NOUVEAU QUINQUENNAT, NOUVEAU SOUFFLE ? - Ma revue n° 021 du 01/06/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 021 du 01/06/2022

 

PERSPECTIVES

JE DÉCRYPTE

POLITIQUE DE SANTÉ

Adrien Renaud  

Le deuxième mandat d’Emmanuel Macron s’ouvre sur la promesse d’un renouveau sanitaire… que les infirmières accueillent avec scepticisme. Le président réélu n’arrive visiblement à convaincre ni de la réalité de sa volonté transformatrice, ni de celle de ses marges de manœuvre.

Pas facile d’incarner le changement quand on a derrière soi cinq ans de gestion particulièrement mouvementée d’un système de santé unanimement décrit comme étant à bout de souffle. C’est pourtant le défi que s’est lancé Emmanuel Macron en érigeant durant sa campagne la santé en « chantier prioritaire » de son deuxième quinquennat, allant jusqu’à s’engager à « changer de méthode ». Au menu des promesses, retenons des embauches à l’hôpital et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), de grandes concertations territoriales sur les déserts médicaux, un tournant en faveur de la prévention, etc. (lire l’encadré). Autant d’éléments qui devraient entrer en résonance avec les aspirations infirmières… si celles-ci n’avaient pas déjà perdu une grande partie de leur puissance ces dernières années.

Car quand on leur tend le micro, les représentants de la profession ne cachent pas leur inquiétude sur les années à venir qu’ils envisagent marquées par la pénurie, et ne voient pas ce que les belles paroles de meeting électoral pourraient y changer. « On ne peut pas dire que rien n’a été fait lors du quinquennat précédent, mais le choc d’attractivité promis par le Ségur n’est pas là, note Céline Durosay, infirmière au CH de Belfort et secrétaire adjointe du syndicat Coordination nationale infirmière (CNI). On n’en est plus à boucher quelques trous, on n’arrive plus à recruter, et les embauches promises lors de la campagne risquent bien de n’être qu’un vœu pieux. »

Un constat encore plus sévère pour Noémie Banes, infirmière aux urgences d’Oloron-Sainte-Marie et présidente du Collectif Inter-Urgences (CIU). « Il n’y a eu que des effets d’annonce, et aujourd’hui, la seule chose que l’on constate, c’est qu’il y a de plus en plus de services d’urgences qui ferment. Ce ne sont pas des cas isolés, cela concerne l’ensemble du territoire, et c’est une situation qu’on n’aurait jamais imaginé avoir à vivre lorsque nous avons lancé le collectif, il y a trois ans. »

INERTIE ET CONTINUITÉ

Selon bien des voix infirmières, le problème fondamental, c’est que loin d’être en mesure de susciter un grand soir capable de transfigurer le système de santé, le programme santé du président semble s’inscrire dans la continuité de l’action qu’il mène depuis cinq ans. Ce qu’illustre, parmi divers exemples, le dossier des infirmières en pratique avancée (IPA). « Ce qu’on peut regretter, c’est une certaine tiédeur », estime Tatiana Henriot, infirmière en pratique avancée libérale francilienne et présidente de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa). Celle-ci reconnaît à la majorité sortante le mérite d’avoir sorti le dossier de « la pile à traiter », mais estime que « tout prend trop de temps » et regrette que « si beaucoup de choses sont annoncées sur le papier, rien n’est acté dans la vraie vie ». Et d’estimer qu’il serait temps que les autorités sanitaires « enclenchent la deuxième vitesse ».

Et les IPA sont loin d’être les seules à reprocher au président réélu sa trop grande inertie. « Je n’ai pas le sentiment que les difficultés dans lesquelles se trouvent nos établissements sont perçues à leur juste niveau, note Francis Mangeonjean, directeur des soins au centre psychothérapeutique de Nancy et président de l’Association française des directeurs de soins (AFDS). Nous avons de plus en plus de soucis, notamment en termes de démographie médicale et paramédicale, et je ne vois pas bien, dans ce qui est proposé, ce qui pourrait changer la donne. »

ENTRE IMPRESSIONNISME ET IMPUISSANCE

En plus d’être jugées trop peu énergiques, les mesures proposées par Emmanuel Macron au cours de sa campagne sont également critiquées pour leur caractère quelque peu impressionniste. « Le président a annoncé une concertation sur les déserts médicaux, mais on ne sait pas encore comment elle va se tenir et on en est à espérer que ce sera une vraie concertation, prévient Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). De même, il a parlé d’un statut d’infirmier référent, qui est une demande récurrente de notre part, mais il faut voir ce qu’il y a derrière, car nous craignons qu’il s’agisse pour lui d’un infirmier qui orienterait les patients sur le territoire et non d’un véritable infirmier de famille. »

Et ce n’est pas tout : nombre de représentants de la profession ne se contentent pas de critiquer le manque d’ambition et de précision des promesses ; ils déplorent également leur côté irréaliste, notamment concernant le grand plan de recrutement maintes fois évoqué lors de la campagne. Ce dernier se heurte en effet à la dure réalité du manque de bras chez les paramédicaux. « On peut faire tous les plans de recrutement que l’on veut, cela ne sert à rien tant qu’on n’a personne à mettre dans les blouses », se désole Dominique Combarnous, cadre supérieure de santé aux Hospices civils de Lyon (HCL) et présidente de l’Association nationale des cadres de santé (Ancim). « On peut promettre de créer des postes infirmiers par dizaines de milliers, mais cela n’a pas grand sens tant que nous ne parvenons pas à pourvoir nos postes vacants », pointe de son côté Francis Mangeonjean. Face à une telle situation, même les plus militants semblent gagnés par la désespérance. Lorsqu’on lui demande quelle devrait être la première mesure sanitaire du président réélu, Céline Durosay, du CNI, répond qu’elle n’a « pas envie de dire que c’est de recruter car justement, on n’arrive pas à recruter ». Un sentiment de lassitude que partage Noémie Banes. « On commence à avoir du mal à mobiliser, les gens sont fatigués, n’ont plus l’énergie collective pour lutter », constate la soignante, dont le CIU a pourtant été, avant la crise sanitaire, le fer de lance d’une mobilisation historique en faveur de l’hôpital public.

ALLÔ, J’ÉCOUTE ?

En d’autres termes, la profession semble ne plus croire au Père Noël, si tant est qu’elle y ait jamais cru. Mais cela ne signifie pas que les infirmières sont à court d’idées pour améliorer leur sort et celui de leurs patients. Et la bonne nouvelle, du point de vue du gouvernement, c’est que certaines des propositions que leurs représentants entendent mettre sur la table ne coûtent pas les yeux de la tête. Selon bien des organisations infirmières, tout commence en effet par une action simple : écouter.

Pour Anne-Hélène Decosne, présidente de la Fédération française des infirmières de coordination (Ffidec), « les professionnels de terrain ne sont pas juste des exécutants, ils ont une vision. Il faut pouvoir les entendre, il faut qu’ils soient représentés ». L’une des clés de l’attractivité passerait donc par une réforme de la gouvernance. « Si l’on redonnait un peu de voix et de poids au personnel dans les hôpitaux, on y arriverait mieux », confirme la secrétaire adjointe du CNI. L’idée étant qu’il sera plus facile de recruter si les postes à proposer garantissent aux candidats que leur parole sera entendue. « On parle beaucoup de médicaliser la gouvernance, ce qui est très bien, mais il faudrait aussi mieux intégrer les paramédicaux à tous les étages. Ils représentent 80 % du personnel mais n’ont que quelques sièges dans les directoires », ajoute Francis Mangeonjean qui estime qu’une représentation comprenant un tiers d’administratifs, un tiers de médecins et un tiers de paramédicaux serait préférable à la situation actuelle où « deux acteurs dictent ce qu’ils doivent faire » à l’immense majorité des personnes travaillant à l’hôpital. « Je suis intimement persuadé qu’un professionnel, quand il a le sentiment d’influencer son environnement, est plus engagé dans son exercice », veut croire le Nancéen.

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

Autre grande demande de la profession, qui permettrait de redonner du lustre à un métier qui en a bien besoin pour attirer de nouveaux collègues : décharger les infirmières de tâches annexes au soin qui prennent du temps et les éloignent des patients. « La première attente du personnel, ce n’est pas les salaires, même si cela a son importance, mais d’avoir du temps pour le soin, affirme Céline Durosay. Il faudrait parvenir à nous décharger au niveau administratif, de la gestion des stocks de médicaments et de matériel, des entrées et des sorties… » Une demande qui vaut pour toutes les strates de la profession. « Les cadres font les commandes de la direction, du chef de pôle, de la cadre supérieure ou de la DSI, elles remplissent des tableaux de bord pour les uns et les autres, et sont donc tiraillées entre diverses priorités », déplore Dominique Combarnous, de l’Ancim.

Quoi qu’il en soit, il est légitime de se demander si ces revendications sur la gouvernance et le poids des tâches administratives, déjà anciennes, ont plus de chance d’être entendues avec le quinquennat qui s’ouvre. « Entre la crise sanitaire que nous venons de vivre et la récente crise médiatique dans les Ehpad, il y a actuellement trop d’indicateurs pour que le futur gouvernement ignore les choses, répond Anne-Hélène Decosne, de la Ffidec. De toute façon, s’ils ne bougent pas, on va droit dans le mur. » Même analyse côté libéral. « La problématique des déserts médicaux va contraindre les autorités à faire bouger les lignes », estime Daniel Guillerm, de la FNI.

Mais cette (faible) lueur d’espoir ne doit pas être surestimée : si les infirmières étaient vraiment entendues, les mesures qu’elles préconisent ne créeraient pas instantanément de nouvelles collègues. « Nous n’avons pas de solution à court terme. Nous allons devoir gérer la situation d’abord avec nos moyens », avertit Francis Mangeonjean, ajoutant que la situation cet été sera « très inconfortable » dans les établissements, et prévoit de nombreuses fermetures de services pour faire face au manque de personnel. Reste à savoir si l’été 2022 sera le dernier sous le signe de la pénurie.

Des orientations encore floues

Le moins que l’on puisse dire, c’est que lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron n’a pas été très précis sur les orientations qu’il souhaite prendre en matière de santé. Et le fait que ses concurrents n’ont pas fait preuve de plus de clarté et que le flou programmatique n’a pas été l’apanage du secteur sanitaire ne sont pas de nature à dissiper le brouillard dans lequel se trouvent actuellement les soignants quant à ce qui les attend pour les cinq prochaines années. Le programme du locataire de l’Élysée prévoyait bien pour l’hôpital un « plan de recrutement d’infirmiers et d’aides-soignants », mais on n’a aucune idée de l’ampleur ou des modalités qu’il revêtira. Concernant les Ehpad, un objectif chiffré est au moins sur la table : « Recruter 50 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires » d’ici 2027. Mais la façon dont le président compte s’y prendre pour trouver ces 50 000 professionnels dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre généralisée reste un mystère. Autre priorité de la campagne, la lutte contre les déserts médicaux qui doit, d’après le programme officiel, faire l’objet d’une « conférence des parties prenantes » réunissant « patients, professionnels et élus locaux » afin de « construire les solutions locales et nationales » devant « assurer l’accès aux soins pour tous ». Le moins que l’on puisse dire c’est que ces formulations larges et générales laissent le champ libre à l’imagination. De manière paradoxale, c’est la partie liée à la prévention, pourtant peu habituée à se trouver sous les projecteurs, qui est la plus développée dans les maigres orientations données par le document synthétisant les mesures que le président-candidat entendait prendre durant ce deuxième quinquennat : « détection précoce des écarts de développement » pour les enfants, « bilan de santé complet et gratuit » à 25, 45 et 60 ans, « plans de détection et de prévention relatifs à la santé mentale, à l’infertilité, à la drépanocytose… ». Mais là encore, la question de la méthode et des moyens reste en suspens.