L'infirmière n° 022 du 01/07/2022

 

DISPOSITIF D’APPUI

J’EXPLORE

COORDINATION

Laure Martin  

En Corse, les Idels disposent depuis l’automne 2021 d’une aide à la prise en charge des plaies complexes grâce à un pool d’experts médecins et infirmiers des hôpitaux d’Ajaccio et de Bastia, et des libéraux. Une expérimentation qui permet de pallier, notamment, la problématique de la désertification médicale.

Cica’Corse a vu le jour grâce à Clarisse Goux, infirmière libérale (Idel) investie pour sa profession, élue à l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers de Corse et titulaire d’un diplôme universitaire (DU) Plaies, brûlures et cicatrisation. Alors qu’elle souhaite s’engager davantage dans cette spécialité, à la même période le Parlement adopte la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 et introduit l’article 51, qui offre la possibilité d’expérimenter de nouvelles organisations reposant sur des modes de financement inédits, dès lors qu’elles contribuent à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé, l’accès aux soins ou encore la pertinence de la prescription des produits de santé. « En prenant connaissance de ce texte, j’ai souhaité l’exploiter dans le cadre d’un projet ayant trait au domaine des plaies et cicatrisation, soutenue notamment par le bureau de l’URPS », explique Clarisse Goux(1).

COLLECTIF D’EXPERTS INFIRMIERS ET MÉDECINS

Cica’Corse(2) est un dispositif de coordination, d’aide et d’appui aux équipes de terrain salariées (centres de soins, services de soins infirmiers à domicile, hospitalisations à domicile, hôpitaux) et libérales en difficulté dans la prise en charge d’une personne porteuse d’une plaie chronique. L’appui se traduit par la mise en place de la téléconsultation avec une expertise au plus près du patient. Ce réseau d’experts, qui regroupe des acteurs hospitaliers et libéraux de toute la Corse, a été créé avec l’appui de l’Agence régionale de santé de l’île et de la Fédération Corse pour la coordination et l’innovation en santé (FCCIS), notamment pour les besoins de la population isolée. Le collectif d’experts, rémunérés au forfait (385,89 euros par patient par épisode de soins) est composé en première ligne des infirmières formées en plaies et cicatrisation et, en seconde ligne, des médecins experts. « Dans l’article 51 de 2018, il n’est pas question de délégation d’actes, précise Clarisse Goux. Nous avons donc également dû mettre en œuvre un protocole de coopération prévu par l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé, territoire de 2009 afin de permettre aux médecins experts de déléguer la réalisation de l’acte d’expertise aux infirmières de la cellule. » « Le binôme médecin-infirmière a toute son importance dans la mesure où le médecin réalise la démarche diagnostique tandis que l’infirmière a, elle, l’expertise des pansements », ajoute Léa Lazzarotto, infirmière au centre hospitalier (CH) d’Ajaccio. Les trois infirmières expertes de l’hôpital sont titulaires d’un DU Plaies et cicatrisation. Et une quatrième soignante est en cours de formation. À terme, elles seront également formées aux protocoles de coopération afin de ne pas avoir à exercer systématiquement en tandem avec le médecin.

PREMIÈRES INCLUSIONS

Les experts, qui ont déjà pris en charge une trentaine de patients depuis septembre 2021, sont principalement sollicités par des infirmières et des médecins libéraux pour des plaies complexes chez des patients en soins palliatifs ou âgés pouvant difficilement se déplacer. Et les problématiques de plaies sont variées : désordres métaboliques, diabète, circulation périphérique altérée, ulcère artériel ou veineux, lésions d’appui, plaies radio-induites ou encore post-traumatiques avec des délabrements cutanés.

À Calvi, Alexandra Calistri, Idel titulaire, et Kim Eude, remplaçante, font appel aux experts de Cica’Corse depuis février 2022 pour une patiente chronique désorientée de 94 ans. « En début d’année, elle a eu des apparitions cutanées au niveau du siège et des parties génitales », fait savoir Kim Eude. Les soignantes, qui pensent alors à une mycose, se tournent vers le médecin traitant, lequel ne sait pas quel protocole mettre en place. « Nous avons essayé de nombreux traitements locaux, sous forme d’ovules ou de crèmes, mais sans amélioration », rapporte Alexandra Calistri. Les deux infirmières souhaitent alors faire appel à un dermatologue, mais « étant dans un désert médical, trouver des spécialistes s’avère compliqué, déplore Kim Eude. De plus, ils refusent souvent la téléconsultation pour une première consultation ». Alexandra Calistri ayant rencontré Clarisse Goux durant la période de campagne de vaccination contre le Covid, elle lui demande si elle connaît un dermatologue. « C’est elle qui m’a parlé de Cica’Corse, et elle m’a expliqué toute la procédure », indique la libérale.

PROTOCOLES EFFICACES

Lorsqu’une Idel souhaite bénéficier du protocole Cica’Corse, elle remplit une demande en ligne, transmet les données concernant le patient (vécu, traitements) et télécharge des photos de la plaie. « Lorsqu’un professionnel libéral nous sollicite pour un avis, nous commençons par étudier le dossier et demandons, si besoin, des informations complémentaires comme des dopplers ou des scanners, explique le Dr François-Xavier Vincentelli, médecin expert au centre hospitalier d’Ajaccio. Cela nous permet de mieux connaître l’origine de la plaie. » Ensuite, l’infirmière coordinatrice organise un rendez-vous en téléconsultation avec les experts via un logiciel sécurisé. Ces derniers proposent alors un protocole, sachant que l’expertise peut parfois les conduire à suggérer des séances de soins en caisson hyperbare ou de la chirurgie. « Lors de la première téléconsultation, les experts ont diagnostiqué une mycose qui avait flambé, rapporte Kim Eude. Ils ont proposé un protocole que nous avons mis en place avec l’accord du médecin traitant qui doit prescrire les traitements préconisés. » Les experts ont également insisté sur l’importance à accorder à l’alimentation de la patiente et sur la nécessité de ne pas trop laver les zones concernées avec du savon lors des soins de nursing. Une deuxième téléconsultation a été organisée 15 jours plus tard pour évaluer les effets du traitement. Trois téléconsultations maximum peuvent être planifiées via le protocole Cica’Corse. « Après plusieurs semaines de traitement, la patiente présente encore des rougeurs et des irritations, mais elles sont moindres, se félicite l’Idel. Sans cette consultation, nous en serions au même stade, voire pire. Vivre et travailler dans un désert médical complexifie les prises en charge, et cette offre est vraiment bénéfique. Nous n’hésiterons pas à y avoir de nouveau recours si besoin. » Si la patiente désorientée ne s’est pas vraiment rendu compte de sa prise en charge, son fils, désemparé par l’état de sa mère et par l’impasse thérapeutique, a en revanche été très satisfait de voir des améliorations trois à quatre jours après la téléconsultation. « Avant la création de Cica’Corse, nous répondions à de nombreuses sollicitations par mail ou par téléphone pour pallier le manque de spécialistes sur le territoire », explique Léa Lazzarotto. Cica’Corse est donc venu reconnaître et sécuriser le travail jusqu’alors mené de manière informelle. Ce protocole permet également de réduire les déplacements et les hospitalisations des patients, donc les coûts, et de diminuer leur perte de chance.

RÉFÉRENCES

1. Martin L., « Clarisse Goux, l’expertise infirmière dans la peau », L’Infirmièr.e, n° 17, février 2022, p. 6-7.

2. « Cahier des charges Dispositif Cica’Corse – projets d’expérimentation d’innovation en santé ». En ligne sur : bit.ly/3wM8W2R

TÉMOIGNAGE

“Le patient était vraiment satisfait de pouvoir échanger avec des spécialistes”

Julie Chanel, Idel depuis neuf ans à L’Île-Rousse (Corse).

« Je prends en charge un patient d’une cinquantaine d’années avec une plaie néoplasique de 20 cm de long et 10 cm de large au mollet liée à un cancer de la peau. Il a refusé une greffe de peau car il est réticent quant à une nouvelle intervention. Sa prise en charge était compliquée et nous ne parvenions à aucune amélioration. Après en avoir parlé avec son médecin traitant, ce dernier a sollicité Cica’Corse. Clarisse Goux s’est chargée d’organiser la prise en charge en téléconsultation. Le patient était vraiment satisfait de pouvoir échanger avec des spécialistes et de discuter du protocole à mettre en place. Depuis la modification du protocole initial par les experts, nous observons une amélioration de l’état de la plaie. »

Cica’Corse, un dispositif de coordination et d’appui d’expertise.