LE SYNDROME DU BÉBÉ SECOUÉ
JE ME FORME
BONNES PRATIQUES
Anne-Gaëlle Moulun* Dr Anne Laurent-Vannier** Patricia Vasseur***
*Ancienne cheffe de pôle de rééducation de l’enfant aux hôpitaux de Saint-Maurice (Val-de-Marne)
**experte près de la Cour de cassation.
***médecin de Médecine physique et de réadaptation
****Pr Catherine Adamsbaum
*****Professeure à l’université Paris-Saclay, experte près de la Cour de cassation.
******cheffe de service de radiopédiatrie à l’hôpital Bicêtre, au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), et de
*******infirmière puéricultrice à l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu, à Paris.
Chaque année, ce sont plusieurs centaines d’enfants qui sont touchés par le syndro me du bébé secoué. Ce phénomène, qui fait l’objet d’une campagne de sensibilisation du gouvernement depuis le début de l’année, « Stop bébé sécoué », est bien identifié. Des critères précis d’aide au diagnostic et des recommandations en matière de signalement existent. Face à cette forme de maltraitance, les infirmières ont un rôle important à jouer pour améliorer la prise en charge et la prévention de ce geste aux conséquences souvent dramatiques.
Selon la définition de la Haute Autorité de santé (HAS), « le syndrome du bébé secoué (SBS) est un sous-ensemble des traumatismes crâniens infligés ou traumatismes crâniens non accidentels (TCNA), dans lequel c’est le secouement, seul ou associé à un impact, qui provoque le traumatisme crânio-cérébral ».
Le secouement d’un bébé est un geste d’une extrême violence : un adulte empoigne un enfant par le thorax, les épaules ou les bras et le secoue de façon très violente.
Le secouement n’a rien à voir avec le jeu (lancer un enfant en l’air, par exemple) ou avec des gestes malencontreux de la vie quotidienne. Dans le secouement, la tête de l’enfant se déplace très violemment d’avant en arrière et le cerveau heurte les parois internes de la boîte crânienne.
Le syndrome du bébé secoué entraîne un traumatisme crânio-encéphalique. En effet, le secouement provoque un déplacement du cerveau à l’intérieur des parois du crâne, causant une rupture des veines ponts. Ces veines ponts sont tendues transversalement comme des harnais au sommet du crâne et drainent le sang vers le collecteur veineux médian, le sinus longitudinal supérieur, reliant le cerveau à la paroi interne du crâne, la duremère. Leur rupture a pour conséquence un saignement qui s’étend jusque dans l’espace sousdural (entre la duremère et le cerveau), en nappe, de façon diffuse, au sommet du crâne mais aussi entre les deux hémisphères du cerveau (espace interhémisphérique). C’est très différent de la conséquence d’une chute, où un hématome sousdural est exceptionnel. Les chutes entraînent généralement des hématomes extraduraux localisés au point d’impact ou au niveau du contrecoup, c’estàdire dans un espace différent.
Il peut également y avoir un dysfonctionnement des centres régulateurs de la respiration et du cœur qui entraînent des pauses respiratoires, voire des arrêts cardiorespiratoires et, par conséquent, un manque d’oxygène qui peut provoquer des lésions cérébrales irréversibles.
Si dans 1 cas sur 10 le bébé décède des suites d’un secouement, les trois quarts des enfants qui y survivent présentent des séquelles lourdes dues aux lésions cérébrales :
→ retard du développement psychomoteur ou handicap moteur ;
→ troubles cognitifs et difficultés d’apprentissage ;
→ problèmes de comportement ;
→ déficit visuel ou cécité ;
→ épilepsie.
Dans deux tiers des cas, le symptôme révélateur est un malaise grave. Lorsqu’un bébé est secoué, il est assommé et ne pleure plus. Il peut se remettre, mais peut aussi faire un malaise très grave et devenir « mou » comme une poupée de chiffon. D’ailleurs, les mots qui reviennent souvent dans la bouche de l’auteur du geste sont : « J’ai cru qu’il était mort. » Dans un tiers des cas, l’adulte commence des manœuvres de réanimation.
La Haute Autorité de santé a recensé les symptômes initiaux pouvant évoquer d’emblée une atteinte neurologique grave. Ils peuvent être associés à des degrés divers :
→ malaise grave : troubles aigus de la vigilance et de la conscience allant jusqu’au coma ;
→ apnées sévères, arrêt cardiorespiratoire ;
→ convulsions répétées, état de mal convulsif ;
→ signes d’hypertension intracrânienne aiguë (plafonnement du regard, vomissements) ;
→ hypotonie axiale, déficit moteur brutal ;
→ pâleur.
D’autres signes peuvent également orienter vers une atteinte neurologique :
→ moins bon contact (dont contact oculaire avec errance du regard) ;
→ signes d’hypertension intracrânienne chronique : macrocrânie évolutive, fontanelle bombante, vomissements, troubles ophtalmologiques (strabisme, nystagmus), stagnation et/ou régression psychomotrice.
La HAS souligne en outre que « certains signes non spécifiques, pouvant égarer le diagnostic d’atteinte neurologique, sont à connaître » :
→ modifications du comportement : bébé douloureux, irritabilité et pleurs ;
→ troubles de l’alimentation, mauvaises prises alimentaires (stagnation de la courbe de poids), vomissements sans fièvre ni diarrhées ;
→ pâleur ;
→ troubles du sommeil.
Les vomissements, qui sont parfois pris pour une gastroentérite ou une intolérance au lait par exemple, peuvent retarder le diagnostic et la prise en charge. Pour autant, « cela ne veut pas dire que tous les enfants qui vomissent sont secoués, précise le Dr Anne Laurent-Vannier. Mais si l’enfant vomit sans fièvre, il faut bien l’examiner, apprécier son tonus et son interaction, mesurer son périmètre crânien et rechercher des ecchymoses. »
« Dans le diagnostic, il y a d’abord la phase d’alerte qui est très importante afin que l’enfant soit hospitalisé, et la deuxième phase, celle du diagnostic à proprement parler », détaille le médecin.
Quel que soit le tableau clinique - détresse neurologique aiguë inaugurale, signes d’atteinte neurologique (vomissements sans fièvre ni diarrhées, troubles respiratoires, pâleur, bébé douloureux), signes non spécifiques orientant vers une maltraitance (ecchymoses, fractures, etc.) - l’essentiel est :
→ de penser à un TCNA par secouement ;
→ de compléter l’examen clinique (palpation de la fontanelle, mesure du périmètre crânien avec reconstitution des courbes de croissance poids, taille et périmètre crânien) ;
→ d’hospitaliser l’enfant en vue d’un bilan lésionnel (imagerie cérébrale et fond d’œil sans délai) avec recher che d’autres signes de maltraitance.
« L’infirmière ne va pas évoquer d’emblée le SBS, mais elle peut sentir une discordance entre l’histoire racontée et les éléments constatés, ou une fluctuation dans le récit : soit la personne qui amène l’enfant n’était pas présente au moment des faits, soit elle sait mais n’ose pas parler. C’est très important d’être aussi empathique que d’habitude, car ce n’est pas aux soignants de chercher à savoir ce qu’il s’est passé », insiste le Pr Catherine Adamsbaum, cheffe de service de radiopédiatrie à l’hôpital Bicêtre.
En cas de suspicion de TCNA, il faut faire part aux parents de l’inquiétude sur l’état de l’enfant et poser l’indication d’une hospitalisation systématique en urgence. Il convient de veiller à ce que ce dernier soit effectivement amené à l’hôpital pour un bilan complet et des soins.
Lorsque le bébé est hospitalisé, il faut réaliser un examen complet, en particulier neurologique, vérifier les courbes du périmètre crânien, de poids et de taille, rechercher d’éventuelles lésions trauma tiques et les photographier, inspecter l’état de la fontanelle et examiner le carnet de santé. Un scanner cérébral en urgence sera effectué en première intention pour repérer des hématomes dans le cerveau. Un examen ophtal mologique rapide (fond d’œil) est également préconisé.
Les recommandations de la Haute Autorité de santé actualisées en 2017 décrivent la démarche diagnostique à suivre pour objectiver les lésions et éliminer les diagnostics différentiels.
En cas de secouement, des lésions intracrâniennes (méninges et parenchyme cérébral) et/ou spinales (moelle épinière et enveloppes) et/ou oculaires sont susceptibles de survenir. Les lésions très caractéristiques d’un syndrome de bébé secoué sont notamment une rupture des veines ponts, des hématomes sous-duraux multifocaux en nappe et des hémorragies rétiniennes.
→ À noter : les hémorragies rétiniennes « sont absentes dans environ 20 % des cas. Elles ne sont donc pas indispensables au diagnostic », précise la Haute Autorité de santé. D’autres lésions non indispensables au diagnostic peuvent être associées : fracture des membres ou du rachis, de la cage thoracique ou du crâne, lésions des muqueuses ou cutanées à type d’ecchymoses ou d’hématomes.
L’histoire rapportée par l’adulte doit également être considérée : est-elle changeante ? Y a-t-il une absence d’explication des signes ou les faits avancés sont-ils incompatibles avec le tableau clinique ou le stade de développement de l’enfant ? Par exemple, un bébé âgé de 1 mois ne peut pas être tombé seul du canapé.
Chez un nourrisson, en cas d’histoire clinique absente, fluctuante ou incompatible avec les lésions cliniques ou l’âge de l’enfant, et après élimination des diagnostics différentiels (lire l’encadré « diagnostics différentiels » ci-contre), le diagnostic de TCNA par secouement :
→ est certain en cas d’hématomes sous-duraux (HSD) plurifocaux avec caillots à la convexité (vertex) traduisant la rupture de veines ponts ou HSD plurifocaux et hémorragies rétiniennes, quelles qu’elles soient, ou HSD unifocal avec lésions cervicales et/ou médullaires ;
→ est probable en cas d’HSD plurifocaux, même sans aucune autre lésion, ou d’HSD unifocal avec hémorragies intrarétiniennes limitées au pôle postérieur ou d’hémorragies rétiniennes touchant la périphérie et/ou plusieurs couches de la rétine, qu’elles soient unies ou bilatérales.
Une fois le diagnostic établi ou fortement suspecté, l’enfant doit être considéré comme un traumatisé crânien grave à risque particulièrement élevé de manifestations convulsives, et bénéficier d’une hospitalisation en soins intensifs pédiatriques avec avis neurochirurgical.
Par dérogation au principe du secret médical, l’article 22614 du Code pénal permet aux professionnels de santé ayant connaissance de faits de maltraitance sur un mineur de transmettre un signalement aux autorités judiciaires.
Suite aux examens et au bilan hospitalier, soit le diagnostic est écarté, soit il est probable, soit il est certain. Dès que le diagnostic est probable, il faut signaler au procureur de la République et adresser une copie du signalement au prési dent du conseil départemental. « Le signalement n’est pas un acte de délation, c’est un acte de protection de l’enfant », tient à rappeler le Dr Laurent-Vannier. Pour les soignants qui se trouvent en première ligne, il leur est spécifiquement demandé d’évoquer le diagnostic et de le poser. Ce n’est pas leur rôle de déterminer le contexte de survenue du secouement, ni qui est l’auteur des faits ou le moment où cela s’est passé. « Lorsqu’un syndrome du bébé secoué est suspecté, une première réunion d’au moins deux médecins doit avoir lieu sans délai et faire l’objet d’un compte-rendu médical à intégrer au dossier médical. Un signalement doit ainsi être fait sans retard. Une évaluation médicopsychosociale plus complète sera faite dans un second temps », informe la HAS.
La Haute Autorité de santé précise que « la datation repose sur un faisceau d’arguments cliniques, radiologiques (les examens peuvent être répétés), éventuellement anatomopathologiques et de données d’anamnèse ». Cette datation ne doit pas être effectuée par l’équipe médicale qui prend en charge l’enfant. Elle sera du ressort de l’expert judiciaire qui considérera l’ensemble des lésions cliniques et paracliniques associées (ecchymoses, fractures, œdème pulmonaire, etc.) et disposera également des pièces de procédure.
D’un point de vue épidémiologique, les facteurs de risque identifiés par la HAS et liés à l’enfant sont les suivants :
→ sexe masculin ;
→ prématurité ou complications médicales périnatales ;
→ séparation mère-enfant en période néonatale ;
→ grossesse multiple ou rapprochée ;
→ grossesse non désirée ;
→ pleurs inconsolables ;
→ difficultés d’acquisition d’un rythme de sommeil régulier, troubles du sommeil ;
→ difficultés alimentaires ;
→ interventions antérieures des services sociaux.
Dans plus d’un tiers des cas, des éléments antérieurs pouvaient déjà attirer l’attention, comme une ecchymose inexpliquée chez un nourrisson n’ayant aucune autonomie.
En ce qui concerne les auteurs, ils peuvent appartenir à n’importe quel milieu socio-économique, culturel et intellectuel. Les personnes potentielles identifiées dans la littérature sont des adultes (ou éventuellement un adolescent ayant la corpulence d’un adulte), un homme vivant avec la mère (que ce soit le père de l’enfant ou le compagnon de la mère), une personne en charge de garder l’enfant (assistante maternelle, nourrice non agréée), ou encore la mère de l’enfant. Les auteurs ont souvent une méconnaissance importante concernant les besoins, les compétences et les comportements normaux de l’enfant.
« Rappelons que les aveux de secouement ne sont pas faits en milieu hospitalier et que ces données viennent d’expertises médico-judiciaires. L’équipe soignante doit rester dans son rôle clinique sans “enquêter” sur les circonstances autrement que pour déterminer la compatibilité de l’histoire racontée avec les éléments médicaux retrouvés », rappelle le Pr Adamsbaum.
Dans plus de la moitié des cas, les épisodes de secouement sont répétés. Dans ce contexte, la prévention n’a pas seulement pour objectif d’éviter le premier secouement mais également de prévenir des récidives, donc de faire de la prévention de la violence le plus tôt possible.
Pour Patricia Vasseur, infirmière puéricultrice à l’Hôtel-Dieu, à Paris, « il faut préparer davantage les parents au fait que les bébés pleurent et que c’est normal. Il faut les rassurer et leur conseiller de ne pas rester seuls et d’aller voir des personnes qui peuvent les aider, par exemple en centre de protection maternelle et infantile. La meilleure prévention est de les préparer avant et pendant la grossesse ».
Et lorsque le parent est à bout, le conseil que peut lui donner l’infirmière est de poser l’enfant sur le dos dans son lit et de quitter la pièce. « En effet, un bébé qui pleure dans son lit ne risque rien, alors que s’il est dans les bras d’un adulte exaspéré, il peut tout risquer, dont la vie », tient à souligner le Dr Anne Laurent-Vannier.
Pour les parents qui s’apprêtent à confier leur enfant à quelqu’un, il faut s’assurer que la personne a conscience que le bébé peut pleurer longtemps, qu’elle connaît le SBS et qu’elle sait comment réagir si elle est exaspérée.
Quant à la prévention des récidives, celleci passe par la formation des professionnels. « à détecter les signes de violence et à alerter, notamment en connaissant mieux les recommandations de la HAS », préconise le Dr Laurent-Vannier.
• Haute Autorité de santé, Recommandation de bonne pratique « Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement », 2017. En ligne sur : bit.ly/3H3Bp5W
• Ministère des Solidarités et de la Santé, « Syndrome du bébé secoué : une maltraitance qui peut être mortelle », 17 janvier 2022. En ligne sur : bit.ly/3JNT1Ev
• Dr ReySalmon C., Pr Adamsbaum C., Maltraitance chez l’enfant, éditions Lavoisier, 2013.
Se former
• L’université Paris 1 PanthéonSorbonne propose un diplôme interuniversitaire « Traumatisme crânien de l’enfant et de l’adolescent, syndrome du bébé secoué ». Plus d’informations sur : bit.ly/3v9wz4Y
• Chaque année, plusieurs centaines de bébés sont victimes de secouements.
• Le pic d’incidence se situe entre 2 et 4 mois.
• 1 victime sur 10 décède.
• Les 3/4 des survivants présentent des séquelles graves.
• Le taux de récidive est élevé : les bébés secoués l’ont été en moyenne 10 fois.
Par diagnostic différentiel, il faut entendre traumatisme crânien accidentel, mais dans ce cas, l’histoire clinique doit être parfaitement constante et concordante. Seuls les traumatismes accidentels avec forte décélération (type accident de la route) peuvent entraîner des hématomes sous-duraux (HSD) multifocaux et une rupture des veines ponts. Ces HSD sont alors le plus souvent associés à d’autres lésions cérébrales. Une chute de moins d’un mètre cinquante ne peut provoquer ni HSD plurifocal ni hémorragie rétinienne diffuse et/ou bilatérale. Elle n’entraîne jamais l’association HSD/hémorragie rétinienne.
Des diagnostics sont souvent posés à tort :
→ en cas de vomissements, de diagnostic de gastro-entérite aiguë alors même qu’il n’y a ni fièvre ni diarrhées, d’intolérance au lait. Le diagnostic d’invagination intestinale aiguë est éliminé par une échographie abdominale ;
→ en cas de malaise : spasme du sanglot ou malaise sur reflux gastro-œsophagien.
Des diagnostics médicaux, plus rares, sont à évoquer, ce qui n’exclut pas la possibilité de maltraitance surajoutée :
→ troubles de l’hémostase congénitaux (maladie de Willebrand, hémophilie) ou acquis (thrombopénie) ;
→ malformations vasculaires cérébrales et anévrismes cérébraux, exceptionnels avant 1 an ;
→ certaines maladies métaboliques (très rares), comme l’acidurie glutarique de type 1 ou la maladie de Menkes.
* Extrait de « Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement », démarche diagnostique, Haute Autorité de santé, juillet 2017. En ligne sur : bit.ly/3JFgEPM
Lire l’interview de Brigitte Prévost sur Espaceinfirmier.fr, le 17/02/2022