UNE IDE EXPERTE EN APPROCHES COMPLÉMENTAIRES À L’AP-HP
GÉRIATRIE
J’EXPLORE
PRATIQUE INNOVANTE
L’hôpital Dupuytren (AP-HP) à Draveil (Essonne), spécialisé dans la prise en charge des pathologies aiguës ou chroniques des patients âgés, complète le traitement conventionnel par des approches complémentaires. Un dispositif déployé sous l’égide d’Isabelle El Khiari, infirmière clinicienne. Reportage.
Que pouvez-vous me dire sur Mme B ? », demande Isabelle El Khiari à ses collègues réunies dans la salle de soins du service Soins de suite et réadaptation (SSR) en géronto-psychiatrie. L’infirmière clinicienne s’apprête à rencontrer, pour la première fois, à la demande du Dr Anne-Lise Guenegou, gérontopsychiatre, une patiente hospitalisée pour dépression sévère et anxiété. Elle va lui proposer une prise en charge complémentaire à ses traitements. « Avant une première consultation, je demande toujours aux soignants connaissant le patient de m’en dire un peu plus sur lui », explique-t-elle. « Cette patiente est très demandeuse », souligne une infirmière de l’équipe. « Elle a peur de tout, elle n’est pas rassurée, elle craint de ne pas savoir faire correctement des choses. Elle affiche de nombreuses angoisses sans nécessairement en connaître les raisons », précise l’aide-soignante. « Elle a besoin d’une grande présence, et d’ailleurs, sa fille vient lui rendre visite quotidiennement », ajoute l’étudiante en soins infirmiers. Ces informations en tête, Isabelle El Khiari passe la porte de la chambre de Mme B. Après s’être présentée, elle lui explique l’utilité des plantes pour améliorer le confort et le bien-être des patients. « Êtes-vous d’accord pour que nous échangions afin de voir ensemble de quelle manière je peux vous accompagner ? », lui propose Isabelle El Khiari. Plus ou moins sceptique, la patiente se laisse convaincre, sur les conseils de sa fille.
Isabelle El Khiari lui demande, pour commencer, de lui raconter son histoire. Mme B se livre assez facilement sur qui elle est et son ressenti face à sa maladie. L’infirmière clinicienne apprend alors qu’elle est en retraite depuis quatre ans, veuve depuis treize, et qu’elle enseignait l’anglais. Elle aime le cinéma, la lecture, le théâtre. « Mais aujourd’hui, je n’arrive plus à me fixer sur rien, témoigne-t-elle. Cet état me renvoie une mauvaise image de moi. Tout le monde me dit que j’ai l’air d’aller mieux, mais j’ai des difficultés à les croire. J’ai peur de tout et je ne vois pas le bout du chemin. » La patiente informe également l’infirmière qu’elle bénéficie depuis de nombreuses années d’un suivi pour dépression mais qu’elle n’a jamais essayé les médecines alternatives, sans pour autant être contre. Après un entretien d’environ deux heures, Isabelle El Khiari résume : « Vous avez besoin d’être rassurée, de moins ruminer, de retrouver une sérénité intérieure et de la motivation ». Alors qu’elle s’apprête à lui proposer deux solutions thérapeutiques, la patiente est prise d’un doute. Elle n’est plus très sûre de vouloir essayer. Elle l’interroge alors sur son traitement conventionnel. « Si le Dr Guenegou vous a demandé de venir me voir, c’est que mon traitement ne fonctionne pas », s’inquiète-t-elle. Isabelle El Khiari la rassure et entreprend de lui expliquer l’intérêt de retrouver un apaisement par le biais des approches complémentaires. Une fois de plus encouragée par sa fille, elle accepte d’essayer. « Je vous propose tout d’abord de prendre, par voie orale, des fleurs de Bach, lui explique-t-elle. Je vais vous préparer un mélange de neuf fleurs, afin de réguler votre flore psychoémotionnelle. Vous devrez prendre des gouttes plusieurs fois par jour. » Elle lui tend également un flacon roll-on, avec des huiles essentielles à déposer sur des points stratégiques de la peau pour lui permettre de se focaliser sur « le ici et le maintenant ». Isabelle El Khiari fait participer la patiente au choix des huiles, en fonction des odeurs qui lui plaisent davantage. Après avoir étiqueté les flacons, l’infirmière effectue une transmission orale puis écrite aux praticiens et aux infirmières, le médecin intégrera ensuite la prescription écrite dans le dossier. Une grille d’évaluation, remplie toutes les semaines, servira à mesurer les effets du traitement sur la patiente.
Novatrice, cette prise en charge non conventionnelle, proposée aux patients et supervisée par Isabelle El Khiari au sein de trois hôpitaux de l’AP-HP (Dupuytren, Georges Clemenceau et Émile Roux) n’en est pas moins strictement encadrée par le Département médico-universitaire (DMU) de gériatrie des Hôpitaux universitaires Henri Mondor (HUHM). L’intérêt pour les approches complémentaires d’Isabelle El Khiari, infirmière clinicienne depuis 2006, est né d’une rencontre. « Une cadre de santé spécialiste clinique m’a sensibilisée à la médecine chinoise, en me montrant des techniques de toucher-massage et d’acupression, je m’y suis totalement retrouvée », confie-t-elle. Elle s’est alors formée pour développer le rôle autonome infirmier sur la prise en charge des situations complexes, notamment la douleur, l’anxiété, l’insomnie, la déprime ou encore la fin de vie. Depuis, elle est diplômée et certifiée en aromatologie, olfactologie, sophrologie, toucher-massage, toucher thérapeutique ou encore gestion du stress…
Face aux limites thérapeutiques des techniques conventionnelles, l’infirmière clinicienne commence par développer ces approches complémentaires, il y a une quinzaine d’années, en unité de soins palliatifs puis en équipe mobile de soins palliatifs/douleur. Après douze ans dans cette organisation, elle se lance dans un nouveau projet, accepté par la direction des soins et la direction de l’hôpital local, et du groupement des HUHM, qui lui confère un poste transversal de consultante spécialisée dans les approches complémentaires. Elle a alors trois missions : l’expertise clinique au lit du patient pour les situations complexes ; l’accompagnement des équipes à monter des projets dans le domaine des approches complémentaires pour des publications et de la recherche ; enfin, la formation continue, l’enseignement et la participation à des conférences. Ces activités s’intègrent dans la politique des HUHM, avec pour objectif de rompre l’isolement et d’améliorer la vie quotidienne des personnes âgées, de prévenir, dépister et soigner les pathologies du vieillissement.
Ce projet remporte aujourd’hui l’adhésion d’une grande partie des équipes médicales et paramédicales du DMU de gériatrie. Et le protocole est bien rodé. Certains professionnels de santé peuvent solliciter Isabelle El Khiari lorsqu’un patient est hospitalisé et utilise des compléments alimentaires ou des plantes. « Je vais alors les rencontrer afin de décider de ce qui peut être conservé en adéquation avec les traitements conventionnels afin d’éviter toute interaction médicamenteuse », indique-t-elle.
Par ailleurs, les professionnels peuvent faire appel à son expertise lorsqu’un patient est hospitalisé en gériatrie pour des symptômes aigus ou chroniques (douleur, sommeil, anxiété, angoisse, dépression, plaie et cicatrisation). « Il y a généralement deux cas de figure, résume-t-elle. Tout d’abord des médecins qui me sollicitent après avoir testé tous les traitements conventionnels, et qui sont en difficulté dans la prise en charge du patient. Puis ceux qui m’appellent en début de prise en charge, afin de voir ce qui peut être mis en place. » Lorsqu’un médecin la sollicite, elle débriefe avec lui, étudie le dossier du patient, échange avec les équipes soignantes, puis se rend en consultation au lit du patient afin de lui expliquer la démarche globale. « En fonction du patient, de son caractère, de son histoire de vie et de la problématique, je ne vais pas proposer la même prise en charge », souligne Isabelle El Khiari. Après avoir élaboré son protocole pour l’aromathérapie et les fleurs de Bach, ce dernier est prescrit par le médecin. Il est ensuite dispensé par l’équipe soignante (infirmière et aide-soignante). « Le travail déployé par Isabelle est un complément utile à l’offre de soins conventionnelle, affirme le Dr Guenegou. Lors des staffs, si nous observons que la prise en charge du patient n’évolue pas, que les traitements allopathiques ne fonctionnent pas, comme notre travail consiste à garantir le bien-être du patient, nous n’hésitons pas à nous tourner vers les méthodes complémentaires d’Isabelle. » Même discours de la part du Dr Fattima Abdallah, gériatre. « L’un de mes patients à une escarre sur une ischémie du pied, liée à une thrombose de l’artère fémorale depuis deux ans, raconte-t-elle. Nous avons utilisé de nombreux protocoles pour guérir cette plaie. » Des experts en plaies et cicatrisation avaient même conseillé d’envisager l’amputation, issue que le Dr Abdallah souhaitait cependant écarter. « Je me suis alors tournée vers Isabelle et nous avons mis en place plusieurs protocoles à la fois pour une meilleure circulation sanguine, le nettoyage de la plaie et de la peau périlésionnelle, et la cicatrisation. » Six mois après le début des protocoles, les résultats sont réels et l’équipe entend communiquer sur cette prise en charge dans le cadre d’un article scientifique et/ou d’un colloque.
Le travail d’Isabelle El Khiari ne s’arrête pas à la prise en charge des patients hospitalisés. Dans le cadre d’ateliers au sein de l’hôpital de jour, elle propose également aux aidants familiaux « une éducation thérapeutique pour le ressourcement et le prendre soin de soi, à base d’olfaction d’huiles essentielles, de fleurs de Bach ou encore de luminothérapie relaxation », fait-elle savoir.
Elle aide également les équipes médicales et paramédicales à monter des projets dans le domaine des approches complémentaires pour des publications et de la recherche, ainsi que pour des protocoles à déployer au sein de l’établissement (lire encadré, p. 44). À titre d’exemple, « l’unité d’hébergement renforcé/unité cognitivocomportementale (UHR/UCC) a mis en place un protocole pour l’ensemble du service avec des diffuseurs d’aromathérapie pour apaiser les patients », fait savoir Jeanne Sniatecki, neuropsychologue. « Ce protocole permet d’adapter l’environnement afin de réduire les troubles du comportement tout en diminuant la prise de traitements allopathiques », complète Camille Douceur, psychomotricienne.
L’infirmière clinicienne n’est pas en manque d’idées concernant le développement des médecines complémentaires au sein du DMU de gériatrie. Elle souhaiterait par exemple mettre en place un groupe aroma-vigilance, afin de faire remonter les problématiques liées aux usages de l’aromathérapie. Elle aimerait également développer des consultations externes ouvertes à tous, soignants comme patients, ce qui lui permettrait, pour ces derniers, d’assurer leur suivi une fois sortis d’hospitalisation. Un dispositif qui requiert, pour sa mise en place, une cotation dédiée. Enfin, elle souhaiterait monter une formation certifiante de 35 heures en aromathérapie scientifique pour toute l’AP-HP.
L’élaboration des protocoles se déroule dans le cadre de groupes de travail réunissant des référents en aromathérapie. Isabelle El Khiari a en effet encouragé la mise en place de ces référents dans chaque service de l’hôpital Dupuytren de Draveil, par corps de métier : médical, paramédical, cadre, rééducation, psychologue. Chaque référent joue un rôle en fonction de sa profession. Le médecin effectue les prescriptions médicales, les cadres assurent la gestion des stocks de l’aromathérapie, les infirmiers préparent les synergies et les flaconnages, et les aides-soignants les appliquent. Tous sont garants du bon usage de la prescription et de la traçabilité afin de mesurer l’évolution des patients bénéficiant de cette prise en charge. Pour devenir référent ou utilisateur, les professionnels de santé doivent nécessairement être formés. Isabelle El Khiari organise trois niveaux de formation de base et souhaite développer des modules de perfectionnement sur des problématiques de terrain. « Ces formations nous permettent de détenir des bases et de les approfondir progressivement », souligne Camille Douceur, psychomotricienne. Les référents se réunissent régulièrement - mais bénévolement - dans le cadre de groupes de travail afin de réfléchir à des protocoles pour des pathologies telles que l’anxiété, l’insomnie, la douleur. « Nous faisons en sorte que ces protocoles soient compatibles avec toutes les pathologies et les traitements », précise Isabelle El Khiari, qui les valide avant de les faire prescrire par le médecin.