L'infirmière n° 020 du 01/05/2022

 

JE DÉCRYPTE

POLITIQUE DE SANTÉ

Adrien Renaud  

En mars 2002, la loi Kouchner faisait entrer dans la législation française la notion de droit des patients. Ce texte qui, de l’avis général, constitue responsabilité infirmière une avancée notoire, mais qui peut, selon plusieurs voix, faire l’objet d’améliorations.

Quels sont, selon vous, les principaux apports de la loi Kouchner ?

Gérard Raymond : Cette loi reconnaît officiellement des droits aux patients, dont il avait déjà été question, mais c’est tout de même la plus belle découverte de ce XXIe siècle : en 2002, on s’est enfin rendu compte de l’existence du patient. On a d’ailleurs beaucoup insisté sur des droits individuels, que ce soit celui à l’information, au consentement, à l’accès au dossier médical, mais on a un peu oublié qu’elle consacrait aussi des droits collectifs : elle crée une représentation des usagers dans chaque établissement pour recueillir les doléances des patients et entrer en relation avec les services médicaux ou administratifs pour en améliorer le fonctionnement. Cette loi est donc fondamentale car elle a mis en place les principes d’une démocratie sanitaire.

Ces principes sont-ils tous appliqués ?

G. R. : Il est vrai qu’il ne suffit pas de voter des textes : il y a encore beaucoup de travail à fournir pour que tous les professionnels de santé comprennent que le patient est un acteur, qu’il faut être dans une posture d’écoute, de bienveillance, quitter son habit de sachant… De même, on voit bien qu’au niveau collectif les institutions se sentent parfois obligées de consulter les représentants des usagers sans que l’on soit dans un fonctionnement marqué par une grande confiance. Il faut donc continuer de changer les comportements vis-à-vis des patients.

Comment faire, quand on voit par exemple qu’il est difficile de recruter des représentants des usagers pour siéger dans les instances ?

G. R. : La représentation des usagers souffre clairement d’un déficit. L’engagement bénévole a changé et il faut former ces personnes car l’expérience patient n’est pas toujours suffisante pour assumer toutes les missions qui leur sont demandées. Il y a donc un défi de recrutement, de formation et de reconnaissance de leur engagement : je ne parle pas de rémunération ou de statut. Il faut trouver une façon de mieux faire vivre la démocratie en santé. Peut-être qu’il faut aussi remettre à plat les procédures d’agrément des associations pour permettre une expression plus démocratique.

Mais les associations de patients ne sont pas les seules à devoir se transformer. Qu’attendez-vous des professionnels de santé ?

G. R. : Nous pensons que la formation initiale doit être réformée selon deux axes forts. Tout d’abord, il faut y développer la connaissance de l’autre, l’écoute, la bienveillance, la relation d’aide… Et la deuxième chose, qui me paraît capitale, concerne l’outil numérique. Les soignants doivent apprendre à s’en saisir pour créer du lien avec le patient et une dynamique.

Le numérique est pourtant parfois vu comme une menace pour le droit des patients, notamment en termes de confidentialité…

G. R. : On aura beau fermer le coffre-fort à double tour, on peut toujours craindre que quelqu’un trouve la clé. Mais il y a actuellement une révolution assez discrète, notamment avec l’arrivée de « Mon espace santé » : c’est désormais le patient qui dit au soignant de mettre les données dans le coffre, et c’est aussi lui qui lui donne l’autorisation de les utiliser. C’est une avancée significative par rapport à l’époque où l’on rédigeait la loi Kouchner, et où l’on a assisté à des débats homériques pour savoir si le patient aurait accès à son dossier, et dans quelles conditions.

Si vous pouviez rédiger un article, un seul, dans une future loi sur le droit des patients, quel serait-il ?

G. R. : Pour nous, ce qui est important, c’est d’accorder une reconnaissance à la démocratie en santé. Cela suppose de créer des institutions territoriales beaucoup plus autonomes et plus décisives que celles que nous avons. Il faudrait un vrai parlement sanitaire territorial qui définirait les politiques sur un territoire donné en s’appuyant sur les besoins des populations, et dont les ARS ne seraient que les opérateurs. Voilà l’article sur lequel nous aimerions travailler.

Quels sont, selon vous, les principaux apports de la loi Kouchner ?

Brigitte Lecointre : Je pense que son principal apport réside dans la notion de partenariat. Nous avons toujours tout fait pour et avec le patient, mais avec cette loi, on essaie d’entrer dans une véritable collaboration avec lui avec humilité car ce n’est pas si simple. Il s’agit de partager le pouvoir, d’accepter le regard de l’autre… La loi de 2002 a donc légitimé ce qui existait depuis fort longtemps, et il faut souligner que les efforts ne se sont pas arrêtés depuis, car de nombreux autres textes sont venus la compléter, que ce soit sur la fin de vie, sur la psychiatrie, etc.

Sur quels points faudrait-il améliorer la législation existante ?

B. L. : Pour moi, le principal enjeu est de mieux faire connaître le droit des patients. Il faut que ces derniers comprennent qu’ils ont le choix. Tout récemment, j’étais avec une patiente à qui on a diagnostiqué une tumeur du pancréas avec des métastases hépatiques. L’oncologue, les infirmières de la clinique, et l’algologue lui avaient tout expliqué sur la chimiothérapie. De mon côté, je la voyais en libéral. Un jour, elle lève les yeux vers moi et me dit : « C’est pourquoi tout ça ? » Je lui ai alors expliqué que c’était pour l’aider à mieux comprendre, à faire des choix, à pouvoir s’exprimer si le parcours lui semblait trop dur, trop long… Et là, j’ai bien vu qu’elle ne voyait pas de quoi je parlais, qu’elle estimait qu’on ne pouvait vraiment pas dire cela à un médecin. Donc, plutôt que d’ajouter de nouvelles dispositions, essayons donc déjà d’expliquer l’existant, d’être pédagogique.

Quel vous semble être le rôle de l’infirmière en cela ?

B. L. : C’est justement le cœur de notre métier, à mon sens. Nous devons rendre accessible l’information médicale, qui est compliquée, mais nous ne devons pas nous contenter d’être les perroquets des médecins. Nous pouvons accueillir la parole du patient, partager avec lui nos connaissances, lui permettre d’exercer pleinement ses droits. Nous sommes vraiment bien placées pour vulgariser les droits existants, et cela me semble la priorité. La loi reste encore méconnue et les infirmières doivent se battre pour faire de la démocratie sanitaire une démocratie populaire.

Selon vous le numérique nécessite-t-il une adaptation du droit des patients ?

B. L. : La télémédecine, la circulation des données nécessitent bien entendu une vigilance accrue en termes de confidentialité. Mais il faut également souligner que ces nouveaux services posent la question de l’égalité d’accès. On parle aujourd’hui de carte Vitale dématérialisée, mais tout le monde n’a pas un téléphone qui permettra d’intégrer ce service.

La loi Kouchner vous paraît-elle suffisante pour ce qui est de l’indemnisation en cas d’accident médical ?

B. L. : Elle a introduit une avancée significative sur ce volet. Il était nécessaire que les patients disposent d’un espace où faire entendre leurs droits, pour dénoncer des comportements non éthiques, pour obtenir des éclaircissements, une conciliation, une médiation ou une indemnisation, et je pense qu’aujourd’hui, les chambres et les conseils de l’Ordre répondent à cette problématique.

La question des droits des patients ne mérite-t-elle pas, selon vous, d’être éclairée d’un jour nouveau après la pandémie ?

B. L. : On peut légitimement se demander si durant cette crise sanitaire les droits du patient ont été pleinement respectés. Devant tant de sidération, tant d’inconnu, les soignants ont réagi avec les moyens dont ils disposaient, mais on peut probablement se demander ce qu’on aurait pu faire différemment.

À quoi pensez-vous en particulier ?

B. L. : Il est facile de dire cela après coup, mais pour l’avoir vécu, j’ai trouvé extrêmement cruel de voir des gens laisser partir leur père, leur mère, leur époux, leur femme sans explications, sans coup de téléphone. Des personnes sont décédées loin de leurs proches, des familles ont été complètement éloignées… Au cœur d’une crise, si violente soit-elle, il reste un devoir d’humanité et je ne sais pas si ce devoir a toujours été respecté. Donc, encore une fois, il est probable qu’il existe des domaines où de nouveaux droits sont nécessaires, mais on peut déjà commencer par tirer la substantifique moelle de cette expérience extrêmement douloureuse.

Quels sont, selon vous, les principaux apports de la loi Kouchner ?

Gilles Devers : Cette loi a rendu accessible des notions qui étaient présentes dans le droit depuis très longtemps, mais qui restaient en sommeil. On trouve dans la jurisprudence ou dans les codes de déontologie des références anciennes au tiers de confiance ou encore au droit à l’information. Tout cela faisait partie du droit latent, mais la loi Kouchner a rendu ces principes opératoires.

Y a-t-il, selon vous, un domaine où la loi a permis d’apporter quelque chose de nouveau ?

G. D. : Oui, sur l’indemnisation en cas d’accident médical. Auparavant, il n’était possible d’obtenir une indemnisation complémentaire que s’il y avait une faute. En cas d’accident, en revanche, il n’y avait aucun recours possible. Bien sûr, le patient pouvait recevoir les soins correcteurs et réparateurs via l’Assurance maladie, ce qui est loin d’être négligeable, et ce que l’on a tendance à trop souvent oublier. On ne peut donc pas dire que s’il n’y avait pas de faute, il n’y avait pas de recours : le patient était tout de même soigné. Mais la loi Kouchner a clairement permis une avancée de ce côté-là.

Pensez-vous que la représentation des usagers dans les établissements de santé est satisfaisante ?

G. D. : On constate qu’il est très difficile d’entendre les usagers et de les associer dans la gestion des établissements. Avec la notion de démocratie sanitaire, on s’est donné, des objectifs très ambitieux. Je pense qu’avant de chercher à atteindre une forme de cogestion, il faudrait faire en sorte que la parole des patients soit entendue au quotidien dans les hôpitaux, ce qui n’est pas toujours le cas.

En dehors de la représentation des usagers, quelles sont, pour vous, les faiblesses de la législation actuelle ?

G. D. : On peut améliorer le registre des sanctions, notamment pour tout ce qui a trait dans la loi à la notion d’humanisme. Pour des fautes impliquant le consentement, le respect de la pudeur, les juges raisonnent en termes de préjudice subi : en bout de course, devant un tribunal administratif, le patient obtiendra 500 à 1 000 euros pour préjudice moral, ce qui ne couvre pas le coût de la procédure. Ce sont des fautes qui blessent, mais beaucoup de patients estiment que cela ne vaut pas la peine de faire un procès.

Pouvez-vous donner un exemple ?

G. D. : Je pense à une situation particulière où un médecin n’a pas eu le temps de préparer une consultation pour suspicion de cancer de la vessie. Il a ouvert les résultats d’examens pendant le rendez-vous, devant le patient, et à découvert que la maladie était à un stade très avancé. Il a paniqué, n’a pas su comment gérer, et le malade s’est senti complètement abandonné. Il y a eu une faute, une faute qui blesse, mais quel est le préjudice ? Le patient ne pouvait pas être mieux soigné et il n’aurait pas pu obtenir d’indemnisation significative devant un tribunal. C’est ce qui fait qu’on trouve très peu de décisions de justice pour les manquements aux devoirs d’humanisme.

Y a-t-il, selon vous, d’autres aspects de la loi Kouchner à améliorer ?

G. D. : Je pense que l’on peut améliorer l’accès à un juge et à une procédure pour les personnes très âgées ou en phase terminale. Ce sont des patients pour lesquels le recours en justice ne veut rien dire. Ils ont juste besoin que l’on respecte leurs droits, leur dignité, leur pudeur, leur religion, leur possibilité de refuser les soins… Si ces droits ne sont pas respectés, ils ne vont pas aller solliciter un avocat. Il faudrait donc qu’il puisse y avoir un arbitre que l’on pourrait saisir rapidement, et sans formalisme excessif, pour les personnes confrontées à des soins compliqués et dont la vie est menacée à une échéance assez brève.

Comment cela pourrait-il fonctionner en pratique ?

G. D. : On pourrait imaginer un magistrat détaché qui serait délégué sur les hôpitaux et qui pourrait être avisé, par exemple, par une personne qui n’a plus que 15 jours à vivre et qui a besoin de faire respecter ses choix en matière d’organisation, de rapport à la foi, de proches qu’elle souhaite voir ou non. Actuellement, nous sommes dans un vide procédural : en cette phase cruciale, les gens n’ont plus accès au juge. Or, ils ne demandent pas une condamnation. Ils veulent juste qu’on ne les laisse pas tout nus, qu’on ne les fasse pas attendre pendant des heures dans un couloir, qu’il n’y ait pas cinq ou six personnes autour d’eux sans qu’ils puissent savoir qui est là. Ce qu’ils veulent, c’est simplement que le droit soit dit.

LE CONTEXTE

La loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », consacrait les droits des patients dans trois grands domaines. Elle garantissait d’abord des droits individuels : choix de son praticien, accès au dossier médical, information, consentement aux soins, etc. À ces droits individuels se sont ajoutés des droits collectifs, permettant à des représentants des usagers de siéger dans diverses instances nationales ou locales, ainsi que dans les conseils d’administration des hôpitaux. Le troisième volet concernait l’indemnisation des accidents médicaux, devenue possible avec la création de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation. Cette loi a donné le coup d’envoi à une série de textes allant tous dans le sens d’une consolidation des droits des patients.

Il faudrait un vrai parlement sanitaire territorial, qui définirait les politiques sur un territoire donné, en s’appuyant sur les besoins des populations

Gérard Raymond, président de France Assos Santé, la fédération nationale des associations de patients

La loi reste encore méconnue et les infirmières doivent se battre pour faire de la démocratie sanitaire une démocratie populaire

Brigitte Lecointre, Idel, présidente de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et des étudiants (Anfiide)

Je pense que l’on peut améliorer l’accès à un juge et à une procédure pour les personnes très âgées ou en phase terminale

Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon, spécialiste du droit de la santé, ancien infirmier