pas toutes symptomatiques. La surveillance de telles aggravations chez les patients paraplégiques repose sur des IRM réalisées quasi annuellement au début, puis tous les cinq ans une fois passées les cinq premières années qui suivent le traumatisme. Une syringomyélie asymptomatique visible à l’IRM impose une vigilance quant à une aggravation des troubles. »

* La syringomyélie est une maladie rare caractérisée par des cavités, ou syrinx, contenant du liquide cérébrospinal à l’intérieur de la moelle épinière, soit en raison d’une cause connue (syringomyélie secondaire) soit, plus rarement, sans cause connue (syringomyélie primitive).

Soin mal connu : les conséquences pour le patient

Le toucher rectal stimulateur et le toucher rectal évacuateur sont bien moins connus des infirmières que le sondage urinaire intermittent. Ce qui peut avoir des conséquences préjudiciables pour les patients.

→ En milieu hospitalier

Un patient paraplégique hospitalisé dans un service autre qu’un service de MPR spécialisé peut ne pas bénéficier de ces soins avec un risque de complications de la constipation sévère au premier rang desquelles l’occlusion intestinale. « Il nous arrive fréquemment de recevoir des patients paraplégiques qui sortent de services hospitaliers car ils sont porteurs d’escarres ou parce que la constipation n’a pas été correctement prise en charge », constate Stéphanie Hamonic, infirmière au service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches (Hauts-de-Seine).

→ À domicile

« Il peut être difficile de trouver des infirmières libérales qui pratiquent ces traitements de la constipation à domicile », souligne la soignante. Ce qui peut compromettre le retour du patient chez lui. « Lorsque nous avons accepté la prise en charge d’un patient paraplégique ayant besoin d’une évacuation digitale des selles quotidienne, il nous a fallu trouver de l’information par nous-mêmes », se souvient Ronny Laffilez, Idel à Caumont-sur-Durance (Vaucluse), qui avait déjà observé ce soin lorsqu’il était étudiant enréanimation. « Lorsque nous avons accepté la prise encharge du patient, l’infirmière coordinatrice du service d’aide à domicile qui nous a sollicités nous a dit qu’aucun autre cabinet du secteur ne l’avait acceptée avant nous », ajoute le soignant avant de conclure qu’« une formation sur la prise en charge du patient blessé médullaire dans le cadre du développement professionnel continu serait intéressante ».

LE TOUCHER RECTAL STIMULATEUR ET ÉVACUATEUR EN PRATIQUE

1 LE TOUCHER RECTAL ÉVACUATEUR

Matériel

• Solution hydroalcoolique (SHA) si le lavage simple des mains n’est pas possible.

• Protection de lit.

• 2 paires de gants jetables non stériles.

• 1 tablier de protection.

• 1 sac-poubelle.

• 1 tube de lubrifiant non anesthésiant.

• Matériel nécessaire pour la toilette du siège.

Déroulement du soin

• Possibilité d’administrer un suppositoire favorisant la défécation avant le soin, sur prescription médicale.

• Massage abdominal par le patient ou par un deuxième soignant juste avant le soin, voire pendant le soin si possible.

• L’installation du patient en décubitus latéral gauche est recommandée compte tenu de la physiologie de tube digestif. Toutefois, le soin peut s’avérer plus facile à réaliser en décubitus latéral droit chez certains patients.

• Pratiquer le lavage simple des mains (ou friction avec SHA).

• Enfiler une paire de gants non stériles.

• Installer la protection du lit.

• Enfiler le tablier.

• Préparer le sac-poubelle.

• Enfiler la seconde paire de gants sur la première.

• Lubrifier l’extérieur de l’anus en effectuant un massage digital circulaire et progressif avec l’index jusqu’à l’intérieur du rectum.

• Retirer les selles présentes dans l’ampoule rectale avec 1 ou 2 doigts courbé (s) « en crochet ».

• Poursuivre l’évacuation des selles jusqu’à ce que l’ampoule rectale soit vide.

• Jeter la première paire de gants.

• Effectuer la toilette du siège.

• Jeter la seconde paire de gants.

• Réinstaller le patient.

• Éliminer l’ensemble des déchets.

• Pratiquer le lavage simple des mains (ou friction avec SHA).

• Noter les transmissions.

Rythme/fréquence

En principe, le soin est effectué une fois par jour, le matin après le petit déjeuner. En fonction de l’évolution du patient et en tenant compte de ses habitudes de vie, ce soin peut s’effectuer quotidiennement, 1 jour sur 2, voire 1 jour sur 3(1). Il peut aussi être réalisé 2 fois dans la même journée dans des conditions particulières, par exemple après un repas généreux.

Contre-indications

Maladie hémorroïdaire et risque d’hémorragies anorectales.

Complications

Irritation locale, saignements, dysréflexie, malaise vagal, lésions des muqueuses(1).

2 LE TOUCHER RECTAL STIMULATEUR

La mise en œuvre du toucher rectal stimulateur est semblable à celle du toucher rectal évacuateur ou évacuation digitale des selles, sauf que le retrait des selles présentes dans l’ampoule rectale avec 1 ou 2 doigts courbé (s) en crochet est remplacé par :

– introduire délicatement le doigt dans le rectum ;

– décrire un mouvement circulaire du doigt sur les parois pendant environ 30 secondes ; – retirer le doigt et attendre que les selles s’évacuent et se déposent sur les alèses ; – répéter cette opération toutes les 5 à 10 minutes jusqu’à ce que les intestins soient vidés ;

– arrêter quand il n’y a plus de matières fécales qui sortent après deux opérations effectuées à 5-10 minutes d’intervalle(2).

1. Groupe de référence en soins infirmiers (Gresi), « Évacuation manuelle des selles et toucher rectal », Procédures médico-soignantes, Hôpitaux Universitaires de Genève, avril 2012. En ligne sur : bit.ly/3IRggxa

2. « La stimulation digitale (toucher rectal) », University Health Network – Toronto Rehabilitation Institute, 2015. En ligne sur : bit.ly/3s6O6aO

EN LIBÉRAL

“Le patient participe aux soins à hauteur de ses capacités”

Ronny Laffilez, infirmier libéral à Caumont-sur-Durance (Vaucluse).

Est-ce que la situation globale du patient ou certains soins vous ont posé des difficultés en termes de connaissances ou de temps consacré ?

Non, si ce n’est la prise en charge de la constipation pour laquelle il a fallu s’informer sur la manière de gérer les exonérations quotidiennes des selles. C’est un soin qui n’est pas forcément expliqué en formation initiale et que nous n’avions pas rencontré jusqu’alors. D’une manière générale, le patient participe aux soins à hauteur de ses capacités et nous n’avons jamais dépassé les 30 minutes prévues pour les visites.

Comment cotez-vous les soins pour ce patient ? Avez-vous réalisé un bilan de soins infirmiers (BSI) ?

Nous avons conclu une convention de collaboration avec un Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) qui a pris en charge la toilette et l’habillage du patient, et à qui nous indiquons les actes effectués et leur coût selon la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). Le Ssiad ayant déjà mis en place un BSI pour ce patient, nous ne pouvions donc pas en réaliser un deuxième pour le même patient. Pour cette personne, nous cotons les soins comme suit :

– AMI 4 pour « Pansement d’escarre profonde et étendue atteignant les muscles ou les tendons » ;

– AMI 3/2 pour « Extraction de fécalome ou extraction manuelle des selles » ;

– la séance d’aérosol cotée AMI 1,5 à la NGAP, elle, est offerte*.

* L’article 11B de la NGAP stipule que seul l’acte du coefficient le plus important est coté à 100 %. Le second acte réalisé lors de la même séance est coté à 50 %. Les actes suivant ne donnent pas lieu à honoraires.