L'infirmière n° 021 du 01/06/2022

 

JE ME FORME

JURISPRUDENCE

Gilles Devers  

avocat à la Cour de Lyon

Accident de service non qualifié, escalade thérapeutique fatale, décès causé par une chute et surveillance… Voici trois décisions de jurisprudence de ces derniers mois que nous avons retenues*.

ESCALADE THÉRAPEUTIQUE ET MISE EN JEU DU PRONOSTIC VITAL

Dans un contexte mettant en jeu le pronostic vital, et alors qu’aucune autre prise en charge thérapeutique n’est envisageable, l’option restante est l’« escalade thérapeutique », avec des risques de complications (cour administrative d’appel de Paris, 3e chambre, 15 février 2022, n° 20PA02582).

Faits

Une enfant de 9 ans, qui souffrait de douleurs abdominales, de vomissements et d’une forte fièvre, a été hospitalisée le 18 juillet 2007 au sein du service des urgences de l’hôpital Robert-Debré (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP) de Paris. Un syndrome néphrotique a été diagnostiqué et traité par corticothérapie dès le 22 juillet. À partir de cette date, et à la suite de rechutes, la fillette a été hospitalisée plusieurs fois en néphrologie. La corticothérapie a été poursuivie et un traitement à base d’immunodépresseurs lui a également été administré. L’enfant a par ailleurs souffert de difficultés respiratoires consécutives à un épanchement pleural, difficultés qui se sont aggravées.

En décembre 2007, la fillette a été transférée en réanimation pédiatrique à l’hôpital Robert-Debré. Le 9 décembre, son état respiratoire s’est encore dégradé. Le 13, la présence d’un Candida albicans et d’un virus respiratoire syncytial ont été mis en évidence. Entre le 17 et le 24, l’état de la patiente s’étant brutalement aggravé, le traitement par corticoïdes a été augmenté et une assistance respiratoire extracorporelle a été mise en place. Le 23, elle a été transférée dans le service de réanimation du département de chirurgie cardiovasculaire de l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Suite à une nouvelle dégradation de son état, une biopsie pulmonaire a été effectuée, laquelle a révélé une fibrose extensive, sans possibilité de récupération.

La réalisation d’une transplantation cœur-poumons a été écartée par un staff multidisciplinaire. Dans la nuit du 6 janvier 2008, l’état de l’enfant s’est aggravé avec la survenue d’un pneumothorax bilatéral compressif. Après retrait de l’assistance respiratoire, la fillette est décédée le 7 janvier.

Argumentation de la mère

La mère soutient, en se prévalant d’études, qu’en cas de corticorésistance et d’absence d’amélioration de la protéinurie, une biopsie rénale doit être réalisée et qu’un surdosage de corticothérapie, a fortiori conjugué à l’administration d’immunosuppresseurs, peut avoir des conséquences particulièrement dramatiques, et entraîner des effets secondaires pulmonaires et infectieux. Dans un contexte de risque infectieux important, majoré dans le cadre de l’administration de doses importantes de corticoïdes, le traitement a entraîné une infection pulmonaire et un syndrome de détresse respiratoire aiguë dans les 48 heures qui ont suivi l’injection du produit. De plus, la survenance n’a été contrôlée que tardivement par la réalisation d’une biopsie pulmonaire qui a mis en évidence l’existence d’une fibrose, sans espoir de récupération en l’absence d’alvéoles. Aussi, ce n’est pas l’état antérieur de l’enfant et l’absence d’alternative aux traitements administrés qui a conduit au décès, mais les trop forts dosages de corticoïdes et le choix de prescrire du rituximab.

Expertise

Le décès de la fillette est survenu dans un contexte d’insuffisance respiratoire aiguë associée à des insuffisances cardiaque et rénale sévères. Plusieurs facteurs ont pu intervenir dans l’explication de ce syndrome : un œdème pulmonaire par surcharge chez une patiente anurique et néphrotique, une surinfection pulmonaire virale et possiblement mycotique ainsi que bactérienne à l’occasion d’un sepsis à point de départ digestif, une décompensation cardiaque aiguë et une pneumopathie interstitielle aiguë secondaire au rituximab.

Eu égard à la gravité de la maladie sous-jacente, à savoir un syndrome néphrotique sévère corticodépendant, il n’existait malheureusement pas d’autre possibilité pour tenter de sauver la petite patiente qu’une « escalade thérapeutique », quand bien même celle-ci devait avoir pour conséquence attendue une immunodépression importante et un risque infectieux consécutif difficilement évitables, sans possibilité de contrôle in fine du processus pathologique. Aussi, l’administration de traitements immunosuppresseurs était tout aussi nécessaire qu’inévitable.

Analyse

Dans un contexte mettant en jeu le pronostic vital, où aucun autre choix de prise en charge thérapeutique n’était envisageable, le risque de complication infectieuse pulmonaire qui s’est réalisé, entraînant un œdème pulmonaire puis une défaillance respiratoire nécessitait, sans alternative possible, l’administration d’un traitement immunosuppresseur. Le diagnostic et le traitement ont été rapides et les thérapeutiques proposées font partie des choix classiques recommandés. La surveillance clinique et biologique a été constante, tant au cours des différentes hospitalisations qu’à domicile.

La défaillance respiratoire a été observée au cours de l’hospitalisation et a justifié le transfert rapide de la petite fille en réanimation sans qu’une faute n’ait été commise du fait de l’absence de réalisation précoce de biopsies rénale et pulmonaire, le choix ayant été fait, à juste titre, d’administrer des corticoïdes. Aussi, la prise en charge a été conforme aux règles de l’art et aux données acquises de la science à l’époque des faits. Les protocoles suivis ont été conformes à ceux attendus et il n’y a eu aucune perte de chance pour l’enfant de se soustraire à l’issue fatale du fait de l’AP-HP.

DÉCÈS CAUSÉ PAR UNE CHUTE, ABSENCE DE FAUTE

Une patiente âgée est décédée suite à une chute, mais l’examen ne montre aucune faute, que ce soit dans la gestion des barrières du lit, dans la surveillance et dans le traitement (cour administrative d’appel de Nantes, 3e chambre, 17 décembre 2021, n° 20NT03630).

Faits

Le 22 février 2013, une dame âgée de 86 ans a été hospitalisée à la suite d’un épisode de dyspnée au service des urgences d’un centre hospitalier, à la demande de son médecin traitant, en raison d’une « forte diarrhée et d’une anorexie qui peuvent faire craindre une déshydratation, une dégradation rapide avec risque de chute ». Après avoir été transférée au pôle de gériatrie, elle a ensuite été admise dans le service de cardiologie de l’hôpital puis en oncohématologie après la découverte d’un lymphome. Le 10 avril 2013, à 20 h, la patiente a été retrouvée à terre, près de son lit, et son décès sera constaté le lendemain à 5 h 45.

Analyse

Infection nosocomiale. Selon le rapport d’expertise, une infection nosocomiale a été constatée le 8 mars 2013 et traitée jusqu’au 18 mars, mais elle n’a pu être jugulée. L’expert conclut à l’absence de lien entre cette infection et la cause du décès, lequel est exclusivement dû à la chute qui s’est produite le 10 avril. En particulier, la famille ne saurait soutenir que l’infection nosocomiale a eu pour effet d’augmenter la douleur et la fatigue de la patiente, ralentissant le processus de guérison, alors que l’intervention cardiaque pratiquée le 28 février 2013 a révélé que celle-ci souffrait d’un lymphome de haut grade, justifiant son admission en service d’oncohématologie, et pour lequel un traitement par corticoïdes et une chimiothérapie, commencée le 27 mars, ont été mis en place, qu’elle a ensuite été traitée pour un syndrome de lyse tumorale et qu’elle présentait une aplasie.

Défaut de surveillance. La patiente avait déjà chuté de son lit les 1er et 4 avril 2013, mais sans gravité. Toutefois, en raison de ces chutes, et ainsi que le mentionnent les fiches de prescription quotidienne, des barres de lit devaient être installées. Le 10 avril 2013, lors de la troisième chute qui a occasionné un traumatisme crânien et qui est la cause probable du décès, les barrières de lit n’étaient pas installées. Néanmoins, elles avaient bien été mises en place ce jour-là mais ont été retirées par la fille de la patiente, qui ne les a pas remises en partant à 18 h, ni informé les soignants de son départ. Alors que le rapport d’expertise du 23 mars 2016 précise que la surveillance de la patiente a été conforme jusqu’au dernier jour, il n’est pas prouvé que le personnel médical a manqué à son devoir de surveillance en ne passant pas dans la chambre entre 18 h, heure de départ de sa fille, et 20 h, heure de constatation de la chute. Dès lors, la chute ne peut être imputable à un défaut d’organisation du service et ne saurait être regardée comme constituant une faute susceptible d’engager la responsabilité.

Prise en charge après la chute. Il résulte des fiches de suivi de la patiente qu’après sa chute, un hématome du cuir chevelu sans plaie a été constaté et qu’une surveillance par l’échelle de Glasgow a été mise en place toutes les heures pendant quatre heures, puis une fois toutes les deux heures, conformément aux préconisations de l’interne de garde. Selon ces mêmes pièces, pour assurer une meilleure surveillance, la porte de la chambre est restée ouverte à la demande de la patiente, laquelle parlait à l’équipe médicale à chacun de ses passages dans les couloirs. Cette surveillance a permis de noter un trouble de la conscience vers 5 h 20, heure à laquelle l’interne de garde a été appelé, et l’évolution défavorable a ensuite été très rapide, le décès ayant été constaté 25 minutes plus tard, soit à 5 h 45.

Selon l’expert qui a sollicité l’avis d’un neurochirurgien, cette évolution n’aurait pas permis de réaliser un scanner cérébral. Par suite, aucune faute ne peut être retenue à ce titre contre l’équipe.

MAUVAISES CONDITIONS DE TRAVAIL OU ACCIDENT DE SERVICE ?

La désorganisation récurrente du service ne constitue pas un événement soudain mais des désagréments habituels, et un échange vif entre le cadre et l’infirmière, quand bien même il aurait déclenché l’effondrement psychique de cette dernière, ne peut être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service (cour administrative d’appel de Bordeaux, 2e chambre, 23 décembre 2021, n° 19BX02955).

Rappel

Selon la jurisprudence, un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d’un accident de service.

Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel accident, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce.

Faits

Une infirmière puéricultrice titulaire affectée depuis 2008 au bloc pédiatrique de l’hôpital Purpan, du CHU de Toulouse, a été orientée le 19 mai 2017 par le service de santé au travail vers son médecin traitant, lequel lui a prescrit le même jour un arrêt de travail jusqu’au 31 mai 2017 pour anxiété et dépression. Cet arrêt de travail a été prolongé à plusieurs reprises jusqu’au 31 décembre 2017. La soignante a déclaré un accident du travail survenu le 19 mai 2017 en invoquant un effondrement lors de la consultation avec le médecin du travail après avoir, lors de sa prise de service entre 8 h et 9 h et alors qu’elle s’était déclarée gréviste pour le reste de la journée, été confrontée « encore une fois à un manque de matériel, à une désorganisation du service et à une réflexion de l’encadrement ». Par une décision du 19 décembre 2017, le directeur de l’établissement a rejeté sa demande.

Analyse

Mauvaise organisation du service. Il ressort des pièces du dossier, notamment d’une expertise réalisée en juillet 2016 à la demande du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des témoignages de collègues de la soignante, que les conditions de travail au bloc pédiatrique étaient difficiles depuis plusieurs années, avec des locaux insuffisants et une gestion à flux tendu des salles d’opération générant des difficultés d’organisation pour la prise en charge des urgences et des tensions au sein du personnel, du matériel inadapté à la taille des enfants imposant un surcroît de travail pour pouvoir les installer en salle d’opération, et des départs du service ayant conduit à une surreprésentation des infirmiers non formés à la technicité particulière du bloc pédiatrique, avec un alourdissement des tâches de vérification et de formation incombant à leurs collègues plus expérimentés.

La pénibilité du travail précisément décrite par l’infirmière puéricultrice n’apparaît pas contestable. Toutefois, le manque de matériel et la désorganisation mentionnés dans la déclaration d’accident du travail ne constituent pas un événement soudain mais des désagréments habituels. Par conséquent, ils ne peuvent être reconnus dans le contexte d’un accident de service.

Échange verbal avec le cadre de santé. La soignante fait également valoir un échange verbal « extrêmement violent » avec le cadre de santé, mais elle n’en apporte aucune preuve. Le cadre de santé fait état d’un échange banal sur l’organisation du travail, et cet échange, quand bien même il aurait déclenché l’effondrement psychique de l’infirmière, ne peut non plus être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service.

* Sources : Objectif Soins & Management, n° 285, février-mars 2022 et n° 286, avril-mai 2022.