L'infirmière n° 022 du 01/07/2022

 

PROCRÉATION ASSISTÉE

JE DÉCRYPTE

SYSTÈME DE SANTE

Adrien Renaud  

Avec l’adoption de la loi de bioéthique en août dernier, les centres d’aide médicale à la procréation sont confrontés à une demande accrue des femmes seules ou des couples de femmes, avec des délais d’attente qui s’allongent.

D’après une enquête de l’Agence de la biomédecine présentée en mai dernier lors du troisième comité de suivi de la loi de bioéthique (lire l’encadré page ci-contre), le délai moyen de prise en charge d’une aide médicale à la procréation (AMP) avec don de spermatozoïdes est de 13,6 mois. Ce qui peut paraître très long, voire une éternité, surtout pour les femmes seules ou les couples de femmes qui, depuis des années, attendaient que la réglementation leur autorise l’accès aux techniques jusque-là réservées aux couples hétérosexuels. Car si depuis la loi du 2 août 2021 l’AMP leur est bel et bien ouverte, il faut désormais que l’intendance suive. Et cela n’a rien d’évident.

« On a vu une augmentation énorme de la demande, et ce, de la part de tous les publics », explique le Dr Mikaël Agopiantz, gynécologue et responsable du centre d’AMP au CHRU de Nancy (Meurthe-et-Moselle). « Cette augmentation est très nette, et elle s’est faite en deux temps, précise son confrère, le Pr Michaël Grynberg, chef du service de médecine reproductive à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine). Il y a eu une première vague à l’ouverture de la loi avec à la fois des demandes de femmes en couple et de femmes seules. Maintenant, la demande des femmes en couple semble s’être stabilisée, en revanche, celle des femmes seules continue. » Selon lui, les demandes des femmes seules « avaient probablement été sous-estimées », ce qui expliquerait une partie des difficultés actuelles. Mais heureusement, certains centres ont pu anticiper l’augmentation de la demande. C’est ainsi que Mikaël Agopiantz est fier d’afficher des délais d’attente inférieurs aux moyennes nationales, soit « de trois à douze mois pour un don de sperme, moins d’un an pour un don d’ovules, et aucun délai pour un accueil d’embryon. » La clé de cette réussite ? « On a la chance d’avoir un dialogue exceptionnel avec notre direction, se réjouit le gynécologue. Nous avons recruté 3,5 équivalents temps plein pour le centre, soit une augmentation de 15 à 20 % de l’effectif. »

L’IDE AU CŒUR DE L’AMP

La question des ressources humaines est en effet au cœur de l’AMP. Pour Michaël Grynberg, cette activité est « peut-être encore plus que dans d’autres domaines une question d’équipe ». Il souligne notamment les besoins en compétences infirmières. « Ce sont elles que les couples et les patientes voient le plus, elles sont loin de ne faire que du prélèvement, elles sont quelque part les confidentes de nos patientes qui sont parfois stressées, qui ont besoin d’être en confiance. »

Une vision que partage Émilie Trouillet, infirmière en PMA à l’hôpital Jean-Verdier (AP-HP) de Bondy (Seine-Saint-Denis), laquelle définit son métier comme « avant tout relationnel ». Celle-ci se félicite d’ailleurs d’avoir pu bénéficier de renforts pour faire face à la demande accrue suite à la nouvelle loi. « On a eu une infirmière en plus et heureusement car il y a beaucoup plus de ponctions par semaine, plus de patientes, etc. », souligne-t-elle.

Reste que, malgré des effectifs supplémentaires, les listes d’attente continuent de s’allonger, déplore la soignante, même si elle considère que dans son centre, au moins, elles « restent raisonnables ». Ce qui conduit certains professionnels à s’interroger sur la cohérence de la stratégie des autorités sanitaires pour faire face aux changements induits par la « PMA pour toutes ». « Cela a été une priorité gouvernementale, mais cela n’a pas forcément été une priorité pour les directions hospitalières », commente Michaël Grynberg, qui affiche un délai « d’environ un an pour bénéficier d’un don » dans son centre. « Le minimum aurait été de dimensionner les centres pour qu’on puisse mettre en place les choses immédiatement », ajoute-t-il.

GOULOT D’ÉTRANGLEMENT

Mais le manque de moyens n’est pas le seul facteur qui limite la capacité des centres d’AMP à répondre à la demande des nouveaux publics. « Le frein principal, c’est le nombre de donneurs, surtout pour le don d’ovocytes : on a une inadéquation majeure entre le nombre de personnes qui attendent et celles qui donnent », explique Mikaël Agopiantz. Une situation qui, de toute façon, est antérieure à la loi de bioéthique, et qui trouve ses racines dans une culture difficile à changer. Résultat, les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), seules structures habilitées à conserver les gamètes et à valider les dons, semblent bien être le principal goulot d’étranglement au déploiement de la « PMA pour toutes ». C’est en tout cas le constat du Dr Marine Leflon, gynécologue à Versailles (Yvelines), qui a une forte activité d’aide médicale à la procréation en libéral et en clinique, et qui voit certaines patientes avant et après leur passage au Cecos.

« J’ai quelques patientes qui ont bénéficié d’un don, mais ce sont celles qui s’y sont prises dès la parution de la loi, constate-t-elle. Dans beaucoup d’autres cas, elles ont pu laisser passer plusieurs mois entre le moment où la loi a été promulguée, celui elles se sont informées et celui où elles ont décidé de prendre rendez-vous. Certaines, découvrant à ce moment le délai d’attente dans les Cecos, ont préféré se tourner vers l’étranger, et notamment vers l’Espagne. »

RECOURS À L’ÉTRANGER

La loi n’empêche donc pas la persistance des pratiques qui avaient cours avant sa publication, à savoir un recours massif aux structures des pays où l’offre est plus abondante. « Beaucoup de patientes ont d’abord été ravies de pouvoir en théorie accéder à un don, et de ne pas avoir à aller à l’étranger, témoigne Émilie Trouillet. Mais cela a été la douche froide quand on leur a annoncé le délai. » Et elle ne peut que constater que certaines patientes, prises par l’horloge biologique mais aussi par les délais légaux (l’AMP ne peut être réalisée que jusqu’au 45e anniversaire) ont porté leur regard hors des frontières françaises.

Une persistance de ces anciennes pratiques d’autant plus importante que la rapidité de la prise en charge n’est pas le seul avantage que l’étranger a à offrir aux femmes qui veulent recourir à l’AMP, du moins aux yeux de certains. « La première thématique c’est le délai, mais il y a aussi la question de la réglementation, explique Mikaël Agopiantz. Certaines personnes veulent choisir des caractéristiques du donneur, voire le rencontrer, établir une relation… ce qui est impossible dans le cadre de la loi française. Ces gens, on les voit pour un premier rendez-vous, et quand on leur a tout expliqué, on ne les revoit plus. » De là à relancer les débats houleux qu’avait occasionnés la préparation de la loi de bioéthique, il y a un pas que le gouvernement pourrait hésiter à franchir.

Savoir +

EN CHIFFRES

À l’occasion de la troisième réunion du comité de suivi de la loide bioéthique de mai dernier, l’Agence de la biomédecine a publié lesrésultats d’une enquête qu’elle a menée sur l’activité d’AMP. Il en ressort que, durant le premier trimestre 2022, les Cecos ont enregistré :

– 185 donneurs de spermatozoïdes, soit une tendance en progression par rapport à 2021 ;

– 5 126 demandes de première consultation en vue d’une AMP avec don de spermatozoïdes, dont 47 % qui émanent de couples de femmes et 53 % de femmes seules ;

– 2 562 consultations, soit une moyenne de 854 par mois, contre 653 par mois sur le dernier trimestre 2021 ;

– 53 tentatives d’AMP avec don de spermatozoïdes au bénéfice de ces nouveaux publics.

Le délai de prise en charge pour une AMP avec don de spermatozoïdes était par ailleurs de 13,6 mois au 31 mars 2022, soit une augmentation de 1,6 mois par rapport à fin 2021.

Source : Agence de la biomédecine.