CHIENS CÂLINS SUR PRESCRIPTION - Ma revue n° 024 du 01/09/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 024 du 01/09/2022

 

SANTÉ MENTALE

VIE PRO

COMPÉTENCES

Éléonore de Vaumas  

La cynothérapie, qui introduit la présence canine dans la relation de soin, a le vent en poupe. Au CH Esquirol de Limoges (87), elle fait partie intégrante de l’institution spécialisée en santé mentale, grâce à l’implication personnelle et professionnelle de Céline Courbet.

Sur son bras, elle a fait tatouer un chien portant une couronne, une façon subtile et efficace d’annoncer la couleur. Car, dans la vie de Céline Courbet, 39 ans, les chiens sont rois. Et ce, d’aussi loin que remontent les souvenirs de cette infirmière en psychiatrie au CH Esquirol de Limoges (87). « J’avais 4 ans quand mes parents ont accepté de m’offrir un chien. Le premier d’une longue série puisque, aujourd’hui, j’en suis au total à 12 ou 13 chiens, en comptant les 5 qui vivent actuellement avec nous. » Parmi eux, il y a Vega, une chienne croisée border collie, 12 ans et demi au compteur, Lulu, un berger américain miniature de 4 ans, Pumba, une alano espagnole âgée de 3 ans, et le petit dernier, Sensei, un bichon havanais d’1 an. Des recrues de tous poils qui se relaient toute l’année à l’hôpital où leur maîtresse anime des séances de médiation animale. Voilà huit ans en effet que la soignante a opéré un tournant radical dans sa carrière en ajoutant à son savoir-faire d’IDE psychiatrique une expertise en cynothérapie. Elle est alors recrutée dans l’unité réservée aux personnes souffrant de troubles anxiodépressifs. Là avaient lieu les premières séances de médiation animale introduites sous l’impulsion des psychiatres Élodie Audebert et Guillaume Verger. « À l’époque, il y avait tout à construire et seulement deux chiennes, Vega et Izzy, la chienne d’un des deux médecins. On cherchait surtout à se faire la main », rembobine l’IDE. Trois ans plus tard, l’unité cesse son activité pour cause de fermeture de lits. Entretemps, les contours du projet ont été peaufinés et l’intervenante s’est formée (lire l’encadré page ci-contre). Sous cette version plus aboutie, il séduit davantage la direction de l’hôpital, qui décide de le déployer à toutes les unités du pôle de psychiatrie adulte, puis, lors de son transfert au tout nouveau pôle d’activités transversales en 2020, à l’ensemble des patients.

BIEN DANS SES PATTES

Dans cet immense hôpital dédié à la santé mentale se côtoient des publics aux profils très divers. De l’enfant de 3 ans jusqu’aux personnes âgées, en passant par des patients souffrant d’importants déficits psychiques et moteurs, tous sont susceptibles de prétendre à ce type de thérapie alternative. « La médiation animale est un outil qui peut être utilisé par tous les professionnels qui font de l’accompagnement, soignants comme éducateurs spécialisés, orthophonistes, ergothérapeutes ou encore enseignants. Mais le projet de Céline fait partie des plus aboutis. En psychiatrie, la relation avec le soignant peut être complexe. Or, grâce à ses quatre chiens, elle parvient à instaurer un climat de confiance qui contribue à apaiser le patient », détaille Mélanie Martin-Teyssere, vétérinaire et éducatrice canine à Pont-du-Château dans le Puy-de-Dôme (63). En agrandissant son précieux cheptel canin pour s’ajuster à la demande croissante, l’infirmière a pris soin de sélectionner des chiens pour leurs qualités et leurs caractéristiques très différentes. « Chaque chien, malgré la race à laquelle il appartient, a un tempérament qui lui est propre. Il faut donc en choisir un dont les parents sont à l’aise avec l’être humain. Puis, pour qu’il découvre le monde, lui faire vivre des expériences positives dès ses premiers mois. S’il habite à la campagne, par exemple, lui faire voir ce qu’est une ville ou lui faire rencontrer des personnes avec des béquilles, en fauteuil, des personnes de couleur ou qui portent un casque… C’est là un des secrets pour avoir un chien bien dans ses pattes », révèle Céline Courbet. La première rencontre avec le milieu hospitalier a lui aussi lieu très tôt, entre deux et quatre mois, histoire que les nouvelles recrues poilues considèrent leur lieu de travail comme leur seconde maison. Pour les accueillir, un bureau leur est attitré, idéalement situé en plein cœur de l’hôpital, avec un accès direct sur l’extérieur. De quoi faciliter les nombreux allers-retours quotidiens entre le grand parc arboré et la salle de consultation. Jeux de cache-cache, pistage, initiation à l’agility (parcours d’obstacles)… ces sorties sont autant de prétextes pour aider le patient à interagir librement avec l’animal. L’intervenante peut aussi envisager des activités en salle telles que des séances de toilettage, de soins apportés au chien, de brossage ou encore des câlins. Dans cette intention, la salle de soins est spécifiquement équipée d’une table sur laquelle le chien, selon sa taille, vient s’installer pour être à hauteur d’homme. À la fin de chaque séance, d’une durée d’une heure, Céline Courbet rend compte de ses observations qu’elle partage ensuite avec le reste de l’équipe soignante référente.

PROFESSIONNEL SINON RIEN

Sous ses airs faussement ludiques, cette pratique n’a rien d’une distraction. Elle vise en effet à répondre à des objectifs bien précis et, pour cela, doit idéalement être encadrée par un médecin du service qui délivre une prescription. À ce titre, l’intervention d’un professionnel formé y est fortement encouragée. Un professionnel qui, comme Céline Courbet, tire parti des interactions entre le patient et un chien pour atteindre des objectifs thérapeutiques ou éducatifs définis avec les équipes soignantes. « On ne peut pas faire tout et n’importe quoi en médiation animale. Il faut sécuriser à tous les niveaux, pour le patient, le professionnel, mais aussi pour l’animal. On a donc besoin de spécialistes pour garantir la qualité et le cadre de l’intervention ainsi que son intégration dans le parcours du patient », abonde Laurent Arnaud, chef du pôle activités transversales. Là réside la clé de la réussite d’un tel programme. Sans ces conditions et le professionnalisme de l’intervenant, l’activité peut rapidement devenir inutile, voire délétère. Complémentaire à l’allopathie, de la même façon que l’art-thérapie, le sport ou la méditation, la médiation animale présente en outre l’intérêt d’agir directement sur l’alliance thérapeutique en renforçant la relation d’aide. Ses bénéfices sont variables, aléatoires tant les prises en charge diffèrent les unes des autres, mais présents malgré tout. « Ce n’est pas magique. Parfois, ça ne fonctionne pas du tout. Parfois, ça fonctionne le temps d’une séance puis les effets s’estompent ensuite, parfois ça permet une amélioration thymique, de meilleures interactions dans les unités, une mise à distance ponctuelle des ruminations habituelles, moins de mutilations… Pour moi, si on arrive à un état de bien-être durant la séance, c’est déjà beaucoup », avoue Céline Courbet. Avec les enfants, les progrès peuvent être en revanche plus palpables. L’infirmière se souvient ainsi de ce garçonnet, réticent à toute forme de traitement qui, grâce à la médiation animale, est parvenu à nouer un lien avec l’équipe médicale. Pour les petits, elle a d’ailleurs mis des séances collectives en place où elle en réunit au maximum quatre et observe comment ils coopèrent et se partagent l’attention de l’animal. « Je commence toujours en individuel et, quand je sais comment le patient travaille avec le chien, je crée des petits groupes dans cette perspective », complète la soignante.

DU SUCCÈS ET DES SOUTIENS

Depuis son essor en France dans les années 1980, la cynothérapie s’est faufilée avec succès dans de nombreux secteurs d’activité, en tête desquels l’éducation et la santé. En santé mentale, elle séduit aussi de plus en plus les structures qui collaborent avec des associations spécialisées. Rares sont celles qui, comme le centre hospitalier de Limoges et, quelques années avant lui, l’EPSM (Établissement public de santé mentale) de la Somme, font le choix d’internaliser cette pratique à leur offre de soins. « On est un peu des oiseaux rares dans l’Hexagone, reconnaît William Lambiotte, l’homologue amiénois de Céline Courbet. À l’inverse, au Japon par exemple, il existe un réseau national de médiation animale reconnu par le ministère de la Santé qui soutient les institutions dans le déploiement de cette pratique. » Ce soutien s’avère primordial pour que de tels projets portent leurs fruits. Sinon, qui pour régler les factures liées aux frais d’entretien et de santé du chien (lire l’encadré ci-dessus) ? Qui pour oser détacher un soignant à temps plein et mettre des locaux attitrés à disposition ? Qui enfin pour valoriser cette thérapie et la rendre accessible au plus grand nombre ? « Un chien, ce n’est pas un objet qu’on peut poser dans un coin et reprendre le lendemain. Il faut, d’une part, quelqu’un qui ait cette volonté de s’en occuper en dehors des consultations, et de l’autre, une direction prête à investir dans ce projet pour qu’il ait du sens », appuie Laurent Arnaud. Il est aussi recommandé, au moins au début du projet ou à l’occasion d’un changement de public, de procéder à une évaluation des chiens par un vétérinaire spécialisé dans l’éducation canine. Cela, toujours afin de s’assurer du bien-être de l’animal et, par extension, du bon déroulement et de la qualité des soins. Au CH Esquirol de Limoges, plus personne ne s’étonne de voir sillonner Céline sans relâche les allées du parc avec ses patients et ses compagnons à quatre pattes. Mais qu’adviendra-t-il quand celle qui porte tout à bout de bras voudra ou devra passer le relais ? « On essaie de réfléchir à la façon dont on pourrait se développer. Au Québec, il y a des programmes où les chiens sont sélectionnés pour pouvoir travailler avec plusieurs intervenants différents. On pourrait aussi avoir une deuxième soignante formée qui exerce avec ses propres animaux », avance l’IDE. Pour l’heure, place à la prochaine patiente. Au menu de sa septième séance : balade au grand air et caresses à gogo. « J’adore venir ici, cela me vide la tête et j’apprends plein d’exercices de comportement que je peux ensuite appliquer avec mes propres animaux », se réjouit la jeune fille. Le large sourire qui éclaire alors son visage vaut plus que les grands discours.

La formation : que du bonus

Il n’existe actuellement ni diplôme ni certification reconnus officiellement. Pourtant, Mélanie Martin-Teyssere, vétérinaire et éducatrice canine dans le Puy-de-Dôme (63), en est convaincue, « il est important de passer par la formation si on ne veut pas desservir la médiation animale ». La cynothérapie demande en effet, outre une expertise dans le secteur de l’accompagnement social ou sanitaire, des compétences en comportement canin telles que le choix de l’animal et son éducation comme futur médiateur, l’anticipation des besoins spécifiques de matériels, la connaissance des règles à respecter en lien avec les animaux ou le repérage de la nervosité et des agacements de l’animal. Si elle n’est pas obligatoire, la formation est malgré tout accessible à travers de très nombreux organismes. « À chacun de choisir celle qui lui parle le plus, même si le label Qualiopi est un indicateur intéressant de qualité », conseille Céline Courbet qui, pour sa part, est titulaire du diplôme universitaire RAMA (Relation d’aide par la médiation animale), enseigné à la faculté de médecine de Clermont-Ferrand. Un savoir qu’elle n’hésite pas à compléter en continuant de se documenter sur le comportement canin via des formations en ligne ou des lectures.

Info +

COMBIEN ÇA COÛTE ?

Introduire une activité de cynothérapie a un coût. La question doit d’autant plus être posée que le bien-être et la santé d’un animal sont en jeu. « Un chien, ça peut de fait “tomber en panne” et c’est souvent cette incertitude qui refroidit les directions lorsqu’il s’agit de financer un projet de ce type au sein d’un établissement », témoigne Laurent Arnaud, chef du pôle activités transversales au CH Esquirol de Limoges. Dans ce dernier, outre le salaire de l’IDE à temps plein financé par la structure depuis 2017, les frais de fonctionnement (entretien, frais vétérinaires, matériel) liés à la présence des trois chiens (l’un d’entre eux est à la charge de l’infirmière) s’élèvent à environ 3 600 euros par an. Pour les couvrir, l’hôpital a reçu une enveloppe de 3 000 euros en 2018, puis 9 000 euros pour la période 2020-2021 de la part de la fondation Adrienne et Pierre Sommer, très investie sur les actions de médiation animale. À savoir, la fondation lance chaque année un appel à projets pour soutenir de nouvelles initiatives.