L’ACCÈS AUX SOINS DES MIGRANTS PASSE PAR LES IDE - Ma revue n° 022 du 01/07/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 022 du 01/07/2022

 

SANTÉ COMMUNAUTAIRE

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Pauline Machard  

Après un démarrage difficile, la permanence mise en place au foyer Siqueiros*, à Saint-Denis, pour faciliter l’accès des résidents aux soins, est aujourd’hui un « aller vers » qui fonctionne. Une expérience qui a vocation à être dupliquée.

Fin 2018, Marie-Anne Mazoyer, cheffe de projet « Accès aux droits et aux soins » à la ville de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, organise une rencontre entre deux infirmiers dyonisiens : Yassine Ennomany, libéral portant un projet auprès des personnes âgées dans les résidences autonomie, et Hada Soumare, qui exerce au centre municipal de santé Le Cygne et dont le mémoire de master traite de l’accès au dépistage du cancer colorectal chez les hommes soninkés vivant en foyer de travailleurs migrants. Le trio imagine une action dans l’un des foyers de la ville où les premiers travailleurs d’origine subsaharienne sont arrivés dans les années 1970. Car les résidents de ces structures sont souvent précaires économiquement et socialement, et très peu acteurs de leur prise en charge médicale, bien qu’exposés à des problèmes de santé.

UN ACCUEIL INCONDITIONNEL

L’action, mise en place au foyer Siqueiros où le taux de personnes de plus de 65 ans est le plus important, prend la forme d’une permanence santé hebdomadaire (désormais bimensuelle, faute de moyens humains) de deux heures. Deux IDE sont présents en plus de la médiatrice sociale. L’accueil, sans rendez-vous, est ouvert à tous, résidents officiels comme officieux (les suroccupants).

Autour d’un questionnaire, les IDE explorent l’historique de vie et médical du résident, lui proposent de se peser, de prendre sa tension et de lui remettre un kit de dépistage du cancer colorectal. Il ne s’agit pas « de créer des lieux de soins alternatifs, mais de faciliter l’accès aux droits et au parcours de soins des résidents en travaillant à lever les freins », indique Hada Soumare. Des freins que la soignante a pu identifier lors de son mémoire : représentations concernant les pathologies (certains considèrent le cancer comme une « maladie de blancs »), parcours de dépistage (barrière de la langue, tendance à consulter en phase curative, peur du jugement, etc.) ou encore un certain fatalisme.

VERS UN EMPOWERMENT ?

« Au début, c’était un peu décourageant, se souvient Hada Soumare, aujourd’hui infirmière en pratique avancée (IPA) salariée Asalée. Personne ne venait nous voir. » Puis le bouche-à-oreille a œuvré. En moyenne, à Siqueiros, une « centaine d’entretiens » sont réalisés par an et « une dizaine de résidents » (dont les 2/3 ont plus de 55 ans) se présentent à chaque permanence. « C’est une action d’aller vers qui fonctionne bien », se réjouit l’infirmière.

Certains ont pris leur santé en main, les entretiens ayant abouti à des prises de rendez-vous médicaux et sociaux, à l’hôpital ou à la permanence d’accès aux soins de santé. Et des besoins ont été satisfaits : en 2020, avec l’opération « Lunettes pour tous », les résidents ont pu consulter gratuitement et être appareillés sans frais ; l’empowerment, pour que chacun devienne acteur de sa santé, est en cours au sein des foyers, via le gérant, la médiatrice, le comité des résidents, les résidents les plus impliqués. « L’objectif est d’impulser des actions de santé communautaire qui seraient entreprises par les résidents », explique l’IPA, qui les verrait bien, par exemple, lancer un groupe de marche.

Reste à savoir quand arrêter une action d’aller vers. « On pourrait le faire continuellement, mais ce serait compliqué de le faire partout, tout le temps. » Car l’idée est d’étendre les permanences à d’autres foyers : aux trois créées à Saint-Denis s’en est récemment ajoutée une autre, et les foyers Coallia parisiens devraient en accueillir. Mais pas seulement : une permanence a été lancée dans une résidence autonomie pour personnes âgées. « Ce n’est pas le même public, mais les problématiques sont les mêmes », affirme Hada Soumare.

* Cette expérience a été présentée lors du Salon infirmier qui s’est tenu en mai.

Savoir +

UNE RECHERCHE-ACTION

L’enjeu est de pérenniser le projet et son financement. De quelle manière ? Peut-être via le dispositif article 51, qui ne « serait pas spécifique aux résidents de foyers », fait savoir Hada Soumare. En appui ? Une recherche-action consistant à faire passer aux résidents de deux foyers vierges de toute intervention un questionnaire de littératie en santé et de santé en général avant puis après la mise en place d’une permanence. L’idée étant d’en démontrer la plus-value.