L'infirmière n° 025 du 01/10/2022

 

JE ME FORME

PHARMACO

Guillaume Saint-Lorant*   Claire Chalton**  


*MCU-PH au CHU de Caen (Calvados)
**cadre de santé formatrice en Ifsi.

L’IDE joue un rôle essentiel dans la prise en charge thérapeutique du patient lors de l’administration des médicaments. Pour assurer pleinement sa mission, la connaissance des risques et points de vigilance à respecter tout au long du traitement du patient est cruciale, de l’hôpital à sa sortie.

Le médicament est un produit de santé avec un enjeu fort pour les patients, et donc pour les soignants qui l’utilisent, compte tenu de sa capacité à « restaurer, corriger ou modifier les fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique »(1). Le médicament est spécifique car il est déterminé par des bénéfices attendus mais il est aussi associé à des risques, en particulier d’interactions médicamenteuses et d’effets indésirables.

L’arrêté du 6 avril 2011 définit comme médicaments à risque « les médicaments requérant une sécurisation de la prescription, de la dispensation, de la détention, du stockage, de l’administration et un suivi thérapeutique approprié, fondés sur le respect des données de référence afin d’éviter les erreurs pouvant avoir des conséquences graves sur la santé du patient (exemples : anticoagulants, antiarythmiques, agonistes adrénergiques IV, digitaliques IV, insuline, anticancéreux, solutions d’électrolytes concentrées…) »(2). Le texte précise qu’il s’agit le plus souvent de médicaments à marge thérapeutique étroite définis par une dose thérapeutique proche de la dose toxique comme le chlorure de potassium. Au-delà de cette définition, tous les médicaments sont potentiellement à risque pour le patient. Comme le paracétamol par exemple, avec lequel une hépatotoxicité peut survenir en cas de non-respect des posologies. Les médicaments à risque sont particulièrement dangereux pour les patients à risque définis par le même arrêté comme « des patients les plus à risques d’événements indésirables médicamenteux, avec un risque accru d’intolérance ou de surdosage relevant de mécanismes notamment pharmacocinétiques et pharmaco­dynamiques (insuffisance rénale, insuffisance hépatique, enfants, nouveau-nés et personnes âgées, femmes enceintes ou allaitantes…). »

POINTS DE VIGILANCE

La vérification de l’identité du patient et des médicaments à administrer doit être effectuée (date de péremption, aspect et intégrité du médicament, mode d’administration) au regard de la prescription médicale écrite. Les soignants se sont progressivement approprié la règle des 5 B reprise par la Haute Autorité de santé (Bon patient, Bon moment, Bon médicament, Bonne dose, Bonne voie)(3). Pour sécuriser encore plus l’administration des médicaments, cette règle pourrait intégrer d’autres éléments comme la vérification du Bon stockage et de la Bonne date de péremption.

La traçabilité : l’infirmière trace « les éléments nécessaires à la bonne prise en charge médicamenteuse du patient par le prescripteur » - dose administrée et heure d’administration, en temps réel - et la surveillance des données cliniques et biologiques (poids, température pour les anti-infectieux, pression artérielle pour les antihypertenseurs, diurèse pour les diurétiques, allergies médicamenteuses connues ou suspectées, évaluation de la douleur pour les antalgiques…)(3). Lors de la campagne associée à la tenue du dossier patient en 2014, le poids ne figurait pas dans 12 % des dossiers évalués exposant ainsi le patient à des doses non adaptées.

La gestion des aléas :

- en cas de non-administration (refus, nausées, vomissements…) ou de troubles de la déglutition, le prescripteur doit en être informé et le pharmacien interrogé sur les possibilités d’administration (écrasement de comprimés, ouverture de gélules, etc.)(4). Le médecin précisera sur la prescription médicale si la gélule peut être ouverte ou le comprimé écrasé ;

- l’IDE signale au médecin prescripteur une forme galénique inappropriée à la situation clinique du patient, par exemple dans le cas d’un patient porteur d’une sonde nasogastrique. Des listes existent pour guider les professionnels sur le bon usage des médicaments adaptés à la personne âgée. Citons en particulier la « liste préférentielle des médicaments adaptés au sujet âgé en Ehpad », publié par l’Observatoire du médicament et des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (OMéDIT) Normandie ;

- la préparation doit se faire au plus près possible de l’administration. Si la préparation se fait la veille, l’IDE qui administre doit procéder à la vérification obligatoire du traitement comme le précise le manuel de certification v2020 publié par la Haute Autorité de santé.

La mise en œuvre : comme indiqué dans les compétences 9 et 10 du référentiel de compétences(5), l’infirmière exerce un rôle fondamental en matière d’organisation, de coordination et de supervision. L’article R. 4312-31(6) précise sa responsabilité en la matière : « l’infirmière chargée d’un rôle de coordination et d’encadrement veille à la bonne exécution des actes accomplis par les infirmiers ou infirmières, aides-soignants, auxiliaires de puériculture et par les étudiants placés sous sa responsabilité ». Est ainsi questionnée l’administration des médicaments par l’aide-soignante (AS) en établissements et services médico-sociaux (ESMS), où la présence infirmière n’est pas toujours assurée 24 heures sur 24(7). Une clarification et une définition écrite des missions de chacun, de même que l’écriture de protocoles validés, diffusés et connus de tous s’imposent dès lors, sachant que l’AS agit sous la responsabilité de l’IDE(8).

Enfin, en vue de la sortie d’hôpital, l’IDE veille à la continuité des soins et de la prise en charge médicamenteuse du patient. Pour cela, elle agit en collaboration avec le médecin qui explique les modifications survenues sur les prescriptions et le pharmacien qui s’assure de la disponibilité du traitement en officine ou dans la structure d’aval.

CAS DE L’AIDE À LA PRISE

En ESMS, l’aide à la prise est définie par la situation pour laquelle « lorsque les personnes ne disposent pas d’une autonomie suffisante pour prendre seules le traitement prescrit par un médecin à l’exclusion de tout autre. L’aide à la prise des médicaments peut être assurée par toute personne chargée de l’aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d’administration ni d’apprentissage particulier »(9).

À domicile, l’AS ou l’aide à domicile peut administrer des médicaments à condition que le prescripteur ait laissé au malade l’initiative de les prendre et que la prise ne présente pas de difficulté. Il s’agit d’une aide à la prise pour des personnes empêchées temporairement ou durablement d’accomplir ce geste(10).

À noter : la distribution comprend l’acte d’aider le patient, temporairement ou durablement empêché, à prendre le médicament en respectant la prescription, ou celui de prendre le médicament dans le pilulier préparé par l’infirmière(11). Ce geste peut être assuré par l’infirmière et, également, par toute personne chargée de l’aide aux actes de la vie courante, suffisamment informée des doses prescrites et du moment de leur prise. La prescription permettra, « selon qu’il sera fait ou non référence à la nécessité de l’intervention d’auxiliaires médicaux, de distinguer s’il s’agit ou non d’actes de la vie courante », précise une circulaire du 4 juin 1999(12).

VERS L’AUTONOMIE

Si l’IDE doit s’assurer de la prise effective du traitement prescrit pour le patient dont elle est responsable, son rôle peut s’exercer d’une autre manière, notamment dans le cadre des démarches d’éducation thérapeutique du patient (ETP). L’objectif visé est d’accroître l’autonomie du patient vis-à-vis de son traitement et de faciliter ainsi l’adhésion médicamenteuse (article L. 1161-1 du CSP). L’infirmière s’assure de la compréhension qu’il a de son traitement et veille aux éventuels signes d’alerte et effets indésirables.

RÉFÉRENCES

1. Article L. 5111-1 du Code de la santé publique.

2. Arrêté 6 avril 2011.

3. HAS, « Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments », mai 2013. En ligne sur : bit.ly/3BiMfW8

4. Article R. 4311-3 du Code de la santé publique.

5. Diplôme d’État infirmier, référentiel de compétences. En ligne sur : bit.ly/2VSuPIl

6. Article R. 4312-31 du Code de la santé publique.

7. Saint-Lorant G., « L’infirmière et l’administration des médicaments », La revue de l’infirmière n° 228, février 2017, p. 45-46, Éd. Elsevier Masson

8. Article R. 4311-5 du Code de la santé publique.

9. Article L. 313-26 du Code de l’action sociale et des familles modifié par la loi HPST n° 2009-879 du 21 juillet 2009.

10. Conseil d’État, 8/3 SSR, du 22 mai 2002, 233939.

11. Code de la santé publique : articles R. 4311-1 à D. 4311-15-1 ; Code de l’action sociale et des familles : articles L. 313-24 à L. 313-27.

12. Circulaire DGS/PS 3/DAS n° 99-320 du 4 juin 1999 relative à la distribution des médicaments.

Savoir +

LE RISQUE MÉDICAMENTEUX AU CŒUR DE LA FORMATION DES ESI

La formation en pharmacologie et plus largement à la bonne la prise en charge médicamenteuse des patients constitue un pilier des apprentissages des futurs professionnels de santé. Elle vise à donner aux étudiants en soins infirmiers (ESI) des bases nécessaires, dès le premier semestre, à la prise de conscience des risques et dangers de l’administration médicamenteuse. À titre d’exemple, au CHU de Caen Normandie, ils sont très vite sensibilisés lors de leur stage au bon usage des médicaments à risque définis que sont les antalgiques de palier 3, les anticancéreux, les anticoagulants, les anticonvulsivants, les immunosuppresseurs, les insulines, les médicaments de nutrition parentérale, le potassium et la colchicine. Les documents relatifs à la sécurisation de la prescription, de la dispensation, de la détention, du stockage, de l’administration, et du suivi thérapeutique approprié ont été mis en place et diffusés à l’ensemble des professionnels du CHU.