REMPLACEMENT, ASSOCIATION OU COLLABORATION ?
MODE D’EXERCICE
J’EXERCE EN LIBÉRAL
GESTION
Dès lors qu’une infirmière souhaite se lancer en tant que libérale, plusieurs possibilités s’offrent à elle pour débuter. Que ce soit en tant que remplaçante, en association ou en collaboration, chacune de ces options présente un certain nombre d’avantages et d’inconvénients.
Se lancer en tant que libérale n’est jamais un choix très clair et défini, souligne Agathe Blondeaux, juriste spécialisée en professions libérales chez Fiducial. Les infirmières qui l’envisagent sont souvent confrontées à de nombreux questionnements. »
Meilleures conditions de travail en comparaison au salariat, indépendance, autonomie, hausse du revenu d’activité, facilités en termes d’organisation et donc, retentissement positif sur la vie familiale, etc. : les attendus de l’exercice libéral sont conséquents. Pourtant, tant que le pied n’a pas été mis à l’étrier, difficile de savoir comment les choses vont réellement se dérouler.
Face à toutes les interrogations que peut susciter le libéral, les professionnelles de santé choisissent souvent de commencer en faisant des remplacements. Mais encore faut-il aimer être mobile, savoir s’adapter aux besoins, aux horaires ainsi qu’à la patientèle des autres Idels. « Ce contrat est conseillé avant d’envisager de s’installer car cela va permettre d’observer différents modes de fonctionnement », indique la juriste. La soignante va ainsi pouvoir tester ce type d’exercice, découvrir le relationnel avec les patients à domicile et les diverses options d’installation (en binôme, au sein d’un cabinet de groupe à deux ou trois infirmières, ou dans une maison de santé pluriprofessionnelle). Et ce, à moindre coût puisque le remplacement n’exige aucun investissement de départ. En tant que remplaçante, l’infirmière n’a pas à gérer de cabinet, ni à assurer la continuité des soins en dehors de son contrat de travail. Elle effectue la tournée avec les feuilles de soins de la remplacée et perçoit les honoraires au nom de celle-ci avant de toucher une rétrocession. En revanche, elle n’a pas le droit de développer sa propre patientèle, ni de remplacer deux tournées en même temps. Les règles concernant ce statut sont strictes (lire l’encadré « Les règles du remplacement » page ci-contre). Pour Marie-Claude Daydé, infirmière libérale installée en Haute-Garonne en association depuis vingt ans, « il vaut mieux être remplaçant longtemps et être sûr de son choix plutôt que de s’installer trop rapidement et prendre le risque de le regretter ». De son côté, Florian Lamothe, Idel titulaire dans l’Essonne, émet des réserves. Alors qu’il était infirmier hospitalier, il a eu l’opportunité d’effectuer un remplacement avec possibilité de racheter la patientèle. « J’ai souhaité essayer car je voulais changer de mode d’activité, raconte-t-il. Le remplacement m’a certes permis de découvrir le libéral, mais uniquement la partie émergée de l’iceberg. On ne se rend pas compte de toutes les responsabilités que le titulaire doit gérer. Le remplacement offre finalement une vision assez restreinte de l’exercice. C’est une bonne entrée en matière mais il ne faut pas se reposer que sur cela si l’on souhaite être titulaire. »
Si pour certaines soignantes les remplacements constituent une étape préliminaire en vue d’une installation, un galop d’essai qui va confirmer ou non leur projet, pour d’autres, cette façon d’exercer leur convient et elles finissent par l’adopter. « C’est souvent le cas des personnes qui ne veulent pas d’attaches et ne souhaitent pas s’engager », fait savoir la juriste spécialiste.
Élodie Delneuf, fondatrice de la plateforme de remplacements dédiée aux professionnels de santé libéraux Soignant Nomade (lire l’encadré p. 47) rencontre, dans le cadre de son activité, de plus en plus de professionnelles de santé qui souhaitent revenir au remplacement. « En règle générale, les infirmières font le choix du libéral pour la liberté associée à ce mode d’exercice, souligne-t-elle. Si elles sont certes indépendantes dans leur façon de prodiguer les soins, elles vont en réalité être dépendantes des caisses d’assurance maladie et des patients, dans la mesure où elles sont contraintes d’assurer la continuité des soins. » Pour autant, elles ne veulent pas revenir au salariat car elles aiment le libéral et le relationnel avec les patients. La solution ? S’orienter vers le remplacement. « Elles y trouvent deux avantages, observe Élodie Delneuf. Tout d’abord, ne pas être responsable de la patientèle, donc ne pas avoir d’obligation de continuité des soins. Puis être maîtresses de leur emploi du temps. Certaines en profitent pour être davantage mobiles, pour consacrer du temps à leur famille ou encore mener un projet de formation et/ou de reconversion en parallèle. »
Avant d’être associée dans un cabinet, il est possible de passer par un statut intermédiaire, à savoir la collaboration. Comme l’explique l’ordre des infirmiers, le contrat de collaboration permet aux soignantes d’accéder progressivement à l’exercice libéral tout en bénéficiant de l’expérience de la professionnelle déjà installée et des moyens mis à sa disposition. La loi définit trois éléments clés de la collaboration. Tout d’abord, l’existence d’un contrat écrit. Puis, la possibilité pour la collaboratrice de se constituer sa propre patientèle. « C’est l’objet même du contrat et la collaboratrice doit être aidée par la titulaire pour y parvenir », explique Agathe Blondeaux. Dernier point : la préservation des intérêts de chacune, la titulaire ayant l’avantage de bénéficier du soutien de la collaboratrice pour assurer la continuité des soins, partager la charge de travail ainsi que les frais de gestion du cabinet. Concernant la collaboratrice, son intérêt consiste principalement en la possibilité d’exercer avec une mise à disposition par la titulaire de sa patientèle, de son local et de son matériel – en échange du versement d’une redevance –, de bénéficier d’un revenu sur la base des honoraires encaissés et de travailler en toute indépendance, sans lien de subordination. En revanche, elle n’a aucun pouvoir décisionnaire concernant la gestion du cabinet, elle ne peut cumuler les collaborations et a plus de responsabilités et de charges administratives qu’en remplacement puisque, par exemple, elle facture. « C’est finalement une mise à l’étrier sans responsabilités », résume la juriste. « Le contrat de collaboration est un bon préalable à l’installation, considère Marie-Claude Daydé. Contrairement à la remplaçante, la titulaire peut travailler en même temps que la collaboratrice, ce qui permet de voir si l’on envisage les soins de la même façon et apprendre à se connaître avant d’envisager une association. »
La soignante titulaire d’un cabinet a tout intérêt à faire appel à une collaboratrice, pour une durée déterminée ou indéterminée, dans plusieurs situations. « Tout d’abord, lorsqu’elle est confrontée à un surcroît d’activité avec un afflux de patients, explique Agathe Blondeaux. Cette collaboration peut donc être ponctuelle. » Mais la collaboration peut également être plus longue, notamment lorsque la titulaire souhaite accroître sa patientèle, sans pour autant souhaiter s’associer tout de suite car elle ne connaît pas la personne. Il est alors possible de prendre une collaboratrice en vue d’une association future. De même, le recours à la collaboration peut aussi être une solution lorsqu’une infirmière titulaire souhaite ralentir son activité ou, à l’inverse, quitter, à terme, le cabinet. La collaboration va donc pouvoir ou non évoluer vers une association ou un rachat de patientèle en fonction des opportunités.
Florian Lamothe a décidé de solliciter deux collaboratrices. « J’aimerais qu’elles deviennent mes associées, c’est d’ailleurs écrit dans leur contrat, car je souhaite développer mon cabinet pour qu’il devienne plus important, explique-t-il. Mais tout va dépendre de mon ressenti et de leur investissement. » Aujourd’hui, chacun des soignants du cabinet travaille dix jours, en moyenne 15 heures par jour, et un week-end sur trois. « Nous gérons ensemble nos vacances, ce qui nous évite d’avoir à faire appel à une remplaçante, ce qui serait du travail de gestion en plus », ajoute l’infirmier.
Mais la collaboration n’est pas sans risques pour l’Idel titulaire. « La collaboratrice peut très bien partir du jour au lendemain avec la moitié de la tournée qu’elles ont montée ensemble », souligne Maxence Raphael, libéral à Marseille (Bouches-du-Rhône). Dans ces cas-là, « le chiffre d’affaires du cabinet est analysé avant et après l’arrivée de la collaboratrice, ce qui va permettre une juste répartition », précise Agathe Blondeaux. « Je préfère l’association car avec une associée on partage les parts de la structure et on peut travailler ensemble à faire grandir l’actif », ajoute le Marseillais.
L’infirmière libérale peut être seule titulaire de son cabinet ou s’associer avec d’autres consœurs, ce qui implique une réflexion approfondie sur la manière dont l’exercice professionnel et la gestion du cabinet sont envisagés par chacune des soignantes. Car l’association peut mener à une mutualisation des dépenses et des recettes. « Je conseille a minima de faire un pacte d’associées, c’est-à-dire un contrat qui les unit autour des dispositions communes, souvent financières, sur la gestion du cabinet, donc de définir ce qu’elles entendent par association », suggère la juriste spécialisée. C’est aussi l’occasion de définir et d’écrire les règles du travail en commun : l’organisation des vacances, des remplacements, etc. L’association peut d’ailleurs conduire à la signature d’un contrat d’exercice professionnel à frais communs ou à la création d’une société (société civile de moyens, société civile professionnelle, société d’exercice libéral, société civile immobilière) (lire l’article « Installation : pour quelle société opter ? » p. 48).
« Devenir titulaire était un peu stressant », reconnaît Florian Lamothe, qui s’est d’ailleurs entouré d’un comptable et d’un banquier pour s’organiser et sécuriser au mieux son engagement. « Lorsqu’ils ont analysé l’activité de l’ancienne titulaire au regard de ses déclarations 2035, ils m’ont rassuré, poursuit-il. Quant à l’exercice en tant que tel, il s’apprend sur le tas. » Les inconvénients peuvent être nombreux : les patients qui attendent uniquement après lui, la gestion du planning, assurer les revenus de ses collaboratrices, le paiement des charges, la gestion du démarchage. « Ce sont des questionnements permanents, mais les avantages sont tout aussi nombreux, assure-t-il. En étant titulaire, j’ai une stabilité de mon métier et je ne dépends de personne. Aujourd’hui, je fais les plannings en fonction des demandes de mes collaboratrices, mais je reste seul décisionnaire. »
« L’association est un mariage ou du moins un Pacs, plaisante à moitié Marie-Claude Daydé. D’où l’importance d’avoir collaboré dans un premier temps pour apprendre à se connaître. Lorsque l’on travaille de façon régulière et continue, le mieux, selon moi, est d’être associées car cela permet d’être à parts égales et d’avoir une implication à même hauteur dans la gestion du cabinet et dans la réalisation des soins. » « Dans les zones surdotées, il est aujourd’hui quasiment obligatoire d’être associé, car trouver des remplaçants exerçant dans les conditions réelles du remplacement est devenu difficile, constate François Poulain, Idel à Marseille et président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et travailler seul est difficilement gérable. » Et le soignant parle d’expérience : il y a une vingtaine d’années, il est passé du salariat au libéral en débutant immédiatement en association. « Cela ne m’a pas fait peur car il s’agissait selon moi de l’unique solution pour pouvoir travailler en libéral. » Mais après seulement quelques semaines, son associée lui annonce qu’elle arrête le libéral en lui laissant toute la patientèle. Pendant huit mois, François Poulain travaille seul quotidiennement, jusqu’à ce qu’il trouve un nouvel associé avec lequel il a collaboré pendant vingt ans. « Nous nous sommes séparés récemment car nous n’étions plus sur la même longueur d’onde sur ce qui nous anime dans la prise en charge des patients », reconnaît-il. Ils se quittent en partageant la patientèle. « L’association implique forcément un contrat très “carré”, souligne-t-il. Tant que les relations sont au beau fixe, tout va bien, mais dès qu’elles se dégradent, la séparation peut être compliquée à gérer s’il n’y a pas de contrat solide. » Depuis quelques mois, l’infirmier libéral a rejoint un autre cabinet où ils sont dix associés et gèrent plusieurs tournées, ce qui présente un certain nombre d’avantages, parmi lesquels la possibilité de salarier une secrétaire qui permet de libérer du temps administratif aux soignants. « Tout l’aspect logistique est vraiment intéressant dans un cabinet de grande taille », estime-t-il. Et de conclure : « Si tous les Idels s’associaient pour constituer des cabinets importants, nous serions une force vis-à-vis de l’hospitalisation à domicile, des services de soins infirmiers à domicile, et de tous ceux qui cherchent à entrer en concurrence avec notre profession. »
Les règles concernant le remplacement sont strictes : la remplaçante ne peut travailler que si la collaboratrice ou la titulaire est absente pour un congé, une formation, une maladie, une maternité ou une activité syndicale. De même, titulaire et remplaçante ne peuvent exercer en même temps. Le remplacement étant temporaire et non régulier, le contrat est donc obligatoirement à durée déterminée. « Les règles sont assez connues mais pas toujours appliquées du fait des problématiques de démographie, fait savoir Marie-Claude Daydé, Idel en Haute-Garonne. Dans les zones surdotées, il n’est plus possible de prendre de collaboratrice car la collaboration est considérée comme une installation. Or, dans ces zones, il faut un départ pour une arrivée. » « Aujourd’hui, dans les zones surdotées, 80 % des titulaires font appel à des remplaçantes pour faire de la collaboration déguisée », dénonce Maxence Raphael, Idel à Marseille.
Alors, quelle alternative ? Éventuellement le salariat, autorisé par l’avenant 6 à la convention nationale des infirmières et infirmiers libéraux ; la salariée pouvant travailler en même temps que l’Idel conventionnée. Mélanie est salariée d’un cabinet libéral depuis deux ans. « Lorsque j’ai voulu m’installer en libéral, j’ai fait les démarches pour être remplaçante », témoigne-t-elle. Après avoir lu l’annonce pour le poste qu’elle occupe aujourd’hui, elle est séduite. « J’ai pensé qu’une première expérience en CDI serait une bonne idée, d’autant que des infirmières remplaçantes m’avaient fait part de leurs difficultés à finir certains mois ou de leurs revenus irréguliers, ce qui m’effrayait », reconnaît-elle. En tant qu’infirmière salariée, elle gagne 2 000 euros net par mois auxquels s’ajoutent au minimum 400 euros par mois d’indemnités kilométriques – montant qui évolue en fonction des kilomètres parcourus pendant la tournée. « Je bénéficie aussi d’une mutuelle, des congés payés, je n’ai aucune charge à payer, je cotise pour ma retraite et j’ai un roulement fixe de tournée, ce qui me permet de m’organiser sur l’année, ajoute-t-elle. Ce fonctionnement m’apporte une vraie tranquillité d’esprit. »
Paul*, infirmier libéral à Montpellier (Hérault).
« Au sein de notre cabinet, nous sommes deux titulaires à avoir décidé de salarier un infirmier, comme nous en donne la possibilité l’avenant 6 de notre convention nationale. Cela requiert une structuration différente du cabinet, notamment une rigueur administrative et comptable. Mais nous avons fait ce choix pour pouvoir exercer notre profession dans les règles et développernotre patientèle grâce à des effectifs supplémentaires. Car aujourd’hui, au regard de ce que nous voulons effectuer comme travail, nous ne pouvons pas tourner avec des remplaçants, au risque d’être accusés de collaboration ou de salariat déguisé. La différence entre un remplaçant et un salarié est finalement très infime en zone surdotée. Dans le cadre d’un contrat de travail, si celui du remplaçant est récurrent, l’Urssaf peut nous accuser de salariat déguisé et nous faire un rappel de charges sur trois ans. Ce sont nos comptables qui nous ont informés de ce risque. Nous préférons donc supporter la lourdeur administrative d’un salarié qui sait qu’il doit effectuer son nombre d’heures par jour en échange d’un salaire. En revanche, ce n’est pas à lui de remplir la tournée et de gérer le cabinet. Aujourd’hui, notre choix est encore mal perçu par certains de nos confrères et consœurs. Il est difficile de faire changer les mentalités. Certains effectuent des tournées au noir, d’autres les font faire par des aides-soignantes en se tapant dans la main. Certaines pratiques sont incroyables ! »
* Témoignage anonymisé
Soignant Nomade est une plateforme lancée début 2022 permettant un « matching » entre les critères d’une titulaire ou d’une collaboratrice à la recherche d’une remplaçante, et ceux des remplaçantes. L’outil s’adresse à tous les professionnels libéraux, mais actuellement, les infirmières sont les utilisatrices les plus nombreuses. « Un algorithme permet d’effectuer une présélection de remplaçantes inscrites sur la plateforme en se basant sur les critères de la future remplacée concernant l’organisation de son cabinet, les soins à prodiguer ou encore la rétrocession », explique Élodie Delneuf, la fondatrice de l’outil. Un membre de l’équipe affine ensuite la sélection sur la base de critères humains. Une fois cette présélection effectuée, la fiche de mission est envoyée aux remplaçantes retenues. « Les profils de toutes celles qui candidatent sont alors envoyés à la titulaire qui, après une première rencontre et parfois une tournée blanche, choisit sa remplaçante », indique-t-elle. Et d’ajouter : « Le suivi que nous offrons apporte une crédibilité et une fiabilité à la fois à la remplaçante et à la remplacée. Car souvent, la plus grande crainte de la remplacée est que la remplaçante se désiste quelques jours avant la prise de fonction, la mettant en difficulté en raison de la continuité des soins qu’elle doit assurer. » Le contrat généré sur la plateforme peut être signé par les deux parties avant d’être transmis à l’Ordre. La plateforme est gratuite pour les remplaçantes ; les titulaires et les collaboratrices doivent payer un abonnement mensuel de 29 euros.