L'infirmière n° 019 du 01/04/2022

 

JE DIALOGUE

Laure Martin  

Ancienne infirmière en psychiatrie, Éléonore Berthe propose des ateliers de prévention en santé mentale en ville. Aujourd’hui, en tant que psychoéducatrice, son objectif est de permettre à chacun d’avoir un bagage sur la santé mentale afin de mieux avancer dans sa vie, au sein d’un système encore « trop » axé sur le tout curatif.

En quoi consiste la réhabilitation psychosociale ?

Éléonore Berthe : La réhabilitation psychosociale est un ensemble de procédés visant à aider les personnes souffrant de troubles psychiques à se rétablir, c’est-à-dire à obtenir un niveau de vie et d’adaptation satisfaisant par rapport à leurs attentes. Le patient, acteur de sa pathologie, se voit offrir des outils variés et nécessaires pour la comprendre. Personnellement, je me concentre sur la psychoéducation : je propose des ateliers sur la confiance en soi, la communication avec les autres, la gestion des émotions, les techniques de résolution des problèmes et le projet de vie. J’aborde également tout ce qui concerne l’hygiène de vie, c’est-à-dire le sommeil, l’alimentation, l’activité physique, la sexualité et la pleine conscience. Mais les soins de réhabilitation psychosociale incluent aussi la remédiation cognitive, les soins autour et avec la famille, les thérapies cognitivo-comportementales, la méditation pleine conscience, l’ergothérapie, la médiation et santé-pair. Ma finalité est d’apporter la santé mentale au plus près des habitants, avant même que les maladies se déclarent.

Comment en êtes-vous arrivée à vous orienter dans cette voie ?

É. B. : C’est lié à mon parcours et mon expérience professionnelle. Avant de commencer mes études en soins infirmiers, je savais déjà que je voulais travailler en psychiatrie. J’ai pris conscience de l’importance et de la complexité de ce secteur après un stage. Un cerveau qui comprend un autre cerveau, je trouve cela passionnant ! Une fois diplômée, j’ai intégré le service du Dr Jean-Luc Roelandt, le secteur 59G21 de l’Établissement public de santé mentale (EPSM) Lille-Métropole. Là, j’ai découvert la psychiatrie citoyenne, qui reste ma référence. J’ai façonné et construit mon activité autour de la prise en charge proposée dans ce service, caractérisée par 25 % des effectifs soignants en intrahospitalier, et 75 % en extrahospitalier. Tout est mis en œuvre pour maintenir le patient chez lui et, selon moi, ce mode de prise en charge est l’avenir. Il n’y a pas de contention, pas d’isolement, pas de secteur fermé. Le service de soins est intégré à la cité, les soins intensifs et la surveillance rapprochée se déroulant à domicile pour tous les patients.

Lorsque j’ai souhaité retourner à Nantes, j’ai eu des difficultés à trouver une structure offrant le même type d’approche. Je me suis finalement orientée vers la clinique du Parc, qui respectait les critères que je m’étais fixés pour la prise en charge des patients. Je suis devenue référente en éducation thérapeutique du patient (ETP) au sein du Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP). Je proposais de l’ETP, de la médiation autour de l’art-thérapie pour accompagner le retour à domicile des patients jusqu’alors hospitalisés, ou pour éviter une hospitalisation. Mais la clinique a été rachetée par un groupe et, très vite, la politique de l’établissement a dévié vers l’efficience. Je suis donc partie.

C’est alors que vous avez commencé à réfléchir sur votre avenir professionnel…

É. B. : Effectivement, j’ai passé en revue ce qui pouvait s’offrir à moi et ma réflexion m’a orientée vers l’ETP et la psychoéducation. C’est lié à un constat que j’ai dressé au décours d’un programme sur le retour à l’emploi que nous proposions à la clinique. Les patients, entrepreneurs, professeurs, hauts fonctionnaires ou ouvriers, étaient en burn out. J’ai pu observer qu’aucun n’avait, en amont, reçu d’éducation à la santé mentale. Donc, forcément, lorsqu’ils ont craqué, ils n’ont pas compris ce qui leur arrivait. En arrivant au CATTP, tous ont été convaincus par le programme de renforcement des compétences psychosociales. Et c’est ce que j’ai souhaité mettre en place en ville, afin de rendre cette approche accessible à tous.

Aujourd’hui, que proposez-vous ?

É. B. : Lorsque mon projet a été clair, je me suis formée avec un diplôme universitaire (DU) « Soins de réhabilitation au patient en santé mentale au service du rétablissement ». J’ai ensuite mis au point de nombreux ateliers sur la prévention en santé mentale avec des programmes de six séances en moyenne pour toutes les tranches d’âge. À titre d’exemple, pour les 7-11 ans, je propose des ateliers sur la gestion des émotions. Mon objectif est de faire émerger leurs propres compétences. Je les guide pour qu’eux-mêmes se posent la question de savoir comment ils se sentent. S’ils sont en colère, comment peuvent-ils le savoir ? De quelle manière cela se manifeste-t-il chez eux ? Je leur explique que chez leurs copains, cela peut se traduire différemment. C’est très important d’avoir conscience de toutes nos émotions et de leurs manifestations. Si on reprend l’exemple de la colère, elle procure beaucoup d’énergie et peut donner envie de se venger, et dans ce cas-là, on fonce droit dans le mur. Et si on la refoule, on peut alors ressentir de la culpabilité puis sombrer dans une dépression. C’est pour toutes ces raisons que cela me paraît essentiel de sensibiliser et former tout le monde à la santé mentale, et ce, le plus précocement possible. J’interviens également dans les collèges, les lycées, au sein d’associations de patients, dans les centres de loisirs, au CHU ainsi que dans les centres de formation afin d’expliquer cette approche aux professionnels. Et j’organise des ateliers en groupe lorsque je suis sollicitée par des particuliers, notamment en burn out, qui veulent prendre soin d’eux. Je travaille aussi avec des infirmières puéricultrices autoentrepreneuses qui interviennent en grande partie dans le champ de la prévention. Elles sont aux premières loges pour dépister les dépressions post-partum, le burn out parental, la psychose puerpérale. Nous proposons des ateliers conjoints, des formations et animons des groupes de parents. La réhabilitation psychosociale ne doit pas être médicalisée, c’est pourquoi j’organise les ateliers en dehors de mon cabinet, dans des lieux neutres.

Auriez-vous souhaité pouvoir proposer cette activité en tant qu’infirmière ?

É. B. : Naïvement, lorsque j’ai voulu me lancer, je pensais pouvoir le faire en tant qu’infirmière libérale. Mais j’ai très vite compris que ce n’était pas possible. J’ai alors pris contact avec de nombreuses infirmières, aujourd’hui installées en autoentrepreneuses, qui m’ont ouvert le champ des possibles, avec l’idée que l’on peut proposer des soins de prévention mais qu’il faut accepter de ne pas être remboursé par la Sécurité sociale. J’ai donc créé ma micro-entreprise en septembre 2021. Aujourd’hui, j’ai vraiment l’impression de faire mon travail d’infirmière. Auparavant, je ne pouvais intervenir que lorsque les personnes étaient au plus mal. Désormais, j’agis en prévention. J’aimerais vraiment que la psychoéducation soit reconnue comme une compétence infirmière, comme c’est d’ailleurs le cas au Québec. Malheureusement, en France, cette discipline n’est même pas reconnue comme un métier.

Il faut vraiment revoir notre vision de la santé de demain, mettre l’accent sur la prévention et la santé environnementale. J’ai besoin d’imaginer des jours meilleurs et c’est de cette manière que je veux faire la santé de demain.

POURQUOI ELLE ?

Infirmière en psychiatrie pendant une dizaine d’années, Éléonore Berthe en a eu assez du manque de moyens dédiés à la prévention. Ne se retrouvant plus dans les prises en charge en institution, elle a décidé de s’installer à son compte comme psychoéducatrice. Son objectif ? Permettre à tout un chacun de disposer d’un bagage sur la santé mentale pour pouvoir mieux avancer dans sa vie. Par ailleurs, elle plaide pour la reconnaissance de cette compétence pour les infirmières afin qu’elles puissent agir en prévention dans le cadre de leur rôle propre.

BIO EXPRESS

2011 Obtient son diplôme d’État d’infirmière à l’Ifsi Santélys, à Loos (Nord).

2011 Travaille au sein du secteur 59G21 de l’Établissement public de santé mentale (EPSM) Lille-Métropole.

2013 Infirmière à la clinique du Parc, à Nantes (Loire-Atlantique).

2021 Passe un diplôme universitaire « Soins de réhabilitation au patient en santé mentale au service du rétablissement ».

2021 Exerce comme psychoéducatrice en libéral, à Nantes.