LE PIED DIABÉTIQUE : UNE PRISE EN CHARGE PLURIPROFESSIONNELLE
JE ME FORME
BONNES PRATIQUES
*adjoint au directeur de l’IFCS de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)
**Coordonnateur du Pôle de la recherche paramédicale en pédagogie du CFDC, Ph. D. en sciences de l’éducation, chercheur associé au Laboratoire éducations et pratiques de santé (LEPS ER 3412), Université Sorbonne Paris Nord.
***Msc IPA Pathologies chroniques stabilisées, prévention polypathologies courantes en soins primaires
****Maison de santé pluriprofessionnelle Les Allées de Corbeil-Essonnes, centre municipal de santé du Gâtinais de Saint-Fargeau-Ponthierry.
En raison des complications fonctionnelles, psychologiques et sociales qu’elles engendrent, les plaies du pied diabétique sont un véritable enjeu de santé publique. Pourtant, une prise en charge par une équipe spécialisée dans les 48 heures permettrait d’éviter plus de la moitié des amputations(1). Ces plaies représentent un coût important pour le système de santé français, de l’ordre de 660 millions d’euros par an, sans inclure celui généré par les soins ambulatoires(2). Sans compter qu’elles sont difficiles à prendre en charge du fait de la lenteur de la cicatrisation, des infections secondaires et du risque non négligeable d’amputation.
Ces plaies surviennent sur un pied neuropathique insensible à une blessure associant, dans la moitié des cas, une artériopathie périphérique. Les causes sont multifactorielles et aboutissent à l’ulcération, la destruction des tissus profonds du pied. L’enjeu repose donc sur l’organisation de la collaboration entre les acteurs de santé. Il s’agit ici de décrire les points clés de la prise en charge de cette complication selon les dernières recommandations internationales d’experts(3).
La neuropathie diabétique, qui associe plusieurs types d’atteinte (sensitive, motrice et végétative), est responsable de la survenue de plaies du pied diabétique à laquelle s’ajoute une artériopathie (voir la figure 1 ci-dessus) :
→ les ulcérations peuvent être provoquées par une neuropathie périphérique et des traumatismes répétés lors de la marche sur un pied exposé à des pressions et des cisaillements(3) qui conduisent à une réponse inflammatoire locale, une ischémie tissulaire focale avec destruction tissulaire, et un risque de nécrose et d’infection(4) ;
→ la neuropathie sensitive entraîne une hypoesthésie privant le patient de la perception de la douleur, expliquant le retard de consultation et la gravité de la plaie au diagnostic ;
→ la neuropathie proprioceptive altère la motricité en déformant le pied. Les appuis devenus anormaux, provoquent une hyperpression, source de durillons et de callosités eux-mêmes responsables de nouveaux points d’hyperpression (têtes métatarsiennes, styloïde du cinquième métatarsien et talons) ;
→ la neuropathie végétative, induite par la modification des flux sanguins, est responsable d’une sécheresse cutanée anormale favorisant la formation d’hyperkératose.
Une des complications du diabète est l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) qui peut être asymptomatique, progressive et plus distale, rendant compte d’une peau à la fois fine, lisse et brillante, dépilée, mais également d’ongles épaissis, stratifiés, de couleur marron, possiblement sièges d’une mycose.
L’exposition de la plaie à des hyperpressions et à des forces de cisaillement régulières lors de la marche empêche la vascularisation et majore le risque d’infection. Un retard de cicatrisation peut être lié à une ischémie, une immunodépression, une microangiopathie au niveau des pieds, une dénutrition, une hyperglycémie mal contrôlée, et une sensibilité particulière aux infections.
L’infirmière joue un rôle crucial dans l’éducation, la prévention et le dépistage, ainsi que dans la prise en charge initiale d’un ulcère du pied diabétique en orientant précocement le patient vers une équipe spécialisée. Son intervention repose sur la démarche clinique à même d’appréhender tous les aspects de la situation de la personne. L’histoire de la maladie indique l’origine d’une lésion ou d’un traumatisme. Les différents facteurs susceptibles d’affecter la cicatrisation, comme une néphropathie au stade terminal, un œdème, une malnutrition, un mauvais contrôle glycémique ou encore des problèmes psychosociaux doivent également être évalués.
L’examen du pied ulcéré étant global, il convient :
→ d’évaluer l’état cutané : couleur, épaisseur, sécheresse, transpiration, hyperkératose (cor, durillon, callosité, œil-de-perdrix) signe d’une transformation de la peau en couche cornée du fait de microtraumatismes répétés ;
→ d’évaluer l’état des ongles : épaisseur, longueur et couleur. On recherchera des onychomycoses (infections fongiques des ongles entraînant un épaississement et une hypertrophie de l’ongle), une déformation des ongles secondaire aux microtraumatismes, à une atteinte mycosique, à une atteinte vasculaire (ongles épaissis, stratifiés, de couleur marron), un suintement sous-unguéal faisant suspecter une ulcération sous l’ongle et des mycoses interdigitales ;
→ d’évaluer la déformation du pied, des orteils, les proéminences osseuses. Les déformations du pied augmentent le risque d’hyperpression (pieds creux, hallux valgus, orteils en griffe) ;
→ d’évaluer la mobilité passive et active du pied. La neuropathie motrice entraîne une faiblesse et une amyotrophie des muscles de la jambe. Il en résulte une modification du schéma de la marche, l’apparition d’appuis anormaux et une probable augmentation des forces de cisaillement au niveau des pieds. Les chaussures et la démarche du patient doivent également être appréciées. Marcher sans boiter avec un ulcère plantaire est un diagnostic de neuropathie. La limitation de la mobilité articulaire du diabétique au niveau de l’articulation talocrurale est un facteur d’hyperpression plantaire de l’avant-pied. De même, le poids du patient serait un facteur prédictif inconstant d’hyperpression plantaire. Une orientation vers un podologue et/ou un kinésithérapeute via le médecin traitant sera nécessaire en cas d’anomalie ;
→ d’évaluer les signes d’infection avec la recherche d’au moins deux signes d’inflammation (rougeur, chaleur, induration, douleur ou sensibilité) ou la présence de pus. Des symptômes qui peuvent être masqués par la neuropathie ou l’ischémie. Si elle n’est pas correctement traitée, la contamination bactérienne peut alors se propager aux tissus contigus ou sous-jacents, jusqu’à l’os (ostéite). L’ostéomyélite est à redouter, plus particulièrement en cas de plaie ancienne, profonde, ou si elle est en regard d’une proéminence osseuse ;
→ de rechercher une artériopathie périphérique via la palpation des pouls pédieux et tibial postérieur. La température cutanée du pied doit être comparée d’un pied à l’autre ;
→ d’identifier d’autres causes persistantes de la chronicité de la plaie : qualité des chaussures portées par le patient, ongle contigu à la plaie, absence de décharge stricte, etc. ;
→ d’évaluer l’ulcère par la localisation et la profondeur par sondage à la recherche d’un contact osseux. Cette dernière peut être difficile à déterminer en raison de la présence de durillons. Le débridement peut alors être utile. En présence de tissus nécrosés, la détersion sera possible après une évaluation documentée de l’état vasculaire du membre concerné. L’IDE orientera le patient vers son médecin traitant pour une prescription d’échodoppler artériel et veineux des membres inférieurs.
Si plusieurs scores d’évaluation de gravité des lésions sont disponibles, le plus simple est celui de Wagner (Wagner F. W., “The diabetic foot”, Orthopedics, 1987, 10, 163-72) qui décrit cinq stades : stade 1 :
→ ulcère superficiel de la peau ou du tissu sous-cutané ;
→ stade 2 : ulcère s’étendant au tendon, à l’os ou à la capsule ;
→ stade 3 : ulcère profond avec ostéomyélite ou abcès ;
→ stade 4 : gangrène des orteils ou de la partie avant du pied ;
→ stade 5 : gangrène de la plante ou de la partie médiane ou de l’arrière du pied.
Des examens complémentaires de base sont souvent suffisants pour estimer plus précisément la gravité de la plaie :
→ radiographie simple en première intention à la recherche d’éventuels signes d’ostéite en regard de la plaie ;
→ autres examens d’imagerie osseuse : IRM (utile aussi pour guider un geste chirurgical), scintigraphie (meilleure sensibilité).
→ À savoir : la plaie compliquée est définie par la présence d’une nécrose sèche, d’une mise à nu de l’os, de l’articulation ou du muscle, d’une abolition des pouls périphériques, de signes d’infection, d’un terrain à risque (insuffisance cardiaque, insuffisance rénale terminale, précarité sociale, troubles psychiatriques), d’un abcès, d’une gangrène, d’une fièvre ou de tout autre signe de sepsis. Elle nécessite une hospitalisation en urgence dans une structure spécialisée afin d’éviter une amputation du membre (lire le cas clinique p. 28).
La prise en charge par une équipe pluriprofessionnelle (voir la figure 2 ci-dessus) permet de considérer la situation de la personne dans sa globalité ainsi que les résultats du bilan médical, vasculaire et neuropathique.
Le succès de la cicatrisation repose sur la décharge stricte et permanente de la plaie, qui doit être suivie par le patient, pour diminuer les contraintes mécaniques pendant toute la durée de la cicatrisation. Ceci afin d’éviter une aggravation et une infection secondaire qui exposent à un risque d’amputation. La décharge peut se faire via des chaussures de décharge, une botte plâtrée fenêtrée. La décharge stricte, lorsqu’elle est réalisée par une équipe spécialisée, améliore l’observance du patient du fait de l’adaptation de l’orthèse.
Le débridement peut inclure un drainage en urgence (si la plaie est inflammatoire, quel que soit son statut vasculaire), au lit du malade si nécessaire, sur des pieds souvent indolores.
Le traitement local consiste en un nettoyage quotidien à l’eau et au savon, une détersion de l’hyperkératose et des tissus dévitalisés (après vérification du statut vasculaire). Concernant le pansement primaire, seul un pansement à base de sucrose octasulfate (le TLC-NOSF d’Urgo) a été retenu par les experts comme étant de bonne qualité méthodologique avec un haut niveau de preuve(2). Ce dispositif est donc le seul à être inclus dans les recommandations internationales de l’IWGDF (International Working Group on the Diabetic Foot) pour le traitement de la plaie du pied diabétique d’origine neuro-ischémique.
Les indications chirurgicales et de revascularisation doivent toujours être discutées en équipe multidisciplinaire spécialisée sans sous-estimer aucune des composantes (infectieuse, métabolique, vasculaire, mécanique) de la prise en charge de la plaie.
L’optimisation du traitement antidiabétique étant aussi une priorité, une mise sous insuline transitoire peut être décidée.
Le dépistage d’une dénutrition et son traitement sont également nécessaires.
L’amputation peut être envisagée en cas de problématique vasculaire et/ou infectieuse non maîtrisée. Lorsqu’elle n’est pas réalisée en urgence, une réunion de concertation pluridisciplinaire (diabétologue, médecin vasculaire et médecin de médecine physique et de réadaptation) permet un meilleur pronostic fonctionnel et évite des amputations itératives sur le même membre.
Les messages éducatifs doivent être repris avec le patient : lavage quotidien des pieds avec un savon neutre et de l’eau tiède, séchage soigneux, y compris entre les orteils, port de chaussettes propres non serrées et sans coutures. Il convient également d’insister sur l’intérêt de porter des chaussures adaptées, sans coutures internes, en matière souple (conseiller de les acheter en fin de journée). Les professionnels ont pour mission d’encourager les patients à consulter un podologue pour la prévention et les soins spécifiques.
→ À noter : au moins une consultation de podologie en ville est remboursée pour toutes les personnes atteintes de diabète.
Pour conclure, l’identification des patients à risque et la surveillance préventive demeurent les deux piliers permettant d’éviter les complications du pied diabétique. Malheureusement, de multiples facteurs empêchent cette surveillance, pourtant facile à première vue, rendant cette prévention encore trop insuffisante.
Notes
1. Morbach S., Furchert H., Gröblinghoff U. et al., “Long-term prognosis of diabetic foot patients and their limbs: amputation and death over the course of a decade”, Diabetes Care, 2012 Oct;35 (10):2021-7.
2. Assurance maladie, « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : les propositions de l’Assurance Maladie pour 2017 », 01/09/2016. En ligne sur : bit.ly/3Hut8dg
3. Rayman G., Vas P., Dhatariya K. et al., “Guidelines on use of interventions to enhance healing of chronic foot ulcers in diabetes (IWGDF 2019 update)”, Diabetes/Metabolism Research and Reviews, 2020 Mar;36 Suppl1:e3283.
4. Lipsky B. A., Abbas Z. G., Senneville É. et al., “Guidelines on the diagnosis and treatment of foot infection in persons with diabetes (IWGDF 2019 update)”, Diabetes/Metabolism Research and Reviews, 2020 Mar;36 Suppl 1:e3280.
5. Bouillet B., Meloni M., Guillaumat J. et al. « Un parcours de soins primaires pour améliorer la prise en charge et le pronostic des patients diabétiques avec une plaie de pied », Médecine des maladies métaboliques, fév. 2021;15 (1):85-9.
Autres sources
• Haute Autorité de santé, Collège national de pédicure-podologie (CNPP), « Évaluations du pied d’un patient diabétique », 26/11/2020. En ligne sur : bit.ly/3MUxACT
• Haute Autorité de santé, « Affection podologique & diabète : un suivi pluriprofessionnel », 08/12/2020. En ligne sur : bit.ly/3tBcxPe
Monsieur Michel, 52 ans, ouvrier, marié et père de trois enfants, a comme antécédents :
– une dyslipidémie traitée par atorvastatine 20 mg, 1 comprimé par jour ;
– une hypertension artérielle équilibrée sous losartan 50 mg, 1 comprimé par jour ;
– un diabète de type 2 déséquilibré (HbA1c à 9 %), compliqué d’une rétinopathie diabétique, traité par metformine 850 mg, 3 comprimés par jour ;
– un tabagisme sevré depuis dix ans ;
– un IMC à 29.
Le patient présente une hyperthermie à 38,4 °C et une plaie d’origine mécanique (chaussures de chantier neuves), superficielle, de 2 cm de diamètre, située sur le gros orteil droit qui est douloureux. La plaie est bourgeonnante avec une peau périlésionnelle inflammatoire, des exsudats verts et malodorants.
L’examen du pied retrouve une hyperkératose au niveau du talon, des orteils en marteau, une onychomycose, pas d’intertrigo, une peau lisse et brillante, normothermique avec présence des pouls pédieux et tibial postérieur.
CONDUITE A TENIR
Monsieur Michel présente une plaie du gros orteil, des signes d’infection avec une fièvre chez un patient ayant un diabète déséquilibré. Il faut l’adresser en urgence vers une structure spécialisée du pied diabétique.
La Haute Autorité de santé (HAS) recommande un dépistage annuel du risque podologique pour tout patient diabétique. Il peut être effectué par le médecin traitant, le diabétologue ou un pédicure-podologue.
Ce dépistage permet d’évaluer la gradation du risque lésionnel, lequel conditionne le remboursement des soins et d’orienter le patient, si besoin, vers une prise en charge spécifique.
L’association Espace Vie, créée en 2013, regroupe des soignants de l’Essonne pour optimiser l’offre de soins primaires. Dans ce cadre, un groupe diabète a été constitué, avec plusieurs objectifs, dont la mise en place d’un parcours de soins coordonné et sécurisé pour les diabétiques. Un travail a été mené en lien avec le centre hospitalier sud francilien pour les patients porteurs de plaie du pied diabétique. Un protocole pluriprofessionnel a été rédigé, incluant les modalités d’adressage des patients à l’hôpital de jour du pied diabétique. Les professionnels de ville peuvent demander un avis via un outil numérique sécurisé où toutes les informations concernant le patient sont enregistrées avec une photo de laplaie. L’IDE coordinatrice de pied diabétique accepte la demande, recontacte le soignant libéral si besoin et s’occupe de planifier l’hôpital de jour. Cela permet une fluidité du parcours, une orientation facilitée, une hiérarchisation des demandes et une planification optimisée. Cette organisation a été reprise par les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui ont vu le jour depuis, comme la CPTS Santé Seine Essonne.
Le délai de cicatrisation des lésions reste important malgré la mise en place d’un protocole de soins recommandé. Il est aussi dû au retard de prise en charge en milieu spécialisé. Depuis vingt ans, on sait que la précocité de la prise en charge, indépendamment des autres facteurs, multiplie les chances de cicatriser(1). La chronicisation de la plaie augmente la difficulté des tissus à cicatriser. L’étude Explorer montre que le paramètre « ancienneté de la plaie » a un effet négatif significatif sur le taux de cicatrisation(2). D’où la nécessité d’une prise en charge la plus précoce possible avec avis d’un centre expert (voir la figure 2 p. 31). Seule une équipe pluridisciplinaire, qui additionne les compétences et la confrontation des expériences, rend réalisable des résultats optimaux en termes de taux et de délais de cicatrisation, de sauvegarde du membre et de prévention des récidives. Mais une double limite repose sur l’interface ville-hôpital à améliorer et un manque d’équipes dédiées et spécialisées, ce qui explique certaines inégalités territoriales dans les prises en charge. Les inégalités sociales, culturelles et financières(3) sont aussi des obstacles importants. De ce point de vue, les infirmières et les infirmières en pratique avancée en soins primaires sont essentielles, notamment dans la prévention, l’éducation, l’évaluation des risques, l’orientation et le suivi des patients. La nouvelle organisation des soins primaires est en train de renforcer la collaboration ville-hôpital.
1. Margolis D. J., Allen-Taylor L., Hoffstad O., Berlin J. A., “Diabetic neuropathic foot ulcers: the association of wound size, wound duration, and wound grade on healing”, Diabetes Care, 2002 Oct;25 (10):1835-9.
2. Edmonds M., Lázaro-Martínez J. L., Alfayate-García J. M. et al., “Sucrose octasulfate dressing versus control dressing in patients with neuroischaemic diabetic foot ulcers (Explorer): an international, multicentre, double-blind, randomised, controlled trial”, The Lancet Diabetes & Endocrinology, 2018 Mar;6 (3):186-96.
4. Leese G. P., Feng Z., Leese R. M. et al., “Impact of health-care accessibility and social deprivation on diabetes related foot disease”, Diabetic medicine, 2013 Apr;30 (4):484-90.