Créé il y a seize ans par voie législative, l’Ordre national des infirmiers remplit des fonctions bien précises. Pourtant, ces fonctions restent parfois floues pour la profession. Quel rôle joue-t-il pour les infirmiers ? Le point avec son président, Patrick Chamboredon.
Patrick Chamboredon : La cotisation est appelée en fonction du mode d’exercice du soignant. Elle est due par chaque infirmier inscrit au tableau (article L 4312-7 du Code de la santé publique). Cette obligation légale est le seul et unique moyen de financement de l’Ordre, lui permettant d’être totalement indépendant vis-à-vis du gouvernement, des institutions ou encore des entreprises. L’ONI répartit le produit de cette cotisation entre les différents conseils ordinaux en fonction de leur charge. Elle sert à financer les 150 salariés répartis sur 25 sites en France, ainsi que ses missions de service public : tenir le tableau de l’Ordre, c’est-à-dire le suivi de la démographie infirmière, assurer les conciliations des litiges, tenir les chambres disciplinaires, contrôler les liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique, agir pour promouvoir la profession, envoyer les caducées aux soignants, répondre aux appels, et produire et analyser les contrats. Afin de tenir compte de l’évolution de ses missions, l’Ordre a la possibilité de modifier la cotisation de manière modérée et encadrée. Toutes nos dépenses et nos moyens sont publiés sur le site Internet de l’ONI*. Notre transparence est totale ; un commissaire aux comptes rend un avis annuel sur l’utilisation de nos moyens.
P. C. : L’Ordre est régulièrement invité par le ministère de la Santé pour émettre des avis sur des mesures concernant la profession. Par exemple, il a été appelé à contribuer à la mission « Refondation de la santé publique », permettant de tirer les enseignements de la crise sanitaire et de poser les bases d’une nouvelle santé publique. De même, dans le cadre de la vaccination, le ministre de la Santé Olivier Véran nous a consultés pour connaître notre position par rapport aux infirmiers.
Mais nous pouvons également être sollicités par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) dès lors que des textes qu’elle produit intéressent la profession. C’est notamment le cas en ce moment pour la certification des professionnels de santé. Il peut aussi nous arriver d’interpeller de nous-mêmes la DGOS pour demander des modifications sur des textes relatifs à la profession. Par exemple, le 2 mars 2021, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu un avis autorisant les infirmiers à délivrer les vaccins anti-Covid mais pas à les prescrire. En revanche, cet avis proposait de donner le droit de prescription aux sages-femmes et aux pharmaciens. Le texte publié par la DGOS reprenait cet avis. L’ordre infirmier a rédigé plusieurs communiqués de presse rappelant le danger d’exclure les infirmiers de la vaccination. Malgré tout, un nouvel avis de la HAS a confirmé la position initiale. Après plusieurs rendez-vous institutionnels sur le sujet, le 26 mars 2021 le ministère a finalement publié un texte permettant aux infirmiers de prescrire le vaccin anti-Covid.
Nous participons également aux réflexions dans le cadre du Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP), de même que les avis de la HAS peuvent être émis à partir d’avis d’experts de l’ONI en fonction de la thématique traitée.
P. C. : Absolument pas, cela ne relève pas d’une mission de l’Ordre. Pour les professionnels libéraux, nous n’avons qu’une voix consultative au sein des commissions paritaires départementales, régionales et nationale (CPD, CPR, CPN). Nous rendons notre avis sur la convention au directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie, mais uniquement en tant qu’observateurs. Pour ce qui concerne les salariés, dans le cadre du Ségur de la santé par exemple, l’ONI n’a pas été convié aux négociations pour la partie portant sur le dialogue social. Nous pouvons néanmoins encourager la création de nouveaux actes et compétences, déposer des propositions, etc.
P. C. : Conformément à l’article L 4312-2 du Code de la santé publique, l’Ordre « étudie les questions ou projets qui lui sont soumis par le ministre chargé de la Santé, concernant l’exercice de la profession ». Pour ce faire, il peut consulter les associations professionnelles, les syndicats, les associations d’étudiants en soins infirmiers mais également toute association agréée d’usagers du système de santé. La commission « exercice professionnel » est par exemple en train d’auditionner plusieurs syndicats dans le cadre de la reconnaissance des spécialités infirmières. Nous sommes aussi amenés à échanger avec les syndicats confédérés, mais uniquement au sein du HCPP, et avec les syndicats représentatifs libéraux au sein de la CPN, des CPR et des CPD. En revanche, nous n’avons qu’une voie consultative. Nous n’avons pas plus de lien avec eux car cela ne rentre pas dans le cadre de nos missions.
P. C. : Absolument pas. Notre cadre légal nous oblige à une neutralité parfaite au niveau des syndicats et à un non-cumul des fonctions. Notre rôle n’est pas de signer des préavis de grève au même titre que nous ne pouvons pas être solidaires d’une manifestation. La Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2021, a rappelé cette séparation entre les syndicats et les différents ordres professionnels.
P. C. : Les conseils départementaux de l’Ordre (CDO) organisent toutes les œuvres d’entraide et de retraite au bénéfice de ses membres et de leurs ayants droit. Ils assurent les fonctions de représentation de la profession dans les départements et ont une mission de conciliation en cas de litige entre un patient et un professionnel de santé ou entre professionnels (article L 4312-3 du Code de la santé publique).
Les conseils régionaux de l’Ordre (CRO) comprennent une chambre disciplinaire de première instance (lire l’encadré p. 43) présidée par un magistrat de l’ordre administratif (article L 4312-5 du Code de la santé publique). Ils ont un rôle de représentation de la profession au niveau des régions et de coordination des conseils départementaux ou interdépartementaux. Ils peuvent décider de la suspension temporaire du droit d’exercer d’un infirmier en cas d’insuffisance professionnelle, d’infirmité ou d’état pathologique rendant dangereux l’exercice de sa profession. Ils peuvent également, devant l’ensemble des juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession, y compris en cas de menaces ou de violences commises en raison de l’appartenance à ce corps de métier.
Enfin, le Conseil national de l’Ordre (CNO) est en charge de l’élaboration du Code de déontologie de la profession, veille à l’observation, par tous les membres de l’Ordre, des devoirs professionnels et des règles édictées par ledit code. Il étudie également les questions ou projets qui lui sont soumis par le ministre de la Santé. Lui aussi peut, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession infirmière. Il comprend une chambre disciplinaire nationale qui connaît, en appel, des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance.
P. C. : L’ONI travaille cette question avec les conseils nationaux professionnels. Nous diffusons les recommandations dans le cadre de nos newsletters hebdomadaires à destination des élus et, toutes les trois semaines environ, à nos membres. Les commissions décryptent les textes et font des focus. Cette année, nous avons mis l’accent sur les violences intrafamiliales pour transmettre les règles de bonnes pratiques professionnelles. Nous l’avons également fait sur la question de la vaccination, par rapport au rôle infirmier qui n’a eu de cesse d’évoluer avec la crise sanitaire. Les recommandations, validées en commission et au Conseil national, sont publiées sur le site de l’ONI.
L’une de nos fonctions est d’être à l’écoute de la profession et de représenter ses volontés. Nous avons donc décidé de mener des consultations que nous avons débutées en mars 2020, lors du premier confinement, pour être le juste et l’égal porte-voix du métier. Nous ne pouvons pas être « hors sol » par rapport aux pratiques professionnelles. Dans le cadre de ces consultations, nous avons parfois reçu jusqu’à 80 000 réponses en 72 heures. C’est énorme et cela nous permet d’avoir un avis étayé. Ce retour de terrain est essentiel car il nous permet d’avoir un avis à la fois éclairé et circonstancié, notamment lorsque nous sommes sollicités par les tutelles et les instances.
P. C. : Nous avons conclu un accord de reconnaissance mutuelle avec le Québec, lequel permet aux infirmiers québécois et français d’exercer sur l’un ou l’autre continent avec leur diplôme. L’Ordre est également membre promoteur du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (Sidiief). Nous sommes parvenus à développer des relations B2B avec certains membres, par exemple avec la représentante de l’Ordre du Liban. Nous échangeons avec les présidents des autres Ordres. C’est aussi une manière de faire évoluer le nôtre, de comparer ce qui est mis en place dans d’autres pays. Et nous constatons que partout où la profession dispose d’un Ordre, cette instance aide le métier à se développer et à faire évoluer les pratiques.
Pour les infirmiers libéraux comme pour les salariés, l’Ordre intervient pour le contrôle du respect des règles de déontologie et des règles professionnelles inscrites dans le Code de la santé publique. La juridiction ordinale est ainsi chargée de sanctionner d’éventuels manquements de la part d’un soignant libéral ou salarié. Cette juridiction spécialisée est autonome par rapport aux juridictions pénales et civiles. Elle ne prononce que des sanctions prévues par le Code de la santé publique.
→ Le cumul de procédures est toutefois possible : une faute infirmière peut être jugée par un procès civil, contre l’assureur dans le secteur libéral, ou contre l’assureur de l’employeur pour indemniser le patient. L’affaire peut également être portée au pénal, où le professionnel de santé mis en cause devra répondre de sa faute personnelle et supporter la sanction. S’ajoutent encore deux volets disciplinaires, par l’employeur ou par l’Ordre. La procédure disciplinaire ordinale étant indépendante, elle doit s’exercer sans référence directe au civil ou au pénal. Cette approche apprécie le comportement déontologique du soignant et prononce des sanctions d’effet général : avertissement, blâme, interdiction d’exercer avec ou sans sursis, radiation. L’inscription au tableau de l’Ordre étant une condition sine qua non pour exercer, une suspension ordinale peut être la remise en cause de tous les autres modes d’exercice.
→ Pour les libéraux, l’Ordre remplit une autre mission : il dispose d’une section des assurances sociales chargée d’examiner les questions concernant les fraudes aux cotisations sociales, à la surfacturation, par exemple.
→ Concernant les infirmiers salariés, l’Ordre national des infirmiers n’a aucune mission en lien avec le statutaire ou le disciplinaire, c’est-à-dire sur leur manière de servir, l’insubordination ou encore les retards. Ces questions relèvent de chaque établissement.