DÉCISIONS DE JURISPRUDENCE - Ma revue n° 024 du 01/09/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 024 du 01/09/2022

 

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JURIDIQUE

Gilles Devers  

avocat à la Cour de Lyon

Lien entre vaccinations et survenue d’une pathologie, défenestration d’un patient en cure de désintoxication, défaut de surveillance et dossier médical incomplet. Zoom sur trois décisions récentes de jurisprudence.

VACCINATIONS OBLIGATOIRES *

L’État, via l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), assume la responsabilité sans faute des vaccinations obligatoires, mais il faut que soit établi, de manière scientifique, un lien de causalité entre les troubles médicaux et la vaccination en cause (CAA de Nantes, 1er juillet 2022, 21NT02721).

Faits

Une infirmière a été vaccinée à plusieurs reprises entre 1992 et 2002, à titre obligatoire (CSP, art. L. 3111-4) en raison de ses activités professionnelles, contre l’hépatite B et contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. À partir de novembre 2007, elle a ressenti divers troubles à type de paresthésie et de fourmillements dorso-lombaires, et les a attribués à des symptômes d’une myofasciite à macrophages. Cette pathologie a été diagnostiquée en avril 2009. L’infirmière considère que ces symptômes sont en lien avec ses vaccinations.

Droit applicable

Lorsque l’Oniam est saisi d’un litige individuel portant sur les conséquences d’une vaccination présentant un caractère obligatoire, le juge doit tout d’abord s’assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques, qu’il n’y a aucune probabilité qu’un lien existe entre l’injection du vaccin et les symptômes attribués à la pathologie dont cette personne est atteinte. Si tel est le cas, il rejette les demandes d’indemnisation. Dans l’hypothèse inverse, il ne peut retenir l’existence d’un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires et les symptômes ressentis par la personne que si ceux-ci sont apparus postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d’affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n’étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents. Enfin, il vérifie que ces troubles ne résultent pas d’une autre cause.

Analyse

La Cour demande à l’Académie nationale de médecine de présenter des observations écrites, de caractère général, de nature à l’éclairer sur le point de savoir si, en l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’y a aucune probabilité qu’un lien de causalité existe entre la survenue de symptômes pouvant se rattacher aux manifestations cliniques caractéristiques d’une myofasciite à macrophages et l’administration de vaccins comportant des adjuvants aluminiques, et éventuellement d’autres vaccins n’en comportant pas.

DÉFENESTRATION D’UN PATIENT EN CURE *

Un service général qui accueille un patient psychiatrique ne peut pas être tenu au même régime de responsabilité qu’un service spécialisé, mais il engage toutefois sa faute si des carences dans l’organisation sont établies (CAA de Marseille, 2 juin 2022, n° 21MA00087).

Faits

Une patiente, admise dans un centre hospitalier (CH) général pour une cure de désintoxication alcoolique, s’est défenestrée après avoir absorbé de l’alcool à 90° et s’être soustraite à la mesure de contention qui avait été prise à son encontre.

Droit applicable

Pour établir l’existence d’une faute dans l’organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d’un patient atteint d’une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l’état de santé de ce patient fait courir le risque qu’il commette un acte agressif à son égard ou à l’égard d’autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d’un tel passage à l’acte, mais également du régime d’hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et de ses moyens.

Analyse

Un service d’hépato-gastro-entérologie n’est pas un service spécialisé dans la prise en charge des maladies psychiatriques. Dans ces conditions, ne peuvent être qualifiées de faute dans l’organisation du service la présence sur un chariot de soins d’un flacon d’alcool camphré que la patiente a été en mesure de subtiliser, et l’absence de sécurisation des fenêtres du service. Toutefois, dès lors qu’il avait été décidé de placer cette patiente sous contention en raison de son comportement agressif et violent consécutif à son absorption d’alcool, le fait qu’elle ait été en mesure de s’extraire des liens réalisés aux niveaux de ses poignets et de ses chevilles révèle l’existence d’une faute tenant au caractère inadéquat et insuffisant de cette contention. Le fait que le service ne disposait pas du matériel spécifiquement adapté à la morphologie de la patiente et son poids de 47 kg n’est pas exonératoire. Cette faute, qui a permis la divagation puis la défenestration de cette patiente alors qu’elle cherchait à s’enfuir dudit service, est directement à l’origine des blessures consécutives à sa chute dans le vide, et entraîne la responsabilité entière de l’établissement.

INSUFFISANCE DU DOSSIER MÉDICAL ET SURVEILLANCE **

L’insuffisance du dossier médical ne suffit pas à établir l’existence d’une faute dans la prise en charge, mais le juge doit tenir compte de cette carence probatoire quand il apprécie l’existence des fautes reprochées, et spécialement un défaut de surveillance (CAA de Bordeaux, 14 avril 2022, n° 20BX00250).

Faits

Un homme âgé de 65 ans et présentant des antécédents psychiatriques et cardiaques, a été transféré à deux reprises par les pompiers au service des urgences du CH de Libourne, le 6 décembre 2015 vers 22 heures, pour une crise d’anxiété avec trouble du comportement et perte de mémoire, et le 9 décembre 2015 vers 20 heures, pour une céphalée brutale avec des épisodes de perte de connaissance brefs dans un contexte de confusion, de désorientation et de faiblesse musculaire.

Les examens lors de la première hospitalisation n’ont montré aucune anomalie. Lors de la seconde, le patient, semi-mutique et présentant un score de Glasgow de 14, a été placé en surveillance dans l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD). Au cours de la journée du 10 décembre, il a présenté une agitation croissante culminant dans la nuit avec l’arrachement de la perfusion, une déambulation et la tenue de propos délirants, et à 0 heure 09 le 11 décembre, il a fait l’objet d’une contention et a reçu un traitement sédatif à base de benzodiazépines (Tranxène) et de neuroleptique (Loxapac). À 2 heures 50, un arrêt cardio-respiratoire est survenu après une bradycardie, et les soins dispensés durant dix minutes ont permis la reprise d’une activité cardiaque. Le patient a été transféré en réanimation, où il est décédé le 20 décembre 2015 des suites d’une souffrance cérébrale post-anoxique irrécupérable.

Expertise

Lors de l’expertise, aucun médecin n’était présent et le compte rendu d’hospitalisation était peu informatif, permettant seulement d’avancer des hypothèses. Selon les experts, l’emploi de benzodiazépines et d’un neuroleptique, traitement à fort potentiel de dépression respiratoire demandait une surveillance étroite, et en l’absence d’information sur l’évolution du patient après l’administration de ces produits sédatifs, « la surveillance n’a pas été ce qu’elle aurait dû être, ce qui a permis le développement d’une dépression respiratoire dont les conséquences auraient pu être prévenues si l’avis d’un réanimateur avait été demandé plus tôt ».

Le CH a été requis de communiquer « l’entier dossier médical ». Or, les documents fournis ne permettent pas de mettre en évidence la surveillance entre l’injection des sédatifs à 0 heure 09 le 11 décembre et le déclenchement de l’alarme à 2 heures 50. Aussi, les experts ont maintenu que l’issue fatale était liée à une surveillance inadaptée dans le service des urgences.

Droit applicable

L’incapacité d’un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l’intégralité d’un dossier médical n’est pas, en tant que telle, de nature à établir l’existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient. Il appartient en revanche au juge de tenir compte de ce que le dossier médical est incomplet dans l’appréciation portée sur les éléments qui lui sont soumis pour apprécier l’existence des fautes reprochées à l’établissement dans la prise en charge du patient.

Analyse

Avec son dossier incomplet, le centre hospitalier ne permet pas d’établir que la bradycardie serait survenue brutalement au moment où elle a été constatée. Il n’atteste pas non plus que le patient aurait fait l’objet d’une surveillance adaptée à sa pathologie cardiaque et aux effets des sédatifs administrés, et n’aurait pas présenté d’anomalie du rythme cardiaque avant 2 heures 50. Aussi, sa responsabilité pour faute doit être retenue. Selon les experts, une surveillance adaptée aurait probablement pu prévenir la survenue de l’hypoxie et ses conséquences. La perte de chance doit être fixée à 80 %.

* Source : Objectif Soins & Management, n° 288, septembre-octobre 2022

** Source : Objectif Soins & Management, n° 287, juin-juillet 2022