L'infirmière n° 021 du 01/06/2022

 

PATIENTÈLE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

ORGANISATION

Laure Martin  

Pour faciliter la mise en relation entre les infirmières libérales et les patients, de nombreuses solutions d’adressage coexistent sur le marché. Mais quels sont les avantages de tels outils ? Et quel est leur coût ?

Les outils de mises en relation entre Idels et patients sont de plus en plus nombreux. Derrière ces solutions, une même volonté affichée : améliorer l’attractivité des Idels et faciliter la prise de rendez-vous pour les patients, ainsi que pour les établissements à la recherche de libérales en permettant l’adressage. C’est le cas de la plateforme Inzee.care, majoritairement détenue par la Fédération nationale des infirmiers, montée par des infirmiers et financée, dans certaines régions, par les Unions régionales des professionnels de santé (URPS) infirmiers libéraux. « Nous avons créé cette solution pour éviter l’ubérisation de la santé avec l’émergence des plateformes de prises de rendez-vous en ligne payantes », fait savoir Abdel Iazza, Idel et cocréateur de la plateforme. De leur côté, les deux fondateurs de Medicalib se sont inspirés des retours de terrain de la mère de l’un d’eux, infirmière libérale, qui passait régulièrement avec son fils beaucoup de temps à rappeler des patients alors qu’elle n’intervenait pas dans leur secteur, ne réalisait pas les soins demandés, ou que d’autres soignantes les avaient déjà contactés. « Nous nous sommes dit qu’il y avait forcément une offre à proposer pour faire gagner du temps aux professionnels de santé et mieux orienter les patients », rapporte Nicolas Baudelot, l’un des fondateurs. Fin 2016, le binôme commence à développer un service pour simplifier la prise de rendez-vous du côté des patients et des professionnels. Un point de vue similaire à celui de Florence Herry, infirmière qui a travaillé à l’hôpital et en service de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Ses modes d’exercice qui lui ont fait prendre conscience de la grande différence entre le domicile et l’hôpital « sans qu’aucune valorisation du travail des Idels ne soit effectuée, regrette-t-elle. Face à ce point de rupture pour le patient lorsqu’il doit identifier le professionnel dont il a besoin pour ses soins, Libheros propose une solution. »

LE FONCTIONNEMENT

Visibilité, orientation, accessibilité, disponibilité, facilitation du parcours de soins, gain de temps pour les patients et pour les soignants : les ambitions de ces solutions d’adressage sont nombreuses. « Contrairement aux plateformes dédiées aux médecins, qui peuvent fixer des rendez-vous précis directement car ils ont des consultations fixes à leur cabinet, les plateformes pour les Idels font davantage de l’adressage car les soignantes doivent répondre à une double problématique, à savoir se déplacer au domicile des patients et réaliser des soins sur des durées variables », rappelle Abdel Iazza, précisant que 30 000 libérales sont inscrites sur Inzee.care.

Mais comment fonctionnent ces solutions ? Quelle que soit la solution, l’organisation est quasi similaire. Ainsi, toutes répertorient l’ensemble des infirmières libérales qui sont sur le site de l’Assurance maladie ; une obligation pour les sites de santé accessibles au grand public, notamment pour répondre à l’exigence du libre choix. Ensuite, selon les plateformes, les Idels s’inscrivent ou non, et doivent parfois payer un abonnement pour pouvoir remplir leur profil et acquérir une visibilité. Renseigner son profil implique pour la soignante de délimiter sa zone d’intervention, préciser les soins qu’elle réalise ainsi que les spécificités de sa prise en charge. Certaines solutions proposent d’ajouter l’âge des patients qu’elle accepte de prendre en charge, lui évitant ainsi de recevoir des demandes qu’elle ne pourrait satisfaire. « L’intérêt pour l’Idel est multiple, souligne Abdel Iazza. Elle ne va pas être sollicitée pour des soins qu’elle ne sait pas ou ne veut pas faire, ou des demandes qui ne se situent pas sur son secteur, ce qui lui évite de perdre du temps. »

De son côté, le patient remplit son profil, sans obligation d’inscription, rentre les informations sur ses soins, ses disponibilités, la date de début de la prise en charge et sa durée. La plateforme s’occupe ensuite de la mise en relation.

LA MISE EN RELATION

Avec Inzee.care, le patient reçoit sur son application une liste de toutes les Idels qui correspondent à sa demande, en tenant compte des soins demandés et de son adresse, « ce qui permet de respecter son libre choix », indique Abdel Iazza. L’algorithme va ensuite envoyer une demande à l’infirmière la plus proche, par mail, par SMS ou par notification. En fonction des URPS, l’Idel a entre 15 minutes et 1 heure pour répondre avant que la demande ne soit envoyée à la deuxième soignante de la liste. Celle qui accepte la prise en charge contacte alors le patient pour fixer un rendez-vous.

Du côté de Libheros, pour faire partie de la communauté, la professionnelle de santé doit s’inscrire, gratuitement, sur le site. Puis, quand un patient recherche une infirmière, il va pouvoir choisir dans une liste de soignantes qui effectuent les soins demandés et qui fait, là aussi, concorder les disponibilités et la distance. L’algorithme se charge d’envoyer la demande à la première Idel de la liste, laquelle dispose alors de 30 minutes pour répondre avant que la demande ne soit envoyée à la deuxième professionnelle de santé de cette liste.

Chez Medicalib, lorsque la demande du patient est validée, elle est envoyée aux deux infirmières les plus proches du domicile de la personne en termes de géolocalisation. La soignante a alors 15 minutes pour donner suite. « En moyenne, nous parvenons à trouver une Idel en 20 minutes », se félicite Nicolas Baudelot.

Mais dans certains cas, il arrive que les mises en relation échouent. Soit parce qu’il n’y a pas d’infirmière libérale sur le secteur demandé, soit en raison des soins demandés. En effet, « pour des soins ponctuels, avec peu de récurrence et une rémunération faible, il est plus difficile de trouver des Idels », reconnaît le cofondateur de Medicalib. C’est notamment le cas pour l’ablation de points uniques non liée à des pansements, des injections uniques ou encore des prélèvements sanguins. « Nous incitons alors les personnes à demander un rendez-vous directement au cabinet », indique-t-il, précisant qu’à la mi-mars de cette année, 800 000 patients et professionnels de structures ont eu recours à la plateforme depuis sa création. De même, plus de 12 000 professionnels de santé sont abonnés, dont 90 % d’infirmières sur l’ensemble du territoire métropolitain et à La Réunion.

Mais les solutions de mises en relation travaillent également avec des établissements hospitaliers, des cliniques, des laboratoires de biologie médicale ou encore des prestataires de santé à domicile qui ont besoin d’Idels pour prendre en charge des patients en sortie d’hospitalisation ou pour la réalisation de soins techniques.

LE COÛT

Libheros a fait le choix de la gratuité car « notre volonté est de faciliter l’accès aux soins tout en mobilisant des professionnels de santé partout en France », indique Florence Herry. Le modèle économique repose donc sur trois autres piliers. Tout d’abord, une communauté de 22 000 professionnels de santé (kinésithérapeutes, sages-femmes et 90 % d’infirmières) mobilisés par des acteurs tiers, à savoir des hôpitaux, auxquels Libheros vend l’outil. Ensuite, les laboratoires pharmaceutiques avec lesquels l’entreprise travaille sur des programmes d’accompagnement qui requièrent la mobilisation des Idels au domicile des patients. Cela peut-être, par exemple, mener des entretiens de patients atteints d’asthme sévère portant sur la bonne compréhension de leur maladie ou l’observance thérapeutique. À noter qu’en fonction des projets et de la réglementation, la libérale peut être amenée à faire des déclarations d’intérêt. Enfin, dernier acteur sollicité : les entreprises, pour divers types d’actions comme des campagnes de vaccination. « Les Idels participent ainsi à des actions innovantes pour la prise en charge, que ce soit à domicile ou en entreprise, explique Florence Herry. Cela les valorise et leur permet de diversifier leur activité. » Des activités annexes également proposées par Medicalib, qui elle, est payante. Pour l’usage de la solution, l’Idel doit débourser 25 euros par mois, auxquels s’ajoutent 10 euros pour pouvoir recevoir des demandes sur un autre téléphone du cabinet.

Pour Inzee.care, le coût est variable. À ce jour, la solution est financée par sept URPS et une ARS(1). « Indirectement, les Idels la paient puisqu’elles cotisent à l’URPS », rappelle Abdel Iazza. Dans les régions qui financent l’outil, l’offre a déployé des partenariats avec des hôpitaux. « On ne peut pas nous taxer de compérage car dans ces régions, toutes les Idels peuvent s’inscrire gratuitement sur la plateforme », souligne-t-il. Dans les autres régions, une offre à 19,99 euros par mois est proposée aux infirmières pour le service de mise en relation, une page web dédiée, le formulaire de rendez-vous pour les patients et l’accès au module de téléconsultation ; une solution éligible à l’aide forfaitaire de 350 euros par an versée par l’Assurance maladie pour l’équipement de vidéotransmission.

Note

1. URPS Île-de-France, Centre-Val de Loire, Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne-Franche-Comté, Guadeloupe, Grand Est, et l’ARS Occitanie.

TÉMOIGNAGE

“Ces outils m’ont permis d’augmenter ma patientèle”

Vasco Philippe Passy, Idel dans les Yvelines.

« Lorsque j’ai débuté mon activité en mars 2021, j’ai suivi la pratique de mes collègues, mais cela ne me correspondait pas forcément. Puis, par l’intermédiaire de certains, j’ai découvert Libheros et Medicalib. Aujourd’hui, je me sers de ces deux outils. J’apprécie le fait que nous puissions nous présenter, expliquer les soins que nous sommes aptes à réaliser. Et puis nous pouvons mettre notre photo, les patients savent donc à qui ils ont affaire. Ils peuvent mettre un visage sur un nom. Libheros me donne surtout la possibilité d’être contacté par des prestataires. L’équipe m’a aussi orienté vers des missions de vaccinations en zone de montagne dans le cadre de la crise sanitaire. C’était vraiment intéressant de pouvoir exercer ailleurs. Quant aux patients, ils vont davantage avoir recours à Medicalib. Dans tous les cas, ces outils m’ont permis d’augmenter ma patientèle. Les deux me conviennent vraiment, car dans le cadre de mon exercice, ils ne ciblent pas les mêmes personnes. »

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN Par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

[De quelle dignite parle-t-on ?]

« Depuis que j’ai fait cet accident vasculaire cérébral, j’ai perdu toute dignité. » C’est avec ces mots que ce patient de 65 ans, habituellement enjoué, accueille ce matin l’infirmière libérale. Il est autonome pour certains actes de la vie quotidienne, sauf pour se laver et s’habiller, et il se déplace en fauteuil roulant. La veille, il a entendu sa fille, venue lui rendre visite, dire à sa femme que cette situation n’était pas une vie pour lui ! Mais qui peut juger de la vie d’autrui, de son sens ? Parfois, c’est en s’imaginant à la place de l’autre que nous l’assignons à une place où il ne se reconnaît pas. C’est parfois le soignant qui n’a pas compris que le patient a trouvé un autre sens à sa vie malgré la maladie, les altérations corporelles. La dignité peut-elle se perdre, notamment du fait de la maladie, du handicap, de la vieillesse ?

Mais de quelle dignité parle-t-on ? Si l’en est une qui peut être éphémère et se perdre, on le voit bien en politique, c’est celle des « dignitaires » d’un jour, qui ne sont pas les « dignitaires » de toujours. Celle dont nous parlons, énoncée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, est intrinsèque à tous, inconditionnelle et ne peut donc se perdre : « Tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits. » Cette conception relève d’une approche humaniste dans une société qui s’honore. Respecter la dignité de l’autre s’exprime aussi par les paroles, le regard en miroir que chacun lui porte et l’image qu’il lui renvoie. Ce regard qui peut l’enfermer dans un corps abîmé, lui faire perdre le sentiment de dignité, comme l’exprime ce patient, et non sa dignité, ou au contraire le libérer de ce fardeau ou tout du moins l’alléger. Les proches, souvent parce qu’eux-mêmes sont en souffrance, ou les soignants, n’ont pas toujours conscience que certains mots ou regard, voire l’absence de regard, peuvent être néfastes et causes d’un sentiment d’absence de dignité.