PRISE EN CHARGE DU SYNDROME MAIN-PIED INDUIT PAR LA CAPÉCITABINE : ÉVALUATION DE LA PRATIQUE
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REVUE DE LA LITTÉRATURE
Infirmière, service hôpital de jour, coordinatrice RCP-SHS, Centre Léon Bérard de Lyon.
Les thérapies contre le cancer entraînent une grande variété de toxicités dermatologiques et comportent des risques pour le patient de développer un effet secondaire non négligeable. Le syndrome main-pied (SMP) peut altérer considérablement la qualité de vie, nécessitant parfois une réduction de dose ou une interruption du traitement, limitant dès lors l’utilisation d’un traitement potentiellement efficace.
Selon l’intensité de la douleur, de l’étendue et de la nature des lésions cutanées du SMP, on distingue, selon l’Institut national du cancer, trois degrés de gravité : au grade I, les symptômes sont légers, les patients présentent une dysesthésie palmoplantaire ; au grade II, les symptômes s’aggravent avec une douleur brûlante, un érythème nettement délimité, un gonflement œdémateux pouvant se transformer, au grade III, en cloques, desquamations de la couche cornée et ulcérations ou érosions subséquentes. Les lésions se situent principalement au niveau palmoplantaire. Dans les cas graves, les aspects dorsaux des mains et des pieds, les zones intertrigineuses, les régions sous-jacentes aux vêtements moulants peuvent être affectées(1). Si l’étiologie du SMP n’est pas claire, une hypothèse suggère qu’une molécule cytotoxique est excrétée dans la sueur rendant la paume des mains et la plante des pieds plus sujettes en raison du grand nombre de glandes eccrines. La vascularisation, l’augmentation de la pression et de la température des mains et des pieds aggravent cet effet(2).
Le taux d’incidence de la toxicité dermatologique varie d’une molécule à l’autre. Si de nombreuses molécules cytotoxiques sont signalées comme étant à l’origine de cet effet indésirable, la capécitabine est largement associée au SMP(2). Cette molécule antinéoplasique, sous forme de comprimé, agit comme un analogue oral du 5-fluorouracile (5-FU) administré en intraveineux. La capécitabine occupe une place importante dans la stratégie thérapeutique du cancer du côlon de stade III, du cancer colorectal métastatique, du cancer gastrique avancé et du cancer du sein métastatique(3). Avec la capécitabine utilisée en monothérapie, la fréquence d’apparition d’un SMP de tout grade est de 53 à 60 %. Il survient dans les premières semaines ou quelques mois suivant le début du traitement, avec un délai moyen d’apparition de 239 jours (intervalle de confiance 95 % 201, 288)(4). Ce syndrome est drogue dose et durée d’exposition dépendantes(5).
L’objectif de cette revue de la littérature est d’examiner les stratégies de prévention et de traitement pour évaluer leur efficacité sur l’apparition d’un SMP induit par la capécitabine.
Le choix des mots-clés a été réalisé avec la méthode Pico (Patient/Intervention/Compare to/Outcomes). Le site HeTOP (Health Terminology/Ontology Portal), qui inclut les principales terminologies et ontologies de santé, a permis de traduire les mots-clés en anglais et la sélection des termes du thésaurus MeSH (Medical Subject Heading) représentatifs des mots-clés.
P : syndrome main-pied induit par la capécitabine
- Hand foot syndrome
- Palmo plantar erythrodysesthesia
- Acral erythema : non retenu. Le SMP était appelé « érythème acral », il a été redéfini.
- Capecitabine
I : stratégies de prévention et de traitement
- Prevention and control
- Medical countremeasures : non retenu. Les contre-mesures médicales sont des produits réglementés utilisés en cas d’urgence potentielle de santé publique.
- Preventive measure : non retenu. Cette notion traite de la gestion d’une maladie et non pas de la prévention sur l’apparition d’effets secondaires.
C : non adapté.
O : mesure de l’efficacité. Non adapté. La notion d’efficacité rentrera dans les critères de sélection des articles.
(« hand foot syndrome » OR « palmo plantar erythrodysesthesia ») AND (« capecitabine » OR « Xeloda ») AND (« prevention ») AND (« control »).
La recherche a été effectuée en anglais sur les bases de données PubMed, Embase et CINAHL qui permettent l’accès à des articles scientifiques dans les domaines de la santé et de la médecine dans leur intégralité.
Les bibliographies des articles sélectionnés ont été examinées pour les références appropriées. L’utilisation du logiciel Zotero a permis la gestion des références provenant des différentes sources et l’élimination des doublons.
La sélection s’est faite par étapes, en conservant comme priorité la réponse à notre objectif à partir de la lecture :
→ des titres : inclusion des articles étudiant le SMP induit par la chimiothérapie. Exclusion des articles explorant le SMP induit par les thérapies ciblées, l’efficacité des chimiothérapies contenant de la capécitabine ou décrivant les mécanismes possibles du SMP et sa présentation clinique ;
→ des résumés : repérage des doublons. Inclusion des articles analysant les recommandations actuelles, les stratégies de prévention et de traitement. Exclusion des articles payants ou non disponibles en intégralité ;
→ des articles en intégral et leur sélection selon des critères d’inclusion : taille de l’échantillon de l’étude, période de suivi de minimum six mois, niveau de preuve (études comparatives, essais cliniques randomisés, études de cohortes).
La littérature grise : les avis rendus par la Haute Autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos) ont fait l’objet d’une lecture attentive.
Au total, 70 articles ont été repérés dans les bases de données par l’équation de recherche. Trois documents s’additionnent grâce à la littérature grise. Au final, après les différentes étapes de sélection, six articles ont été retenus (voir le diagramme de flux page suivante).
Dans le cadre de cette revue de la littérature, nous avons choisi de sélectionner trois méta-analyses. Cette démarche nous a permis de clarifier des discordances dans les résultats d’études individuelles de petites tailles. Ces méta-analyses couvrent la période 2014-2019, ce qui nous a permis d’avoir une vision précise des stratégies de prévention et de traitements actuels, et de leurs modifications dans le temps.
La première étude, publiée en 2014, est une revue systématique et méta-analyse qui examine l’efficacité clinique des stratégies de prévention du SMP. Elle se compose de dix études répondant aux critères d’inclusion, pour un total de 1 963 patients. Les articles inclus sont des essais cliniques contrôlés randomisés comparant les stratégies de prévention à la norme de soins ou au placebo pour les personnes sous chimiothérapie. Les études identifiées sont classées selon le type de stratégie de prévention évaluée et la conception de l’étude(6).
La deuxième étude, de 2018, est une méta-analyse qui évalue l’efficacité de diverses stratégies de prévention et de traitement du SMP induit par la capécitabine. Dix-sept études sont incluses pour un total de 2 081 patients qui ont reçu une chimiothérapie par capécitabine en monothérapie ou une chimiothérapie combinée contenant de la capécitabine pour tout cancer, en tant que traitement néoadjuvant, adjuvant ou palliatif(7).
La troisième étude, parue en 2020, est une revue systématique qui aborde la prévention, le traitement et la prise en charge des patients atteints de cancer et à risque ou présentant déjà des toxicités cutanées. Les auteurs évaluent les interventions visant à prévenir ou traiter les toxicités cutanées (éruption cutanée acnéique, réaction cutanée main-pied, prurit, alopécie et SMP). Au total, sept études sont examinées, lesquelles ont inclus 1 067 personnes atteintes principalement d’un cancer du sein ou colorectal, avec un échantillon allant de 56 à 360 patients. Les interventions étudiées consistent en la prise de pyridoxine. Le traitement du cancer est la capécitabine seule ou en association avec une chimiothérapie(8).
Cette revue de la littérature a permis d’explorer de nombreuses options de traitement du SMP et d’analyser leur efficacité. Bien que diverses stratégies de prévention et de contrôle aient été étudiées, il ressort que le mécanisme d’apparition du SMP induit par la capécitabine n’est pas entièrement compris. Les études émettent un certain nombre d’hypothèses que cette revue de la littérature nous permet d’interroger.
Le SMP pourrait être le résultat d’un processus inflammatoire causé par l’activation de la protéine cyclooxygénase-2 (COX-2) dans les mains et les pieds. Par conséquent, l’utilisation d’un inhibiteur de COX-2 pourrait prévenir le SMP, comme le célécoxib, un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) qui apparaît comme un agent prometteur pour la prévention. Cependant, il est aussi connu pour ses effets secondaires cardiovasculaires et gastrointestinaux potentiels à long terme. La toxicité des mesures de prévention doit être prise en compte dans de futurs essais(8). Pour prévenir l’inflammation, l’utilisation d’urée topique pour anticiper l’hyperkératose, d’acide salicylique ou de crèmes hydratantes neurotrophine, de silymarine tropique ou du fuzheng jiedusan, enfin, pour prévenir des différentes carences pouvant être en lien avec l’apparition du SMP, mais également de la pyridoxine et de la vitamine B6 ont été étudiées. Les autres nombreuses options de traitement pour la prévention du SMP induit par la capécitabine, comme les corticostéroïdes topiques ou encore les kératolytiques topiques, ne sont pas associés à une diminution de l’incidence d’apparition. De même, ils n’ont pas prouvé leur efficacité dans le traitement du SMP.
La réduction, voire l’interruption du traitement, reste la base de la prise en charge du SMP induit par la capécitabine. Les recommandations de l’ANSM pour la prise en charge de ce syndrome sont basées sur la modulation de la thérapie antitumorale. Si l’Afsos n’établit pour l’heure aucune prévention standard en l’absence de preuves tangibles, elle émet toutefois quelques recommandations, notamment l’évitement des contraintes mécaniques sur la peau (pression, frottements), la prévention des blessures ou encore le rinçage de la sueur à l’eau froide(9).
Cette revue de la littérature montre bien l’importance de cette problématique. Les recherches doivent donc se poursuivre afin d’avancer sur la connaissance de cette toxicité liée au traitement. De même, l’interdisciplinarité (infirmières, oncologues, dermatologues, etc.) doit être au centre des discussions pour une évaluation la plus pertinente possible en faisant appel aux connaissances de chaque spécialité.
Le bénéfice attendu pour les patients est la réduction du SMP induit par la capécitabine, avec l’amélioration de leur qualité de vie ainsi que le maintien d’une prise en charge optimale.
L’autrice déclare ne pas avoir de liens d’intérêt
COORDINATION :
VALÉRIE BERGER
IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associée temporaire, université de Bordeaux valerie.berger@chu-bordeaux.fr
CAROLINE SERNICLAY
Cadre de santé, coordinatrice paramédicale de la recherche en soins, CHU de Reims, pilote de la CNCPR cserniclay@chu-reims.fr
PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE