L'infirmière n° 019 du 01/04/2022

 

INSTALLATION

J’EXERCE EN LIBÉRAL

GESTION

Laure Martin  

L’installation en libéral et le changement de statut qu’implique la démarche peuvent s’avérer complexes à mettre en œuvre pour les futures Idels. Mais des formations existent pour s’implanter et pérenniser l’existence du cabinet.

Cela fait longtemps que l’on discute la question de rendre la formation des infir mières à l’exercice libéral obligatoire, et je pense qu’elle devrait l’être », soutient John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). D’ailleurs, pour les artisans et les commerçants, le stage de préparation à l’installation (SPI) a été obligatoire pendant presque quarante ans, lequel est devenu facultatif avec la loi Pacte. « L’exercice libéral est devenu vraiment complexe et aujourd’hui, la professionnalisation de cette activité me paraît nécessaire, abonde Marcel Affergan, ancien infirmier, cofondateur de l’organisme de formation Orion Santé. Auparavant, on se prodiguait des conseils entre Idels, mais la facturation était beaucoup plus simple. Désormais, l’improvisation n’est plus possible. » Cette complexification oblige la soignante à s’interroger sur son projet pour assurer sa pérennité dans l’exercice du métier. « L’installation en libéral, c’est comme un mariage, c’est un pro jet de vie qui se prépare », ajoute Roby Baltimore, courtier et fondateur de Melias-Epione, une structure qui accompagne les soignants dans leur changement de statut et leur installation.

L’INSTALLATION SUR LE TERRITOIRE

Première étape avant toute chose : s’informer et se former sur les obligations à remplir ainsi que sur le dispositif conventionnel. Car entre les zones sous-dotées et celles très surdotées, les Idels ne peuvent pas s’installer où bon leur semble. « Tout le monde n’est pas au fait de cette règle, pourtant indispensable à connaître », précise Marcel Affergan, dont l’organisme propose des formations pour maîtriser son environnement et son exercice professionnel. Il est également impératif de se renseigner sur les démarches à effectuer auprès de l’ordre infirmier, l’Urssaf et la Carpimko, ce qui peut prendre plusieurs mois. Même s’il n’existe pas d’obligation légale à se former, de plus en plus d’instances incitent à le faire. En Île-de-France, par exemple, l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers organise, une fois par mois, une permanence locale d’aide à l’installation dans chaque département de la région avec les représentants de la profession concernée. « L’URPS, l’Ordre, l’Assurance maladie et l’Agence régionale de santé reçoi vent individuellement des infirmières pour répondre à leurs questions pour initier ou finaliser une installation en libéral », explique Sophie Michel, directrice de l’URPS Infirmiers Libéraux d’Île-de-France, précisant que le dispositif existe depuis 2013. Et, depuis deux ans, à Paris, un autre format est proposé : une réunion mensuelle en plénière avec les futures libérales, au cours de laquelle « nous évoquons les étapes-clés de l’installation, indique-t-elle. Nous recommandons d’y participer afin d’éviter les déboires et les écueils à l’installation. »

En parallèle, certaines offres commerciales sont accessibles. Face à la complexité de l’installation et du changement de statut, Laure Fraval, ancienne Idel, a créé Mon Cabinet Infirmier, qui propose un accompagnement personnalisé à l’installation. « La première étape consiste à définir le projet professionnel avec un rappel des règles de conventionnement, la vulgarisation des notions réglementaires, les étapes-clés de l’installation et les documents nécessaires à fournir », indique-t-elle. Ensuite, l’équipe prépare le dossier, vérifie les pièces et les envoie aux différentes instances. « Nous offrons également un suivi régulier afin de répondre aux interrogations de la future Idel et la sécuriser jusqu’à l’obtention de son autorisation à l’installation », fait-elle savoir, précisant avoir déjà accompagné plus d’une centaine d’infirmières.

LA GESTION DU CABINET

Mais une fois installées, les Idels sont loin d’avoir fini leur apprentissage. En effet, se lancer dans ce type d’exercice « implique de se poser des questions sur l’entrepreneuriat », souligne Roby Baltimore. Car qui dit cabinet libéral, dit chiffre d’affaires, bénéfice non commercial (BNC), comptabilité, charges Urssaf, Carpimko, rattrapage de charges, caisses de retraite, assurances, prévoyance, frais déductibles, salariat d’autres professionnels. « La gestion de toutes ces questions n’est pas innée, rappelle John Pinte. Et pourtant, une grande partie des libérales vont y être confrontées sur le terrain sans y avoir été préparées. » Souvent, elles vont demander des renseignements à leurs collègues, lesquelles ne sont elles-mêmes pas correctement formées. Orion Santé propose une formation à la gestion du cabinet sur les questions de statut juridique de la profession, de réglementation et de convention qui lie les soignantes à l’Assurance maladie. « Nous abordons également la pratique et la posture professionnelle, ajoute Marcel Affergan, notamment les règles déontologiques, les liens avec les associées, le statut de la remplaçante, les outils métier pour facturer avec les caisses, soit tous les droits et devoirs des Idels. » « La formation devrait être un passage obligé, renchérit Roby Baltimore. Certaines soignantes pensent par exemple que l’activité se développe toute seule. Mais il ne faut pas oublier qu’elles n’ont pas le droit de faire de la publicité et doivent donc apprendre à se faire connaître pour avoir des patients, donc à être des entrepreneuses. » « Faire appel à ces professionnels apporte une garantie vis-à-vis de notre administration fiscale, signale John Pinte. Pourtant, certaines infirmières ne souhaitent pas investir dans cette expertise ; c’est un mauvais calcul. » L’Ordre national des infirmiers (ONI), qui en a pris conscience, a conclu une convention avec l’Ordre des experts-comptables afin d’offrir cette expertise aux Idels. « L’exercice libéral implique le respect de certains droits et devoirs que l’expert-comptable est en capacité d’expliquer », soutient Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers. Les Idels peuvent se renseigner auprès de leur Conseil de l’Ordre local pour pouvoir bénéficier de ce service.

Dernier point, et non des moindres : la question de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). « Les professionnelles qui s’installent n’en connaissent pas tous les tenants et les aboutissants, regrette John Pinte. Souvent, elles découvrent au cours de leur exercice des règles conventionnelles dont elles n’ont pas connaissance. La NGAP est complexe, avec toutes les possibilités de cumul ou de non-cumul. La formation semble donc nécessaire pour éviter les problèmes avec les caisses. »

Ainsi, les experts sont unanimes : une formation globale, avec une partie dédiée à la gestion administrative et une autre au cabinet et aux soins, permet de garantir une bonne installation, une sécurisation de l’exercice et la prospérité du cabinet. Les formations peuvent être prises en charge par le Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux et l’Agence national du développement professionnel continu, mais uniquement pour les organismes de formation. Dans certains cas, il peut aussi y avoir des crédits d’impôts, notamment pour les infirmières qui ne sont pas encore installées.

TÉMOIGNAGE

“Face à la complexité de l’installation, un accompagnement est utile”

Florian Lamothe, Idel en Île-de-France.

« Après avoir exercé une partie de ma carrière en hospitalier, j’ai souhaité changer de mode d’exercice. J’ai eu l’autorisation de mon établissement pour un exercice mixte. Mon hôpital était situé à Paris, et je voulais travailler en libéral en Essonne. Les démarches se sont avérées vraiment compliquées, notamment pour l’obtention du numéro Adeli départemental. L’infirmière que je remplaçais m’a ensuite proposé de racheter sa patientèle. Après avoir accepté, j’ai décidé de suivre une formation sur l’installation en libéral. Mon cabinet est intervenu au cours de cette journée. J’ai alors sollicité Laure Fraval pour mon changement de statut de remplaçant à titulaire. J’ai voulu me faire accompagner car je n’avais que trois mois pour effectuer l’ensemble des démarches. La structure a été d’un vrai soutien. Laure Fraval m’a assisté pour tous les papiers, a pris contact avec les instances comme l’Ordre, l’ARS, la CPAM pour mes démarches administratives afin que je puisse débuter mon activité à la date prévue. Face à la complexité de l’installation, cet accompagnement m’a vraiment été utile. Certes, c’est un budget, mais je ne regrette aucun centime dépensé. »

TÉMOIGNAGE

“Apprendre sur le tas n’est pas idéal et pas nécessairement confortable”

Charlotte Kuder, Idel en Bourgogne-Franche-Comté.

« Lorsque j’ai acheté ma patientèle en juillet 2020, j’étais remplaçante depuis un an et je ne faisais que les soins.

Ma collègue m’a alors expliqué la facturation et le fonctionnement du logiciel. J’ai découvert les AMI, les cotations. Je n’y comprenais absolument rien. Or, en libéral, nous avons une institution au-dessus de nous, la Sécurité sociale. Et l’un des risques est de mal facturer et de se voir réclamer des indus. J’ai donc suivi une formation pour comprendre la NGAP. C’était laborieux mais cela m’a permis d’acquérir de bonnes bases pour la facturation. Un an après, j’ai décidé de me former au BSI pour l’utiliser correctement. Enfin, en 2021, j’ai fait une formation sur la gestion de cabinet et le dossier de soins car j’avais notion qu’il fallait les mettre en place mais sans en connaître le contenu. En suivant cette formation, j’ai compris que j’aurais dû débuter par celle-là, car outre les échanges avec le formateur, les partages d’expérience avec les autres Idels permettent de comprendre les obligations vis-à-vis du cabinet. Si je l’avais suivie en amont, je me serais posé davantage de questions concernant l’achat de ma patientèle. Beaucoup d’Idels apprennent sur le tas, mais ce n’est pas l’idéal, et pas nécessairement confortable. »

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN

[ Quand la capacité à consentir aux soins se dégrade ]

Par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

Que faire lorsqu’une personne peine à consentir aux soins proposés ? Comment préserver son autonomie de décision ? Le droit prévoit que toute intervention médicale ou soignante ne peut se faire sans le consentement du patient. Mais cette liberté de choix nécessite d’avoir reçu des informations claires où les bénéfices du soin sont expliqués avant les inconvénients. La délivrance de ces informations incombe à tout soignant en fonction de son domaine de compétence et dans le respect de son code de déontologie. Concernant l’enfant, peut-on se satisfaire du consentement des parents ? Dans le domaine de la santé, la loi du 4 mars 2002 reconnaît aux enfants « le droit de recevoir eux-mêmes l’information et de participer à la prise de décision les concernant d’une manière adaptée à leur degré de maturité ». Pour la vaccination contre la Covid19, par exemple, outre l’autorisation parentale, le consentement oral du mineur est recueilli lors de l’entretien préalable. Mais que faire lorsque la capacité à consentir se dégrade ? L’article 459 du Code civil pose comme principe que « la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet ». Dans le cas contraire, elle peut bénéficier de l’assistance de la personne chargée de sa protection. Mais « l’altération de l’autonomie psychique ne signifie pas la perte de toute autonomie. Elle n’interdit donc pas la recherche du consentement… » (avis 136 du CCNE). Plutôt que juger « défaillant » le consentement d’une personne ayant des troubles cognitifs, repérer les éléments de communication non verbale, les moments favorables au questionnement, les indications d’autres soignants de l’équipe, qui pourraient nous donner des repères d’un « assentiment » est préférable. Ces regards croisés et les paroles du patient, portées par la personne de confiance lorsqu’elle a été désignée, permettent de respecter, sous une autre forme, une autonomie partielle de décision et de rendre possible l’expression d’une adhésion à la proposition de soins !