AIDE-SOIGNANT : COMPRENDRE LA RÉFORME DE LA FORMATION
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BONNES PRATIQUES
Laurent Soyer * Nicole Tanda**
*infirmier, M.Sc, cadre de santé, formateur consultant
**infirmière puéricultrice, cadre de santé formatrice, Ph. D. en sciences infirmières
Le référentiel de formation et de certification du diplôme d’État d’aide-soignant de 2021 remplace et fait évoluer celui de 2005. Cet article propose une mise en contexte de cette réforme, puis un focus sur les principaux éléments nouveaux pour questionner son impact dans la pratique.
En France, le métier d’aide-soignant trouve une première légitimation avec la création, en 1949(1), d’un grade d’aide-soignant hospitalier délivré par le médecin chef de service. Il est alors déjà question de prodiguer les soins d’hygiène sous l’autorité du personnel infirmier. Une fonction qui se pérennise en 1956(2) via la mise en œuvre d’un certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant, assortie d’une formation d’une durée de dix mois, laquelle passera à douze mois en 1971 avec un accent mis sur les besoins fondamentaux, les soins d’hygiène et de confort, ainsi que l’approche relationnelle. En 1996(3), ce certificat est aboli au profit de la création du diplôme professionnel d’aide-soignant. Dans la lignée de la loi n° 78-615 du 31 mai 1978 instituant le rôle propre infirmier, le concept phare de collaboration de l’aide-soignant avec l’infirmière émerge et se confirme dans les années 2000 avec le diplôme d’État d’aide-soignant et le référentiel de formation de 2005(4). Ainsi, l’aide-soignant exerce son activité sous la responsabilité de l’infirmière, dans le cadre du rôle propre de cette dernière.
Aujourd’hui, les organisations sont confrontées à diverses contraintes : gérer des effectifs paramédicaux à moindre coût dans un contexte de vieillissement de la population et normaliser des pratiques illégales devenues courantes (les AS glissent fréquemment vers des tâches relevant de l’exercice infirmier). Dans le même temps, l’horizon déclaré est aussi une montée en compétences des équipes soignantes pour optimiser les prises en soins. Ces éléments contextuels s’inscrivent dans une perte générale d’attractivité du métier(5), en particulier dans le secteur gériatrique où « les difficultés de recrutement sont considérables, les conditions de travail difficiles, l’absentéisme très élevé et les accidents du travail records(6) ».
Diachroniquement, il faut situer les premières réflexions sur la réingénierie de la formation à 2011 avec la création du Groupe d’études, de recherches et d’actions pour la formation aide-soignante (Géracfas). Ces discussions, qui ont été initiées dans le cadre de l’évolution des filières d’entrée en formation, et ont duré jusqu’en 2021 avec la réforme actuelle de la formation(7), portent sur plusieurs axes. Le premier s’intéresse à l’officialisation d’actes réalisables par l’aide-soignant, à l’exemple de la mesure de la glycémie capillaire. Le deuxième se focalise sur la reconnaissance d’un rôle aide-soignant issu du rôle propre infirmier. L’accent est notamment porté sur la démarche clinique, la mission d’information et d’éducation en santé des patients. Dans la mesure où 83 % des personnes de plus de 80 ans ne sont pas en situation de dépendance, l’aide-soignant aurait ainsi un rôle à jouer dans le repérage des fragilités/perte d’autonomie(8). Une dynamique qui conduit à d’autres pistes d’ingénierie pédagogique : apprentissage par la pratique simulée ou encore analyse des pratiques professionnelles. Un autre axe prégnant porte, lui, sur l’intégration en formation de cursus partiels et de passerelles.
Mais en 2019, le Géracfas a pointé une réalité de terrain : « l’agir en situation isolée » de l’AS. La prise d’initiatives et l’autonomie de ce dernier sont remises sur le devant de la scène. En définitive, comme bien souvent dans les réformes, un compromis est trouvé : « Nous aspirions à une nouvelle appellation de ce métier ; le professionnel aide les personnes et non plus les soignants. Nous voulions engager une réflexion sur la notion de travail sous la responsabilité de l’infirmier et changer la définition du métier. […] Nous obtenons dans les textes une responsabilité partagée(8). »
La réforme de la formation d’aide-soignant concerne l’organisation du dispositif pédagogique et les contenus. La durée de formation est portée à 44 semaines de formation (1 540 heures contre 1 435 heures auparavant), avec l’alternance, à égalité, de temps théorique (22 semaines, soit 770 heures, contre 17 semaines auparavant) et de temps clinique (22 semaines, soit 770 heures décomposées en quatre stages).
L’approche par compétences est privilégiée, rejoignant ainsi la réforme de 2009 de la formation initiale infirmière avec, entre autres, la suppression de la mise en situation professionnelle et l’instauration d’une évaluation des stages à l’aide du portfolio qui permet de formaliser la progression de l’acquisition des compétences. Cette approche s’adosse à la vision d’un professionnel autonome et réflexif, c’est-à-dire un soignant capable d’évaluer en permanence sa pratique, avant, pendant et après les soins. Pour les formateurs et les apprenants, l’approche par compétences, très implantée et théorisée notamment au Canada, s’apparente encore en partie en France à une acculturation pédagogique. En pratique, cinq blocs de compétences sont identifiés (voir le tableau ci-dessus).
Il est intéressant de se référer à la définition du métier d’aide-soignant : « En tant que professionnel de santé, l’aide-soignant est habilité à dispenser des soins de la vie quotidienne ou des soins aigus pour préserver et restaurer la continuité de la vie, le bien-être et l’autonomie de la personne dans le cadre du rôle propre de l’infirmier, en collaboration avec lui et dans le cadre d’une responsabilité partagée(9). » Le nouveau référentiel de formation s’ouvre donc sur deux volets : les soins courants (de la vie quotidienne) et les soins aigus (voir « Les deux types de soins courants » page ci-contre).
Pour répondre au contexte actuel, l’arrêté du 10 juin 2021 a introduit 18 nouveaux actes de soins (voir le tableau p. 32).
L’analyse de ces nouveautés permet de mettre en évidence plusieurs évolutions significatives au bénéfice de l’autonomie de l’aide-soignant :
→ une posture d’évaluateur de l’état clinique du patient clairement reconnue, avec un droit d’utilisation d’outils d’évaluation auparavant réservés à l’infirmière ;
→ l’ajout d’actes techniques : de nombreux actes sont institués, permettant à l’aide-soignant de réaliser, en pratique, des soins pour lesquels sa posture antérieure était cantonnée à l’observation/surveillance ;
→ la reconnaissance du rôle d’éducateur de santé : il convient de souligner l’introduction officielle de l’aide-soignant dans l’équipe d’éducation thérapeutique du patient (ETP) en tant que coanimateur de groupes de patients.
Une coresponsabilité va donc progressivement s’instaurer entre l’infirmière et l’aide-soignant. Une coresponsabilité basée à la fois sur le partage des tâches mais également sur leur traçabilité dans le dossier de soins.
Pour l’infirmière, un gain de temps et une décharge de travail peuvent s’opérer (par exemple en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou en unité de soins de longue durée où il n’y a souvent qu’une seule IDE par horaire). Concernant l’aide-soignant, si l’effectif le permet, ces nouvelles compétences cliniques constitueront une source de valorisation.
Concrètement, l’organisation du partage des tâches, voire de leur réalisation en commun, reste à définir et sera conditionnée par deux éléments : la charge de travail et l’effectif de professionnels de santé de chaque corporation en présence.
→ En pratique. D’un point de vue juridique, deux conditions sont requises :
→ les actes de soins AS sont limités au cadre du rôle propre infirmier ;
→ l’aide-soignant doit être compétent, c’est-à-dire avoir été formé aux actes qu’il va accomplir.
« Il suffit que l’une des deux conditions manque – l’acte ne relève pas du rôle propre de l’infirmier (comme un acte sur prescription médicale) ou qu’il ne figure pas dans le référentiel de la formation aide-soignant (même si cet acte fait partie du rôle propre de l’infirmier) – pour que l’on soit dans le cadre d’un dépassement de compétences(10). »
Un autre point à souligner est l’accent porté sur l’accompagnement pédagogique individualisé (API) de 35 heures. Le nouveau référentiel tient donc compte de l’évolution des publics d’apprenants, avec une diminution du nombre de candidats à l’entrée en formation concomitante d’un niveau global parfois insuffisant pour pouvoir suivre le programme sans un réel accompagnement. « Des personnes avec des profils “limites” se retrouvent en formation et rencontrent souvent des difficultés dans l’apprentissage théorique et clinique : problème de compréhension de la langue française, problème de positionnement, incapacité à se remettre en question(5). » Ajoutons que 7 heures de suivi pédagogique sont également prévues. « Nous nous réjouissons de ce temps enfin reconnu qui nous permettra d’accompagner au mieux chaque apprenant en fonction de sa progression et de ses besoins(11). » Par ailleurs, 35 heures de travail personnel guidé sont programmées et laissées à la diligence de l’équipe pédagogique.
Le premier impact, à court terme, est l’avènement d’un coexercice des aides-soignants diplômés avant et après 2022, avec des domaines de compétences distincts. En effet, si les néodiplômés pourront réaliser les nouveaux actes de soins pour lesquels ils auront été formés, leurs pairs déjà en activité devront se former pour pouvoir à leur tour avoir accès à ces actes. « Il n’est donc pas possible de compenser une incompétence juridique (au sens de ne pas avoir le droit de faire) par une compétence de terrain (au sens de savoir pratiquer l’acte)(10). » Dès lors, qui sera en charge de former les « anciens » et dans quel délai ? Il semble que cette responsabilité incombera aux établissements sanitaires ou/et médico-sociaux, mais la conjoncture actuelle avec des effectifs sous tension va poser un problème de faisabilité. La même problématique se poserait si les instituts de formation aux métiers de la santé étaient chargés de cette formation, notamment de par l’augmentation des quotas suite au Ségur de la santé. Par rapport à l’infirmière, chef d’équipe soignante, il va être nécessaire dans un premier temps de prendre en compte la présence de deux niveaux compétentiels au sein de la corporation aide-soignante.
→ En pratique. Pour l’infirmière :
→ un rôle accru en termes d’information pour expliquer aux membres de l’équipe soignante, aux patients ainsi qu’à leur entourage la coexistence de deux niveaux de compétences des aides-soignants ;
→ une responsabilité engagée avec une vigilance supplémentaire pour veiller à la réalisation correcte et efficace des nouveaux actes de soins par les aides-soignants ;
→ une posture renforcée de formatrice des élèves aides-soignants pour les former aux nouveaux actes de soins et les évaluer.
Il paraît clair que la mise en œuvre de la réingénierie de la formation aide-soignante va avoir des répercussions sur le quotidien de l’activité infirmière et peut être le compliquer. En regard du rôle informationnel, le cadre de santé de proximité constitue un réel appui en se chargeant de rencontrer les différents protagonistes. La qualité de la réalisation des actes de soins doit faire l’objet d’une réflexion d’équipe afin de considérer que c’est l’ensemble du service qui se réorganise et qui apprend. Concrètement, ce n’est pas seulement à l’infirmière d’être vigilante, mais à toute l’équipe soignante. Concernant la posture de formateur, le nouveau référentiel de formation incite clairement à développer la simulation. Il semble donc pertinent que les formateurs des instituts de formation d’aides-soignants (Ifas) tendent à organiser des séances de simulation basées sur des situations emblématiques(12) mettant en œuvre les nouveaux actes de soins. Dès lors, les tuteurs recevront des étudiants stagiaires qui possèdent déjà des bases techniques ainsi qu’une vision pratique proche de la réalité des soins, ce qui facilitera leur apprentissage expérientiel.
Le second impact, à moyen terme, est le retentissement potentiel sur la qualité des soins. Si l’on se réfère aux recherches pionnières de l’IDE et chercheuse américaine Linda Aiken(13), il a été prouvé l’importance de disposer au sein des services de soins d’un maximum d’infirmières titulaires d’un baccalauréat ou de qualifications supérieures. Rappelons, à titre indicatif que, au Canada par exemple, la profession d’aide-soignant n’existe pas mais qu’il y a deux niveaux de formation infirmière : un programme collégial (Collège d’enseignement général et professionnel : Cégep), d’une durée de trois ans, conduisant au diplôme d’études collégiales (DEC) et au titre d’infirmière ; un programme universitaire sur trois ans qui conduit au baccalauréat en sciences infirmières et au titre d’infirmière clinicienne ou conseillère en soins infirmiers(14). Dans les résultats de la recherche d’Aiken, pour chaque augmentation de 10 % d’infirmières titulaires d’un baccalauréat en sciences infirmières, il y avait une baisse de 5 à 7 % du risque de mortalité à 30 jours des patients après une intervention chirurgicale courante. Ces résultats probants ont été à l’origine de l’adoption de mandats de dotations sécuritaires en personnels infirmiers aux États-Unis, au Pays de Galles, en Irlande, en Australie, etc.
En pratique, si la réforme de 2021 vise à compenser le manque d’infirmières dans certains services en officialisant des glissements de tâches, notre système de santé va clairement à l’encontre des données probantes disponibles qui étayent la nécessité de plutôt investir dans un renforcement des effectifs infirmiers. En revanche, si l’objectif visé est la montée en compétences des aides-soignants, dans une dynamique globale de montée en compétences de l’ensemble des corporations soignantes, une répercussion positive sur la qualité des soins prodigués est alors envisageable.
À long terme, est-il souhaitable de viser une autonomisation radicale du métier d’aide-soignant vis-à-vis de l’infirmière ? Dans ce cas, quid de l’historicité du binôme infirmière/aide-soignant ? Plus avant, quels actes seraient spécifiques à l’aide-soignant et qui n’appartiendraient plus au rôle propre infirmier ? De même, n’y aurait-il pas des chevauchements de compétences avec d’autres métiers cherchant également une reconnaissance, comme ceux du service à la personne, domaine actuellement en plein essor ? Dans l’immédiat, la réingénierie de juin 2021 permet de placer la formation des aides-soignants à un niveau 4, c’est-à-dire à un niveau baccalauréat français. Il y a donc une visée propédeutique de poursuite d’études, ce qui va dans le sens d’un parcours professionnalisant vers un diplôme infirmier plutôt que vers une scission aides-soignants/infirmières.
Ainsi, la réforme de la formation aide-soignante arrive en cours de crise sanitaire et dans un système de santé avec des équipes pédagogiques souvent en surrégime et des personnels soignants perpétuellement à flux tendus. Encore un nouveau défi à relever pour optimiser la qualité des soins ? L’avenir nous éclairera…
* Maître de conférences en sciences infirmières (CNU 92), chercheuse associée au Réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec (Rrisiq), membre invitée du Centre d’innovation en formation infirmière (Cifi).
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts.
* Ministère des Solidarités et de la Santé, Formations des professions de santé. Profession aide-soignant. Recueil des principaux textes relatifs à la formation conduisant au diplôme d’État, 2021, éd. Berger-Levrault