L'infirmière n° 025 du 01/10/2022

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Thierry Pennable*   Dr Déborah Ducasse**   Véronique Brand-Arpon***  


*respectivement psychiatre et infirmière psychothérapeute au centre de thérapies des troubles de l’humeur et émotionnels/borderline du CHU de Montpellier.

PRÉSENTATION

Les théories sur les états limites font toujours débat alors que ce trouble est inscrit et décrit dans les classifications internationales depuis 1980. Les critères diagnostiques retenus par les classifications permettent d’identifier les principaux traits d’un trouble complexe et variable. Au-delà de ces critères, la priorité est de comprendre comment ils s’articulent entre eux, pour permettre aux soignants comme aux proches d’appréhender la souffrance à l’origine de comportements qui perturbent les relations interpersonnelles. Ce dossier traite du trouble de la personnalité borderline, tel qu’il est décrit en tant que trouble spécifique et distinct dans le DSM 5(1), appelé état limite et défini de façon similaire dans la CIM 11(2).

DESCRIPTION GÉNÉRALE

Une histoire complexe. La conception actuelle du trouble de la personnalité borderline (TPB) pour le DSM 5(1), ou de l’état limite pour la CIM 11(2), date des années 1970-1980. Avant cela, l’histoire du TPB est complexe et chaotique(3). Jusqu’aux années 1970, pour les psychanalystes, les termes borderline ou état limite désignent des états psychologiques aux frontières de la psychose. Un type de personnalité présentant de l’impulsivité et de l’instabilité et, ponctuellement, des dissociations psychotiques de courte durée. Ni psychose, ni névrose, la clinique du TPB ne s’intègre pas dans la répartition classique héritée de Sigmund Freud et amène à l’idée d’une troisième entité structurelle de la personnalité. Dans les années 1970, le TPB est considéré comme une entité pathologique indépendante. Les premiers critères diagnostiques apparaissent en 1981 dans la troisième version du DSM. Ils ont évolué jusqu’à ceux du DSM 5 (version actuelle du DSM).

Un trouble de la personnalité. La personnalité borderline fait partie des dix troubles de la personnalité définis par le DSM 5, avec les personnalités paranoïaque, histrionique, narcissique, obsessionnelle compulsive… Ils sont provoqués par une association de facteurs génétiques et environnementaux et correspondent à une déviation durable de l’expérience vécue et des conduites par rapport à la culture environnementale, dans au moins deux des domaines suivants : la cognition, l’affectivité (adéquation de la réponse émotionnelle), le fonctionnement interpersonnel et le contrôle des impulsions.

ÉTIOLOGIE

La théorie biosociale établie dans les années 1990 reste la référence pour expliquer le développement du TPB à partir de l’interaction de deux composantes, génétique et environnementale.

Une composante épigénétique : certaines personnes peuvent avoir une prédisposition génétique au TPB, accroissant le risque de présenter des réponses pathologiques aux stress de la vie courante. La part du trouble liée à la génétique, l’héritabilité, est estimée à 70 %(4). « Si aucun gène candidat n’a été identifié, la part épigénétique est très importante », précise le Dr Ducasse. L’épi­génétique s’intéresse à la manière dont les gènes s’expriment ou pas. Ces modifications de l’activité des gènes, qui n’impliquent pas de modification de la séquence d’ADN, sont réversibles(5). Elles sont induites par des signaux de l’environnement pris au sens large. Elles peuvent être transitoires, ou pérennes lorsqu’elles persistent alors que le signal qui les a induites a disparu.

Une composante environnementale : l’environnement peut rendre plus vulnérable au risque de développer un TPB. Un « milieu invalidant » est un milieu qui n’aide pas l’enfant à identifier ses émotions, à les nommer et à leur donner du sens. « Milieu invalidant n’étant pas synonyme de milieu mal intentionné, fait remarquer Déborah Ducasse. C’est un milieu qui n’a pas les ressources nécessaires pour valider ce que vit l’enfant émotionnellement. » C’est le cas par exemple lorsque les souhaits du nourrisson ou du petit enfant ne sont pas pris en compte(3). « La prédisposition génétique de l’enfant rend la tâche plus difficile pour les parents », ajoute la psychiatre.

Une composante cérébrale : certaines zones cérébrales sont hypo ou hyperactives chez les personnes avec TPB. Ces différences d’activation pourraient être en lien avec certains symptômes du trouble. Ainsi, une hypoactivation du cortex orbitofrontal semble-t-elle impliquée dans la dysrégulation des émotions et du comportement, et dans l’impulsivité.

Des traumatismes dans l’enfance sont souvent retrouvés. Parmi les milieux invalidants analysés, « 86 % présente des maltraitances et des violences dans l’enfance, et 62 % des abus sexuels, de manière hebdomadaire depuis plus d’un an chez plus de la moitié d’entre eux », rapporte le Dr Ducasse. Il s’agit plus de traumatismes émotionnels répétés que d’un traumatisme unique comme dans le stress post-traumatique(4). Toutefois, « ce n’est pas l’abus en soi qui est le principal facteur de développement du trouble mais le trauma de sa non-reconnaissance par les personnes représentant la protection », précise la spécialiste.

Contexte sociétal : le TPB serait plus fréquent dans les sociétés industrialisées, modernes, dont les liens sociaux faibles et précaires fragilisent les plus vulnérables(3).

CRITÈRES DIAGNOSTIQUES DU TPB

Le diagnostic repose sur l’observation du mode de fonctionnement de la personne qui :

→ doit être durable, rigide, et survenir chez l’adolescent ou le jeune adulte ;

→ a un impact sur la qualité de vie et provoque une souffrance significative.

Les critères diagnostiques actuels sont ceux du DSM 5.

Une tendance persistante à :

→ une instabilité dans l’image de soi, les relations et les émotions ;

→ une impulsivité prononcée.

Au moins 5 des 9 éléments suivants :

→ des efforts désespérés pour éviter l’abandon réel ou imaginaire ;

→ des relations intenses instables entre idéalisation et dévalorisation de l’autre ;

→ une image et un sens de soi instables ;

→ une impulsivité à risque dans au moins deux domaines (ex. : rapports sexuels non protégés, frénésie alimentaire, conduite imprudente) ;

→ la répétition d’automutilations ou de comportements, gestes et/ou menaces suicidaires ;

→ une instabilité affective liée aux émotions ;

→ un sentiment persistant de vide ;

→ des colères intenses et inappropriées ou une difficulté à contrôler sa colère ;

→ la survenue d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs transitoires en situations de stress.

PRINCIPALES MANIFESTATIONS

Difficulté à réguler les émotions : les réactions émotionnelles sont trop fortes ou trop inhibées dans le TPB. Des réactions émotionnelles fortes et incontrôlables sont possibles, surtout dans les relations interpersonnelles. Une colère peut surgir pour un simple contretemps. La personne avec TPB semble dépourvue de « système immunitaire relationnel »(3). Elle perçoit aussi intensément les émotions des autres, une détresse par exemple, et peut en être bouleversée.

Peur de l’abandon : les personnes avec TPB vivent avec une crainte chronique de l’abandon sous-tendue par une dépendance à l’autre. Le Dr Ducasse parle d’addiction relationnelle(4). La personne a peur de perdre l’autre dont elle pense dépendre pour aller mieux. Ce qui peut se manifester par des demandes de réassurance répétées ou des tentatives de contrôle de l’autre afin de s’assurer une place centrale dans sa vie. Ce qui peut provoquer la rupture que la personne ne souhaite pas.

Impulsivité : toute frustration, contrariété, déception ou désillusion entraîne des émotions pénibles qui conduisent à des réactions impulsives et des passages à l’acte pour échapper à la tension émotionnelle insupportable. Les hommes réagissant plus par des conduites agressives et antisociales, les femmes par des comportements autodestructeurs avec l’idée de se faire mal (automutilation, crise de boulimie…). Consommations de drogue ou d’alcool, achats compulsifs, conduite automobile à risque, comportements sexuels à risque, mais aussi comportements suicidaires et parasuicidaires, sont notamment retrouvés.

Affectivité instable : le TPB est marqué par des changements émotionnels brusques et rapides survenant au cours d’une même journée, souvent déclenchés par des motifs « minimes ». Les passages du rire aux larmes, de l’angoisse à la colère ou encore d’une « bouderie » silencieuse à de l’agressivité, sont déconcertants pour les proches(3).

Perturbations de l’image de soi : l’instabilité persistante et l’altération de l’image de soi sont au cœur du TPB. La personne a des difficultés pour se décrire, elle utilise des masques ou façades pour stabiliser le soi. Cela peut conduire à des mensonges ou à la réappropriation d’histoires d’autrui. Les apparences sociales peuvent changer selon les personnes et les contextes, dans le but d’être apprécié. « Le soi n’est pas expérimenté comme étant une partie intégrante de la société, il est associé à un sentiment d’être isolé, à part », observe Déborah Ducasse. La perception de soi dépend des événements de vie, des circonstances extérieures, et surtout de la qualité des relations avec l’entourage. Elle peut être influencée par des changements émotionnels, versant par exemple vers l’autodépréciation lorsque l’humeur est basse.

Symptômes dissociatifs : ils sont assez fréquents lors de trop fortes tensions émotionnelles, avec une perte de contact avec la réalité. Ces symptômes dits parfois « pseudo-psychotiques », peuvent prendre la forme d’idées de persécutions envers des personnes suspectées de vouloir du mal, de comploter, d’accuser à tort… Ils correspondent à une distorsion de perception de la réalité dont les manifestations varient selon les personnes et les contextes(7). Des comportements inadaptés sont possibles, consécutifs à une perte de contrôle et de lucidité. À la différence de la dissociation observée dans la psychose, les épisodes micropsychotiques du TPB sont de courte durée, de quelques minutes à quelques heures. Ils sont souvent déclenchés par une réaction émotionnelle à des situations de stress, en particulier interpersonnelles.

Sentiment de honte perturbé : la honte occupe une place centrale dans le TPB. La honte est une émotion directement liée à la représentation que la personne se fait d’elle-même, insuffisamment aimable, digne ou désirable. C’est la « honte de ce que je suis, de ce qui me caractérise ». C’est l’émotion la plus associée à la colère et à l’impulsivité, mais aussi aux comportements suicidaires et parasuicidaires.

→ A savoir : la honte est une émotion se référant à la représentation de soi, la culpabilité est une émotion se référant à ses comportements.

Perturbations relationnelles : « La souffrance la plus manifeste est une souffrance relationnelle », observe le Dr Ducasse. Les relations sont intenses et chaotiques. Les liens sont précaires. Plus une relation devient intime, plus elle est perturbante, pour la personne avec TPB comme pour son ou sa partenaire ou ami(e)(3). « Le trouble borderline peut être perçu comme une addiction aux relations proches », la personne ne peut pas vivre sans, mais de telles relations peuvent susciter de profondes angoisses. Certaines personnes avec TPB évitent toute relation proche.

Tendance à la dépression : dans le TPB, l’humeur basse, on parle d’affectivité négative, est dominée par des sentiments de vide, de solitude et d’abandon, qui disparaissent quand les circonstances s’améliorent. Elle ne correspond donc pas aux critères d’un épisode dépressif caractérisé qui reste possible, notamment en cas de rupture sentimentale ou autre déception forte. La majorité des personnes avec TPB font une dépression au cours de leur vie.

Tentatives de suicide et suicides : environ 10 % des personnes borderline décéderaient par suicide, et 75 % d’entre elles feraient une tentative de suicide(3). Les tentatives de suicide sont souvent liées à des problèmes relationnels, dispute avec le conjoint ou rupture, qui engendrent un sentiment d’abandon. Les idées de suicide sont encore plus nombreuses, qu’elles soient passives, comme le souhait de s’endormir et de ne pas se réveiller, ou actives en pensant se donner physiquement la mort(4).

FORMES GRAVES ET LÉGÈRES

L’intensité des symptômes est variable d’une personne à l’autre et en fonction des périodes chez un même individu.

Les formes graves sont marquées par une instabilité émotionnelle et une impulsivité intenses qui entraînent une autodestructivité importante (drogues, alcool, automutilations, tentatives de suicide…). Elles perturbent de façon significative la vie sociale, professionnelle et sentimentale.

Des formes plus légères « permettent souvent de mener une vie familiale, sociale et professionnelle de façon fonctionnelle, même s’il est fréquent de retrouver une grande souffrance dans la vie relationnelle intime, constate le Dr Ducasse. De nombreuses personnes professionnellement très performantes, investies, paraissent très bien fonctionner, mais il existe une grande pression intérieure autour des performances, sous-tendue par l’idée que sa valeur personnelle dépend de ses réussites professionnelles. »

COMORBIDITÉS FRÉQUENTES

Les études rapportent(4) :

→ des troubles addictifs (alcool, cannabis ou autres substances) pour 57 % des patients ;

→ un état de stress post-traumatique dans 30 à 70 % des cas ;

→ des troubles du comportement alimentaire : anorexie (3 %), boulimie (21 %) ;

→ un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ;

→ un épisode dépressif (53 %) ;

→ des troubles anxieux (74 %).

ÉVOLUTION

Le TPB a longtemps été considéré comme résistant à tout traitement et voué à une évolution chronique. Aujourd’hui, des études chez les personnes suivies montrent des évolutions variables et la possibilité d’une issue favorable. Quelques données publiées en 2005(8) :

→ 50 % des patients atteignent un « bon rétablissement », à dix ans de suivi, c’est-à-dire une rémission symptomatique, un bon fonctionnement psychosocial et une activité professionnelle à plein temps ;

→ 99 % des patients sont en rémission symptomatique après seize ans de suivi, ils ne répondent plus aux critères diagnostiques ;

→ 85 % sont en rémission pendant au moins un an après dix ans de suivi ;

→ 78 % sont en rémission de huit ans après seize ans de suivi.

À noter que les troubles de la personnalité régressent souvent progressivement avec l’âge(9).

PRISE EN CHARGE

Le traitement repose sur les psychothérapies, associées à un traitement médicamenteux dans certains cas. « La prise en charge principale du trouble borderline est ambulatoire, psychothérapeutique, souligne Déborah Ducasse. Les hospitalisations devraient être le moins fréquentes et le plus courtes possible. » Une hospitalisation pour gérer une crise suicidaire devrait être interrompue dès qu’il n’y a plus de danger imminent pour la vie de la personne.

LE TRAITEMENT

LES PSYCHOTHÉRAPIES

Thérapies cognitives et comportementales (TCC) de troisième vague

Les TCC, ont successivement porté leur action thérapeutique sur le comportement, la cognition et la représentation de soi :

→ TCC « comportementalistes », dans les années 1950 ;

→ TCC dites « cognitivistes », dans les années 1980 qui s’intéressent aux cognitions ou aux pensées qui sous-tendent les comportements ;

→ depuis les années 1990, les TCC de troisième vague(10), également appelées thérapies basées sur la méditation ou thérapies dérivées du bouddhisme, ciblent la représentation de soi qui se trouve à la racine des pensées et des comportements. Elles ont la particularité d’utiliser la méditation comme mode d’investigation de l’esprit humain. Elles visent à développer une représentation de soi résiliente qui permet de vivre les émotions agréables et désagréables sainement et en sécurité, sans catastrophiser, mais aussi une représentation de soi prosociale bénéfique en relation d’interdépendance avec les autres.

La thérapie comportementale dialectique ou TCD élaborée dans les années 1990 vise spécifiquement le traitement du TPB, notamment des comportements autoagressifs. Elle repose sur l’idée que le noyau du TPB se situe dans la dysrégulation émotionnelle caractérisée par :

→ une hypersensibilité aux stimuli internes et externes ;

→ une hyperréactivité de la réponse émotionnelle ;

→ un retour très lent à l’état émotionnel de base.

Quatre modules d’apprentissage sont délivrés :

→ un module de méditation de pleine conscience, principal ingrédient thérapeutique de ce programme, permet au patient d’observer ses pensées et émotions automatiques, sans surréagir par des comportements dysfonctionnels (incluant les comportements suicidaires et parasuicidaires) ;

→ un module de régulation émotionnelle pour apprendre à observer, nommer et réguler les émotions grâce aux compétences acquises en méditation de pleine conscience ;

→ un module de tolérance à la détresse qui procure des stratégies pour traverser les moments de crise, de forte tension émotionnelle, sans aggraver la situation par des comportements nocifs, le temps que le patient intègre les habitudes bénéfiques issues du module de méditation de pleine conscience ;

→ un module d’efficacité interpersonnelle afin d’améliorer la communication avec autrui.

La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience. La pleine conscience consiste à centrer l’attention sur les aspects sensoriels et mentaux, cognitifs et émotionnels de l’expérience vécue, sans porter de jugement(10). Cette psychothérapie vise à modifier son rapport à soi et au monde en échappant aux automatismes mentaux et comportementaux réactivés par des événements de vie négatifs. En évitant en particulier la catastrophisation lors de l’apparition d’émotion de tristesse. Elle a montré son efficacité dans la prévention de la rechute dépressive.

La thérapie d’acceptation et d’engagement ou ACT (Acceptance and Commitment Therapy) a pour but de permettre la poursuite de ses objectifs malgré une émotion non désirable associée, l’anxiété par exemple, plutôt que d’éviter cette émotion en ne réalisant pas ses projets. Pour développer la flexibilité psychologique entendue comme la capacité d’accepter et de s’engager malgré des émotions désagréables, l’ACT favorise :

→ le développement d’habiletés de pleine conscience, définie ici comme un état de conscience, d’attention et d’ouverture à l’expérience du moment présent. La méditation permet d’intégrer des changements profonds ;

→ la clarification de ce qui est véritablement important et significatif pour guider et motiver la personne vers des changements bénéfiques.

→ En pratique : exemple de programme thérapeutique approfondi en TCC de troisième vague proposé par le centre de thérapies des troubles de l’humeur et émotionnels/borderline du CHU de Montpellier. Intégrant les trois niveaux de TCC de troisième vague (lire l’encadré « Témoignage » ci-dessus) ce programme très structuré, sur 27 semaines, est composé de :

→ séances collectives de 2 heures par semaine pendant 8 semaines. « Il s’agit de comprendre le fonctionnement de son propre esprit et toutes les capacités déjà présentes en soi », explique Véronique Brand-Arpon, infirmière-psychothérapeute au centre de thérapies des troubles de l’humeur et émotionnels du CHU de Montpellier. Les groupes mixtes réunissent une quinzaine de personnes de tous âges ;

→ séances collectives de 2 heures par semaine pendant 21 semaines pour « identifier qui l’on est vraiment, intégrer l’influence du passé et dépasser ses blessures pour ne pas s’y réduire », précise l’infirmière ;

→ consultations individuelles lors de certaines étapes de l’évolution du patient pour l’aider à appliquer les enseignements de la thérapie dans un domaine particulier de la vie quotidienne.

La thérapie des schémas

Préconisée dans la prise en charge des troubles chroniques de la personnalité, la thérapie des schémas, s’adresse aux patients qui ne répondent pas à une TCC classique, faute de motivation ou d’accès aux émotions et aux cognitions(10). Dix-huit schémas inadaptés précoces sont répartis en cinq domaines : séparation et rejet, manque d’autonomie et de performance, manque de limites, orientation vers les autres, survigilance et inhibition. Ces schémas cognitifs sont issus de besoins affectifs fondamentaux non comblés précocement dans l’enfance. À force d’être répétés, ils deviennent des modes relationnels qui structurent l’identité autour de fausses croyances considérées comme la vérité par l’individu borderline. Les résistances au changement sont fréquentes car l’abandon de ses croyances revient pour l’individu à renoncer à sa connaissance de lui-même et du monde.

Psychothérapie d’inspiration psychanalytique

La cure psychanalytique classique se montrant peu satisfaisante dans le TPB, le psychiatre Otto F. Kernberg a développé dans les années 1970 la « psychothérapie focalisée sur le transfert » (TFP) pour les personnalités borderline. Le psychiatre américain considère que la difficulté centrale du TPB est la tendance à se représenter soi-même et les autres comme bons ou mauvais, en idéalisant ou en dévalorisant, sans nuancer. Le patient est amené à prendre conscience de ce mécanisme de clivage, à travers sa relation avec le thérapeute pour intégrer une vision plus nuancée.

Thérapie basée sur la mentalisation

La mentalisation est la capacité de percevoir et d’interpréter les comportements humains en termes d’états psychiques intentionnels (pensées, désirs, intentions…). La psychothérapie repose sur le postulat qu’une capacité de mentalisation fragilisée est au centre du TPB, soit en raison d’un attachement « insécure », lorsque les parents ne répondent pas de façon adéquate aux besoins de l’enfant, soit par des relations précoces qui n’ont pas permis le développement optimal de la capacité de mentalisation(10). Cette fragilité nuit à la régulation émotionnelle et favorise le risque de passages à l’acte. L’objectif est de régénérer, développer et stabiliser les capacités de mentalisation, particulièrement dans les situations à forte charge émotionnelle.

LES MÉDICAMENTS

Il n’existe pas de médicament spécifique du TPB. « Le traitement de référence du trouble borderline, c’est la psychothérapie, précise le Dr Ducasse. Aucun traitement médicamenteux n’a montré d’efficacité sur le trouble lui-même. Des médicaments psychotropes peuvent néanmoins être prescrits pour traiter une comorbidité psychiatrique, un trouble bipolaire associé par exemple, ou pour cibler une dimension clinique invalidante du trouble borderline comme l’impulsivité et/ou les tentatives de suicide » (lire l’encadré sur les médicaments, ci-dessus). Aucun médicament n’ayant d’indication pour le TPB, ils sont prescrits hors autorisation de mise sur le marché (AMM) pour traiter des symptômes du TPB.

→ À noter : l’implication du patient dans les décisions thérapeutiques est nécessaire et favorise la bonne observance du traitement. Il doit être informé des symptômes visés par le traitement.

Tous les psychotropes utilisés dans les troubles mentaux peuvent jouer un rôle au cours de la prise en charge d’un TPB. Une étude européenne rapporte que plus de la moitié des patients prend au moins trois médicaments, 90 % au moins un et 70 % prend un antipsychotique et/ou un antidépresseur(4). Les benzodiazépines sont prescrites avec prudence à cause des risques addictif et désinhibiteur (effet paradoxal).

Les antidépresseurs : les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN ou IRSNA) sont les médicaments les plus utilisés dans le TPB(3). Ils sont bien tolérés et actifs sur les symptômes dépressifs, l’impulsivité, les comportements autoagressifs, les relations sociales et l’image de soi et possiblement sur les troubles cognitifs et perceptifs. Ils seraient toutefois moins efficaces sur la dépression que chez les personnes exemptes du TPB(11)(3).

Les neuroleptiques atypiques ou antipsychotiques, classe médicamenteuse la plus prometteuse dans le TPB(12), ont une efficacité sur la dysrégulation émotionnelle, les problèmes interpersonnels, les symptômes dissociatifs et les sentiments de colère.

Les antiépileptiques thymorégulateurs : les régulateurs de l’humeur utilisés dans le trouble bipolaire sont les médicaments dont les effets sont le plus documentés dans le TPB(12). Ils ont une efficacité sur la dysrégulation émotionnelle, les problèmes interpersonnels et les sentiments de colère.

Le lithium : « L’impulsivité et les tentatives de suicide répétées répondent très bien au lithium, même en l’absence de trouble bipolaire associé », remarque Déborah Ducasse. Le médicament normo­thymique, non neuroleptique a aussi une action anti-impulsive et anti-suicide propre. Le lithium est le médicament le plus efficace pour traiter le risque de suicide, il peut être prescrit en prévention(4).

RÉFÉRENCES

Notes

1. American Psychiatric Association, Crocq M.-A., Guelfi J.-D., Boyer P., Pull C.-B., Pull M.-C., Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition, Elsevier Masson, juin 2015.

2. Organisation mondiale de la santé, Classification internationale des maladies, 11e édition, 2018. En ligne sur : bit.ly/3qwBHfD

3. Granger B. et Karaklic D., Les Borderlines, éditions Odile Jacob, mars 2014.

4. Ducasse D. et Brand-Arpon V., Le trouble borderline expliqué aux proches, éditions Odile Jacob, mai 2021.

5. Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), « Épigénétique. Un génome, plein de possibilités ! », février 2017.

6. Bourgeois D., Comprendre et soigner les états limites, 3e édition, éditions Dunod, avril 2019.

7. D. Ducasse D. et Brand-Arpon V., Borderline - Cahier pratique de thérapie à domicile, éditions Odile Jacob, mai 2017.

8. Zanarini M. C., Frankenburg F. R., Hennen J., Bradford Reich D., Silk K. R., The McLean Study of Adult Development (MSAD) et al., The Collaborative Longitudinal Personality Disorders Study (CLPS), 2005.

9. Zimmerman M. « Présentation des troubles de la personnalité », Manuel MSD, mai 2021.

10. Rollet A., « Thérapie comportementale et cognitive : la troisième vague », La Lettre du Psychiatre, novembre-décembre 2013.

11. Trouble de la personnalité limite (borderline). Troubles psychiatriques, édition professionnelle du Manuel MSD, mai 2021. www.msdmanuals.com

12. Guelfi J.-D., Cailhol L., Robin M., Lamas C. « États limites et personnalité borderline », Santé mentale, n° 219, juin 2017.

Autres sources

• Estellon V. « La relation avec le sujet borderline », Santé mentale, n° 234, janvier 2019.

• Ducasse D. (Dr) et Loftus J. (Dr), « Thérapie d’acceptation et d’engagement dans les troubles borderline de la personnalité », (vidéo), Les Cours de la Fondation FondaMental, 2021. En ligne sur sur YouTube : https://youtu.be/yqEZMgQgzqA Le Dr Ducasse explique le rôle des TCC de troisième vague dans le TPB, et ses niveaux d’approfondissement.

Prévalence des états limites : des chiffres à relativiser

→ Un trouble fréquent

Selon les études internationales, le TPB concernerait :

- entre 2 et 6 % de la population générale ;

- 10 % des patients suivis en ambulatoire en psychiatrie ;

- 20 % dans un service d’hospitalisation en psychiatrie.

« Une étude du CHU de Montpellier menée dans un dispositif d’accompagnement des patients hospitalisés à la suite d’une tentative de suicide (TS) a montré que 50 % des patients qui ont fait une TS dans les deux années précédentes présentent un TPB », indique le Dr Déborah Ducasse, psychiatre, responsable du centre de thérapies des troubles de l’humeur et émotionnels/borderline du CHU de Montpellier.

→ Plutôt féminin, mais…

Selon les données recueillies, plus de 70 % des patients présentant un TPB sont des femmes*, mais « plusieurs hypothèses incluent des biais de recrutement dans les études », fait remarquer la spécialiste : les femmes consultent plus pour des comorbidités du TPB (dépression, troubles du comportement alimentaire…). Elles sont donc plus recrutées dans les études.

La dysrégulation de la colère et l’impulsivité mènent plus souvent les hommes vers des comportements antisociaux et la population carcérale, où la prévalence du TPB serait de 20 %, n’est pas incluse dans les études.

* Granger B. et Karaklic D., Les Borderlines, Éditions Odile Jacob, mars 2014.

ÉCLAIRAGE

“Un sentiment chronique de vide”

Dr Déborah Ducasse, psychiatre, responsable du centre de thérapies des troubles de l’humeur et émotionnels/borderline du CHU de Montpellier. Chercheuse à l’Inserm.

Le trouble de la personnalité borderline (TPB) peut être perçu comme un miroir grossissant de nos expériences humaines ordinaires. Ainsi, le sentiment de vide, que tout un chacun peut connaître ponctuellement, est chronique et particulièrement intense chez les personnes avec TPB. Ce vide est semblable à un manque de bien-être, de sécurité et de valeurs*. Il est parfois décrit par des sensations physiques, viscérales, perçues dans l’abdomen ou la poitrine. Sur un plan existentiel, ce vide correspond à un manque de sens, de but ou de substance dans les expériences vécues. La personne peut chercher à combler ce vide par des relations proches perçues comme capables de pallier transitoirement le manque par des sensations positives, de sécurité par exemple. Une idéalisation de l’autre apparaît et engendre des attentes irréalistes et donc beaucoup de déceptions. Ce mode de fonctionnement entraîne des ruptures et une instabilité dans la vie conjugale ou dans d’autres relations proches…

* entendues comme des croyances ou principes qui guident nos vies, nos choix et nos actes.

Patient +

EST-CE NOTRE FAUTE SI NOTRE FILLE A UN TROUBLE BORDERLINE ?

Non, aucune cause unique n’explique la survenue d’un trouble comme le trouble borderline. Plusieurs facteurs doivent être réunis qui ne dépendent pas de la volonté des parents. Il faut aussi compter avec la génétique et l’environnement pris au sens large.

TÉMOIGNAGE

“Une représentation de soi valide aujourd’hui…”

Véronique Brand-Arpon, infirmière-psychothérapeute au centre de thérapies des troubles de l’humeur et émotionnels/borderline du CHU de Montpellier, Dr en biologie de la santé.

Comment êtes-vous devenue infirmière-psychothérapeute ?

J’ai rencontré le Dr Déborah Ducasse au Département d’urgence et post-urgence psychiatrique (Dupup) où nous avons commencé à proposer un premier niveau de thérapies comportementales et cognitives, ou TCC, dites de troisième vague, basées sur la méditation de pleine conscience. Quelques années plus tard, un poste à plein temps a été créé en hôpital de jour. J’étais alors la seule infirmière-psychothérapeute. Notre équipe actuelle comprend huit infirmiers et une psychologue, spécialisés dans les TCC de troisième vague.

En quoi consiste la psychothérapie proposée pour le trouble borderline ?

Nous proposons trois niveaux de TCC de troisième vague. Au premier niveau, le recours à la méditation de pleine conscience aide les patients à prendre conscience de leurs pensées et de leurs émotions, avec le recul d’un observateur. Avec l’objectif de modifier celles dans lesquelles les patients ne se reconnaissent pas aujourd’hui. Le deuxième niveau de thérapie vise à développer des états d’esprit bénéfiques et prosociaux. Le but du troisième niveau est de comprendre la relation d’interdépendance de toute chose, et le pouvoir créatif vis-à-vis de ses propres expériences.

Pouvez-vous expliquer ce qu’est le « moi je » valide aujourd’hui ?

Nous faisons tous des associations avec les blessures du passé sur ce que nous sommes, « je suis quelqu’un qui risque d’être abandonné », « je ne dois surtout pas rencontrer telle situation ou telle difficulté ». Nous vivons avec une perception limitée de nous-mêmes. Ces représentations dysfonctionnelles de soi-même dépendent des expériences et des émotions du passé alors que d’autres capacités ont été développées depuis. L’esprit, qui n’a pas été abîmé par les expériences passées, est toujours fonctionnel et capable de beaucoup de paix et d’enthousiasme. Comprendre les pouvoirs de résilience de l’esprit humain permet de dépasser les obstacles rencontrés dans le passé, voire d’en faire des forces. Le but est de remplacer une représentation de soi ancrée dans le passé par une nouvelle plus actuelle, résiliente, compatissante et créative. Il ne s’agit pas d’une invention du type « je suis quelqu’un qui va bien avec beaucoup de capacités », ce qui serait aussi invalide que la représentation initiale problématique. Cibler la représentation de soi-même valide aujourd’hui permet d’intervenir sur toutes les expériences à venir, pensées, émotions et comportements.

Des médicaments pour quelle efficacité ?

Quelques données sur l’efficacité des médicaments dans le trouble de personnalité borderline ont été présentées en 2017*. Plusieurs essais cliniques ont mis en évidence que certains médicaments psychotropes pouvaient avoir une efficacité pour atténuer certains symptômes cibles rencontrés :

- les problèmes interpersonnels peuvent être atténués avec l’aripiprazole, le valproate et le topiramate ;

- la dysrégulation émotionnelle peut être atténuée avec l’aripiprazole, l’olanzapine, l’halopéridol, le topiramate, la lamotrigine et le valproate ;

- les symptômes psychotiques sont atténués avec l’aripiprazole et l’olanzapine ;

- les sentiments de colère peuvent être atténués avec l’aripiprazole et la lamotrigine.

- les antagonistes opiacés pourraient avoir un intérêt, mais modeste.

En revanche :

- aucune étude n’a retrouvé d’efficacité des médicaments psychotropes pour les sentiments d’abandon, les sensations de vide, les troubles de l’identité et la dissociation ;

- le niveau de preuves est faible pour les médicaments antidépresseurs, sauf en cas de dépression associée ;

- très peu d’études ont évalué l’efficacité d’associations de médicaments.

* « Neurobiologie des troubles de personnalité borderline et stratégies thérapeutiques : quoi de neuf ? », 14e Congrès français de psychiatrie, 2017. En ligne sur : congresfrancaispsychiatrie.org