L'infirmière n° 022 du 01/07/2022

 

JE RECHERCHE

REVUE DE LA LITTÉRATURE

ALEXANDRA USCLADE  

Infirmière puéricultrice, coordinatrice paramédicale de la recherche au CHU de Clermont-Ferrand, étudiante en master 2 Sciences cliniques en soins infirmiers, Sainte-Anne formation, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. ausclade@chu-clermontferrand.fr

Chaque année, environ 2 550 nouveaux cas de cancers pédiatriques sont diagnostiqués. Ces cancers diffèrent de ceux de l’adulte par leur rapidité d’évolution et leur sensibilité élevée à la chimiothérapie. La survie à cinq ans des enfants atteints s’est très significativement améliorée, dépassant aujourd’hui 80 %, et le nombre de décès diminue régulièrement(1). Dans la prise en charge de leur maladie, ces patients reçoivent fréquemment des soins thérapeutiques ou diagnostics dits « invasifs » ou « procéduraux ». Ils sont traités par chimiothérapie, ce qui nécessite la pose d’une voie centrale et plus spécifiquement d’un Port-a-Cath (PAC), une chambre implantable qui permet l’injection des médicaments par voie intraveineuse, par l’intermédiaire d’une aiguille de Huber, permettant de préserver le capital veineux. La pose d’aiguille, répétée, génère souvent de l’anxiété et de la douleur chez les enfants, de l’anxiété chez les parents et de l’inconfort pour les soignants. Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé, la prévention de la douleur induite par les soins et son évaluation sont des axes majeurs dans la prise en soins des enfants atteints de cancer. Différents moyens médicamenteux (Entonox, Emla) et non médicamenteux (distraction) sont préconisés pour limiter la douleur et l’anxiété lors la pose d’aiguille sur PAC. Des études quantitatives ont permis d’explorer la douleur ressentie au moment du geste, mais également l’efficacité des moyens pour lutter contre celle-ci(2,3).

La prise en charge du vécu du patient par l’infirmière puéricultrice lors de ce soin est essentielle pour la qualité de vie des enfants atteints de cancer(4). Chez certains, le soin « semble » se dérouler de façon confortable, mais dans la plupart des situations, le petit patient paraît mettre en place une stratégie pour le supporter. Les résultats d’une enquête exploratoire réalisée auprès de soignants montrent que les enfants acceptent souvent la pose d’aiguille sur PAC avec peu de résistance. Toutefois, malgré les moyens mis en place pour évaluer la douleur et l’anxiété, ainsi que les différentes méthodes de distraction et de prévention de la douleur, les enfants paraissent peu confortables pendant ce soin. Il nous semble donc intéressant de comprendre leur expérience au cours de ce soin. Nous pouvons nous questionner sur ce qu’ils ressentent lors de la pose d’aiguille sur le Port-a-Cath. Quels sont leurs besoins et leurs attentes lors de leur accompagnement par des professionnels de santé ?

Cet article vise à présenter les étapes de la revue de la littérature et ses résultats pour répondre à ces interrogations.

MÉTHODOLOGIE

Afin de réaliser une revue de la littérature, nous avons utilisé la méthode PICO (Population, Intervention, Comparaison, Résultat) qui permet d’identifier les différents mots-clés et de définir les éléments de la question de recherche. Ces mots ont ensuite été traduits en termes anglais du thésaurus de référence MeSH (Medical Subject Heading), à partir du site HeTOP (Health Terminology/Ontology Portal) qui a permis d’en retrouver les synonymes sur la liste de MeSH. La recherche bibliographique a été effectuée dans la base de données PubMed (voir le tableau en haut page ci-contre).

Le terme « soin infirmier pédiatrique » n’a pas été retenu car trop vaste. Trois équations de recherche ont été développées avec les opérateurs booléens « AND » et « OR » afin de regrouper les mots-clés et clarifier la qualité des résultats, mais seule une équation a été retenue. PubMed propose un constructeur automatique d’équations qui simplifie la recherche à partir des termes MeSH définis : ((((((((child [MeSH Terms]) OR children) OR pediatric [MeSH Terms]) AND oncology [MeSH Terms]) OR cancer) AND vascular access devices [MeSH Terms]) OR venous port access) AND needle) AND experience)

RÉSULTATS

La recherche d’articles sur la base de données PubMed a permis de retrouver 24 documents que nous avons retenus pour le processus de sélection. Les étapes de cette sélection sont représentées dans le diagramme de flux (voir ci-contre).

À la lecture des titres et des résumés, 17 articles n’ont pas été conservés car ils ne concernaient pas l’expérience de l’enfant lors de la pose d’aiguille sur PAC. La majorité de ces articles avait pour thème le type d’aiguille ou de matériel utilisé ainsi que la technique de pose d’un PAC. Parmi les 7 articles retenus, nous en avons sélectionné 2 qui dataient de moins de vingt ans et dont le texte intégral était accessible. Enfin, la recherche a été complétée par la lecture des références bibliographiques. La lecture critique a été effectuée grâce aux grilles de lecture proposées par Salmi(5). Par ailleurs, deux études randomisées se sont intéressées plus spécifiquement à ce sujet. La première est mixte, quantitative et qualitative ; la seconde est quantitative. L’étude de Nilsson(6), réalisée en Suède entre 2006 et 2009, avait pour objectif de comparer l’expérience de la douleur décrite par l’enfant ou l’infirmière lors de la pose d’aiguille sur PAC, ou de la ponction veineuse, au sein de deux groupes : pratique standard et réalité virtuelle. Celle d’Hedén(7) a analysé l’expérience de la douleur par l’enfant, l’infirmière et le parent lors de ce geste, après la pose d’un patch anesthésiant. Il s’agit d’une étude contrôlée, randomisée en double aveugle, qui compare le paracétamol administré par voie orale versus un placebo.

Pour mener ces deux études, la population recrutée était des enfants hospitalisés en service de cancérologie pédiatrique ou en pédiatrie. De même, tous avaient déjà une expérience de pose d’aiguille de Huber sur PAC ou de ponction veineuse. En revanche, nous n’avons retrouvé aucune étude française traitant notre sujet.

Nous avons complété notre recherche par deux travaux de bachelor suisses que nous avons trouvés dans la littérature grise. Il s’agit d’études qualitatives, dont la première porte sur les soins invasifs chez l’enfant et la présence des parents(8), et la seconde sur la gestion de la douleur en pédiatrie et plus spécifiquement en oncologie pédiatrique(9).

DISCUSSION

Si l’on se réfère aux études de Nilsson et d’Hedén, la distraction par la réalité virtuelle est un procédé efficace dans la prévention de la douleur et de l’anxiété. Cependant, l’expression de la douleur et du confort par les enfants restent à explorer pour comprendre leurs besoins. Dans les travaux de Nilsson(6), l’évaluation qualitative a permis de constater que les enfants n’évoquent pas la douleur en tant que telle, mais les piqûres. Ce travail trouve un intérêt au jeu par la réalité virtuelle, mais mentionne aussi le fait que la contraction des muscles durant la distraction peut favoriser le ressenti du soin. Cette expérience de la distraction par la réalité virtuelle reste donc positive.

Cette étude montre que le confort ou l’inconfort peut être abordé par les enfants avec leurs propres mots lorsqu’on leur donne la parole, et qu’ils expriment très peu la douleur et l’anxiété qui sont fréquemment évaluées dans les soins par le biais de différentes échelles de mesure.

Dans l’étude d’Hedén(7), l’auteur suggère que la douleur n’est pas le principal problème dans l’insertion de l’aiguille dans la chambre implantable. En effet, le temps joue un rôle dans le ressenti du stress et de l’anxiété par l’enfant, et donc de la douleur en l’augmentant lorsque le soin dure plus longtemps. D’autres facteurs peuvent influer sur le stress comme le nombre de pose d’aiguille et la distraction utilisée au moment du soin. Cette étude laisse donc supposer que des facteurs psychosociaux et environnementaux peuvent entrer en compte dans l’expérience des patients.

Ces deux études s’accordent sur le fait que l’évaluation quantitative n’est pas suffisante pour explorer le vécu de l’enfant lors de la pose d’aiguille malgré le recours à différentes méthodes antalgiques. Comment cela se passe-t-il en France ? Comment les enfants expérimentent ce geste ? Quelles sont leurs attentes lors de ce soin ? Peu d’études françaises ont donné la parole aux enfants atteints de cancer et aucune ne s’est intéressée spécifiquement à la pose d’aiguille sur PAC.

Les deux travaux de bachelor recensés dans la littérature grise établissent que la présence des parents et la distraction par l’hypnose permettent d’améliorer le vécu de l’enfant lors des soins et qu’il ne suffit pas d’utiliser des moyens antalgiques pour qu’il soit plus confortable. En évoquant le concept de confort, les auteurs ouvrent des perspectives d’approche nouvelles pour comprendre le vécu de l’enfant lors des actes réalisés en cancérologie pédiatrique. Ils abordent également la singularité de la prise en soins et la compréhension de ce que vivent ces jeunes patients, nous amenant dès lors à considérer que les soins en cancérologie pédiatrique peuvent encore être optimisés.

CONCLUSION

Cette revue de la littérature a permis de mettre en exergue le manque d’études scientifiques françaises s’intéressant à l’expérience des enfants atteints de cancer lors de la pose d’aiguille sur PAC. À l’issue de ce travail, une question de recherche dans le cadre d’un mémoire de master a pu être posée en ces termes : quel est le vécu des enfants de 6 à 12 ans atteints de cancer, en France, lors de la pose d’aiguille sur PAC ? L’objectif principal consistera à décrire l’expérience des enfants de 6 à 12 ans atteints de cancer lors de la pose d’aiguille sur PAC dans le contexte français.

Les résultats de cette étude qualitative pilote, guidés par la théorie intermédiaire du confort de Kolcaba(10), pourraient venir enrichir ceux d’une étude quantitative qui sera mise en place fin 2022. Celle-ci, randomisée et longitudinale, portant sur le recours à la distraction par la réalité virtuelle chez un même patient pendant six mois, permettra de mieux comprendre le vécu des enfants atteints de cancer lors de cet acte technique et d’envisager une étude qualitative multicentrique.

RÉFÉRENCES

  • 1. Norholt H., “Revisiting the roots of attachment: A review of the biological and psychological effects of maternal skin-to-skin contact and carrying of full-term infants”, Infant Behavior and Development, juin 2020, 60:101441. Disponible en ligne sur : bit.ly/2M9SAfC
  • 2. Linnér A., Westrup B., Lode-Kolz K. et al., “Immediate parent-infant skin-to-skin study (IPISTOSS): study protocol of a randomised controlled trial on very preterm infants cared for in skin-to-skin contact immediately after birth and potential physiological, epigenetic, psychological and neurodevelopmental consequences”, BMJ Open, juillet 2020, 10 (7):e038938. Disponible en ligne sur : bit.ly/3t7r4Qu
  • 3. Lorenz L., Dawson J.A., Jones H. et al., “Skin-to-skin care in preterm infants receiving respiratory support does not lead to physiological instability”, Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed, juillet 2017, 102 (4):F339-44. Disponible en ligne sur : bit.ly/3ooNkSn
  • 4. Heimann K., Vaessen P., Peschgens T. et al., “Impact of skin to skin care, prone and supine positioning on cardiorespiratory parameters and thermoregulation in premature infants”, Neonatology, juin 2010, 97 (4):311-7. Disponible en ligne sur : bit.ly/3iSwGcZ
  • 5. Chi Luong K., Long Nguyen T., Huynh Thi D. H. et al., “Newly born low birthweight infants stabilise better in skin-to-skin contact than when separated from their mothers: a randomised controlled trial”, Acta Pædiatrica, août 2015. En ligne sur : bit.ly/3ciFk2Z
  • 6. Boundy E. O., Dastjerdi R., Spiegelman D. et al., “Kangaroo Mother Care and Neonatal Outcomes: A Meta-analysis”, Pediatrics, janvier 2016, 137 (1):e20152238. Disponible en ligne sur : bit.ly/3oqROYT
  • 7. Moore E. R., Bergman N., Anderson G. C., Medley N., “Early skin-to-skin contact for mothers and their healthy newborn infants”, Cochrane Database of Systematic Reviews, novembre 2016, 11:CD003519. En ligne sur : bit.ly/3okMjLi
  • 8. Linnér A., Klemming S., Sundberg B. et al., “Immediate skin-to-skin contact is feasible for very preterm infants but thermal control remains a challenge”, Acta Pædiatrica, avril 2020, 109 (4):697-704. En ligne sur : bit.ly/2KX0R6d
  • 9. Marín Gabriel M. A., Llana Martín I., López Escobar A. et al., “Randomized controlled trial of early skin-to-skin contact: effects on the mother and the newborn”, Acta Pædiatrica, novembre 2009, 99 (11):1630-4. Disponible en ligne sur : bit.ly/2Msfvmh
  • 10. Maastrup R., Greisen G., “Extremely preterm infants tolerate skin-to-skin contact during the first weeks of life”, Acta Pædiatrica, mars 2010, 99 (8):1145-9. En ligne sur : bit.ly/2MBuKsY
  • 11. Nimbalkar S. M., Patel V. K., Patel D. V. et al., “Effect of early skin-to-skin contact following normal delivery on incidence of hypothermia in neonates more than 1800 g: randomized control trial”, J Perinatol., mai 2014, 34 (5):364-8. Disponible en ligne sur : bit.ly/3iUHR4C
  • 12. Bergman N. J., Linley L. L., Fawcus S. R., “Randomized controlled trial of skin-to-skin contact from birth versus conventional incubator for physiological stabilization in 1200- to 2199-gram newborns”, Acta Pædiatrica, juin 2004, 93 (6):779.85. En ligne sur : bit.ly/36kEG1e
  • 13. Mori R., Khanna R., Pledge D., Nakayama T., “Meta-analysis of physiological effects of skin-to-skin contact for newborns and mothers”, Pediatrics International, avril 2010, 52 (2):161.70. Disponible en ligne sur : bit.ly/3ag9tO1

L’autrice déclare ne pas avoir de liens d’intérêt

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER

IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associée temporaire, université de Bordeaux valerie.berger@chu-bordeaux.fr

CAROLINE SERNICLAY

Cadre de santé, coordinatrice paramédicale de la recherche en soins, CHU de Reims, pilote de la CNCPR cserniclay@chu-reims.fr

EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE