COVID LONG : DÉSESPOIR DES PATIENTS, DÉSARROI DES SOIGNANTS | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 020 du 01/05/2022

 

PATHOLOGIE CHRONIQUE

JE DÉCRYPTE

SYSTÈME DE SANTÉ

Adrien Renaud  

Aucun espoir thérapeutique réel ne s’offre pour l’instant aux patients qui souffrent de Covid long, la réponse se focalisant sur la rééducation et l’amélioration des parcours. Une situation qui génère des frustrations chez les patients… comme chez les soignants.

La crise sanitaire a allègrement soufflé ses deux bougies et elle continue de faire des dégâts dans le monde. Deux ans, c’est très long à l’échelle de populations et de systèmes de santé qui se trouvent dans un état d’épuisement sans précédent. Mais cette longue durée, si éprouvante au niveau de pays entiers, est aussi le lot quotidien de certains patients au niveau individuel : ceux atteints de Covid long. Pour eux, l’épisode aigu suivant l’infection s’est progressivement transformé en affection chronique, puis, dans certains cas, en véritable calvaire. Une situation face à laquelle les soignants n’ont que bien peu de réponses à apporter.

« J’ai été infectée en mars 2020, j’ai été arrêtée trois semaines et, malgré une fatigue persistante, j’ai repris le travail, témoigne Céline Castera, infirmière libérale dans le Haut-Rhin et porte-parole de l’association #ApresJ20, l’une des structures qui représentent les patients atteints de Covid long. J’ai tenu presque un mois et demi sur une tournée assez facile, puis j’ai commencé à avoir des symptômes plus invalidants : des faiblesses musculaires qui me clouaient au lit, des fourmillements, des symptômes neurologiques, des acouphènes, et le 24 mai, je ne pouvais plus marcher, mon conjoint a dû m’emmener aux urgences. » S’ensuivent d’innombrables consultations en neurologie, en cardiologie… Tous les examens reviennent sans détecter de problème, mais les symptômes persistent. « Un an plus tard, j’ai repris à 25 %, à raison de deux après-midi par semaine, mais en novembre 2021, j’ai de nouveau dû complètement m’arrêter : j’étais alitée, en fauteuil roulant… », se souvient-elle.

TRAVAILLER DANS L’INCERTITUDE

Cette descente aux enfers, nombreux sont les patients à l’avoir vécue. Combien ? Difficile, voire impossible à dire. Dans la « feuille de route » qu’il a présentée mi-mars sur la prise en charge du Covid long, le ministère de la Santé estime que sur les 7 millions de personnes qui ont été infectées par le Sars-CoV-2 jusqu’en octobre 2021, environ 700 000, soit 10 % d’entre elles, ont présenté ou présentent encore des symptômes après plus de trois mois. Et sur ces 700 000 personnes, environ 70 000 se trouveraient dans une situation « complexe » nécessitant une prise en charge spécifique du fait de leur situation personnelle ou de la gravité de la maladie. Des chiffres que les observateurs, à commencer par le ministère, appellent à prendre avec des pincettes, tant le Covid long reste encore mal connu. Sans parler de l’impact incertain du variant Omicron sur la question.

« Nous travaillons dans un environnement complexe, plein d’inconnues, et c’est pour cela que notre action peut s’apparenter à de la recherche opérationnelle : nous agissons tout en restant vigilants sur les nouveautés en termes de compréhension physiopathologique ou de traitement, explique Jérôme Larché, médecin référent « parcours Covid long » au sein du Réso Occitanie, structure qui fédère près de quarante réseaux de santé et de dispositifs d’appui en Occianie. Car si nous attendons d’avoir toutes les réponses pour agir, nous n’aurons pas de solution satisfaisante. » Contraints d’avancer à tâtons face à une pathologie qui recèle bien des mystères, les soignants s’appuient donc sur les deux seules armes dont ils disposent pour le moment : le repérage et la rééducation.

DIAGNOSTIC EN TERRE INCONNUE

Or, la première de ces deux armes est d’une puissance qui, malheureusement, laisse encore à désirer : le diagnostic du Covid long n’a en effet rien d’évident. « Il faut tout d’abord que les gens aient eu une infection au Covid, documentée ou non », détaille le médecin. Un point qui a son importance, car beaucoup de patients, notamment ceux qui ont été infectés au début de l’épidémie, n’ont jamais eu de test PCR permettant d’attester formellement leur rencontre avec le virus. « D’autre part, il faut que les symptômes persistent plus de quatre semaines, poursuit l’Occitan. Enfin, il faut éliminer la possibilité que ces symptômes, qui sont peu spécifiques, soient dus à une autre pathologie. »

Voilà pour la définition. Reste à savoir qui est en charge de mettre en œuvre concrètement cette démarche diagnostique. Et c’est là qu’entre en jeu la notion de parcours, avec notamment les 130 cellules de coordination post-Covid qui maillent le pays et qui sont censées orienter les professionnels et les patients dans le labyrinthe de la prise en charge des Covid longs. Souvent portées par des dispositifs d’appui à la coordination ou des plateformes territoriales d’appui, mais parfois aussi logées au sein d’établissements hospitaliers, celles-ci font le lien entre les besoins des malades et les ressources disponibles sur le territoire.

C’est ainsi que l’un des rôles primordiaux des cellules d’appui est de trouver le cheminement le plus adapté, notamment en termes de diagnostic. « En fonction de la complexité, du nombre de signes et de l’impact sur la qualité de vie, les cellules vont orienter les patients soit vers des ressources en ville, soit vers des établissements disposant d’un plateau suffisant pour que les personnes puissent voir en une ou deux journées d’hospitalisation de jour tous les spécialistes et réaliser tous les examens complémentaires, détaille Jérôme Larché. De cette manière, ce qui pourrait mettre plusieurs semaines sans démarche de parcours pluridisciplinaire structuré est fortement accéléré. » La région Occitanie dispose de six établissements labellisés, ajoute le médecin.

TRAITEMENTS GRADUÉS

Les notions de gradation et de parcours qui ont été mises au cœur de la démarche diagnostique se retrouvent également pour ce qui est de la prise en charge du Covid long. « Je travaille avec un médecin référent du CHU ainsi qu’avec un réseau de référents hospitaliers de différentes spécialités que l’on peut consulter en fonction des problématiques que nous rencontrons, décrit Erika van Wambeke, infirmière responsable de la cellule de coordination post-Covid abritée par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, qui couvre l’ensemble de l’Alsace. Nous sommes avant tout une cellule d’appui aux médecins traitants qui se tournent vers nous quand ils sont en difficulté et ce, à tout moment de la prise en charge. » Une cellule qui repose sur trois piliers : les traitements symptomatiques (antalgiques, antispasmodiques, etc.), la rééducation (respiratoire, olfactive, neurologique, etc.) et l’aide psychologique. « Ce dernier volet est très important, commente-t-elle, car nous avons beaucoup de patients qui étaient actifs, qui se retrouvent sans solution et qui ne se reconnaissent pas eux-mêmes. »

Pour les cas les moins sévères, la soignante précise que la prise en charge peut être faite en ville. Mais lorsque le degré de complexité augmente, il est nécessaire de faire appel à l’une des structures de soins de suite et de réadaptation (SSR) labellisées pour la rééducation des Covid longs. Celles-ci proposent alors différents types d’activités. « Chez nous, les patients sont pris en charge en hospitalisation de jour, décrit Olfa Es Sifi, directrice des soins de la clinique du Pic Saint Loup, établissement SSR en périphérie de Montpellier, et labellisé « Covid long ». Ils font souvent 45 minutes de marche accompagnée et pratiquent différentes activités physiques (renforcement musculaire, vélo, balnéothérapie, etc.). Puis, après le déjeuner, ils ont souvent des ateliers avec des ergothérapeutes, des nutritionnistes, etc. » Tout comme Erika van Wambeke, Olfa Es Sifi insiste sur l’important besoin de soutien psychologique que suscitent ces prises en charge.

DES BESOINS À COUVRIR

Reste que malgré la mise en place des cellules de coordination (qui ont été dotées par le gouvernement de moyens supplémentaires à hauteur de 20 millions d’euros, selon les annonces ministérielles de la mi-mars) et la labellisation d’établissements pour le diagnostic ou la rééducation, la situation est loin d’être à la hauteur des besoins. C’est du moins ce qu’estiment les associations de patients. « Dans ma région, en Alsace, il y a peu de structures, regrette Céline Castera. Il faut se rappeler que les patients qui ont un Covid long sont très fatigués et qu’ils ne peuvent pas faire de longs trajets pour se rendre dans une structure de rééducation qui serait située loin de chez eux. » La porte-parole d’#ApresJ20 reconnaît toutefois que la situation diffère selon les territoires, et que le maillage est plus satisfaisant en Occitanie, par exemple.

Outre la disparité territoriale, la militante pointe un problème de « maltraitance médicale » : la parole des patients est selon elle souvent mise en doute. « Il faut absolument former tous les soignants car c’est une pathologie nouvelle et très spécifique, pointe-t-elle. Il faut écouter le malade, lui seul sait ce qu’il ressent. » Sans reprendre à son compte l’accusation de maltraitance, le Dr Jérôme Larché insiste lui aussi sur la nécessité de formation et d’information. « Il y a un gros travail à fournir à l’intention du grand public et des professionnels de santé sur la réalité du Covid long, sur les différents symptômes, sur l’identification des patients », note-t-il.

Des propos que ne dément pas Erika van Wambeke, de la cellule strasbourgeoise. « On a encore besoin de se faire connaître, beaucoup de médecins ne savent pas que la cellule existe et qu’elle est là en appui, regrette l’Alsacienne. Et par ailleurs, il est vrai que les professionnels et les établissements vers lesquels nous voulons orienter les patients sont souvent surchargés, ils ont du mal à faire face à la demande. »

RESPONSABILITÉ INFIRMIÈRE

Mais quels que soient les progrès qu’il reste à accomplir, les acteurs impliqués dans la prise en charge des patients Covid long sont unanimes : il s’agit d’une pathologie où le rôle infirmier est capital. Le Dr Jérôme Larché voit ainsi au moins trois grandes responsabilités pour la profession dans la prise en charge. « Il y a d’abord un rôle d’identification, par exemple pour une infirmière libérale qui prend en charge de façon régulière une personne diabétique et qui détecte des signes qui sortent du cadre habituel, et ce d’autant plus que des pathologies comme le diabète et l’asthme sont des facteurs de risque pour le Covid long », détaille le médecin.

Mais ce n’est pas tout car, selon lui, les infirmières remplissent également une mission de premier plan dans les cellules de coordination où une « écoute fine » des patients ou des patients et des médecins est nécessaire. Enfin, termine-t-il, « les infirmières de coordination ont un rôle essentiel pour le parcours que nous avons monté en Occitanie au sein des établissements de diagnostic médical, ce qui permet d’accompagner les patients au cours de la prise en charge pluridisciplinaire, et donc de gagner du temps médical ».

« Il y a un rôle crucial de l’infirmière en termes d’écoute, de bienveillance, mais aussi d’éducation thérapeutique », résume Olfa Es Sifi. « L’infirmière peut jouer tout son rôle en termes d’empathie, renchérit Céline Castera. C’est une maladie très fluctuante, il y a des moments où l’on croit être guéri, puis quelques jours plus tard, on se retrouve au plus mal. Le besoin d’écoute est donc très important. » Moralité : en matière de Covid long comme ailleurs, une infirmière avertie en vaut deux…

ALD, maladie professionnelle : la reconnaissance est un sport de combat

Obtenir la reconnaissance du Covid long comme une affection de longue durée (ALD) ou comme une maladie professionnelle n’est pas impossible, mais cela requiert tout de même un peu de persévérance. Tel est le message de Céline Castera, infirmière libérale souffrant de Covid long depuis deux ans et porte-parole de l’association #ApresJ20. Depuis novembre dernier en effet, l’Assurance maladie reconnaît le Covid long comme une pathologie qui ouvre droit à la reconnaissance en tant que maladie professionnelle. Mais cela n’est pas automatique. « Au départ, je ne l’ai pas obtenue, j’ai contesté et j’ai refait une demande il y a quelques semaines, raconte la militante. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à contester, car on commence à entendre des cas de personnes qui obtiennent la reconnaissance ainsi. » Et cette pugnacité doit aussi être de mise pour les patients cherchant à faire reconnaître leur Covid long comme une ALD. « Pour l’instant, ce n’est pas une ALD à part entière, mais si l’on a déjà une maladie qui fait partie des trente affections listées, cela peut être intégré dans ce cadre, précise Céline Castera. Sinon, on peut faire une demande d’ALD 31 [pour les pathologies hors liste, ndlr]. Mais il faut alors démontrer que l’on a des frais de santé particulièrement élevés, et c’est ensuite au bon vouloir du médecin-conseil. » Et dans ce cas, la représentante des patients insiste sur la nécessité de bien documenter sa demande, car plus celle-ci sera étayée, et plus elle aura des chances de convaincre la Caisse d’assurance maladie.