Infection nosocomiale et responsabilité de l’établissement, série de chutes d’un patient âgé durant l’hospitalisation, suicide et surveillance. Voici trois décisions de jurisprudence récentes.
L’absence de diagnostic d’une luxation du cubitus, obligeant une intervention d’ostéosynthèse complexe au cours de laquelle la patiente a contracté une infection nosocomiale, constitue une faute avec au total une responsabilité retenue au taux de 90 % (cour administrative d’appel de Lyon, 6e chambre, 19 avril 2022, n° 20LY02719).
Suite à une chute, une femme a été prise en charge dans un centre hospitalier. La radiographie initiale du 13 juillet 2009 a montré une lésion complexe de l’avant-bras droit, dite de Monteggia, associant une fracture de la partie centrale du cubitus à une luxation de la tête radiale. Toutefois, cette luxation n’a pas été décelée par le praticien qui a assuré la réduction orthopédique le même jour, et la luxation n’a pas été réduite.
Selon l’expert, dans ce type de lésion complexe l’objectif principal est de procéder à la réduction de la luxation de la tête radiale. Mais en raison de l’absence de diagnostic de luxation de la tête radiale et de réduction de celle-ci, l’intervention du 13 juillet a été exécutée en méconnaissance des règles de l’art. Un tel manquement constitue une faute engageant la responsabilité.
Cette faute a rendu nécessaire la réalisation, le 30 juillet 2009, d’une intervention d’ostéosynthèse complexe au cours de laquelle la patiente a contracté une infection à staphylocoque et à Enterobacter cloacae. La faute initiale est donc la cause directe des conséquences dommageables de cette infection. Selon l’expertise, dans 90 % des cas un traitement orthopédique réalisé conformément aux règles de l’art est suffisant pour réduire une fracture de Monteggia. Aussi, le manquement commis par le praticien dans la réduction orthopédique de la lésion a entraîné une perte de chance de 90 % d’éviter l’intervention chirurgicale durant laquelle une mise sous tension du revêtement cutané a été à l’origine d’une nécrose qui a permis la contamination et donc l’infection.
Une série de chutes chez un patient âgé avec des conséquences sérieuses ne suffit pas à engager la responsabilité dès lors que les mesures de prévention et la surveillance étaient adaptées (cour administrative d’appel de Nancy, 3e chambre, 29 mars 2022, n° 20NC00302).
Un homme de 85 ans a été pris en charge au sein du service de médecine polyvalente d’un centre hospitalier universitaire (CHU) le 7 mai 2013 pour une altération de son état général. Dès son arrivée dans l’établissement, il a été installé dans un lit muni de barrières de protection en raison d’un risque important de chute.
Dans la nuit du 9 au 10 mai, le patient est tombé une première fois après être passé par-dessus les barrières du lit. En conséquence, le service a pris de nouvelles mesures, et le patient a ainsi été placé dans un lit bas muni de barrières. Dans la nuit du 14 au 15 mai, en dépit des préconisations de l’équipe soignante, le patient s’est levé seul et est passé par-dessus les barrières, occasionnant une nouvelle chute après qu’il a glissé, lui causant une fracture de l’omoplate droite et une fracture comminutive affectant le grand trochanter et la zone basicervicale du membre inférieur droit. Il a dû subir une première intervention chirurgicale pour poser un clou gamma diaphysaire dans le fémur droit avec verrouillage distal pour ostéosynthèse de la fracture. Mais dans la nuit du 17 au 18 juin, le vieil homme est de nouveau tombé et a été retrouvé assis au sol le 18 juin. Le lendemain, 19 juin, il s’est vu diagnostiquer une fracture du fémur droit. Au final, une prothèse de hanche avec cerclage et plaque vissée a dû être mise en place le 25 septembre 2013.
Il n’était pas acceptable d’imposer des contentions au patient pour l’empêcher de se lever dans la nuit, de sorte que l’instauration de mesures plus contraignantes était impossible. Les mesures protectrices mises en place au sein du service ont, à la suite du deuxième accident et du transfert temporaire dans un autre service, été maintenues.
S’agissant de la troisième chute, aucune déclaration relative à cet événement n’a été établie et cela n’a pas été porté au dossier médical du patient. Il s’agit là de fautes administratives qui ne permettent pas, en revanche, de conclure à une faute de surveillance ou d’organisation de l’établissement de santé qui avait mis en œuvre les mesures de prévention adaptées pour prévenir une chute.
Au total, le centre hospitalier a commis une faute en n’établissant pas de déclaration de chute à la suite de l’accident survenu dans la nuit du 17 au 18 juin 2013, mais cette faute est cependant sans lien avec la survenance de cette chute ni avec le déplacement du clou gamma.
Le suicide d’un patient par pendaison au sein du service n’engage pas la responsabilité dès lors qu’il ne laisse apparaître aucune faute, que ce soit dans la prise en charge médicale ou dans l’organisation des soins (cour administrative d’appel de Lyon, 6e chambre, 17 mars 2022, n° 20LY02430).
Un homme né en 1975, marié et père de deux enfants, a tenté de se suicider à son domicile le 13 février 2016. Il a été admis aux urgences d’un centre hospitalier où il a réitéré sa tentative le 14 février 2016. Il a ensuite été transféré dans une clinique psychiatrique, le 1er mars 2016. Le 15 mars suivant, il a tenté une nouvelle fois de mettre fin à ses jours par pendaison, et a été transféré dans le coma dans un CHU où il est décédé le 18 mars. La veuve reproche à l’hôpital une faute dans le diagnostic et dans le traitement des troubles psychiatriques qui affectaient son mari.
La victime, qui n’avait aucun antécédent psychiatrique, a souffert d’un trouble délirant inaugural de mécanisme interprétatif et de thématique persécutoire avec une dimension dépressive. Après ses deux tentatives de suicide des 13 et 14 février 2016, son état de santé mentale s’est rapidement amélioré avec la disparition des éléments délirants à thème de persécution en lien avec les récents attentats du 13?novembre 2015, de son syndrome dépressif et surtout de ses pensées suicidaires, jusqu’à son passage à l’acte le 15 mars 2016.
Prise en charge. Les éléments relevés dans le dossier médical mettent en évidence des décisions d’hospitalisation et des soins adaptés à la pathologie présentée par le patient, lequel a vu son état s’améliorer rapidement avant une brutale rechute. Les troubles du sommeil ont été correctement pris en charge par une modification du traitement psychotrope. Au cours des tournées effectuées la nuit précédant la tentative de suicide du patient, il a été constaté que celui-ci dormait normalement. Le patient a été maintenu en hospitalisation sous contrainte pendant toute la durée de son séjour hospitalier et a fait l’objet d’une surveillance constante afin, notamment, d’éviter une nouvelle tentative de suicide.
Par ailleurs, bien que les entretiens avec les psychiatres se soient espacés au fil du temps, ils sont toutefois restés réguliers. Aucune faute médicale à l’origine du suicide ne peut donc être reprochée à l’équipe hospitalière.
Organisation des soins. L’état mental du patient ne justifiait nullement un inventaire de ses effets personnels, ni que le foulard lui ayant servi à se pendre lui soit retiré. L’équipe n’a pu produire aucun protocole de surveillance rapprochée pour les personnes sous régime d’hospitalisation sous contrainte, mais cela n’est pas de nature à remettre en cause la réalité de la surveillance dont l’homme faisait l’objet. De même, son état mental apparent ne proscrivait pas que les portes de la chambre et de la salle de bains, pièces au demeurant partagées avec un autre patient, ne puissent pas être fermées à clé, et l’équipe de soins a pu défoncer la porte pour tenter de sauver le patient. Une surveillance régulière a été effectuée la nuit du 14 au 15 mars 2016, et l’homme a eu un dernier contact avec l’équipe vers 8 h 30. Après que la victime s’est enfermée dans la salle de bains afin de se pendre avec son foulard, une alerte rapide par son voisin de chambre a permis une intervention de l’équipe soignante vers 8 h 45, laquelle a prodigué les premiers secours.
En conséquence, la preuve d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service ne peut être rapportée.
* Source : Objectif Soins & Management, n° 287, juin-juillet 2022.