L'infirmière n° 022 du 01/07/2022

 

JE DIALOGUE

Laure Martin  

Directrice des soins au centre de cancérologie Léon-Bérard (CLB) de Lyon, Christelle Galvez est convaincue que l’esprit d’équipe influe sur la qualité des soins. La notion de « faire équipe » guide son approche du terrain, tout comme son engagement pour une refonte du système de santé.

Vous avez commencé votre carrière en tant qu’aide-soignante et êtes aujourd’hui directrice des soins. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Christelle Galvez : Mon cursus scolaire ne m’a pas donné confiance en moi car étant dyslexique, je ne rentrais pas dans les cases. Mais je savais que je voulais être soignante car petite déjà, la maladie et la souffrance me touchaient profondément. Mon projet est devenu possible avec le temps, au gré des rencontres et grâce à la confiance que d’autres avaient en moi. Faire fonction d’aide-soignante puis être aide-soignante ont été une première étape dans mon objectif d’apprendre à soigner et, soyons honnête, financer ma formation d’infirmière. La clinique Turin, à Paris, a été mon premier employeur et toutes les équipes m’ont transmis des valeurs du soin de grande qualité. Puis, des événements familiaux m’empêchant de continuer de travailler en 12 heures, on m’a proposé un poste avec des horaires de semaine en tant que faisant fonction de cadre sur les plateaux techniques. Je voulais tout faire pour faciliter le travail des soignants afin que chaque patient soit bien accueilli et bien pris en charge. Après quelques années, face à la responsabilité, mon besoin de me former était criant. J’ai demandé à la direction de me financer une formation en alternance, ce qu’elle a refusé. J’ai donc décidé de me la payer seule. N’ayant pas beaucoup de moyens et sachant que je ne pourrais pas en faire plusieurs, j’ai visé haut. J’ai monté un dossier de VAE pour un master spécialisé en management des établissements de santé. Après l’obtention de mon diplôme, la clinique m’a proposé un poste de directrice des soins.

Quel regard portez-vous sur votre carrière ?

C. G. : J’ai appris et découvert en marchant. Chaque étape m’a fait gagner en confiance et m’a fait prendre conscience de ce dont j’étais capable et ce que je pouvais apporter. Je me suis toujours remise en question pour être en cohérence avec moi-même. D’ailleurs, rapidement j’ai eu l’impression d’être directrice des problèmes. Comment réagir face à l’épuisement de mes collègues mentors qui pouvaient commettre des erreurs ou devenir maltraitants malgré eux ? Comment faire vivre l’esprit d’équipe malgré tout ? Après beaucoup de recherches et d’échanges sur le sujet, j’ai profité de vacances aux États-Unis pour intégrer le centre de simulation de l’université de Stanford qui proposait des entraînements au travail en équipe.

Une fois de retour en France, vous créez un centre de formation et de simulation dédié à la promotion du travail en équipe médico-soignante-administrative. Comment l’avez-vous mis en place ?

C. G. : Après avoir été convaincue de l’importance de la formation aux facteurs humains pour un travail d’équipe ressourçant et sécurisant, il m’a paru impératif de proposer ce type de formation. J’ai donc monté une société avec un médecin anesthésiste pour créer des formations tests sur le binôme médico-soignant, avec des psychologues, des ergonomes, et ainsi devenir un organisme de développement professionnel continu. En parallèle, j’ai quitté la clinique Turin car je ne me retrouvais plus dans les valeurs de l’établissement. Après quelque temps passé au sein de l’Institut de recherche biomédicale des armées, j’ai compris que mon cœur de métier était de valoriser la coordination d’équipe et la culture de la gestion des risques. J’ai l’intuition profonde que les soignants et leurs managers ont besoin d’être soutenus dans leur prise d’autonomie et de découvrir à quel point l’esprit d’équipe peut rattraper l’impact de l’erreur inhérente à l’activité humaine. C’est selon moi le rôle clé du directeur.

Vous êtes directrice des soins au CLB depuis neuf ans et le management occupe une place particulière dans votre activité. Comment l’envisagez-vous ?

C. G. : Lorsque j’ai intégré le CLB, j’ai d’abord cherché à comprendre les enjeux de la cancérologie pour les équipes en m’immergeant à leurs côtés, service par service. Pendant trois mois, je me suis fait connaître à mon poste. Les premiers temps, je n’étais pas encore en phase avec ce que les autres pensaient de moi, ce qu’ils attendaient, la façon dont ils voulaient que je dirige et dont j’envisageais ma fonction. L’équipe managériale m’a acceptée avec mon intention et ma personnalité. Rapidement nous avons investi la direction en apprenant à nous connaître avec nos forces et nos faiblesses. Cela nous a permis de former un trinôme médico-soignant-administratif efficace, de le partager et de l’impulser dans les équipes de terrain. Le plus difficile a été de devenir une réelle coéquipière auprès des médecins. Pendant longtemps j’ai cru devoir protéger les paramédicaux envers et contre tout, « avec mon épée », sans pour autant être à l’aise dans ce rôle trop responsabilisant. La crise sanitaire nous a fait prendre conscience de la puissance de notre équipe car plus personne ne maîtrisait rien et il fallait faire ensemble. Cela m’a conduite à effectuer un travail personnel très profond car pendant un temps, j’ai eu l’impression de trahir les soignants. Mais une fois cette étape passée, outre la crise, nous avons pu construire des projets conjoints, notamment des projets article 51 sur l’immunothérapie à domicile. Maintenant, nous pouvons poursuivre avec des projets encore plus ambitieux tel qu’un label Unicancer pour les infirmières libérales. L’objectif étant de les faire reconnaître comme des actrices de santé clés de la coordination du parcours des patients en cancérologie, de connecter les infirmières entre elles et ainsi créer l’esprit d’équipe.

Quels sont les enjeux du système de santé à l’heure où le personnel soignant est mis à mal ?

C. G. : Il faut le refondre ! Aujourd’hui, le système de santé est centré sur le soin et non sur la promotion de la bonne santé. Il n’y a pas de stratégie de santé publique. Le système met en compétition les soignants au lieu de les associer et de les unir sur un territoire pour répondre aux besoins de santé. À titre d’exemple, nous avons une carte Vitale sur laquelle il est inscrit « assurance maladie » et non « assurance santé ». Les professionnels de santé ne veulent plus être des personnes qui soignent l’impact de la maladie à la chaîne. Ils refusent le système. Je souhaite participer au réveil des consciences et rendre possible, collectivement, la refonte du système de santé. Pour cela, il faut l’adhésion de plus de 15 % de la population. Pour agir en ce sens, je m’engage bénévolement depuis trois ans avec plus d’une centaine de professionnels au sein de l’Institut Santé. Aujourd’hui, je me sens légitime pour mener cette action.

Quel message faire passer aux infirmières concernant leur carrière ?

C. G. : Il faut croire en soi, s’écouter, savoir pour quoi on est fait, connaître sa zone de succès sans chercher à se conformer aux autres. Plus elles auront grandi en ayant confiance en elles et en l’équipe, avec leurs compétences complémentaires, plus elles seront vraies, et plus leur place dans le système de santé sera reconnue. Il faut être fier de qui l’on est. C’est une question d’autonomie dans un univers solidaire, générateur de bonne santé, tant pour les citoyens que pour leurs soignants.

POURQUOI ELLE

Après avoir débuté comme aide-soignante, Christelle Galvez est, à 42 ans, directrice des soins au CLB de Lyon. Une carrière inspirante qu’elle a construite en questionnant sans cesse sa place dans le système de santé. Être en phase avec elle-même, personnellement et professionnellement, ce qui guide ses choix. Aujourd’hui, le management d’équipe, l’acceptation de l’erreur et la connaissance de soi sont quelques-uns des mots-clés qui construisent son exercice professionnel et sa relation aux autres, tant avec les équipes managériales qu’avec les professionnels du terrain.

BIO EXPRESS

1998 Faisant fonction d’aide-soignante puis aide-soignante.

2003 Infirmière à la clinique Turin, à Paris.

2007-2009 Master spécialisé en management des établissements de santé, à Toulouse.

2010-2016 Entrepreneuse du premier centre de formation au travail en équipe.

2013 Directrice des soins et des parcours au centre Léon-Bérard, à Lyon.

2020-2021 Coordinatrice de l’Institut Santé en région Auvergne-Rhône-Alpes.