GESTION DU RISQUE MÉDICAMENTEUX ET ÉVALUATION
JE ME FORME
PHARMACO
cadre supérieur de santé hygiéniste, centre hospitalier (CH) de Blois (Loir-et-Cher)
Les erreurs médicamenteuses restent l’une des principales causes d’EIGS en établissement de santé. La gestion des risques dans ce domaine est donc une priorité. Focus sur les fondamentaux pour entretenir la conscience du risque et sur une démarche d’évaluation des pratiques conduite au CH de Blois.
D’après les résultats de la dernière enquête Eneis(1) de 2009, 32,9 % des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) sont liés aux médicaments, et 54,5 % d’entre eux sont à l’origine d’une hospitalisation. Plusieurs facteurs contribuant à la survenue d’erreurs médicamenteuses ont pu être mis en évidence, parmi lesquels la multiplicité des acteurs intervenant dans les étapes de la prise en charge médicamenteuse (médecin prescripteur, pharmacien, infirmière), la complexité et l’évolution des projets thérapeutiques (en cancérologie, par exemple), la difficulté à coordonner chaque acteur, et l’interruption des tâches.
En réponse à ce constat, l’arrêté dit « Retex » du 6 avril 2011(2) avait lancé une série de mesures visant à sécuriser la prise en charge médicamenteuse, avec la nomination d’un Responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse (RSMQ), la cartographie et l’analyse des risques médicamenteux, l’élaboration d’un plan d’actions d’amélioration et la formation des professionnels, entre autres. De plus, la sécurisation de la prise en charge médicamenteuse a été inscrite dans plusieurs démarches nationales (certification HAS, contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins, contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, indicateurs pour l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins, etc.), et des recommandations ainsi que des flashs sécurité patient ont été publiés.
Au niveau régional, les observatoires du médicament, des dispositifs médicaux et des innovations thérapeutiques (Omédit) ont mené de nombreux travaux (évaluation des pratiques professionnelles, actions de communication, de formation, etc.) pour accompagner les structures de soins.
Dix ans plus tard, le rapport annuel d’activité 2020 sur les événements indésirables graves associés à des soins, publié par la Haute Autorité de santé (HAS) en janvier dernier(3), montre que les erreurs médicamenteuses restent l’une des principales causes d’EIGS, avec 362 cas enregistrés dans la base annuelle 2020. De même, lors des visites de certification des établissements de santé pour la qualité des soins de la HAS, les recommandations relatives à la prise en charge médicamenteuse sont parmi les plus fréquentes.
Le risque médicamenteux reste donc l’une des priorités dans la gestion des risques en établissement de santé. Mais concrètement, où en sommes-nous dans les unités de soins ? Comment les infirmières, principales actrices de la prise en charge médicamenteuse, peuvent-elles apporter leur pierre à l’édifice et comment peut-on y préparer les futures professionnelles de santé ?
La prise en charge médicamenteuse est un processus qui comporte plusieurs étapes, dont certaines au sein des services de soins, à savoir, la prescription, le stockage, la préparation et l’administration des traitements. Pour l’infirmière dans une unité de soins, les points d’attention vont donc porter spécifiquement sur ces étapes.
Les éléments indispensables pour la sécurisation de la prescription sont :
→ un support unique de prescription/administration permettant d’avoir l’une et l’autre en regard, la retranscription de la prescription manuscrite étant interdite ;
→ l’identification précise du médecin prescripteur avec sa signature, que la prescription soit informatique ou papier ;
→ les prescriptions « particulières » (lire l’encadré « Les prescriptions particulières » page ci-contre) : il s’agit des prescriptions orales - qui doivent rester exceptionnelles, réservées à l’urgence et régularisées au plus vite -, des prescriptions qui entrent dans le cadre de protocoles, ou encore des prescriptions conditionnelles.
Dans le service de soins, le stockage répond à plusieurs enjeux. Il s’agit d’abord d’éviter le risque de confusion (le bon médicament, la bonne forme galénique, la bonne dose, la bonne concentration, au bon emplacement et dans de bonnes conditions de conservation(4)). La sécurisation du stockage repose donc sur une organisation et le respect des prérequis de sécurité au quotidien. Citons, par exemple, les points de vigilance suivants :
→ la sécurisation de l’accès à l’armoire à pharmacie, au chariot d’administration et à tout dispositif de stockage des médicaments : armoire systématiquement fermée à clé ou installée dans une pièce avec un accès maîtrisé (porte avec serrure à code, par exemple) ;
→ le rangement et l’étiquetage des médicaments sont pensés et organisés avec le pharmacien en fonction des risques identifiés dans le service, avec une identification spécifique des médicaments à risque (code couleur, par exemple) ; la température de conservation des médicaments thermosensibles est vérifiée ;
→ les médicaments du chariot d’urgence sont vérifiés et le chariot est sécurisé (scellé).
Activité quotidienne de l’infirmière, la préparation des médicaments, quelle que soit leur forme galénique (comprimé, injection, perfusion, etc.) est une étape à haut risque d’erreurs, lesquelles sont fortement favorisées par la fréquence des interruptions de tâches au moment des préparations. Parmi les points clés de vigilance, notons, entre autres :
→ la « sanctuarisation » du temps de préparation avec une organisation permettant d’éviter les interruptions. La préparation peut être effectuée porte fermée avec un étiquetage mentionnant « Ne pas déranger, préparation en cours », le téléphone de la personne qui prépare peut être confié à une collègue, etc. ;
→ la vérification de la prescription : le bon médicament, le bon moment d’administration, la bonne voie, la bonne dose ;
→ dans le cas d’un médicament injectable, l’étiquetage de la préparation doit comporter les informations suivantes : l’identification précise du patient, le nom du médicament, sa concentration, la date et l’heure de la préparation, l’identité de l’infirmière ;
→ l’assurance que tout médicament reste identifiable jusqu’à son administration.
À cette étape, la règle des « 5 B » est reine et s’impose (lire l’encadré « Les prescriptions particulières » page ci-contre). L’infirmière qui administre le médicament fait office de dernier rempart face au risque d’erreur médicamenteuse :
→ la vérification de la prescription médicale (toute retranscription étant proscrite) : s’agit-il du Bon médicament, du Bon moment d’administration, de la Bonne voie, de la Bonne dose ?
→ la vérification de l’identité du patient : s’agit-il du Bon patient ? (lire l’encadré « Comment vérifier l’identité du patient » page suivante) ;
→ la traçabilité de l’administration du traitement en temps réel.
Afin de limiter les interruptions de tâches au moment de la distribution des médicaments, de plus en plus d’équipes portent des chasubles de couleur portant la mention « Ne pas déranger ».
Bien que ces principes de sécurité ne soient pas nouveaux, le quotidien prend parfois le dessus. Pour améliorer les pratiques quotidiennes, il est donc nécessaire d’entretenir la conscience du risque sur le terrain. Dans ce contexte, les démarches d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), comme l’EPP « Prise en charge médicamenteuse dans le service de soins », prennent tout leur sens.
Suite à l’analyse des risques médicamenteux réalisée en interne, un audit a été mené au centre hospitalier de Blois en partenariat avec l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi). Cet audit avait un double objectif :
→ sensibiliser les infirmières et améliorer la sécurité de la prise en charge médicamenteuse dans les unités de soins ;
→ initier les étudiants en soins infirmiers (ESI) à une démarche d’audit en réel, sur le terrain de stage, tout en les sensibilisant aux règles de sécurité de la prise en charge médicamenteuse en tant que futurs professionnels.
Cette EPP, pilotée par le pharmacien responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse, a été organisée en collaboration avec les formateurs de l’Ifsi et l’appui méthodologique du service qualité.
La première étape a consisté à créer une grille d’audit interne ciblée sur les points clés à vérifier dans chaque unité de soins. Les items de la grille ont été déterminés à partir de l’analyse interne des risques, et donc adaptés au fonctionnement de l’établissement. D’emblée, le principe de cibler les fondamentaux et d’opter pour une méthode d’audit simple et accessible à tous, essentiellement basée sur l’observation et complétée par l’interview des infirmières du service, a été choisi.
Les différents points d’observation retenus portaient sur :
→ l’armoire à pharmacie : est-elle fermée à clé ? Les médicaments à risque sont-ils identifiés ?
→ le chariot d’administration des médicaments : est-il fermé à clé ? Les bacs patients sont-ils tous précisément identifiés (avec l’étiquette éditée du logiciel) ?
→ le chariot d’urgence : est-il vérifié et sécurisé (scellé) ?
→ les enceintes réfrigérées de stockage des médicaments : la température cible est-elle vérifiée et conforme ?
→ le PC de sauvegarde en cas de panne du logiciel de prescription/administration : la sauvegarde est-elle accessible et fonctionnelle ?
L’interview des infirmières concernait :
→ leur connaissance du mode dégradé à activer en cas de panne du logiciel de prescription/administration ;
→ la gestion des traitements personnels des patients dans le service ;
→ le recours aux prescriptions orales (dans le cadre de situations d’urgence) et leur régularisation rapide.
Ce principe d’évaluation a été mis en place dès 2017 en « autoévaluation » dans tous les services du centre hospitalier, sous la responsabilité du cadre de santé.
Les résultats, qui ont été exploités par service et par pôle, ont permis de montrer que ces fondamentaux n’étaient pas acquis par tous et qu’il persistait des marges de progression.
Après avoir mené des actions d’amélioration sur le terrain, l’EPP renouvelée en 2018 a attesté d’un certain nombre d’améliorations (sur l’étiquetage des bacs et des perfusions, notamment) sans que les objectifs posés soient atteints pour tous les points. La grille a donc évolué sur les items restant à améliorer, et une nouvelle EPP a été réalisée.
Fort du mouvement des infirmières et des enjeux de sécurisation de la prise en charge médicamenteuse, l’audit a été renouvelé en 2021. Cette fois, un partenariat a été établi avec les étudiants de troisième année, au semestre 6. Après un apport théorique sur l’évaluation des pratiques professionnelles dans le cadre de l’unité d’enseignement 4.8 « Qualité des soins, évaluation des pratiques », la démarche d’audit « Prise en charge médicamenteuse en unité de soins » leur a été présentée avec un guide d’audit permettant d’expliciter chaque item de la grille.
Dans les semaines suivant cet apport, les étudiants ont pu mettre en application leurs connaissances en réalisant l’audit au cours de leur stage dans l’établissement, avec l’accompagnement d’une infirmière du service. L’organisation de cet audit avait été préparée en amont avec les formateurs de l’Ifsi et les cadres de santé de l’établissement. Les grilles renseignées durant le stage ont ensuite été collectées par les cadres puis transmises au service qualité. Les résultats ont pu être analysés au niveau des services, des pôles mais également de l’établissement par le pharmacien RSMQ. À l’échelle des unités de soins, cela a permis d’opérer quelques réajustements opérationnels comme installer la sauvegarde manquante du logiciel sur le PC fixe de la salle de soins, compléter l’affichage des « Infos Risque », revoir la gestion des traitements personnels des patients, etc.
Cette démarche s’est avérée « gagnant-gagnant » car les étudiants ont apporté un regard « extérieur » très utile aux services tout en questionnant la pratique quotidienne des infirmières au regard des recommandations et des risques associés. Ce partenariat avec l’Ifsi sera reconduit cette année mais avec quelques améliorations. En effet, l’audit s’étant déroulé en fin de formation, les étudiants n’ont pu avoir connaissance des résultats globaux, de même que l’apport de cette démarche n’a pu être objectivé auprès d’eux. En lien avec l’Ifsi, l’exploitation des résultats par les ESI ainsi que leur participation à la recherche d’actions d’amélioration sera recherchée. Cela permettra à ces futurs professionnels de santé d’être davantage acteurs et forces de proposition. En outre, un questionnaire de satisfaction leur sera proposé sur leur plateforme afin d’évaluer cette méthode collaborative, d’autres projets étant à l’étude avec les étudiants aides-soignants.
La sécurisation de la prise en charge médicamenteuse reste un enjeu fort dans nos établissements de santé. Pour preuve, le nouveau dispositif de certification de la HAS a retenu, en cohérence avec l’objectif « Les équipes maîtrisent les risques liés à leurs pratiques », plusieurs critères relatifs à la prise en charge médicamenteuse, notamment le 2.3-04 « Les équipes respectent les bonnes pratiques d’administration des médicaments » et le 2.3-06 « Les équipes maîtrisent l’utilisation des médicaments à risque ». Cela invite les équipes à poursuivre leur démarche en faveur de la sécurisation de la prise en charge médicamenteuse.
De nouvelles modalités d’évaluation, moins chronophages, plus pragmatiques et ancrées dans le quotidien des infirmières gagneront à être développées pour s’intégrer au cœur des pratiques. De même, associer les étudiants à ces démarches dès leur formation contribue à leur construction professionnelle en confrontant leurs apprentissages et les recommandations théoriques à la réalité du terrain. Car il s’agit de former des soignants capables de prendre du recul sur une pratique, d’adopter une posture réflexive et de contribuer efficacement à la sécurité des soins.
Notes
1. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), « Enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (Eneis) », mise à jour le 9 février 2021. En ligne sur : bit.ly/3IIjOkJ
2. Arrêté du 6 avril 2011 modifié relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé.
3. Haute Autorité de santé (HAS), « Retour d’expérience national. Les événements indésirables graves associés à des soins (EIGS) », 2020, validé le 9 décembre 2021. En ligne sur : bit.ly/3tKK2ir
4. Haute Autorité de santé, « Évaluation de la prise en charge médicamenteuse selon le référentiel de certification », Certification des établissements de santé - Fiche pédagogique - Médicaments, décembre 2020. En ligne sur : bit.ly/3tLAgfL
Autres sources
• Direction générale de l’offre de soins (DGOS), « Qualité de la prise en charge médicamenteuse. Outils pour les établissements de santé », février 2012. En ligne sur : bit.ly/36A4Hgl
• HAS, « Certification des établissements de santé pour la qualité des soins », septembre 2021. En ligne sur : bit.ly/3wLORK4
• HAS, Flash sécurité patient « Médicaments à risque : sous-estimer le risque c’est risqué », 10 juin 2021. En ligne sur : bit.ly/3IT9Vkd
• Article R 6111-10 du Code de la santé publique.
La prescription « si besoin »
La prescription « si besoin » est une prescription médicamenteuse conditionnelle, c’est-à-dire la prescription d’un médicament en dose variable conditionnée à un ou plusieurs paramètres cliniques prévisibles pour un patient donné, qui doivent donc être évalués par l’infirmière. Par exemple, il peut s’agir de la prescription d’un antalgique conditionnée à une évaluation de la douleur.
Si ces prescriptions rassurent en général les soignantes, qui peuvent ainsi réagir plus rapidement sans avoir à solliciter un médecin, elles ne doivent pas faire oublier que toute administration, réalisée ou non, doit être tracée et que, dans le cas d’une prescription conditionnelle, elle nécessite d’être justifiée.
La prescription orale
Une seule exception permet à l’infirmière d’administrer un médicament sur prescription orale : l’urgence. Toutefois, cela n’exonère pas d’une régularisation rapide de la prescription, écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, dans le dossier du patient (article R 4311-7 du Code de la santé publique modifié par le décret n° 2021-97 du 29 janvier 2021).
Outre l’aspect réglementaire, la prescription écrite permet de vérifier qu’il s’agit du Bon patient, du Bon médicament, du Bon dosage, de la Bonne voie d’administration, au Bon moment (règle des 5 B).
- Demander directement au patient de décliner son identité ;
- contrôler le bracelet d’identification porté par le patient ;
- Si le patient est une personne mineure ou non communicante, la vérification de l’identité est effectuée par les parents s’ils sont présents, ainsi qu’avec le bracelet ;
- prendre le temps de vérifier l’identité du patient même si on le « connaît » et même si ce n’est pas le premier contrôle de la journée.