UN SOIN D’HYGIÈNE SCRUTÉ SOUS TOUS LES ANGLES - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

DÉVELOPPEMENT DURABLE

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Laure Martin  

Le centre hospitalier Paul Coste Floret, à Lamalou-les-Bains (Hérault), établissement de soins de suite et de réadaptation, a lancé en 2019 un projet d’écoconception des soins. Une démarche qui a vocation à perdurer.

Qualité de vie au travail, actions sur l’eau, l’air, les déchets ou encore maîtrise du risque infectieux… Au centre hospitalier (CH) Paul Coste Floret de Lamalou-les-Bains, le développement durable, démarche engagée depuis 2011, est décliné dans toutes ses dimensions. « Dans le cadre de notre projet d’établissement, nous déployons des actions au regard des trois piliers du développement durable, à savoir économique, social et environnemental, rapporte Laurence Fontenelle, responsable qualité, gestion des risques et relations avec les usagers au sein de l’établissement. Notre approche est mûrie et réfléchie dans le temps. » En travaillant avec l’agence Primum non nocere et le Comité pour le développement durable en santé, dont elle est la vice-présidente, Laurence Fontenelle s’est interrogée en 2016 « sur les études portant sur l’écoconception des soins. À l’époque, quelques-unes avaient déjà été menées mais elles ne portaient que sur un seul pilier. J’ai donc souhaité fixer comme objectif au CH Paul Coste Floret de faire une étude sur l’écoconception des soins en tenant compte des trois piliers. » Après quelques années de réflexion, le projet prend forme en 2019. « Le facteur temps est vraiment important, d’autant plus qu’il faut, en amont, acculturer les agents à la notion de développement durable, ajoute-t-elle. Aujourd’hui, leur compréhension des enjeux est meilleure, tout comme leur appétence, leurs connaissances et leur culture du sujet. » Après en avoir discuté avec le Directoire et le Comité de pilotage qualité et gestion des risques, Laurence Fontenelle lance le projet d’écoconception des soins, lequel est financé par l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) et accompagné par Primum non nocere.

Une première réunion de cadrage se tient en septembre 2019 avec Nelly Phansiri, infirmière de formation et conseillère en développement durable chez Primum non nocere. « Nous sommes intervenus en support et en accompagnement pour donner des conseils, de la méthodologie et apporter des outils pour mener à bien ce projet d’écoconception des soins », rapporte-t-elle.

Après une présentation aux équipes, il a fallu déterminer le soin à analyser. « Nous voulions choisir un soin capitalisable et transposable à d’autres établissements ayant le même type d’activités que nous afin qu’ils puissent s’en inspirer et récupérer nos indicateurs », fait savoir Laurence Fontenelle. L’établissement menant une activité de soins de suite et de réadaptation (SSR) spécialisé dans les affections neurologiques et locomotrices, l’équipe sélectionne un soin d’hygiène et de confort pour un patient post-AVC avec des actes de la vie journalière (AVJ) réalisé aussi bien par les infirmières (IDE) et les ergothérapeutes que par les aides-soignantes (AS). Ce soin consiste à accompagner le patient durant sa toilette, à effectuer le lever au fauteuil ainsi que les pansements, et à le préparer pour son départ vers le plateau technique ; l’objectif des soignants étant de lui apprendre progressivement à effectuer ces AVJ seul. En fonction de son degré d’autonomie, un patient peut être pris en charge par l’AS pour sa toilette et l’habillement, par l’ergothérapeute pour l’installation au fauteuil et l’accompagnement dans la phase d’autonomie (laver le haut du corps ou les dents seul, le coiffage, le maquillage), et par l’infirmière pour les pansements. « Dans ce soin, le cœur de la mission repose sur l’équipe pluriprofessionnelle, souligne Laurence Fontenelle. La coordination des soignants est fondamentale pour une prise en charge pertinente. »

DÉFINITION DES INDICATEURS

Après l’identification du soin, l’équipe s’est réunie pour en décrypter le parcours, c’est-à-dire préciser quel soignant effectue quel acte à quelle heure, l’objectif étant d’obtenir l’analyse la plus fine possible pour déterminer des indicateurs d’évaluation. « L’identification des indicateurs nous a permis d’élaborer notre grille d’audit et de fixer ce que nous voulions analyser », fait savoir Sylvie Pigeon, IDE dans le service. « Toute la procédure du soin, de la prescription jusqu’à l’élimination des déchets, doit être décortiquée pour définir des indicateurs précis et permettre à l’équipe d’avoir du recul sur la pratique et mesurer l’impact du soin », indique Nelly Phansiri. Parmi les indicateurs retenus : la formation des professionnels à la posture pour éviter les troubles musculosquelettiques (pilier social), le ratio entre l’effectif programmé et l’équipe réelle (pilier social), les produits utilisés pour les soins (pilier environnemental), la consommation d’eau et d’électricité pour le soin ou encore l’analyse du cycle de vie du lit et des draps (pilier économique).

UN SOIN FILMÉ ET AUDITÉ

Un audit a ainsi été réalisé pendant trois mois par des membres de l’équipe après avoir été initiés à la pratique par Nelly Phansiri. Ils ont observé les actes réalisés par leurs pairs lors du soin et rempli une grille pour renseigner les informations permettant de définir, par exemple, les procédures en place, le prix des dispositifs médicaux, le coût horaire des professionnels de santé, de l’électricité et de l’eau, la gestion des déchets, le nombre d’accidents du travail en lien avec le soin, l’identification du gaspillage de matériel potentiel, le matériel non utilisé, le temps soignant non optimisé par défaut d’accessibilité générant des déplacements inutiles, etc. « Nous avons aussi analysé le cycle de vie des produits via un logiciel spécifique », explique la conseillère. Cet outil permet de mesurer l’impact des matériaux et des dispositifs médicaux utilisés sur la santé et l’environnement. Pendant toute la durée de l’audit, le soin était filmé – en accord avec le patient. « Après chaque soin, la vidéo était visionnée pour retrouver les informations nécessaires à l’audit », précise Laurence Fontenelle. « Nous n’avons pas l’habitude d’être filmés et d’être évalués par nos pairs, mais tout le monde a joué le jeu et accepté de remettre en question ses pratiques », reconnaît Sylvie Pigeon.

DES MESURES À COÛTS CONSTANTS

« Il nous est arrivé de réajuster nos pratiques dès l’audit car nous nous sommes rapidement rendu compte des modifications nécessaires à apporter », poursuit l’infirmière. Ce fut notamment le cas pour des protocoles d’hygiène, l’équipe ayant retiré certains produits jugés trop impactants sur l’environnement. « Nous avons également constaté, en regardant les vidéos, que nous avions un usage disproportionné des produits décontaminants », ajoute-t-elle.

Début 2020, une fois l’audit terminé, l’ensemble des informations récoltées ont été transmises à Primum non nocere. L’agence a profité du premier confinement pour analyser les données, les dispositifs médicaux, le matériel, et intégrer tout cela dans une base de données afin de calculer l’impact environnemental du soin. Nelly Phansiri a ensuite remis un rapport sur l’expérimentation, accompagné de préconisations. « Pour chaque indicateur, nous avons des conseils inscrits dans un plan d’actions que nous suivons aujourd’hui », fait savoir Laurence Fontenelle qui s’estime « assez satisfaite des résultats de l’audit en raison du faible impact environnemental global du soin analysé. Le résultat est raisonné et raisonnable pour les trois piliers, même si des améliorations sont toujours possibles, par exemple en ce qui concerne l’usage des produits ou la relation entre les professionnels ». « Nous proposons des solutions d’optimisation sur la base de notre expertise et de mesures déjà instaurées dans d’autres établissements », complète Nelly Phansiri. L’aspect économique entre bien entendu en jeu car les mesures proposées doivent être mises en place à coûts constants pour le CH, ou seulement avec un léger surcoût.

UN PARCOURS ORGANISATIONNEL REPENSÉ

Depuis juin 2020, l’équipe applique les préconisations portant sur la réduction de l’eau, des déchets ou encore sur le stockage du matériel. « Pour certains sujets, nous avons décidé de suivre les recommandations au fur et à mesure. Pour d’autres, nous nous sommes fixé des objectifs. C’est le cas par exemple des protocoles d’hygiène pour lesquels des vérifications serrées seront effectuées et j’aimerais, lors du prochain audit [prévu en juin 2022, ndlr], constater un respect à 100 % de ce protocole », espère Laurence Fontanelle.

Des problématiques d’ergonomie et de manutention ont également été repérées, conduisant à augmenter le ratio de personnes formées, le souhait étant que l’ensemble du personnel soit sensibilisé aux troubles musculosquelettiques ainsi qu’aux gestes et postures. Par ailleurs, des dispositions portant sur la réorganisation du soin ont été prises, par exemple pour éviter un trop grand nombre d’allers et retours du personnel dans les chambres des patients. « Le parcours de soin est atypique, notamment parce que nous intervenons souvent chacun notre tour, reconnaît Sylvie Pigeon. Jusqu’à présent, il n’était pas nécessairement optimisé. Nous avons donc pu agir pour repenser le parcours organisationnel et le soin, et ainsi éviter les temps de latence, et que le patient ne parte en rééducation sans avoir eu ses pansements ou, à l’inverse, que l’infirmière arrive trop tôt alors que la toilette n’est pas terminée ; les changements étant appliqués dans une logique d’efficience responsable. » Un travail qui a permis de décloisonner les relations entre les membres de l’équipe soignante, lesquels ont pu approfondir leurs échanges, améliorer leur organisation et leur coordination. Tout en s’interrogeant sur la satisfaction des patients et sur la qualité de leur vie professionnelle en tant que soignant.

DES PROJETS À VENIR

Désormais, l’objectif de Laurence Fontenelle est de réitérer l’audit au premier semestre 2022 en partant des mêmes indicateurs pour mesurer les progrès de l’équipe, ainsi que les difficultés ou non à appliquer les recommandations, les contraintes, et analyser, comme dans toute démarche qualité et projet, s’il est possible de mieux faire. « Ce projet d’efficience est un projet global de performance, ce qui explique pourquoi il a été long à mettre en place, constate-t-elle. Néanmoins, cela ne nous empêche pas d’envisager un nouveau soin à étudier, notamment en rééducation. » Pour mener à bien ce type de projet, « une prise de conscience au sein de l’établissement est indispensable, souligne la conseillère en développement durable. Il faut également un pilote qui gère le projet et l’implication de l’ensemble des services transversaux de la structure qui vont être amenés à intervenir dans la démarche (ressources humaines, médecine du travail, achats, pharmacie). Tous les acteurs doivent être informés et sensibilisés, sans compter le soutien obligatoire de la direction. »

Néanmoins, l’écoconception des soins repose aussi et avant tout sur du bon sens, de la volonté et une sensibilisation à l’impact environnemental de l’activité de soin. « Cette notion devrait être intégrée dans les cursus de formation initiale et, à défaut, faire partie de la formation continue des soignants », conseille-t-elle. Et de conclure : « L’analyse du centre hospitalier Paul Coste Floret était globale et complète, mais il est tout à fait possible de débuter par des approches plus simples, notamment en prenant du recul sur les soins, en s’interrogeant sur une autre façon d’agir, d’avoir moins d’impact sur la santé des patients, la sienne et sur l’environnement. »

Dico

L’ÉCOCONCEPTION DES SOINS

Écoconcevoir les soins consiste à appréhender les soins au travers des principes du développement durable. L’objectif ? Réaliser un soin avec un impact moindre sur les plans sanitaire, social, économique et environnemental, à court, moyen et long terme.