LA CHIMIOTHÉRAPIE À DOMICILE, UNE ORGANISATION BIEN RODÉE
CENTRE LÉON BÉRARD
J’EXPLORE
COORDINATION
Depuis 2007, le Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard de Lyon coordonne des chimiothérapies à domicile. Thomas Finociety, Idel, participe à ce dispositif. Depuis 2020, il administre ses soins à madame Descotes, une patiente du Centre qui a accepté de nous recevoir chez elle. Reportage.
Loin des chambres aseptisées de l’hôpital, il est désormais possible de recevoir sa chimiothérapie dans le confort de son propre lit, chez soi ! Une commodité appréciée par madame Descotes, une patiente du Centre Léon Bérard (CLB) qui bénéficie de ce service d’hospitalisation à domicile (HAD) depuis deux ans. Elle nous reçoit dans son appartement, situé dans une résidence senior du VIIe arrondissement de Lyon (Rhône). Autour d’un café, dans son salon, nous commençons à bavarder en attendant l’arrivée de l’infirmier. « Je souffre d’un myélome depuis 2015. J’ai été hospitalisée, puis j’ai reçu un traitement en comprimé que je supportais mal », raconte la vieille dame. Avant, elle devait se rendre régulièrement au CLB pour ses traitements. « Mais depuis 2020, ils m’ont proposé de recevoir ma chimiothérapie à domicile et m’ont envoyé un infirmier pour la faire. C’est un réel confort et j’ai vraiment confiance en lui », confie-t-elle. Ce que craint pardessus tout madame Descotes ? Une nouvelle hospitalisation. Car pour elle, le fait d’être soignée chez elle est un vrai soulagement, avec des points positifs à la fois pour son autonomie et pour son moral.
Son protocole prévoit trois semaines de traitement, dont deux à domicile et une au Centre ; puis, la semaine restante, il y a une pause dans le traitement, avant de recommencer le cycle. « Après la chimio, pendant 48 heures je suis fatiguée et j’ai mal à la tête. Avoir une semaine où je n’ai rien du tout c’est vraiment bien pour me remettre », apprécie-t-elle.
Thomas Finociety, l’infirmier libéral (Idel) arrive. Après avoir salué sa patiente, il s’enquiert de son état de santé et de son humeur du jour. La vieille dame répond positivement. Le service d’hospitalisation à domicile du CLB l’a d’ailleurs contactée la veille pour savoir si tout allait bien.
Dans le couloir de l’entrée, cinq cartons massifs destinés au soignant sont empilés. Ils contiennent tout le matériel dont il a besoin pour réaliser la chimiothérapie. « Il y a aussi bien les poches de médicaments que les caisses pour la récupération des déchets et une caisse bleue avec du matériel d’urgence en cas de complication pendant la chimiothérapie, si par exemple la patiente a de la température et qu’il faut démarrer des antibiotiques ou si elle fait une allergie et a besoin de corticoïdes. Celle-ci, on espère ne pas avoir à l’utiliser », souffle-t-il.
Pour administrer le traitement en toute sécurité, un seul maître mot : l’organisation. « Il y a des heures maximales à ne pas dépasser pour la conservation des produits de chimiothérapie. Au bout de 24 heures, ils ne sont plus efficaces voire potentiellement dangereux. Et comme il faut compter 1 h 30 au domicile du patient, il faut adapter son emploi du temps », développe Thomas Finociety. Ce sont les infirmières de coordination (Idec) de l’HAD du Centre qui donnent le feu vert à la pharmacie hospitalière pour la préparation des produits le jour même. Ils sont scellés avec des pains de glace si nécessaire, et leur livraison chez le patient est effectuée avant midi par un transporteur attitré afin de garantir la sécurisation de la chaîne. Ce sont également les infirmières du centre qui trouvent les libéraux qui acceptent de faire les injections et qui calent le planning des visites.
Avec dextérité, Thomas Finociety ouvre les cartons et récupère le matériel dont il a besoin. « Je sors la poche de chimiothérapie et la poche d’hydratation, ainsi que la dexaméthasone qui sert à potentialiser effets de la chimiothérapie. Je prends aussi le récapitulatif du protocole de chimiothérapie pour vérifier que c’est le bon dosage pour le bon patient », explique-t-il en joignant le geste à la parole.
L’Idel déballe le matériel pour piquer dans la chambre implantable dont madame Descotes est équipée, tout en lui demandant de décliner ses nom, prénom et date de naissance afin de vérifier que les poches de médicaments lui sont bien destinées. Il installe ensuite les deux poches sur l’arbre à perfusion déjà préparé dans la chambre de la patiente. Cette dernière s’allonge dans son lit, avec un roman sous la main, ce qui lui permet de passer le temps, mais aussi de se changer les idées pendant le traitement.
« Avant de commencer le traitement, je dois surveiller les paramètres vitaux de madame Descotes, car c’est une chimio qui tape un peu sur le cœur, indique Thomas Finociety. Cela fait partie des vérifications que l’on fait systématiquement pour avoir une vision de l’état de santé du patient en début de chimio et cela fait aussi partie de la traçabilité de l’HAD. » Il prend donc la tension et le pouls de sa patiente avant et après la chimiothérapie, et reporte les résultats sur le protocole fourni par le CLB. « Tout est noté sur le protocole, il n’y a pas de surprise avec eux », apprécie le soignant.
Il enfile ensuite une blouse pour poser l’aiguille de Huber. « Lorsque l’aiguille est posée, il faut normalement un retour veineux, mais ce n’est pas le cas chez madame Descotes, indique-t-il. C’est un problème commun chez elle, elle fait des examens tous les six mois pour vérifier cela. Les méde cins injectent un produit de contraste dans le cathéter et font une radio pour vérifier qu’il est bien en place dans la veine. À partir du moment où c’est le cas, il n’y a pas de contreindication à l’injection. » Grâce à la chambre implantable, l’infirmier n’a pas besoin de poser un cathéter à chaque fois. Pour madame Descotes, c’est également un réel confort. « Ce n’est pas douloureux du tout. Il pique très bien, donc je ne sens rien ! », assure-t-elle après que l’Idel a posé l’aiguille.
Ce dernier branche alors la poche contenant la solution d’hydratation qui va passer en une heure, avant de connecter la poche de chimiothérapie, qui, elle, passe en 30 minutes. Il reprend alors la tension de madame Descotes, qui s’avère un peu plus élevée que d’habitude, mais pas révélatrice d’une pathologie. « Si la tension était vraiment trop élevée, en fonction des antécédents de la patiente je pourrais appeler le médecin coordinateur si nécessaire. » Il ne reste plus qu’à attendre que les poches soient vides. Pendant ce temps, madame Descotes lit un roman, Celle qui fuit et celle qui reste, d’Elena Ferrante. L’Idel, quant à lui, reste attentif aux réactions de sa patiente. Il vérifie régulièrement qu’elle ne fait pas de malaise, qu’il n’y a pas d’apparition d’effets secondaires (vomissements, oppression thoracique) et que l’aiguille est toujours bien en place dans la voie veineuse centrale. Il veille également au débit de la perfusion et à ce qu’elle ne s’arrête pas en cours de route. Il profite ensuite du temps qui lui reste pour remplir des papiers. « Au Centre Léon Bérard, la traçabilité est très importante, souligne-t-il. Tout doit être noté et répertorié précisément. » Dans un gros classeur, il a accès à tous les protocoles de ses patients et aux numéros de téléphone à contacter en cas de besoin. « Au moindre problème, je peux appeler directement un médecin, par exemple si le patient est fiévreux ou a une tension trop élevée. »
Infirmier en libéral depuis 2017, Thomas Finociety a fait ses gammes au CLB pendant trois ans. Il a donc l’habitude de manipuler les protocoles du Centre et il connaît plutôt bien les produits de chimiothérapie ainsi que le fonctionnement de l’hospitalisation à domicile de l’autre côté des murs de l’hôpital. « L’HAD du Centre Léon Bérard est très bien organisée. On parvient toujours à contacter un médecin si nécessaire. Cela change des prises en charge conventionnelles où il n’est pas facile de joindre un médecin ! Avec le Centre, on est vraiment cocooné », apprécie-t-il.
Jusqu’en 2014, les infirmiers libéraux devaient fournir une attestation de formation sur les chimiothérapies anticancéreuses, avec le nom de l’établissement de formation pratique, pour pouvoir intervenir sur des soins de cathéters. Depuis, ce n’est plus nécessaire, même si ce type de soin reste très enca dré(1). « En réalité, ce n’est pas très compliqué. On a des protocoles très pointus et il suffit de les suivre. Le fait d’avoir tous les interlocuteurs du Centre aide beaucoup, assure l’infirmier. En général, ils nous expliquent les spécificités du produit, mais il y a aussi une part de curiosité personnelle. Je n’hésite pas à faire des recherches par moimême. » Et d’ajouter : « Je réalise des chimios à domicile depuis 2017. Avec la pandémie, il y a eu des problèmes pour faire venir les patients au Centre Léon Bérard, j’en ai donc effec tué beaucoup plus pendant le confinement. » Il a ainsi dû jongler avec les chimiothérapies à domicile de trois patients. Actuel lement, il n’a que celle de madame Descotes dans son planning. « C’est le Centre qui m’appelle pour me proposer de prendre en charge certains patients. C’est une prise en charge qui me plaît donc, généralement, j’accepte. J’adore bosser en cancérologie. Le rapport n’est pas le même avec les gens. Le fait de passer plusieurs heures chez le patient crée des liens et amène à plus de confidences », assure-t-il. Grâce à son expérience passée en cancérologie, il se sent « plus à l’aise que certains infirmiers. Je ne suis pas dépaysé », confie-t-il. Pour lui, ce type de prise en charge permet d’avoir « tous les avantages du libéral et du Centre Léon Bérard, en particulier le travail en équipe ».
Au bout d’une heure, les poches sont vides. L’Idel colle l’étiquette de la poche de chimiothérapie dans le dossier pour la traçabilité et indique la date et l’heure de l’administration ainsi que son nom et sa signature. Il reprend la tension de sa patiente, laquelle n’a pas augmenté. Il retire donc l’aiguille de Huber et lui fait une injection d’EPO pour stimuler la production de globules rouges. Il inscrit la nouvelle tension sur le protocole. Il jette ensuite les déchets dans les cartons ou contenants dédiés. « Tout ce qui est en contact avec la chimio va dans le bac bleu et tout ce qui est piquant, coupant, tranchant dans le bac à aiguilles », explique-t-il. C’est le Centre qui viendra récupérer les contenants quand ils seront pleins et en rapportera de nouveaux. Tout cela fait, la séance est terminée. Rendez-vous est pris pour la semaine suivante.
Note
1. Les injections ou perfusions de produits anticancéreux au domicile doivent être soit encadrées par un réseau territorial de cancérologie, soit être réalisées dans le cadre d’une hospitalisation à domicile. Par ailleurs, l’infirmier libéral doit pouvoir fournir la preuve, si besoin, qu’il s’est bien formé aux abords veineux.
Sources utiles
• Haute Autorité de santé, « Conditions du développement de la chimiothérapie en hospitalisation à domicile », Recommandation en santé publique et organisation des soins, janvier 2015. En ligne sur : bit.ly/3Hv0zuj
• Centre Léon Bérard, « Administration d’une chimiothérapie IV à domicile avec l’utilisation de l’arbre à chimiothérapie », avril 2021. En ligne sur : bit.ly/3sxuJcr
Le Centre Léon Bérard de Lyon a débuté l’organisation de chimiothérapies à domicile en 2007. « Au départ, nous avions deux à trois chimiothérapies par semaine, se souvient Patricia Lemaitre, infirmière de coordination (Idec) en chimiothérapie à domicile. Petit à petit cela a augmenté et nous avons dû créer un pôle dédié. Actuellement, nous tournons autour d’une centaine de patients en cours qui ont de la chimiothérapie différemment selon les protocoles : une fois toutes les trois semaines ou une fois par semaine par exemple. » Toutefois, toutes les chimiothérapies ne peuvent pas être effectuées à domicile. « Nous sélectionnons des chimios dont la durée ne dépasse pas 1 h 30. En effet, l’infirmière doit venir avant pour ouvrir la voie veineuse et rester auprès du patient pendant toute la durée du traitement. Il faut donc que la chimiothérapie ne soit pas trop longue, précise l’Idec. Nous travaillons beaucoup avec le service d’hématologie qui fait de nombreuses chimiothérapies en sous-cutané, qui ne demandent pas beaucoup de temps. » La faisabilité ne dépend pas du profil du patient, mais plutôt de la durée de traitement, s’il est agréé pour le domicile et si le patient a un Port-a-cath (PAC ou chambre implantable) ou un Picc-line. « Il est également possible de faire de l’immunothérapie qui peut passer par des voies veineuses périphériques », précise l’infirmière. Le patient doit avoir reçu au moins deux doses de son traitement en milieu hospitalier pour pallier les risques d’allergie. Lorsque le patient est particulièrement fragile ou atteint de la maladie d’Alzheimer, par exemple, « c’est bien d’avoir un référent pour faire le lien (infirmière, proche aidant) », souligne-t-elle.
Quant à la soignante qui intervient à domicile, elle bénéficie d’une ligne dédiée en cas de problème. « Nous sommes joignables 24 heures sur 24 dans le cadre de l’HAD. Nous avons des médecins qui sont d’astreinte la nuit, le week-end et les jours fériés », indique Patricia Lemaitre. Faire le lien entre la ville et l’hôpital est l’un des aspects essentiels de la mission de l’IDE chargée de la coordination depuis la préparation des produits jusqu’à leur administration.
Le Centre Léon Bérard dispose d’un forfait global journalier à répartir entre tous les intervenants de l’HAD : infirmier, pharmacien, laboratoire, transporteurs, etc. « Pour la cotation, c’est un peu particulier. Il faut utiliser la plateforme HAD du Centre Léon Bérard et remplir les informations dans le logiciel en sélectionnant la date de facturation pour le patient. J’indique la totalité des actes réalisés : administration des médicaments, pose de l’aiguille de voie centrale, injection d’EPO, traçabilité et le fait que je sois resté une heure auprès de la patiente , énumère l’Idel Thomas Finociety, dans la limite de 50 AMI par jour ».
Le soignant est payé dans les 15 jours qui suivent. « Si je devais facturer avec les cotations en vigueur habituellement, je serais payé à peine la moitié par rapport à ce que me paie le Centre Léon Bérard », reconnaît l’infirmier.