L'infirmière n° 020 du 01/05/2022

 

JE DIALOGUE

Lisette Gries  

IDE en psychiatrie, Émilie Valy a constaté que les enfants des patients hospitalisés étaient dans l’angle mort du système de soins. Elle a alors créé l’association Familien, qui met notamment au point des supports de communication : livrets, ressources gratuites en ligne, etc.

Vous avez fait tout votre parcours en psychiatrie. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce secteur ?

Émilie Valy : J’ai démarré mes études avec l’envie d’exercer en psychiatrie. Mes stages en soins somatiques m’ont plu, mais mon choix s’est malgré tout confirmé. J’ai donc débuté en psychiatrie, à l’hôpital public. Cette orientation a été guidée par mon intérêt pour le soin relationnel. À la différence des services somatiques, où les soins et l’administratif prennent beaucoup de place, la relation est au cœur du suivi en santé mentale.

Pourtant, vous n’êtes pas restée dans le public…

É. V. : Ce temps nécessaire à la relation de soins nous était retiré. Dans mon établissement, il y avait trop de patients pour trop peu d’infirmières, au point que les discussions se limitaient à des échanges sur les traitements. Avec le recul, je me suis rendu compte que cette façon de soigner pouvait se rapprocher de la maltraitance. L’équipe était tout le temps sous pression, cette tension se ressentait et les patients étaient du coup plus nerveux. Je ne suis restée que trois ans, mais cela a suffi à ce que je perde le sens de mon métier. Mes collègues présents depuis plus longtemps observaient une longue dégradation des conditions de travail, qui touche l’ensemble du secteur de la santé mentale, et plus particulièrement à l’hôpital public.

Avez-vous trouvé un poste qui correspondait mieux à vos attentes professionnelles ?

É. V. : Je suis ensuite allée dans une clinique, toujours en psychiatrie, qui n’accueille que des femmes. Les conditions de travail étaient bien plus intéressantes, il était possible de nouer de vraies relations de soins. J’ai en effet retrouvé ce que j’aimais dans mon métier, mais sans me départir de mon constat amer sur l’état du système de santé en France.

Aujourd’hui, faites-vous toujours ce « constat amer » ?

É. V. : Les choses ne se sont pas améliorées, bien au contraire ! Dans le privé, nous pouvons proposer une prise en charge de meilleure qualité et ne pas dépérir en tant que soignants, mais cela devrait aussi être le cas dans le public. La psychiatrie est le parent pauvre d’un système de soins qui craque de partout. J’aimerais qu’on réinvente un fonctionnement avec des moyens réellement suffisants pour que tout le monde puisse être bien pris en charge. Mais il faut aussi briser le tabou qui, malheureusement, entoure encore la santé mentale.

Comment est née l’idée de créer l’association Familien ?

É. V. : Pendant mon congé parental, j’ai réfléchi à mon métier. Malgré les meilleures conditions de la clinique, je ne m’y retrouvais plus. J’ai repensé à une situation où le mari d’une patiente avait été obligé de venir à un entretien avec son fils. S’il s’était présenté à l’hôpital public, l’équipe n’aurait pas pu s’occuper de ce petit garçon. Je me suis alors rendu compte que peu de choses étaient faites pour les enfants dont un proche est malade.

La place des enfants à l’hôpital reste donc sensible…

É. V. : Il y a des arguments que l’on peut entendre. En psychiatrie, par exemple, les enfants pourraient être témoins de situations impressionnantes, voire dangereuses. Cependant, leur absence fait aussi que l’on oublie parfois de les prendre en compte alors qu’ils sont tout aussi concernés par la maladie de leurs parents. Pour les soins somatiques, la raison invoquée est le risque infectieux. Pourtant, il n’y a pas d’argument solide prouvant que les enfants présentent un danger pour les malades. Au contraire, leur visite est moralement bénéfique pour les patients. Et pour les petits visiteurs, c’est l’occasion de ne plus s’imaginer le pire, surtout si ces rencontres sont accompagnées d’explications.

L’association a donc été créée pour aider ces enfants ?

É. V. : Oui. Au départ nous avons testé deux accueils dans une clinique où des bénévoles s’occupaient des enfants pour laisser les adultes visiter leur proche malade. Ce fut un succès mais aucun établissement n’a souhaité pérenniser l’expérimentation, faute de financement. Nous éditons des livrets thématiques qui sont des supports de communication avec les enfants. À un moment, j’avais créé une société pour produire un outil interactif de communication entre les petits et leurs proches hospitalisés, mais des difficultés techniques et un manque de temps ont mis ce projet entre parenthèses. La société a été clôturée mais l’association est toujours active. Nous sommes une dizaine de bénévoles, dont une majorité travaille dans le domaine des soins, mais il y a aussi une designeuse produit et une psychologue qui officie dans le secteur de la petite enfance.

L’édition des livrets est l’activité principale de l’association. Comment sont-ils élaborés ?

É. V. : Avant de rédiger un livret, nous créons un questionnaire assez complet, avec un volet pour les familles et un autre pour le personnel. Cela nous permet de bien comprendre les problématiques des uns et des autres. À chaque fois, nous réalisons que les adultes sont démunis quand il s’agit de prendre en compte les enfants des malades, que ce soit pour répondre à leurs questions ou pour les accueillir.

Aujourd’hui, vous avez repris votre activité d’infirmière. Estimez-vous que l’hôpital laisse suffisamment de place à l’initiative personnelle ?

É. V. : Il y a de la place pour les projets menés sur le temps personnel. J’ai tout de suite parlé à la clinique des livrets et les équipes s’en sont emparées. Mais ce n’est pas institutionnalisé de dégager du temps pour développer des idées. Ce ne sont pas les envies qui manquent, mais au regard des conditions et des pénuries de personnel, je ne vois pas comment cela pourrait être possible dans le cadre du temps de travail. En menant à bien les projets de l’association, j’ai naturellement développé un réseau de partenaires et une forme d’expertise sur le sujet de la place des enfants. Je m’en sers dans mon exercice professionnel, et c’est reconnu par mes collègues.

À quelles conditions est-il possible de mener ces différents engagements de front ?

É. V. : Je suis retournée à la clinique alors que je pensais avoir clos ce chapitre, mais je souhaitais répondre à la pénurie de personnel pendant la Covid. Je protège mon équilibre en travaillant en clinique, et non dans le public, et au sein du pool. Comme je tourne sur les différents services, je parviens à prendre du recul sur les situations des patientes. Auparavant, j’avais tendance à rentrer chez moi sans réussir à couper. Et sur le plan associatif, je mène moins de projets qu’au début, car les choses étant lancées, j’ai pu réduire un peu mon temps. Le fonctionnement est plus fluide avec un éditeur qui se charge de la distribution, et une partie financière qui a atteint sa vitesse de croisière. Par ailleurs, je pense qu’il est primordial de conserver une vie personnelle riche pour ne pas se laisser submerger. À cet effet, je prévois un grand voyage en famille à travers toute l’Europe dans les prochains mois.

POURQUOI ELLE

Les livrets édités par son association Familien sont des solutions originales et précieuses pour les équipes de soins qui souhaitent prendre en compte les enfants des patients. Ce projet vient combler un réel manque d’outils à disposition des soignants et des familles. Mais au-delà de cette initiative, c’est aussi la vision d’Émilie Valy sur un système de soins à bout de souffle qui interpelle. Son parcours nous donne à comprendre comment elle continue à trouver du sens à son métier, dans un secteur particulièrement tendu : la psychiatrie. https://familien.fr/

BIO EXPRESS

Novembre 2009 Obtient son diplôme d’État à l’Institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge, à Lyon (Rhône).

Janvier 2010-août 2013 Premier poste en psychiatrie à l’hôpital public.

Novembre 2013 Travaille à la clinique Notre-Dame, à Villeurbanne (Rhône).

Octobre 2017 Congé parental et création de son association Familien.

Novembre 2020 Intègre le pool à la clinique Notre-Dame, dans le contexte de la Covid.