PRÉSIDENTIELLE : LES INFIRMIÈRES S’EXPRIMENT, MAIS SONT-ELLES ENTENDUES ?
PROGRAMMES ÉLECTORAUX
JE DÉCRYPTE
POLITIQUE DE SANTÉ
La campagne présidentielle est l’occasion pour la profession de donner de la voix afin de faire entendre ses propositions et, pourquoi pas, les pousser jusque dans les programmes et discours des candidats.
Mais il s’agit d’un exercice au succès bien incertain.
Un véritable feu d’artifice. Voilà ce que les différentes organisations infirmières ont offert aux candidats à l’élection présidentielle. Du libéral à l’hôpital, de l’ordinal au syndical, tous les courants de la profession y sont allés de leur plateforme, de leur liste de recommandations, de leur éventail de revendications… le tout à l’usage des prétendants à l’Élysée, priés d’insérer les mesures défendues dans leur programme électoral (lire l’encadré « Des propositions tous azimuts » p. 16). Un activisme qui traduit la soif de changement des soignants et les attentes fortes qu’ils nourrissent pour le prochain quinquennat. Reste à savoir si les destinataires de toutes ces propositions se sont montrés sensibles au chant des sirènes infirmières.
Mais avant de se plonger dans les programmes présidentiels, il est nécessaire de faire un petit détour par ces fameuses propositions avancées par la profession. Et là, un constat s’impose : en dépit de l’apparent désordre dans lequel les organisations infirmières se sont lancées dans la campagne, leurs voix sont relativement en harmonie. Deux grands axes se dessinent : d’un côté, une attente particulièrement intense sur le renforcement des ressources humaines et, de l’autre, une demande d’autonomie accrue pour la profession. C’est ainsi que parmi les « propositions » de l’Ordre national des infirmiers (ONI) figure l’idée « d’augmenter le nombre d’infirmiers actifs dans le système de soins » ou encore celle « d’instituer des ratios infirmiers/patients spécifiques à chaque service à l’hôpital ». Les « revendications » du Collège infirmier français (CIF) vont exactement dans le même sens : constatant que les normes d’infirmiers par lit ne concernent actuellement que certains services (réanimation, dialyse, etc.), le Collège propose d’étendre ce principe à l’ensemble de l’activité infirmière et de « déterminer un ratio de patients par infirmier au regard de la charge en travail ».
Le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH), qui n’est pas à proprement parler une organisation infirmière mais qui compte de nombreux représentants de la profession en son sein, estime également que les établissements doivent « fixer des quotas de personnels nécessaires dans chaque unité de soins pour assurer la sécurité et la qualité » et ajoute que « pour respecter les quotas, les absences doivent être systématiquement remplacées ». De manière peu surprenante, le CIH reprend également une revendication portée de longue date par de nombreuses organisations, notamment syndicales : les revalorisations salariales. « Les rémunérations des soignants hospitaliers […] doivent être au moins égales à la moyenne des pays de l’OCDE et revalorisées à hauteur de celles des pays voisins pour éviter la fuite des soignants », indique le Collectif.
À l’unanimité des organisations infirmières pour réclamer des collègues en plus et des bulletins de paie moins ternes répond l’unanimité des candidats : bien que leurs promesses électorales soient moins détaillées que les propositions de la profession infirmière, ceuxci lui adressent en choeur un « oui » franc et massif… On ne s’en étonnera pas de la part des candidats les plus marqués à gauche : c’est ainsi que Nathalie Arthaud entend « imposer l’embauche de personnel dans tous les services publics indispensables à la population, à commencer par les hôpitaux et les Ehpad », et fixer un minimum de 2 000 euros pour les salaires, quand Jean Luc Mélenchon promet d’engager « un plan pluriannuel de recrutement de soignants », et quand Fabien Roussel assure qu’il créera 100 000 emplois à l’hôpital public « dans tous les métiers ».
Mais cette générosité s’étend également à des personnalités politiques positionnées beaucoup plus à droite, dont on attendrait davantage de parcimonie dans l’usage de l’argent public. Valérie Pécresse promet de « créer 25 000 postes de soignants à l’hôpital », tandis que Marine Le Pen assure qu’elle recrutera « en masse » des personnels soignants, avançant notamment le chiffre de 10 000 places supplémentaires dans les instituts de formation en soins infirmiers. En revanche, la question du financement de telles mesures est peu mise en avant, même si Valérie Pécresse a suggéré qu’elle entendait « remplacer des postes administratifs par des postes de soignants ». Marine Le Pen, de son côté, a insisté sur la lutte contre la « fraude massive » dont les établissements et la Sécurité sociale sont, pour elle, largement victimes, tandis que les candidats de gauche ont dans leur ensemble mis en avant une politique fiscale qu’ils voulaient plus sévère à l’égard des hauts revenus.
Mais les créations de poste et les hausses de salaire ne sont que l’un des aspects mis en avant par les organisations infirmières dans leurs revendications publiées en amont de la présidentielle. L’autre grand axe sur lequel elles interpellent les candidats est celui de l’autonomie de la profession. Et là encore, plusieurs propositions se retrouvent quasiment à l’identique dans les différentes structures. C’est ainsi que la question du premier recours ou de l’accès direct de la population aux soins infirmiers, sans passer par la case médecin, est soulevée sur les plateformes de l’ONI et du CIF, mais également sur celles des syndicats d’Idels : le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), le Syndicat autonome des infirmières et infirmiers libéraux (Saiil) et la Fédération nationale des infirmiers (FNI) mettent tous cette thématique en avant.
Autre point évoqué dans presque toutes les contributions : l’attribution de compétences supplémentaires. La possibilité pour une infirmière d’avoir le statut d’infirmière référente ou d’infirmière de famille, à l’instar du médecin traitant ou du pharmacien référent, est ainsi évoquée par l’ONI, le Sniil, le Saiil, la FNI… Absolument tous les documents diffusés par les organisations en amont du scrutin évoquent par ailleurs la nécessité d’élargir les responsabilités infirmières en matière de prescription et de consultation, entre autres. Présentées comme une réponse aux problèmes d’attractivité que connaît la profession mais également comme une manière de libérer du temps médical en cette période où la pénurie de médecins ne fait que s’aggraver, ces mesures se situent dans la continuité des discours portés depuis plusieurs années par ces organisations.
Certaines propositions d’ordre plus général se situent en revanche dans une perspective résolument disruptive, pour employer un mot désormais devenu un lieu commun du langage politique. C’est ainsi que la FNI propose de « donner le statut de profession médicale à compétences défi nies » aux infirmiers, à l’instar des sages-femmes, par exemple. « Nous avons aujourd’hui un problème d’accès aux soins extrêmement prégnant que ni la pratique avancée, ni le desserrement du numerus clausus ne permettront de régler rapidement, justifie Daniel Guillerm, président du syndicat. Nous proposons donc de nous appuyer sur le tissu libéral infirmier, qui est organisé à l’échelle des territoires et assume une véritable continuité des soins, pour améliorer la situation. » Dans le même ordre d’idée, le CIF suggère de supprimer le terme « auxiliaire médical » désignant la profession dans le Code de la santé publique.
Toute la question, bien sûr, est de savoir si ces appels à l’extension du domaine de compétences de la profession suscitent quelque écho dans les programmes des candidats. Premier constat : rien concernant cette thématique sur la première page des programmes des prétendants à l’Élysée. Mais en cherchant bien, on peut au moins la retrouver dans les pages intérieures de certains d’entre eux. C’est ainsi que celui du candidat souverainiste Nicolas Dupont-Aignan propose « d’amplifier la création de nouveaux métiers de la santé » afin de « soulager la surcharge de travail des médecins » et de « permettre des évolutions de carrière pour les secrétaires médicales, les infirmières, sur le modèle des sages-femmes pour l’obstétrique ». Marine Le Pen, quant à elle, suggère « d’accroître le temps médical grâce à l’élargissement des tâches confiées aux pharmaciens, aux sages-femmes, aux infirmiers et aux assistantes sociales ». Valérie Pécresse, de son côté, ambitionne de « donner plus de responsabilités et de perspectives de carrière aux soignants, en leur offrant la possibilité de faire carrière dans leur service ». Pour illustrer ce point, elle assure que « les infirmiers ayant de l’expérience pourront se voir confier de nouvelles tâches et responsabilités, notamment par la validation des acquis de l’expérience ».
Voilà pour ce qui est des programmes officiels. Mais qu’en est-il des prises de parole des candidats ? Pour le moment, nous n’avons entendu aucun d’entre eux évoquer l’accès direct ou la consultation infirmière sur la scène d’un grand meeting populaire, mais nous avons toutefois pu entendre certains de leurs conseillers affirmer leur attachement à l’accroissement des responsabilités de la profession. C’est ainsi que le 10 mars dernier, lors d’une journée organisée par un collectif d’organisations infirmières et diffusée en ligne (lire l’encadré « Les représentants des candidats sur le gril » p. 15), le Dr Sébastien Mirek, l’un des trois « relais santé » d’Emmanuel Macron, a affirmé qu’il lui semblait nécessaire de « travailler sur les pratiques avancées, les délégations, les transferts de compétences… ». Plus à gauche, le Dr Bernard Jomier, conseiller santé d’Anne Hidalgo, estime qu’il faut « poursuivre le travail sur le partage des tâches », précisant que « les infirmiers, par exemple, peuvent avoir des fonctions plus importantes que celles qu’ils exercent actuellement, notamment sur la prévention ».
La présence des thématiques chères aux infirmiers dans le discours des conseillers santé des candidats, à défaut de ceux des candidats eux-mêmes, est l’une des raisons qui poussent certains représentants de la profession à l’optimisme. « Je rencontre les représentants des candidats un à un, et on voit bien qu’il y a une bonne reprise sur des thèmes comme l’accès direct, les ratios de personnel, l’évolution des IPA [Infirmières en pratique avancée, ndlr] », se félicite ainsi Patrick Chamboredon, président de l’ONI. Mais celuici remarque bien qu’il y a un hiatus entre les discours publics des candidats d’un côté, et ceux qui sont portés par leur représentant lors de leurs échanges bilatéraux de l’autre. « C’est vrai que les candidats eux-mêmes ont plutôt tendance à parler des médecins, remarque-t-il. Je trouve cela curieux car les infirmiers sont beaucoup plus nombreux que les médecins… » Et le président de l’Ordre de conclure, un brin ironique : « Peut-être qu’ils pensent que les infirmiers ne votent pas… » L’Ordre n’est d’ailleurs pas le seul à constater la différence entre l’affichage que les candidats offrent au grand public et les discussions techniques que leurs équipes ont avec les corps professionnels. « Quand on fait le tour des programmes des principaux candidats, on ne retrouve pas grand-chose qui correspond à nos préoccupations, regrette ainsi John Pinte, président du Sniil. C’est d’autant plus regrettable que lorsque l’on discute avec leurs conseillers, ils semblent d’accord pour avancer sur certaines thématiques, comme l’accès direct. » Un triste constat qui ne suffit pas, loin s’en faut, à décourager ce responsable syndical. « Nous allons recommencer ces discussions pour les législatives, assure-t-il. Nous savons que les députés seront plus à l’écoute, et cela a du sens car ce sont eux qui voteront les lois qui modèleront notre exercice. »
Quoi qu’il en soit, les représentants de la profession ne se font que peu d’illusions sur la valeur des programmes électoraux et des promesses des candidats. « Notre travail de lobbying n’est pas lié qu’aux échéances électorales, précise Patrick Chamboredon. Ce qui importe, c’est de pousser nos idées et de faire en sorte qu’elles infusent. » Une approche que l’on retrouve du côté du Sniil. « Ce sont de petites graines que l’on a semées, et que l’on verra germer un jour », veut croire John Pinte. Et peu importe, finalement, si la germination n’intervient pas au moment des débats présidentiels : l’important, c’est la récolte…
Un collectif d’associations et de syndicats infirmiers* a invité, le 10 mars, les représentants des candidats à la présidentielle à venir s’exprimer lors d’une émission diffusée en direct sur YouTube. Sur les douze prétendants à l’Élysée, cinq ont envoyé leur conseiller santé : se sont donc succédé, pour 45 minutes d’échanges chacun, Alexis Villepelet pour Nicolas Dupont-Aignan, le Pr Philippe Juvin pour Valérie Pécresse, le Dr Patrick Barriot pour Marine Le Pen, Aurélie Jochaud pour Nathalie Arthaud et, enfin, le Dr Sébastien Mirek pour Emmanuel Macron. Interrogés par des représentants des associations organisatrices, ils ont ainsi pu dérouler leur vision du système de santé en général et de la profession infirmière en particulier.
« Nous avons eu l’impression qu’une majorité des personnes qui sont venues échanger étaient assez au fait de nos préoccupations et qu’elles avaient envie de discuter, note Michèle Appelshaeuser, présidente du Cefiec, qui était sur le plateau pour interviewer les représentants des candidats. Il y a une réelle volonté d’avancer et une réelle prise de conscience du fait qu’il est nécessaire de réaménager les frontières entre les professions. » Et cette responsable d’Ifsi d’annoncer que les organisateurs envisagent de poursuivre l’exercice. « Nous allons essayer de faire la même chose après l’élection, avec un représentant de la personne qui sera élue », annonce-t-elle. Une manière de faire en sorte que les belles promesses ne se transforment pas en paroles en l’air.
* Anfiide : Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et des étudiants ; ANPDE : Association nationale des puériculteurs diplômés et des étudiants ; Fnesi : Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières ; Cefiec : Comité d’entente des formations infirmières et cadres ; Unaibode : Union nationale des associations d’Ibode ; Snibo : Syndicat national des Ibode.
Le printemps était un peu en avance cette année : dès les premiers jours de 2022 ont commencé à éclore les propositions du monde de la santé en vue de la présidentielle. Alors que dehors le froid empêchait encore toute végétation de s’épanouir, dans le milieu infirmier, ce sont de véritables programmes électoraux qui se sont mis à pousser tous azimuts. C’est ainsi qu’à la mi-janvier, le Sniil a présenté son projet « Débats d’Idel », une plateforme qui se veut participative et qui comprend 24 propositions à l’usage des candidats. La FNI n’a pas été en reste puisqu’elle a, dès le mois de février, lancé une « plateforme présidentielle » intitulée « L’avenir des soins de ville passe par les infirmières et infirmiers libéraux ». Ont suivi, le même mois, les « revendications » du CIF, la « contribution » de l’ONI intitulée « Pour un système de santé plus proche, plus efficient et plus durable », les « 7 blocs de propositions pour moderniser les soins de ville » du Saiil ou encore les « 10 grandes thématiques incontournables » de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi).
Lire les articles « Les candidats passent leur grand oral devant les infirmières », le 11/03, « Le Saiil interpelle (lui aussi) les candidats à la présidentielle », le 24/02, « La FNI veut un statut médical pour les infirmières », le 4/02, et « Les Idels plongent dans le grand bain de la présidentielle », le 19/01, sur espaceinfirmier.fr
• L’institut Montaigne propose un décryptage par thème des programmes électoraux, « Présidentielle 2022 : découvrez, analysez et comparez les propositions des candidats ». En ligne sur : bit.ly/3JhAzEs