PRÉVENIR LA CONTAMINATION PAR MICRO-ORGANISMES FÉCAUX
JE ME FORME
FICHE DE SOINS
Claire Manicot* Dr Anne-Gaëlle Venier**
*médecin de santé publique au Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) Nouvelle-Aquitaine et coordinatrice de la Mission d’appui transversal à la prévention des infections associées aux soins (Matis)
D’après l’enquête réalisée en 2017 par Santé publique France, les infections associées aux soins (IAS) touchent 5 % des patients hospitalisés dans des établissements, en France. La plupart du temps, ce sont des infections urinaires mais également des pneumonies souvent concomitantes à l’intubation ; des bactériémies liées à la pose de cathéters, des infections cutanées, gastrointestinales, etc. Bon nombre des micro-organismes responsables de ces infections viennent du tube digestif, réservoir naturel phénoménal de micro-organismes fécaux, à raison de 100 milliards par gramme de selles. Ils sont invisibles au quotidien mais on dénombre pas moins de 10 milliards de bactéries sur un sous-vêtement après défécation. Ces micro-organismes se disséminent sur les vêtements et le lit, le bassin, le siège des toilettes, les surfaces (robinet de lavabo, poignées de porte, linge, etc.) ainsi que sur les mains. On parle de « péril fécal » afin d’alerter les esprits.
La prise en charge thérapeutique s’est complexifiée avec les bactéries résistantes aux antibiotiques qui allongent la durée de guérison, voire engagent le pronostic vital des patients les plus fragiles. Parmi les micro-organismes fécaux, on retrouve des bactéries hautement résistantes aux antibiotiques émergentes (BHRe), l’Enterococcus faecium résistant aux glycopeptides (ERG) et les entérobactéries productrices de carbapénémases (EPC).
Les infections dues à des virus sont largement sous-estimées dans les statistiques épidémiologiques, mais les progrès réalisés dans le domaine du diagnostic virologique permettent aujourd’hui de les mettre en évidence. Les virus transmis par voie oro-fécale en contexte de soins sont principalement le rotavirus, le norovirus et autres entérovirus.
En l’absence de mesures de prévention, les infections virales provoquent de véritables épidémies comme des gastroentérites au sein des structures de santé et médico-sociales.
Dans le cas des micro-organismes fécaux, la contamination de patient à patient est indirecte. La personne ou le porteur sain contamine un élément intermédiaire (surface, matériel, mains, gants du soignant) à partir duquel il contamine un autre individu. De même, le patient peut contaminer un dispositif invasif ou une plaie à partir de sa propre flore digestive. Les portes d’entrée sont multiples :
– muqueuses digestives (mains sales portées à la bouche) ;
– muqueuses nasales et oculaires (contact ou projection) ;
– brèche cutanée (plaie, brûlure) ;
– acte invasif (sondage urinaire, intubation, acte chirurgical).
Mais le passage de la colonisation à l’infection n’est pas systématique. Il va dépendre de la quantité de micro-organismes contaminants, de leur virulence et des facteurs de risque individuels (dénutrition, immunodépression, actes invasifs, etc.).
L’hygiène des mains, geste clé, permet au professionnel de santé d’éviter de se contaminer et de contaminer son patient. Elle est à réaliser :
– avant un geste invasif ;
– avant de toucher un patient ;
– après avoir touché un patient ;
– après avoir été en contact avec l’environnement proche d’un patient ;
– après avoir été en contact avec un liquide biologique.
On distingue deux types de produit dont les mécanismes d’action et les indications diffèrent : un savon combiné à l’eau ou une solution hydroalcoolique (SHA). La SHA, constituée d’alcool et d’émollients (glycérine, silicone), est un produit désinfectant dont l’efficacité est supérieure à celle du savon et dont l’utilisation est très rapide et réalisable en toute circonstance. Toutefois, il est à noter que seul le lavage à l’eau et au savon permet l’élimination des souillures.
• Quantité de produit : 1 ou 2 pressions (environ 3 ml) avec un flacon pompe.
• Gestuelle : frictionner la pulpe des doigts et les ongles, les pouces, les paumes et le dos des mains, les espaces interdigitaux, le dos des doigts et le haut des poignets.
• Séchage : en cas de lavage à l’eau et au savon, sécher les mains par tamponnement avec un essuie-mains à usage unique. Avec une SHA, frictionner jusqu’à séchage complet.
• Durée : 15-30 secondes avec une SHA, 40-60 secondes pour un lavage à l’eau et au savon (dont 15 secondes minimum pour le savonnage).
Dans les situations où il existe un risque de contact avec des selles (toilette intime, change de protection, manipulation de bassin ou de chaise percée), porter un tablier et des gants puis réaliser une hygiène des mains après le soin afin de limiter tout risque de contamination.
Le bionettoyage de la chambre et de la salle de bains est effectué quotidiennement, et immédiatement en présence de salissures dues à des vomissements et des diarrhées, avec des détergents pour supprimer les souillures et des désinfectants pour détruire les micro-organismes. Le matériel médical réutilisable doit être nettoyé entre deux patients selon le niveau de risque infectieux :
– matériel critique qui pénètre les tissus stériles (instruments de biopsie, chirurgicaux) : nettoyage puis stérilisation. Si le matériel n’est pas stérilisable, désinfecter avec un produit bactéricide, mycobactéricide, virucide, fongicide, sporicide et rincer à l’eau stérile ;
– matériel semi-critique qui entre en contact avec une peau lésée ou une muqueuse (lame de laryngoscope, par exemple) : nettoyage puis désinfection de niveau intermédiaire avec un produit bactéricide, mycobactéricide, virucide, fongicide ;
– matériel non critique qui n’est en contact qu’avec une peau intacte (stéthoscope, bassin, etc.) : nettoyage de bas niveau à l’aide d’un produit au minimum bactéricide.
Les alèses et protections à usage unique seront jetées dans des sacs fermés et éliminées en suivant la filière des déchets assimilés aux ordures ménagères (Daom).
S’il y a suspicion d’infection, ou qu’elle est avérée, ils suivront la filière des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) selon le protocole en vigueur dans l’établissement.
Le lavage manuel, méthode la plus à risque de contamination, est autant que faire se peut à éviter, et notamment le nettoyage avec la douchette qui risque de provoquer des éclaboussures de matières fécales et d’urine. Il est préférable d’utiliser une protection à usage unique à glisser dans le seau ou le bassin, qui sera ensuite éliminée dans un sac fermé dédié aux déchets ménagers, ou Dasri en cas d’infection, avant la sortie de la chambre. Le récipient est ensuite désinfecté et rangé à sa place.
Le bassin ou seau de chaise percée, recouvert par un couvercle ou un sac, est emmené dans un lave-bassin pour être nettoyé et désinfecté automatiquement. Le lave-bassin est considéré comme des W.-C. en ce qu’il élimine les selles, les urines et le papier hygiénique. Il existe également le broyeur qui permet d’éliminer les bassins en carton à usage unique.
Selon les situations (infections à bactérie multirésistante ou hautement résistante, diarrhée à Clostridioides difficile), des précautions complémentaires spécifiques seront prises et des conseils seront donnés aux patients.
Lutter contre les risques de contamination fait partie intégrante du rôle des infirmières et, plus largement, de l’ensemble de l’équipe soignante. Si les mesures de prévention peuvent paraître simples, leur mise en œuvre peut s’avérer complexe au quotidien. Rappeler les procédures et évaluer les pratiques apparaissent donc comme une nécessité pour assurer la sécurité des soins aux patients.
Dans un établissement de santé ou médico-social, tout le personnel peut être amené à propager des micro-organismes fécaux. La sensibilisation doit donc être constante et continue pour informer sur les risques et rappeler les précautions à prendre.
• Sur son site (preventioninfection.fr), le Réseau de prévention des infections associées aux soins (RéPias) propose une boîte à outils pour sensibiliser les professionnels de santé au risque de contamination par des micro-organismes fécaux. Élaborée par la Mission d’appui transversal à la prévention des infections associées aux soins (Matis). Celle-ci regroupe les supports d’évaluation, de formation et de communication.
• Gex-Simulator est un outil médico-économique qui permet à un établissement ou une collectivité de comparer, en termes de coût journalier, les méthodes utilisées pour éliminer les excreta des patients et des résidents : laveur-désinfecteur, sacs protecteurs à usage unique, lavage manuel, broyeur pour récipients à usage unique. Il suffit de renseigner le nombre de dispositifs utilisés par jour (bassins, urinaux, seaux) puis d’indiquer le degré de continence et de dépendance des patients. Cet outil est une base pour engager une réflexion sur la stratégie d’élimination des déchets organiques.
• E-learning « Péril fécal » : les professionnels de santé sont invités à s’inscrire sur cette plateforme qui propose quatre modules de formation conduisant à l’obtention d’un diplôme nominatif.
• Des outils de communication (lire l’encadré ci-dessus à gauche) avec des séquences vidéo et une plaquette destinée aux patients, ainsi qu’une méthodologie pour inciter les personnels soignants à mettre en œuvre une action de sensibilisation ludique, la « campagne fluo », dans leur établissement.
1. Venier A.-G., Éviter les contaminations lors des soins, éditions Le Coudrier, 2021.
2. Réseau de prévention des infections associées aux soins « Boîte à outils Péril fécal ». En ligne sur : bit.ly/3MEZJoH
3. Santé Publique France, « Enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales et des traitements anti-infectieux en établissements de santé », mai-juin 2017, septembre 2019.
4. Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), « Hygiène des mains et soins : du choix du produit à son utilisation et à sa promotion », mars 2018. En ligne sur : bit.ly/3zyZi5d
Lancée en 2020, la « campagne fluo » invite les soignants à se transformer en équipes policières pour partir à la recherche de traces de selles fictives à la lampe ultraviolet, comme s’il s’agissait d’une scène de crime. La première étape consiste à désigner un référent en charge de la coordination, puis, dans un second temps, à mettre en œuvre l’une des trois interventions proposées.
→ Entretien de deux chambres : le référent dépose de façon aléatoire trois gouttes de produit fluorescent sur trois surfaces dans chaque chambre (par exemple sur la sonnette, la table de chevet, la poignée de la salle de bains) et fait une photo pour se souvenir de l’emplacement exact. L’entretien est réalisé par deux membres de l’équipe habituelle. Ensuite, le référent regarde si la fluorescéine apparaît à la lampe UV sur les six surfaces et prend une photo en cas de réaction pour que toute l’équipe visualise les résultats.
→ Toilette au lit : comme précédemment, auprès d’un patient consentant, ou sans patient, un soignant réalise une toilette. Ensuite, une goutte de produit est déposée sur le gant et une autre dans la bassine. Une fois la toilette terminée, après avoir plongé la pièce dans le noir, une évaluation est réalisée à la lampe UV.
→ Gestion d’un bassin plein : au préalable, le référent confectionne une selle fluorescente avec de la farine, de l’eau et de la fluorescéine. Cette selle est déposée dans un bassin auprès d’un patient acceptant la démarche (ou sans patient). Un soignant récupère ensuite le bassin et le gère selon la procédure habituelle. Une fois la tâche terminée, la lampe UV est passée sur les surfaces environnantes dans la chambre, la salle de bains et éventuellement le vidoir.
Ces animations ludiques sont destinées à sensibiliser et non pas à évaluer. Ce point est très important à expliquer pour recueillir l’adhésion des soignants au projet. Un guide de 48 pages, précis et didactique, disponible en ligne (bit.ly/39f2hVS), détaille la démarche : mise en condition de l’équipe, information éventuelle du patient, matériel à prévoir, déroulé, débriefing.
Principe d’utilisation :
– imprimer en couleur et plier plusieurs plaquettes ;
– distribuer une plaquette à chaque patient selon deux modalités au choix : la déposer sur la table de nuit et laisser le patient se l’approprier ou la donner en main propre et consacrer quelques minutes pour expliquer le contenu et l’importance de chaque geste.