L'infirmière n° 025 du 01/10/2022

 

JE DIALOGUE

Laure Martin  

Infirmière en pratique avancée, Marie-Astrid Meyer, a rejoint la start-up ResilEyes Therapeutics, qui vise à proposer un dispositif médical pour les personnes ayant vécu un traumatisme psychologique. Riche des enseignements de son expérience, elle embrasse sa nouvelle carrière avec enthousiasme.

Pourquoi avoir décidé de devenir infirmière en pratique avancée (IPA) ?

Marie-Astrid Meyer : À l’origine, j’ai décidé de devenir infirmière car je voulais m’occuper des lépreux. Je suis fascinée par cette pathologie que l’on sait guérir ; en 24 heures, un patient n’est plus contagieux. Pour autant, nous ne parvenons pas à l’éradiquer alors que les patients diagnostiqués sont vite mis à la marge de la société. Mon souhait de faire de l’humanitaire a été remis en cause lorsque j’ai rencontré mon futur mari pendant mes études. Quitte à rester en France, j’ai décidé d’exercer en psychiatrie, car dans ce secteur, les patients sont également stigmatisés. J’y suis restée 16 ans. Les différentes formations que j’ai suivies m’ont permis d’accéder à des postes de plus en plus spécifiques. J’ai notamment obtenu un diplôme universitaire en Thérapies comportementales et cognitives (TCC). J’ai alors pu exercer en consultation auprès des jeunes adultes à risque d’entrée dans la psychose. Pour leur offrir une prise en charge optimale, j’ai souhaité me former davantage. C’est ainsi que j’ai découvert et suivi le master préfiguratif à la pratique avancée Sciences cliniques infirmières en coordination de parcours complexes de soins, validé en 2016. J’ai ensuite commencé à m’investir au sein de l’Anfiide(1), puis de l’Anfipa(2), qui a été associée aux groupes de travail du ministère de la Santé pour l’élaboration du métier d’IPA. Il m’était important de m’impliquer dans l’émergence de cette profession, qui offre une possibilité de changer la prise en charge proposée aux patients et apporte un regain de motivation pour les infirmières souhaitant diversifier leur pratique.

Avez-vous rencontré des difficultés en tant qu’IPA ?

M-A. M. : Je dois reconnaître que j’exerçais au sein d’un service précurseur : après l’obtention de mon master préfiguratif, j’ai été placée à un poste de faisant-fonction d’IPA, ce qui m’a permis de développer l’axe « parcours de soins et recherche » dans mon service. J’étais au bon endroit, entourée de professionnels qui connaissaient la pratique avancée. Néanmoins, j’ai été confrontée à différentes contraintes. La grande problématique pour les IPA est de savoir qui les gère au sein de l’établissement : un cadre ? Un cadre supérieur ? La direction des soins ? Très rapidement, on peut se retrouver au milieu d’une guerre de territoires et d’ego, qui pèse forcément sur la pratique. Il faut donc commencer par faire accepter ce nouveau métier, à la fois par des médecins qui craignent les IPA car nous pouvons prescrire ; par des cadres, qui nous craignent également car ils n’ont pas nécessairement de master et parce que, nous aussi, nous pouvons faire de la gestion de projet. Un malaise peut vite s’installer. Il manque une acculturation des équipes à ce nouveau métier, qui n’est pas suffisamment accompagné sur le terrain. Sans oublier ce qu’ont généré les contraintes budgétaires des hôpitaux : certaines IDE devenues IPA n’ont pas été remplacées…

Comment s’est déroulée votre expérience sur le terrain ?

M-A. M. : En tant qu’IPA, mes supérieurs m’ont demandé d’effectuer des consultations, trois jours par semaine sur deux centres médico-psychologiques (CMP). 22 psychiatres ont signé mon protocole ! Sur les 22, certains ne voulaient pas collaborer. J’ai en réalité travaillé avec sept médecins. Ma prise en charge a également été limitée auprès des patients atteints de schizophrénie résistante sous clozapine. Dans un premier temps, cela me convenait. Mais après six mois d’exercice, j’ai demandé à élargir mon champ d’intervention. À la place, ma hiérarchie a souhaité rajouter un troisième CMP, ce qui impliquait plus de psychiatres à signer mon protocole et une nouvelle équipe de paramédicaux à découvrir. Trois jours de consultations sur trois CMP : j’étais partout et nulle part.

Finalement, vous avez quitté le monde hospitalier…

M-A. M. : Dans le cadre de mon exercice, j’ai toujours fait de mes patients ma priorité. De fait, lorsque je précisais bloquer 45 minutes à 1 heure par consultation pour mes patients, mes supérieurs ne comprenaient pas ma démarche. Des enjeux financiers et médicaux dépassent l’exercice des IPA et il est difficile de lutter contre. Nous sommes souvent considérés comme étant uniquement des exécutants. Face à toutes ces contraintes, j’ai décidé qu’il était temps d’arrêter. En parallèle de mon exercice, j’ai eu l’occasion de rencontrer en 2019 Yannick Trescos, un ancien pharmacien militaire qui a créé une start-up afin de proposer une solution pour la prise en soins du stress post-traumatique. J’ai intégré son comité scientifique. Nos réunions se sont toujours déroulées dans un cadre bienveillant, ce que je ne retrouvais plus à l’hôpital. Lorsque j’ai souhaité quitter la fonction publique hospitalière, je l’ai contacté et il m’a embauchée.

Quel est l’objectif de la start-up ?

M-A. M. : Nous développons une solution numérique pour accompagner des personnes victimes directes ou indirectes d’un ou plusieurs événements traumatiques (accidents de la route, maladies, événements climatiques, terrorisme) afin d’agir en prévention de la survenue d’un stress post-traumatique. Tout l’enjeu est de les prendre en charge de façon précoce. Nous voulons proposer un dispositif médical (DM) connecté, utilisé dans le cadre de la prescription d’un professionnel de santé afin qu’il soit remboursable par l’Assurance maladie. Le côté numérique de la solution permettrait à la personne une accessibilité quotidienne. D’ici à la fin de l’année, nous débuterons un travail avec des établissements publics et privés, afin de tester notre DM sur une cohorte de patients et définir les process adaptés à chacun. De mon côté, en tant que Clinical and Research Coordinator, mon travail consiste notamment à créer la thérapie digitale du patient.

Quelle place les infirmières peuvent-elles avoir au sein de cet écosystème ?

M-A. M. : Dans l’univers de ResilEyes Therapeutics, l’idée n’est pas de remplacer les humains par le numérique mais de compléter une offre pas ou peu couverte par les professionnels. Notre solution s’inscrit dans le parcours d’accompagnement du patient, de détection précoce, d’aide au diagnostic et au suivi. L’objectif est donc de coupler le numérique et l’humain. Le patient a besoin d’échanger avec des professionnels de santé, en sus de solutions numériques. Nous allons par exemple proposer un suivi à distance, avec du télésoin, qui pourra être assuré par des infirmières et des IPA, qui vont devenir des care managers. Les infirmières ont toute leur place dans cet écosystème notamment parce qu’elles connaissent le patient, les parcours, le travail collaboratif. Yannick Trescos a d’ailleurs recruté quatre anciennes infirmières en reconversion. Je suis convaincue de l’importance de ces outils car le système hospitalier va mal et cela va prendre du temps pour qu’il change. Les start-up sont donc un moyen, pour les professionnels de santé, de s’épanouir dans une petite structure où tout le monde croit à l’importance d’un projet et partage des valeurs. Celles que j’ai perdues à l’hôpital, je les ai retrouvées chez ResilEyes Therapeutics.

1. Association nationale française des infirmiers et infirmières diplômés et étudiants.

2. Association nationale française des infirmiers en pratique avancée.

POURQUOI ELLE

Très investie dans la mise en place de la pratique avancée en France, Marie-Astrid Meyer a pourtant fait le choix de renoncer à l’exercice hospitalier pour rejoindre une start-up dans le domaine du numérique en santé. Elle ne remet pas pour autant en cause son parcours professionnel, au contraire ! Sa formation d’infirmière et d’infirmière en pratique avancée lui a permis d’acquérir des compétences, dont elle entend tirer profit dans sa nouvelle carrière. La structure de la start-up lui permettant de renouer avec ses valeurs et de s’épanouir…

BIO EXPRESS

2004 Diplôme d’État d’infirmière.

2016 Master préfiguratif de la pratique avancée à l’université d’Aix-Marseille.

2019 Rencontre avec Yannick Trescos, fondateur de ResilEyes Therapeutics.

2020 Master 2 IPA en psychiatrie à l’université de Paris-Cité.

2022 Clinical and research coordinator chez ResilEyes Therapeutics.